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Il ne semble plus possible (pour l'heure ?) de poster de nouveaux textes dans la section « Votre Nouvelle » de JRRVF. Du coup, je me risque à le faire directement ici, en espérant que cela n'ennuie personne.
Comme certains le savent déjà, cela fera bientôt un an que l'univers fictionnel qui dormait dans un coin de ma tête depuis au moins vingt-cinq ans a décidé de percer au grand jour. A la base, j'avais juste décidé de coucher sur le papier quelques notes préparatoires « au cas où », mais de fil en aiguille, je me suis retrouvé avec une chronique historique doublée d'une chronologie détaillée (1), trois familles de langues construites (2), un arbre généalogique (3), une première amorce de roman (4) et pas mal d'autres trucs, dont dernièrement un début d'essai politico-économique... Et le projet bien arrêté de rédiger un cycle de novellas qui puisse un jour être publié. La première est achevée... ou presque. J'ai reçu de trop de conseils pertinents de la part de lecteurs expérimentés (s'ils lisent ces lignes, ils se reconnaîtront -- qu'ils soient remerciés au passage) pour négliger d'en tenir compte.
Tout cela n'est pas tolkienien au sens propre, même si inévitablement, une certaine influence tolkienienne (qui devient une influence tolkienienne certaine dès lors qu'il s'agit de langue ou de système d'écriture) pourrait s'y manifester par endroits.
Aujourd'hui, c'est un texte très bref qui m'est venu, presque d'une seule traite et sans hésitation. Cela n'est pas courant pour moi, mais comme cela reprend (presque à l'identique) une des très rares scènes qui remonte au tout début de mes rêveries éveillées, peut-être n'est-ce pas si surprenant en fin de compte. Cela pourrait venir un jour en guise d'introduction à une anthologie, si jamais mon projet prend corps. Quoi qu'il en soit, le voici.
E.
(1) Cela s'inscrit dans le temps long, mais la période qui m'intéresse particulièrement s'étale sur 1800 ans, ce qui est déjà pas mal.
(2) Une langue de ces langues comporte une phonologie presque aboutie, une grammaire bien avancée et environ 1500 mots de vocabulaire à ce jour.
(3) Avec 144 noms actuellement, si j'ai bien compté.
(4) A part le premier chapitre, il est pour l'heure arrêté au stade du synopsis détaillé.
Les filles de la mer sèchent leurs cheveux blancs
au souffle de la brise et rient dans les rochers
où surnagent ce jour les planches écorchées
qui fendaient les flots noirs vers l’horizon brûlant.
Extrait de « la Fleur-étoile », écrit par Ɣusakas en 253 C.I.
Lánas, mer de Spangažár, cent-quatorzième année de règne du Sorcier.
Le mitant du jour ne devait pas être passé depuis longtemps, mais il faisait désormais aussi noir qu’à la nuit tombante. Les marins harassés avaient perdu toute notion du temps depuis que la tempête avait commencé à malmener leur esquif. Lorsque les nuages s’étaient levés à l’horizon, pareils à d’immenses tours noires sous lesquelles les éclairs tombaient sans discontinuer, ils avaient su qu’ils ne parviendraient pas en vue du Šarnegdë avant que la bourrasque ne les rattrape. Même s’ils étaient parvenus à carguer les deux voiles principales à temps, les vents étaient si violents qu’ils avaient brisés net le mât de mestre. Les cordages l’avaient retenu au flanc du navire et celui-ci avait brusquement donné de la gîte. Des paquets de mer avaient commencé à embarquer dans la cale. Si l’un des passagers n’avait pas eu la témérité de se précipiter sur le pont battu par les flots pour trancher les vergues à la hache, le navire aurait coulé en quelques instants.
Il semblait que l’abîme avait simplement accepté de différer son dû. Loin de s’éclaircir, les nuages devenaient de plus en plus sombres à mesure que les heures passaient. La minuscule voile de trinquet permettait tout juste au capitaine de garder son esquif en fuite devant les vagues qui l’assaillaient. Le passager l’avait rejoint, car tenir le gouvernail dans ces conditions exigeait des efforts surhumains. Les vents tourbillonnaient tellement que les deux hommes n’avaient plus la moindre idée de la direction que suivait le navire. Soudain un craquement effroyable domina un instant le hurlement de la tempête. Les deux hommes n’eurent que le temps de lever les yeux avant que le mât de méjane, foudroyé, ne s’abatte droit sur eux. Un choc à l’épaule fit perdre son équilibre au passager, qui se cramponna désespérément au gouvernail. Il heurta le plat-bord brutalement, tandis que le navire privé de direction frémissait sous l’orage.
