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#1 24-07-2002 02:52

Yyr
Lieu : Reims
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Átaremma - Ô Notre Père

Le Vinyar Tengwar 43 a enfin - joie - publié quelques écrits en Quenya du Professeur. Joyau d'entre ces joyaux la prière du Notre Père :)

Une première question, qui s'adresse plus particulièrement aux experts en exégèse (suivez mon regard ;) ... les amis Sosryko & Vinyamar sont-ils dans la maison ?) :

En Quenya le premier vers donne :

Átaremma i ëa han ëa

lit. Ô Notre Père qui est au-delà du Monde

Presque certainement il est ici fait usage d'une interjection : Átaremma = A Ataremma = 'Ô Notre Père'. En Français, en Anglais, et vraisemblablement en Latin et en Grec, si j'ai correctement interprété les versions dont je dispose, nous interpellons notre Père sans utiliser d'interjection. Les exégètes peuvent-ils nous en dire plus sur les textes d'origine de cette prière des Evangiles ? Ceux-ci ou certaines traductions ont-ils fait usage d'une interjection ?

Jérôme

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#2 04-09-2002 19:51

Vinyamar
Inscription : 2001
Messages : 1 813

Re : Átaremma - Ô Notre Père

Cher Yyr,

désloé de n'avoir pas vu trop vite ce message resté sans réponse.
Si tu lis le grec, alors tu es plus avancé que moi (pour l'instant :-) ) pour trouver réponse à ta question. je le déchiffre à peine, et il me semble bien que dans les textes des évangélistes aucun vocatif n'est utilisé.
Cela semble logique, puisque le père en question était sans doute le "Abba" que Jésus utilise à d'autre moment, c'est à dire "petit papa chéri" ou "papounet" si vous ne trouvez pas ça ridicule... : le nom utilisé par les enfants pour appeler leur père. (même distinction, je pense, que nous à l'époque ou l'enfant disait "papa" et le jeune adulte "père" en s'adressant à lui).
Jésus ne parlerait pas à son père comme à l'empereur. Et il a voulu nous enseigner cette filiation.
Mais évidemment, rien n'empêche les hommes d'aimer leur père sans oublier qu'il est leur roi et leur Dieu. L'interjection ne me semble pas malvenue, surtout dans un monde où personne n'est venu révéler l'amour paternel quasi maternel qu'Eru a pour ses enfants. les Elfes se savent "enfants d'Eru", mais ne savent pas forcément quel amour cela signifie.

Mais je ne sais pas si Tolkien voulait prêter ce texte à ses Elfes, ou si c'était seulement un jeu pour lui que de le traduire.

Question à mon tour: on trouve deux fois ëa dans cette ligne. Pourrais-tu donner la traduction littéraire la plus au ras du texte possible ?

(j'attend que sosryko, véritable exégète lui, vienne donner son point de vue.)

Vinyamar

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#3 05-09-2002 03:40

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 951

Re : Átaremma - Ô Notre Père

Inutile de forcer les recherches, aucune manuscrits ne présente une interjection en ouverture du Notre Père, que ce soit en Matthieu ou en Luc (lorsque celui-ci a été corrompu par comparaison avec Mt et porte la trace ‘Notre Père’ à la place de la version courte ‘Père’).
Par contre, à ma connaissance, la seule occurrence littéraire de la forme ‘Ô notre Père’ se trouve non pas dans les textes grecs, mais sous la plume de Dante, au chapitre XI du Purgatoire, les premiers vers (v.1-24) correspondant à une paraphrase de la prière du Notre Père (la paraphrase des prières étant un exercice caractéristique, paraît-il, du XIVème s.) ; voici la version originale suivie d’une traduction de Jacqueline Risset pour GF-Flammarion (je rétablis l’interjection au v.1 car, ce qu’elle ne fait pas ailleurs !, elle l’a supprimée, certainement pour se conformer au texte grec ou par habitude ; preuve s’il en était du caractère exceptionnel de la tournure !):

«O Padre nostro, che ne' cieli stai,
non circunscritto, ma per più amore
ch'ai primi effetti di là sù tu hai,

laudato sia 'l tuo nome e 'l tuo valore
da ogne creatura, com' è degno
di render grazie al tuo dolce vapore.

Vegna ver' noi la pace del tuo regno,
ché noi ad essa non potem da noi,
s'ella non vien, con tutto nostro ingegno.

