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#1 19-01-2006 01:58

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

<< il existe un manuscrit du XVIe siècle, le manuscrit Voinych, qui est rédigé dans une langue inconnue et que personne jusqu'à aujourd'hui n'a réussi à déchiffrer. Certaines personnes ont voulu en déduire que c'était un faux génial... mais d'autres assurent que c'est impossible parce qu'ils l'ont analysé avec un système qui (si je me souviens bien) s'appelle la Loi de Sfir.

-- Avec ce système, on peut vérifier qu'une langue est "naturelle". Je me demandais si l'on n'a jamais fait passé ce genre de test aux langues du Professeur?

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#2 19-01-2006 16:05

Dior
Inscription : 2004
Messages : 984

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Up ! (copyright Dame Lamberte ;-) )

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#3 19-01-2006 18:15

Hisweloke
Inscription : 1999
Messages : 1 622

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

"Avec ce système, on peut vérifier qu'une langue est "naturelle".

On peut appliquer à un texte un ensemble de "lois" statistiques (qui tiennent plus des postulats empiriques que de lois fermes), telles que les lois de Zipf (ce à quoi je pense que tu faisais allusion) et consorts. On mesure l'occurence des mots, leur longueur, etc... Les principes généraux s'apparentent à des mesures du rapport entre "bruit", "redondance" et "signal" -- soit à des calculs d'entropie, pour employer les grands mots ;)

Ces lois statistiques sont très empiriques et ont leurs limites.

Cela ne prouve pas qu'une langue est naturelle, mais permet uniquement de constater, peu ou prou, si la statistique mesurée obéit à peu près aux résultats généraux obtenus pour un ensemble de langues réelles, en comparant le signal (ici un "texte" inconnu) à d'autres signaux (i.e. un texte donné dans une langue donnée). Plus finement, ce type de statistique peut aider à distinguer éventuellement des différences de structure au sein d'un même texte (e.g. valider l'existence de plusieurs "auteurs", de variations de langues, etc.). Dans la même veine d'idées, on peut aussi établir des distances entre deux langues A et B, et "deviner" statistiquement si un texte est écrit plutôt en A ou plutôt en B.

Dans le cas du manuscrit de Voynich, il me semble que les "résultats" ne sont pas très concluants (dans un sens comme dans l'autre)... En particulier, le fait que l'alphabet soit lui aussi inconnu (inventé?) n'aide pas à délimiter les frontières de mots. Tout ce qu'on peut dire, si je me souviens bien, c'est qu'il ne s'agit pas de "bruit" pur, mais de quelque chose de plus structuré. On a pensé à un cryptage (vu que certains statistiques sont anormales pour une langue réelle, mais explicable par exemple pour un cryptage par substitution)... Mais certains on aussi montré qu'il est possible (et assez facile, par exemple avec des grilles de Cardan bien choisies) de construire un signal ayant l'apparence d'une langue, sans pour autant que cela ait un quelconque sens...


"Je me demandais si l'on n'a jamais fait passé ce genre de test aux langues du Professeur?"

La statistique serait probablement très contestable, vu que l'on ne dispose que de très brefs textes courts... Il faudrait idéalement de longs textes (par ex. un roman entier!) pour affirmer quoi que ce soit. Sinon c'est d'un intérêt très limité!

Cela dit, j'avais vu quelques calculs sommaires de distances linguistiques, il y a quelques années sur une liste de diffusion destinée aux langues imaginaires... Sans surprise, le sindarin avait une distance linguistique assez proche de celle du gallois.

Didier.

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#4 19-01-2006 18:27

Tirno
Inscription : 2000
Messages : 878

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Vu que ces calculs statistiques d'entropie mesurent (en quelques sortes), le nombre de règles que comportent une langue, il n'y aurait pas de surprise a voir les langues de tolkien paraitre "candidates" pour des langues naturelles.

Mais cela ne serait concluant ni dans un sens, ni dans l'autre. Le plus que l'on puisse dire est que ces langues sont en elles-meme très indo-européennes et, hormis l'étymologie non-apparentée et le peu qu'on sait sur leurs différentes versions figées, il n'y a pas de raison de supposer qu'elles ne soient pas complètement authentiques.