Lorsqu’il parvint à reprendre pied, il ne restait qu’un tronçon déchiqueté là où le mât de méjane se tenait. Du côté opposé, le bastingage était entièrement défoncé. Aucune trace du capitaine n’était visible. L’écoutille du petit abri du gaillard d’avant battait et le passager se demanda s’il restait des marins vivants à bord. Ses forces s’épuisaient et il n’avait pas le talent d’un nautonier pour tenir le cap, aussi le navire faisait-il des embardées de plus en plus violentes. Les embruns ruisselaient devant ses yeux et brouillaient sa vision. Il avait par moments l’impression que des jeunes filles aux cheveux glauques lui faisaient signe, couchées sur la crète des vagues. Il passa une main tremblante de fatigue sur son visage en pensant à celle qui s’abritait sous ses pieds, dans la minuscule cabine sous la dunette. Alors qu’il était sur le point de consentir à l’inévitable, il vit une faible lueur à l’avant, comme si les nuages se séparaient en deux masses sous l’action d’une force supérieure à celle de la tempête. L’esquif filait droit devant, porté par un courant invincible qui le précipitait droit vers la lumière. Soudain à travers le rideau de pluie qui s’amincissait, il vit des falaises d’albâtre se dresser devant lui, pareilles à une muraille aux couleurs d’ossuaire. Il sut où la tempête l’avait jeté et une crainte plus profonde que celle de la mort le saisit.
Loin à sa droite, l’escarpement se faisait moins haut et l’homme crut discerner le contour d’une baie. Poussé par un dernier réflexe de survie, il tenta d’infléchir la course de l’esquif désemparé. C’était peine perdue. Le navire talonna une première fois, frémissant de toutes ses membrures. Les brisants ne se devinaient qu’à l’écume qui rejaillissait lorsqu’un paquet de mer les frappait, mais ils étaient trop nombreux pour espérer passer au travers. Pourtant, une vague plus puissante encore que les autres souleva l’embarcation et lui fit franchir une première barrière d’écueils. Au pied des falaises, l’eau était d’un calme presque surnaturel et l’homme crut un instant qu’il parviendrait à y mener le navire, mais un fracas soudain brisa l’espoir sur le point de ressurgir. Le navire s’était empalé sur un récif invisible et donnait déjà de la bande. Le gouvernail se bloqua, tandis que la grande barre de direction échappait aux mains qui la maniaient. Elle revint brutalement et frappa l’homme avant qu’il puisse la reprendre. À demi assommé, il passa par-dessus bord et ne reparut plus.
Une nouvelle vague faillit renverser le navire, qui se souleva péniblement du récif et avança sur son erre en direction des falaises. La coque déchirée se remplissait rapidement d’eau. L’esquif blessé à mort racla sur un haut fond. Il tenta encore une fois d’avancer, mais sa proue vint donner contre un rocher. Il s’arrêta là, palpitant faiblement au rythme des vagues adoucies qui semblaient vouloir laver ses plaies. Sur le seuil de la cabine du gaillard d’arrière, là où aurait dû se trouver l’écoutille arrachée, une écume rosâtre suintait lorsque les vagues soulevaient l’arrière de l’épave.
Par dessus le bruit des vagues frappant sans fin le pied des falaises et le grincement du bois sur le rocher, le vagissement d’un nouveau-né se fit soudain entendre. Très haut dans le ciel, une forme semblable à celle d’un aigle se distinguait à peine dans l’azur profond.
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Pour l'heure, juste une petite note linguistique en guise de complément, puisque c'est une question qui est fréquemment revenue chez les lecteurs « test ». La langue à laquelle appartiennent les trois noms propres ci-dessus se nomme le kúlin ; c'est celle que j'ai le plus développé à l'heure actuelle. Toute similitude avec le quenya ne serait pas entièrement fortuite, bien que la langue dont je me sois principalement inspiré en la matière n'ait rien à voir avec le finnois. Je peux préciser quelques points à son sujet :
Les voyelles se prononcent globalement comme en français, à cela près que le « u » se prononce /u/, donc comme le « ou » français.
Les accents aigus dénotent les voyelles longues, les trémas signalent que les « e » finaux se prononcent /ɛ/, donc comme le « è » français (ai-je évoqué des parallèles avec le quenya ?)
Les consonnes ordinaires se prononcent comme en français, excepté le « r », qui est soit /r/ (roulé), soit /ɾ/ (battu).
Les consonnes supplémentaires sont au nombre de cinq :
ɣ, qui correspond à /ʁ/ ou /ʀ/, soit au « r » guttural ou grasseyé ;
š, qui vaut /ʃ/, donc est équivalent au « ch » français ;
č, qui vaut /t͡ʃ/, ce qui correspond à « tch » en français ;
ž, qui représente un son intermédiaire entre /ʒ/ et /dʒ/, soit quelque part entre le « j » de « jungle » en français et en anglais ;
la cinquième consonne supplémentaire est archaïque et il n'est pas utile d'en faire mention ici.
E.
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[...] bien que la langue dont je me sois principalement inspiré en la matière n'ait rien à voir avec le finnois.
De quelle langue s'agit-il, alors ? ;-)
Amicalement,
B.
[EDIT (21h18):] P.S. : on m'a répondu ailleurs. Merci. ^^
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