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#1 28-04-2006 15:42

Yyr
Lieu : Reims
Inscription : 2001
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Le cœur et la raison

« Qu'est-ce qui échapperait à l'impérialisme triomphant de la méthode scientifique ? Ce qui est ici méprisé, c'est la prétention du parlant d'évoquer quelque chose qui ne pourrait pas être réduit par l'analyse scientifique. Mystère de la parole ? Allons donc, nous allons faire l'autopsie et vous verrez bien qu'il n'y a pas d'âme sous mon scalpel. Mépris envers cette parole qui donnait à l'homme l'impression, le sentiment d'une fissure vers un au-delà [...] »

Jacques Ellul
La parole humiliée, p.184

Comment ne pas penser (aussi mais pas seulement) à la savante dissection des archéologues et antiquaires moquée par le professeur ? En séparant la Réalité de la Vérité, le Dit du Sens, la Matière de l'Esprit, en supprimant le second au profit du premier, le chercheur ramène toute l'étendue de son analyse à une chaîne de signes désarticulés et absurdes ...

« Car il est dans leur nature que les bafouillages de toute recherche historique antiquaire marmonnent dans le dru bois de la conjecture, voletant d’un arbre tam-tam à l’autre. Nobles animaux dont le marmonnement à l’occasion vaut la peine d’être entendu ; mais bien que leurs yeux enflammés puissent parfois se révéler projecteurs, leur champ de vision est court. [...] La signification d’un mythe ne peut pas être aisément épinglée sur le papier par un raisonnement analytique. [...] Son défenseur a donc pour lui un désavantage : à moins de prudence, et de parler en paraboles, il tuera ce qu’il est en train d’étudier par vivisection, et il obtiendra une allégorie formelle ou mécanique, et, qui plus est, une allégorie qui ne fonctionnera probablement pas. Car le mythe est vivant immédiatement et dans toutes ses parties, et meurt avant qu’il ait pu être disséqué. »

J.R.R. Tolkien
Beowulf : The Monsters and the Critics, MC p.9, 15-16

Vivisection de la Parole, vivisection du Mythe, vivisection de l'Homme. Il fut un autre professeur, de génétique il se trouve, à combattre ces idées fausses. Étoilé lui aussi, s'il n'a pas écrit l'Ainulindalë, il contait la Symphonie de la Vie, il répondait aux carnassiers qui lui demandaient de quelle couleur était la peau d'Adam qu'« elle était couleur d'homme », et il rassurait les enfants qui s'inquiétaient de ne pas retrouver dans le Monde l'enseignement de certaines histoires que « même si on ne s'en [était] pas encore aperçu à l'école et à la télé, [ils avaient] le droit d'être en avance et d'en savoir plus que les programmes officiels ». Or, j'ai découvert il y a tout juste quelques jours, ce présent mois d'avril, ce petit trésor de sa main, longtemps resté secret même de ses proches, en le découvrant j'ai immédiatement pensé à toi, Maître Sosryko :

Le cœur et la raison sont bien loin, comme on le dit, de vivre en bonne intelligence […]

Cette faille il faudrait à tout prix la combler. tous les poètes l’ont dit, comme aussi les savants et même les pédagogues.

Certains établissent leur camp du côté des instincts. D’autres vont se retrancher du côté de l’efficace.

Mais l’immense majorité, refusant le choix déchirant, mais redoutant le précipice, emprunte bien sûr la passerelle mais y reste le moins longtemps possible. D’où l’homme pendulaire, reniant ses amours quand il faut réussir et perdant la raison quand la passion l’agite.

Quelques uns cependant doués d’un plus grand cœur tentent de ressentir le monde pour trouver la raison de vivre ; ainsi font les artistes, les amoureux et les mystiques.

Quelques un des plus doués d’une forte raison tentent d’analyser le monde afin de mieux sentir la vie ; ainsi font les amants de la science et même les théoriciens s’ils sont de bonne volonté.

Mais ceux qui n’ont pas le vertige regardent la faille en face et délibérément s’installent sur la passerelle tissant entre les deux réseaux, des liens si tenus, si fragiles, qu’ils les réparent à chaque instant par prière ou méditation.

Ainsi font, m’a-t-on dit, les sages, ainsi font, je crois, les saints.

Car tout l’honneur de l’homme est de déceler sa faille, d’en scruter l’origine, d’en reconnaître les abords pour tenter de relier ces deux réseaux qui se délient. D’où l’expression si juste : “sa religion est faite”.

Chacun s’y emploie chaque jour, sans le dire ou en le clamant, en s’y appliquant de son mieux, ou même sans y songer, et c’est cela qu’on appelle vivre.

Pourtant certains refusent et professent qu’il faut refuser. Ils décrètent d’un coup que rien au monde n’a de sens. Tout ce fatras d’étoiles, d’êtres ou d’évènements n’est qu’un hasard heureux ou autre nécessité.

En refusant la faille ils débouchent sur l’incongru, disant que le monde est absurde.

Je n’en crois rien.