Une autre question intéressante - mais à laquelle on n'aura pas non plus de réponse - sied dans la vraisemblance des étymologies. Est-ce qu'elles obéissent à des lois trop régulières, leur donnant ce petit coté elfique (vu que les elfes sont immortels et on une vue "meta" sur leur langues).

Ce qui me rappelle... Est-ce que ca vous a jamais frappé que les langues soient autant changeantes (je sais que tolkien à fait dire à pengolodh tout un tas de choses à ce sujet). J'y ai jamais vraiment pensé, mais j'aurais pensé, par exemple, que le sindarin aurait plus changé avec la venue des noldor en terre du milieu.

Greg

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#5 19-01-2006 18:53

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
Inscription : 2001
Messages : 5 028

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Loi de Sfir, loi de Zipf...

Je ne sais pas pourquoi, ça me fait penser au barbecue...o_O

I :p

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#6 19-01-2006 19:50

Edouard
Inscription : 1999
Messages : 635

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Étant donné qu'il n'existe aucune définition acceptée par l'ensemble de la communauté des linguistes de "langue/langage naturel(le)".

Mais par opposition à quoi en somme ? Une langue *pas naturelle*. :-):-):-)

Nous sommes ici dans notion de "code" et le domaine des mathématiques et de la statistique... pas de la linguistique.

Un code n'est pas une "langue naturelle", certes, mais comme on ne sait pas définir une langue naturelle... Nous voilà dans un cercle dit vicieux... :-)

La création et la créativité linguistique est une activité naturelle de l'être humain.
Les langues elfiques de Tolkien sont "naturelles"... car elles sont le fruit d'un être vivant aujourd'hui disparu.

E. Kloczko

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#7 19-01-2006 23:02

Hisweloke
Inscription : 1999
Messages : 1 622

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

"Nous sommes ici dans notion de "code" et le domaine des mathématiques et de la statistique... pas de la linguistique."

Oui, c'est effectivement tout le problème des définitions... Mais stricto sensu, l'analyse statistique des langues pourrait bien relever de certains aspects de la linguistique. On peut l'appliquer par exemple à Homère pour essayer de savoir s'il y a eu plusieurs "Homères" rédacteurs de l'Illiade. C'est, au fond, aussi valable que d'étudier le vocabulaire de divers chapitres pour voir si certaines formes grammaticales rares (dialectales etc.) se retrouvent à l'identique, etc. En fait, c'est sensiblement la même chose, simplement exprimée sous une forme abstraite et systématique. Comme disait un de mes profs sur le ton de la boutade: "Les statistiques sont partout dans la vie de tous les jours."

Mais Edouard a raison de parler de "code". Dans le cas du mss de Voynich, c'est toute la problématique. Si je veux l'illustrer ludiquement:

1. Ilanu teriva na uputa odoga ti abuliva etilanu pelagi apa ina
2. thëpe by yrocoy yn focox jucumy ypëped ocovëper thëpe docog és bacacy yk
3. Sumolsöd stäni blodäla dikodi valik hetobs tönöls jüli baladäla

Sauriez vous dire laquelle de ces trois "uttérances" est un code? une langue? un simple bruit? *Sourire*.

"Les langues elfiques de Tolkien sont "naturelles"... car elles sont le fruit d'un être vivant aujourd'hui disparu."

A cette définition là (c'est bien le problème!), toute langue serait "naturelle", y compris l'esperanto de Zamenhof, le klingon d'Orkrand, etc... puisqu'elles sont les oeuvres d'un être humain, et que la langage est jusqu'à preuve du contraire une specifité humaine. Même la notion de "groupe humain" n'est pas suffisante, puisque des créations comme le loglan/lojban sont l'oeuvre d'un groupe... Il me semble quand même que les langues elfique de Tolkien serait plutôt des langues "construites", dans la mesure où l'on reserverait ce terme aux langues qui ne sont pas le produit de l'Histoire.

Mais je conviens volontiers que définir le langage à l'aide du langage est probablement un exercice périlleux (voire tautologique et peut-être de l'ordre des axiomatiques indécidables!)