Come del suo voler li angeli tuoi
fan sacrificio a te, cantando osanna,
così facciano li uomini de' suoi.

Dà oggi a noi la cotidiana manna,
sanza la qual per questo aspro diserto
a retro va chi più di gir s'affanna.

E come noi lo mal ch'avem sofferto
perdoniamo a ciascuno, e tu perdona
benigno, e non guardar lo nostro merto.

Nostra virtù che di legger s'adona,
non spermentar con l'antico avversaro,
ma libera da lui che sì la sprona.

Quest' ultima preghiera, segnor caro,
già non si fa per noi, ché non bisogna,
ma per color che dietro a noi restaro».

§§§§

« Ô notre Père, qui es dans les cieux,
non circonscrit en eux, mais pour le plus d’amour
que tu as là-haut pour tes premières œuvres.,

que ton nom soit loué, et ta valeur,
par toute créature, comme il convient
de rendre grâce à ta douce vapeur.

Que vienne à nous la paix de ton royaume,
Car de nous-mêmes nous ne pouvons aller à elle
Si elle ne vient à nous, malgré tous nos efforts.

Comme tes anges te font le sacrifice
De leur vouloir, en chantant hosanna,
Il faut que les humains te sacrifient le leur.

Donne-nous aujourd’hui la manne quotidienne,
Sans quoi, dans cet âpre désert,
Ceux qui s’efforcent d’avancer vont en arrière.

Et comme à tous nous pardonnons le mal
Que nous avons souffert, pardonne-nous aussi,
Dans ta bonté, sans regarder à nos mérites.

Notre vertu, qui succombe aisément,
Ne l’expose pas à l’antique adversaire
Mais délivre-nous de lui, qui la tourmente.

Cette ultime prière, Seigneur bien-aimé,
N’est pas pour nous, il n’en est pas besoin,
Mais pour ceux qui sont restés en arrière. »


En supposant, ce dont je ne doute pas, que ta traduction est bonne, Yyr, le texte de Tolkien souligne le fait que le Père est 'au-delà du monde', ce que ne fait pas les texte évangélique. Or, le texte de Dante le fait également en précisant que le Père n'est "pas circonscrit" aux cieux : s'il n'est pas circonscrits aux cieux, c'est bien qu'il est n'y est pas attache, qu'il est 'au-delà' des cieux.ceci ne serai-il pas un indice supplémentaire de l'écho aux premiers vers de Dante?

Un autre texte, attribué à Dante Alighieri et dérivant certainement du chant XI du Purgatoire est
plus proche du texte du Notre Père, et conserve le caractéristique ‘O Padre nostro’ ; le voici, avec une traduction anglaise trouvée sur Internet :

O Padre nostro, che ne' cieli stai,
santificato sia sempre il tuo nome,
e laude e grazia di ciò che
ci fai.
Avvenga il regno tuo, siccome pone
questa orazion: tua volontà si faccia,
siccome in cielo, in terra in unione.
Padre, dà oggi a noi pane, e ti piaccia
che ne perdoni li peccati nostri;
nè cosa noi facciam che ti dispiaccia.
E che noi perdoniam, tu ti
dimostri
esempio a noi per la tua gran virtute;
acciò dal rio nemico ognun si
schiostri.
Divino Padre, pien d'ogni salute,
ancor ci guarda dalla tentazione
dell'infernal nemico e sue ferute.

§§§§

O our Father, who art in heaven,
hallowed be thy name always,
and praise and thanks be for everything
that thou doest
Thy kingdom come, as this prayer entreats:
Thy will be done,
On earth, as it is in heaven.
Father, give us this day our daily bread,
and may it please thee to forgive us our sins:
and let us not do anything that displeases thee.
And in order that we may forgive, thou
makest thyself
an example to us through thy great goodness;
so that we can all escape from the cruel
enemy.
Heavenly Father, fount of all salvation,
keep us always from temptation,
from the satanic enemy and his onslaughts.