Regardez, il est beau »

Jérôme Lejeune
In Table des Matières, retrouvée en décembre 2003

Mais j'ignorais que le professeur t'avait personnellement rencontré et que tu avais directement inspiré sa plume !! Grand cachottier, va :) Ou bien serait-ce l'inspiration des cœurs, au mépris de tout processus analytique (et donc cette inspiration, non temporelle, non matérielle et non démontrable, serait vivante ? non ?!!), le lien, le liant, le re-lié ?

Ami de parole, de poésie, et de sagesse,
Heureux Anniversaire ! Heureuse fête !

Yyr

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#2 29-04-2006 21:39

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 996

Re : Le cœur et la raison

La raison pour soutenir la parole...

     Je voudrais prendre soin       de ne pas laisser la parole me prendre
     d’épargner à ma langue les pièges de l’erreur et de la malice
     Que les mots dont je me sers soient justes       au sens où la justice
     consiste à ne pas faire de tort à quiconque       à donner à chacun son dû
     et à s’épargner à soi-même l’incertitude et la  confusion dans lesquelles l’esprit est perdu

     Mais si je parvenais à ne laisser sortir de ma bouche que des mots pesés avec soin dans les balances du bien et du mal qu’engendrent nos actes   
     je demanderais ensuite aux dieux de la parole de me préserver des mots trop exacts
     Les mots trop précis et trop simples et beaucoup trop clairs
     ne signifient qu’un côté des choses       qu’une moitié du vrai       et de la réalité du monde n’expriment que le côté face       mais non l’envers
      La parole qui serre de trop près les choses risque toujours de les serrer si fort
     que pour ne pas laisser de flou et de jeu et de vague elle les étreint si exactement qu’à la fin ils sont morts

      Si j’emploie le mot qui désigne l’eau       je voudrais le laisser couler dans sa grande multitude liquide
     et qu’il embrasse l’étendue maritime verte et salée       la pluie jaune de limon       l’averse douce et le typhon                le trouble orage diluvien et la source limpide
     Si je me sers du mot feu       l’employer pour nommer le feu qui à cet instant est présent dans la cheminée
     mais ne pas oublier et garder sur le bord de mes yeux et à la lisière de la mémoire et de l’imaginé
     toutes les variétés de feu         du feu de sarments       qu’allument à l’automne les vendangeurs pour se dégourdir les mains
     à la fournaise qui gronde soudain quand les métallos ouvrent la porte du four Martin
     de la petite flamme de la bougie qui caresse le visage des jeunes femmes dans les tableaux de Georges de La Tour
     à la fureur de l’incendie de grange que nous avons vu surgir une nuit à Haut-Bout et qui a palpité de braises jusqu’au petit jour
     sans oublier la flamme embrouillée du feu d’herbes qui fume et fait tousser       le feu qu’on allume à la fin d’octobre quand il y a de l’humidité dans l’air
     et en se souvenant du feu qu’après les moissons on allume dans les chaumes avant de passer les charrues avec le tracteur pour enfouir le bon charbon des brûlis dans la terre

     Dieux de la parole       seigneurs du langage       et toi ma fragile       mon entêtée       ma distraite et ma       vigilante       celle que malgré tout je nomme ma Raison
     aide-moi       et les puissances au-dessus de nous t’aideront
     Aide-moi à me servir des mots sans les laisser se dessécher       sans laisser s’épuiser leur ressource
     en essayant       chaque fois que je nomme ce qui est là
     de viser juste et de bien diriger la flèche des mots dans leur course
     mais sans oublier jamais la grande variété et profusion de ce qui existe autour de la cible
     les limites du principe de non-contradiction       les insuffisances de la règle du tiers exclu       et l’intarissable richesse des possibles

     Aide-moi à chercher le sens
     et à me souvenir toujours que si les mots n’avaient qu’un sens
     nous habiterions seulement la mort et l’absence

Kerdavid
Lundi 28 août 1992
Claude Roy, « Du bon usage du sens des mots »,
in Les pas du silence, Gallimard, 1993, p. 165.

... et la Parole pour soutenir le coeur...

À l’heure où la clarté ne parle qu’à voix basse
le cœur incertain marche à très petit pas
l’heure entre cendre et nuit       l’instant de guerre lasse
quand on n’est plus très sûr d’être ou de n’être pas

une pensée m’a visité       pensée légère
Une main doucement se posant sur l’épaule
Une pensée       (Mais venue d’où ?)       Un sourire dans l’air
Personne n’était là       et je n’étais plus seul

Qui est venu me voir à travers le silence
Qui donc me veut du bien ?        Qui parle sans parler ?
Qui donc est cet absent dont je sens la présence ?
Qui est venu m’aider quand le ciel se voilait ?

Personne n’était là       Mais je suis pourtant sûr
qu’une pensée légère a touché mon épaule
un visiteur discret qui me voulait du bien
la pensée d’un ami sur la pointe des pieds

Paris, Mardi 4 décembre 1990
Claude Roy, « Un visiteur »,
in Les pas du silence, Gallimard, 1993, p. 59.

.. et, de tout coeur, te dire merci pour ces quatre belles paroles inspirées cher ami :-)

S.

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