Didier

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#8 20-01-2006 13:19

Edouard
Inscription : 1999
Messages : 635

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

En gros, mais alors très gros... :-)
Un code cela se "casse".
Une langue : on la sait ou on la sait pas.
Y a rien à casser. :-)
Cf. le cas du "code américain" incassable pour les Allemands durant la 2e GM.
C'était en fait une langue amérindienne, tout simplement.

E.K.

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#9 20-01-2006 14:14

Tirno
Inscription : 2000
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Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Euh... là, on s'éloigne du sujet, mais une langue est un code qui peut se casser comme un autre, si on sait ce que l'on cherche. Mais c'est vrai qu'un code langagier (qui prend quelquechose à entropie très faible et le transforme "humainement" - traduction - en un autre code a entropie très faible), c'est autre chose qu'un code qui fait les choses automatiquement.

Certains codes "mal-faits", il suffit d'avoir quelques exemples de texte clair et de texte chiffré pour pouvoir tout en déduire. Mais on a beau avoir quelques exemples de texte anglais et leur équivalent sindarin, ca nous dit rien pour le reste ;)

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#10 20-01-2006 17:06

Hisweloke
Inscription : 1999
Messages : 1 622

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Ouille, les concepts se mélangent et ça devient difficile à suivre!

Quelques propositions de définitions possibles résumées d'un cours d'introduction à la linguistique:
- Au sens large, un code est "un ensemble de conventions permettant de produire des messages".
- Une langue est un code linguistique, constitué en un système de règles communes à une même communauté.
- Mais a contrario, un code est une forme de communication qui n'est pas forcément linguistique. Le morse est un code, mais pas une langue (ce n'est qu'un code véhiculaire d'une langue, en l'occurance sonore ou visual). Les abeilles ne communiquement pas par une langue, mais par un code de signaux (vaste débat que celui du "langage animal", on en restera à la position d'un Benveniste).
- Dans un sens plus vague, un code est une conversion d'une information sous une autre forme de représentation. Je lui préfererai par la suite le terme de code de chiffrement pour ne pas être ambigu (même s'il est plus restrictif).

Or donc...
"mais une langue est un code qui peut se casser comme un autre, si on sait ce que l'on cherche."

Assertion erronnée: "un code peut se casser comme un autre". Hormis le cas d'un code de chiffrement, rien ne permet d'affirmer que tout code soit facilement cassable... Si l'on sait reconnaitre certaines trames générales d'une danse des abeilles (e.g. distinguer une une danse d'alerte d'une danse indiquant où trouver de la nourriture), malgré de nombreuses études on ne sait toujours pas affirmer le contenu exact de ce code. On sait dire que selon la vitesse d'execution de la danse, son angle etc. l'abeille indique une distance et une direction, mais cela met en oeuvre des capteurs que nous n'avons pas et que nous sommes très loin de savoir simuler (comment le cerveau de l'abeille interprète-t-il les images polarisées de ses yeux à facettes?). On ne peut donc qu'approcher le sens. Il nous manque des référents. Dans le cas d'une langue, humaine donc, qui nous serait inconnue, on peut peut-être déduire un certains nombres de choses sur sa structure, mais sans autre référent, il est possible qu'elle demeure à jamais indéchiffrable. Comme l'a dit Edouard dans les grandes lignes: "Une langue : on la sait ou on la sait pas." -- Il a fallu à Champollion une pierre de Rosette et l'intuition de la parenté de l'Egyptien avec le copte pour déchiffrer les hiéroglyphes. Il a fallu le postulat (pas évident à l'époque) que les tablettes écrites en linéaire B n'étaient pas dans une langue crétoise inconnue (un "minoen" supposé) mais "simplement" du grec archaïque pour que Ventris et Chadwick puissent arriver à le déchiffrer. Et dans ces deux cas, on voit combient le déchiffrement seul du code d'écriture a été difficile, nécessitant de connaître la langue sous-jacente. Un cas inverse pourrait être celui de l'Etrusque, dont l'écriture ne pose pas de difficulté particulière (variante du grec et du phénicien) mais dont la langue reste encore très largement incompréhensible et difficilement traduisible... De manière similaire, le linéaire A ressemble au linéaire B (qui en dériverait), mais semble transcrire une langue probablement agglutinante, dont on ne sait rien...