***

Tolkien pouvait-il connaître Dante? En fait, il le connaissait très bien, comme nous pouvons le comprendre grâce à une lettre, en ne tenant pas compte de l’excès d’humilité du professeur. Ainsi, en 1967, Tolkien corrige les propos tenus en interview en vue de la publication d’un article [L294, 08/02/67]:

Dante .... 'doesn't attract me. He's full of spite and malice. I don't care for his petty relations with petty people in petty cities. '

My reference to Dante was outrageous. I do not seriously dream of being measured against Dante, a supreme poet. At one time Lewis and I used to read him to one another. I was for a while a member of the Oxford Dante Society (I think at the proposal of Lewis, who overestimated greatly my scholarship in Dante or Italian generally). It remains true that I found the 'pettiness' that I spoke of a sad blemish in places.

Voilà, voilà ;-) et encore désolé d'avoir râté cette belle remarque!

Sosryko

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#4 05-09-2002 15:32

Edouard
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Re : Átaremma - Ô Notre Père

Merci Sysko pour cette brillante analyse.

J'avais totalement oublié l'appartenance de T aux Amis de Dante.

EJK

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#5 06-09-2002 00:23

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 951

Re : Átaremma - Ô Notre Père

Je suis un grand amateur de Star trek Deep Space 9 mais pas au point de prendre le nom du commandant Sysko ;-))
En fait Sosryko est  le nom d'un héros du Caucase cher à Dumézil lequel monsieur m'est très cher à son tour...
Sinon, merci beaucoup Edouard pour le compliment que je prends pour moi. Et toi, Yyr, qu'en dis-tu? convaincu?

S.

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#6 06-09-2002 13:01

Yyr
Lieu : Reims
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Re : Átaremma - Ô Notre Père

Un grand merci à vous deux, amis Vinyamar & Sosryko ! Qu'il est agréable d'échanger autour de ce magnifique cadeau qui nous a été legué depuis 2000 ans ... et quel bel emballage cadeau confectionné par JRR Tolkien :)<

@ Vinyamar : [...] Mais je ne sais pas si Tolkien voulait prêter ce texte à ses Elfes, ou si c'était seulement un jeu pour lui que de le traduire.

Difficile à dire ; en tout cas merci de tes propres commentaires sur la question. NB : Si je dispose d'une version grecque du Notre Père, je n'ai pas de connaissance dans la langue pour autant [j'ai en revanche quelques petites connaissances en latin c'est tout]

@ Vinyamar : Question à mon tour: on trouve deux fois ëa dans cette ligne. Pourrais-tu donner la traduction littéraire la plus au ras du texte possible ?

Tolkien n'a ni traduit ni commenté sa version de l'Átaremma. Pour ce qui est du premier vers, je m'aligne pour l'instant sur l'interprétation du VT à savoir i ëa : qui existe han ëa : au-delà du Monde. désigne en quenya à la fois le verbe exister et l'Univers, d'après la parole d'Ilúvatar (Silm / Ainulindalë) :

I say: Eä! Let these things Be!

et le serment de Cirion (UT / Cirion & Eorl) :

[...] Eru i or ilyë mahalmar eä tennoio
[...] Eru qui existe/demeure au dessus de tous les trônes à jamais

Mais il est vrai que le second ëa ne porte pas de majuscule ... Edouard, as-tu eu le temps de te pencher sur le texte ? As-tu une opinion sur ce point ? Le mot-à-mot est peut-être i ëa han ëa : qui est/existe au-delà d'être/exister (sous-entendu d'exister comme existe ce qui a été créé par lui) ...

@ Sosryko : Et toi, Yyr, qu'en dis-tu ? convaincu ?

Convaincu ? Mon cher Sosryko ce fut un délice de te lire ! Oui tout à fait convaincu. Très bien vu par ailleurs pour le Père 'au-delà du monde' (cf. aussi ci-dessus en réponse à Vinyamar) ... c'était ma deuxième question à venir ;) Ha ! Ha ! Ha ! Bravo ! Je n'ai absolument rien à ajouter et Edouard a été clair : merci infiniment pour cette brillante analyse Erundil !

@ Edouard :

Les elfconnors peuvent nous envier quelques french tolkiendili, non ;) ?

Jérôme

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#7 07-09-2002 19:38

Vinyamar
Inscription : 2001
Messages : 1 813

Re : Átaremma - Ô Notre Père

Yyr
au sujet de ce i ëa han ëa, je trouve la formulation digne d'intérêt.