Non?

"...si on sait ce que l'on cherche"

Cela se résume assez bien à cela, mais c'est un postulat très fort, bien loin d'être négligeable! Dans un cas comme le mss. Voynich, on ne sait rien de l'auteur, de la langue, du système d'écriture... Si c'est uniquement un code de chiffrement, il pourrait être très simple sans qu'on puisse en dire grand chose, à moins d'avoir une intuition géniale... Beaucoup s'y sont cassé les dents! (Et dans la même famille, il y a le fameux disque de Phaistos, avec son système de 45 symboles poinçonnés!... Lui aussi un hapax, un cas unique en son genre.)

"un code langagier (qui prend quelque chose à entropie très faible et le transforme "humainement" - traduction - en un autre code a entropie très faible)"

Euh... Pas très clair toute cette histoire d'entropie très faible. Je ne sais pas ce que tu as voulu dire! (Mais au passage: une langue a forcément une "certaine" entropie, sinon elle ne véhiculerait aucune information...)


Didier

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#11 20-01-2006 17:08

Hisweloke
Inscription : 1999
Messages : 1 622

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

[une balise foireuse et tout devient illisible... Désolé, je reposte]

Ouille, les concepts se mélangent et ça devient difficile à suivre!

Quelques propositions de définitions possibles résumées d'un cours d'introduction à la linguistique:
- Au sens large, un code est "un ensemble de conventions permettant de produire des messages".
- Une langue est un code linguistique, constitué en un système de règles communes à une même communauté.
- Mais a contrario, un code est une forme de communication qui n'est pas forcément linguistique. Le morse est un code, mais pas une langue (ce n'est qu'un code véhiculaire d'une langue, en l'occurance sonore ou visual). Les abeilles ne communiquement pas par une langue, mais par un code de signaux (vaste débat que celui du "langage animal", on en restera à la position d'un Benveniste).
- Dans un sens plus vague, un code est une conversion d'une information sous une autre forme de représentation. Je lui préfererai par la suite le terme de code de chiffrement pour ne pas être ambigu (même s'il est plus restrictif).

Or donc...
"mais une langue est un code qui peut se casser comme un autre, si on sait ce que l'on cherche."

Assertion erronnée: "un code peut se casser comme un autre". Hormis le cas d'un code de chiffrement, rien ne permet d'affirmer que tout code soit facilement cassable... Si l'on sait reconnaitre certaines trames générales d'une danse des abeilles (e.g. distinguer une une danse d'alerte d'une danse indiquant où trouver de la nourriture), malgré de nombreuses études on ne sait toujours pas affirmer le contenu exact de ce code. On sait dire que selon la vitesse d'execution de la danse, son angle etc. l'abeille indique une distance et une direction, mais cela met en oeuvre des capteurs que nous n'avons pas et que nous sommes très loin de savoir simuler (comment le cerveau de l'abeille interprète-t-il les images polarisées de ses yeux à facettes?). On ne peut donc qu'approcher le sens. Il nous manque des référents. Dans le cas d'une langue, humaine donc, qui nous serait inconnue, on peut peut-être déduire un certains nombres de choses sur sa structure, mais sans autre référent, il est possible qu'elle demeure à jamais indéchiffrable. Comme l'a dit Edouard dans les grandes lignes: "Une langue : on la sait ou on la sait pas." -- Il a fallu à Champollion une pierre de Rosette et l'intuition de la parenté de l'Egyptien avec le copte pour déchiffrer les hiéroglyphes. Il a fallu le postulat (pas évident à l'époque) que les tablettes écrites en linéaire B n'étaient pas dans une langue crétoise inconnue (un "minoen" supposé) mais "simplement" du grec archaïque pour que Ventris et Chadwick puissent arriver à le déchiffrer. Et dans ces deux cas, on voit combient le déchiffrement seul du code d'écriture a été difficile, nécessitant de connaître la langue sous-jacente. Un cas inverse pourrait être celui de l'Etrusque, dont l'écriture ne pose pas de difficulté particulière (variante du grec et du phénicien) mais dont la langue reste encore très largement incompréhensible et difficilement traduisible... De manière similaire, le linéaire A ressemble au linéaire B (qui en dériverait), mais semble transcrire une langue probablement agglutinante, dont on ne sait rien...

Non?

"...si on sait ce que l'on cherche"

Cela se résume assez bien à cela, mais c'est un postulat très fort, bien loin d'être négligeable! Dans un cas comme le mss. Voynich, on ne sait rien de l'auteur, de la langue, du système d'écriture... Si c'est uniquement un code de chiffrement, il pourrait être très simple sans qu'on puisse en dire grand chose, à moins d'avoir une intuition géniale... Beaucoup s'y sont cassé les dents! (Et dans la même famille, il y a le fameux disque de Phaistos, avec son système de 45 symboles poinçonnés!... Lui aussi un hapax, un cas unique en son genre.)

"un code langagier (qui prend quelque chose à entropie très faible et le transforme "humainement" - traduction - en un autre code a entropie très faible)"

Euh... Pas très clair toute cette histoire d'entropie très faible. Je ne sais pas ce que tu as voulu dire! (Mais au passage: une langue a forcément une "certaine" entropie, sinon elle ne véhiculerait aucune information...)


Didier

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#12 20-01-2006 18:40

Dragon Sacquet
Lieu : Angers
Inscription : 2002
Messages : 227

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

>>"Comment le cerveau de l'abeille interprète-t-il les images polarisées de ses yeux à facettes?"
Un affichage électronique avec capteur automatisé de fleurs et coordonnées SPS (Solar positioning system) :-D

Pierre
La porte, c'est par où?

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#13 30-01-2006 16:50

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

-- merci à tous pour vos interventions instructives :)

... et puisque je vois que certains spécialistes sont passés par ici, ça m'inspire pour poser une nouvelle question (de profane...)

-- Avec le temps, au cours du XXe siècle, beaucoup de sciences se sont retrouvées à réviser leurs théories, leurs affirmations, etc. parce que de nouvelles découvertes ont bouleversé notre approche de tel ou tel aspect...

... est-ce que c'est arrivé pour la linguistique? -- j'ai l'impression que c'est une matière bigrement théorique, abstraite :(

... du coup, est-ce que certaines constructions linguistiques du professeur peuvent paraître "artificielles" ?

FdN (qui s'enfonce ;)

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#14 30-01-2006 19:02

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

<< aïe! j'ai dû laisser ma prose en catastrophe et je m'aperçois que la question est inachevée :\

... avec le mot "artificielles", je voulais dire irréalistes dans certaines tournures de syntaxe, etc. ?

FdN

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#15 01-02-2006 12:31

Toko
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Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

La question de savoir si la linguistique a révisé ses théories est assez délicate et complexe...

Tout d'abord, la linguistique en tant que telle est une science récente, qui ne s'est affirmé comme distincte de la philosophie, d'une part, et des études littéraires, d'autre part, qu'avec l'école de la linguistique historique et des néo-grammairiens (deuxième moitié du XIXe si. environ). Mais c'est réellement avec le fameux Cours de linguitique générale de Ferdinand de Saussure (publié de façon posthume en 1916 par des élèves de celui-ci) que la linguistique s'est réellement définit, en Europe, comme une science véritable et indépendante, avec pour objet l'étude de la langue "en elle-même et pour elle-même", selon la formule bien connue de Saussure. En Amérique, où lestravaux de Saussure ont longtemps été méconnus, la naissance de la linguistique erst due aux travaux de linguistes comme Sapir, Whorf et surtout Bloomfield.

Mais le XXe a vu la linguistique éclater en divers courants de pensée (structuralisme du Cercle de Prague, glossématique de Hjelmslev, "psychomécanique" de G. Guillaume, distributionnalisme de Z. Harris, générativisme de Chomsky, etc.), en même temps qu'elle s'est mis à revendiquer de nouveaux territoires : de l'étude de la langue, en tant que système, elle en est venue à étudier la parole, manifestation du système, et d'autres domaines dits "extralinguistiques", avec pour conséquence la naissance de nouvelles disciplines, à cheval sur d'autres sciences humaines (sociolinguistique, psycholinguistique, neurolinguistique, pragmatique, etc. : linguistique "externe"), en plus de ceux définis auparavant (phonétique/phonologie, morphologie, syntaxe, lexicologie, sémantique : linguistique "interne").