Quand Eru dit "Eä", c'est au moment où il donne existence au monde qui n'a été que "vu" dans la vision, fruit de la Grande musique. Cette vision est, mais n'existe pas. Eru dit: que cela soit (Let it be), Eä, mais ce verbe être me semble davantage faire référence à l'existence, comme tu as toi même traduit.
Ainsi l'univers chez les Elfes est l'ensemble de ce qui a une existence, terme pilosophique qui s'oppose (ou plutôt répond) à essence. Je suis surpris de voir que Tolkien n'a pas donner à ses Elfes de mot pour cette notion d'être par essence. les Elfes sont certes liées à Arda et n'ont pas vraiment de tendance à transcender le monde, mais ils ont aussi un goût inouï pour la création de mots nouveaux. Ils abusent là !

Dans leur langue, Tolkien définit donc Eru comme "l'existant au delà de ce qui existe". (conformément à ta traduction). C'est un peu comme s'il donnait à Eru un 'être' supérieur, un sur-être. Les Elfes "sont", Eru "sur-est".
Il y a là une notion philosophique qui m'a toujours fait difficulté (mais je n'ai pas fini d'étudier): Dieu 'existe'-t-il, dans ce vocabulaire philosophique où l'on "oppose" l'existence à l'essence. (en vérité, l'un et l'autre sont les faces d'une seule réalité). Rien n'existe sans essence, mais y a-t-il une essence qui n'a pas d'existence. Je croyais tenir que c'était le cas de Dieu (sans tenir compte de l'incarnation du Fils). Si Dieu n'est que pure essence (et donc n'a pas d'existence), les Elfes ont des lacunes de vocabulaire et cela expliquerait le "qui existe au delà de ce qui existe", expression absurde si on la prend en elle-même: un élément qui sort de l'ensemble qui le définit.

Je crois que cette conception va plus loin, bien plus loin, que le texte de Dante (dont je ne renie pas la paternité possible).

Au fait, quelle est la notion de père utilisée ici par Tolkien dans "Átaremma" . Je ne retrouve rien de ce qu'on trouve dans Ben-Iarwain: qui n'a pas de père (je sais, il y a Sindarin et Quenya et d'autres, mais je ne susi pas versé dans les langues elfiques, et ce fuseau est le premier qui me donne d'entrer réellement dans une rubrique que j'ai toujours trouvée hors de ma portée :-)) ).


Vnmr

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#8 07-09-2002 21:22

Edouard
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Messages : 635

Re : Átaremma - Ô Notre Père

>Au fait, quelle est la notion de père utilisée ici par Tolkien dans "Átaremma" . Je ne retrouve rien de ce qu'on trouve dans Ben-Iarwain: qui n'a pas de père (je sais, il y a Sindarin et Quenya et d'autres, mais je ne susi pas versé dans les langues elfiques, et ce fuseau est le premier qui me donne d'entrer réellement dans une rubrique que j'ai toujours trouvée hors de ma portée :-)) ).

Le nom Tom Bombadil en sindarin est Iarwain ben-adar. C'est "ben=adar" qui veut dire "fatherless", adar = père = father = atar.
Átaremma = q. a atar-e-mma ; ô notre père.

Le verbe ea- en quenya signifie "exister", le verbe "être" (dans sa fonction de copule, "je suis dans le jardin") est na-.

EJK

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#9 08-09-2002 02:08

Toko
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Re : Átaremma - Ô Notre Père

> Le verbe ea- en quenya signifie "exister", le verbe "être" (dans sa fonction de copule, "je suis dans le jardin") est na-.

Il semble également posséder d'autres utilisations, voir la note publiée dans VT 43 p. 14 :

« na preced. = 'let it be' : na aire 'be holy', aire_na 'is holy'. »

Les éditeurs ajoutent : « na has also a subjunctive or imperative sense when preceding a verb, e.g. aranielya na tuluva 'thy kingdom come' (At. V-VI), na care indómelya 'thy will be done' (At. VI), na etrúna me ulcallo 'deliver us from evil' (At. I). » (comme quoi, les commentaires d'Hostetter et Cie ne sont pas toujours inintéressants !)

A la vue de cela, la formule en nai + futur semble directement formée d'aprée le verbe na-.

Pour ce qui est de l'interjection, elle semble être utilisée en sindarin aussi (voir le titre du Pater Noster en sindarin : Ae Adar Nín), mais je ne peux pas juger sur pièce (je n'ai pas encore commandé le dernier VT).

Namárië.

Toko

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