Si certaines théories ont révolutionné la linguistique (c'est le cas notamment de la grammaire générative de Chomsky qui s'est révélée un outil de description et d'explication puissant), aucune n'a réellement jeté aux oubliettes les travaux précédents, aucune ne fait l'unanimité dans la communauté linguistique et surtout aucune n'a encore permis d'atteindre le but qu'avait fixé Saussure, à savoir parvenir à décrire une langue dans son intégralité. La grammaire générative de Chomsky est sans doute la théorie la plus avancée sur ce point, mais, comme toute théorie, elle n'est pas exempte de critiques et de défauts.

Quoi qu'il en soit, à la lumière des avancées récentes de la linguistique, je ne pense pas qu'on puisse qualifier les langues de Tolkien d' "irréalistes", que ce soit dans certaines tournures,  dans la syntaxe ou dans tout autre domaine (et d'ailleurs, que signifie réellement "irréaliste" pour un linguiste, sachant que les langues humaines, en dehors de certains universaux, peu nombreux, peuvent littéralement  "varier à l'infini", comme le disaient Whorf et Sapir, et qu'on ignore à ce jour ce que pourrait être une langue "non humaine"). Évidemment, les langues qu'il a inventées peuvent être qualifiées d'artificielles (par opposition aux langues dites naturelles), en ce sens qu'elles sont le fruit d'un seul homme, au cours de sa vie, et non le produit d'une communauté de locuteurs à travers des génération. Mais le professeur Tolkien, dont la formation fut marquée par la linguistique historique et comparative (particulièrement l'école des néo-grammairiens), envisageait ses langues inventées comme des langues réelles, avec leur histoire, leur évolution à partir de formes plus anciennes, et soumises à l'analogie (avec pour conséquences des "exceptions" aux règles, etc.). En ce sens, les langues inventées de Tolkien sont très proches des langues naturelles et sont sans aucun doute moins artificielles que la plupart des langues "construites" comme l'espéranto ou le volapük (leur visée de langue "universelle" a poussé leurs auteurs à les rendre les plus simples et régulières possibles, ce qui n'est pas le cas des langues naturelles).

Ce qui caractérise le plus les langues inventées de Tolkien, à mon avis, c'est plutôt leur double dimension historique (leur évolution au sein de notre monde, en tant que produit de l'imagination de leur auteur, et leur évolution au sein du monde fictif) qui les rend si complexes et difficile à saisir et à décrire.

Sébastien.

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#16 02-02-2006 15:54

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Merci, Toko, pour cette réponse complète :))

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#17 27-02-2006 21:32

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

-- une petite question...

Je ne connais pas assez les langues de Tolkien (et ne ferai jamais assez de progres pour trouver la reponse toute seule) alors je me permets de la poser ici ;) -- Elle rejoint un peu le sujet "Du cosmopolitisme chez Tolkien?" dans le fuseau Tolkien et la Litterature.

-- Y a-t-il dans ses langues des concepts que l'on ne retrouve pas de l'une a l'autre? -- comme par exemple l'expression "Bon appetit" qui existe aussi en polonais: "Smacznego"; mais pas en anglais... (Vous me direz, vu leur cuisine... ;)

Mauvaise blague a part, et sans parler forcement des expressions toutes faites, est-ce qu'on peut comparer les langues en regardant la richesse (ou la pauvrete) des unes et des autres dans tel ou tel sujet, et ainsi definir en quelque sorte l'orientation culturelle des differents Peuples?

Cela a-t-il deja ete fait? (si oui, ou peut-on trouver les resultats de ces recherches?) et si non, que pensez-vous que cela donnerait?

FdN

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#18 27-02-2006 21:49

Edouard
Inscription : 1999
Messages : 635

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Ce genre de recherche est au coeur de la socio-linguistique.. Mais il n'y a pas à comparer les langues suivant leur "richesses"... Toutes langues sont des langues... donc équivalentes en qualité... En quantité (mots, lexies) c'est autre chose et en "concept" encore autre chose. L'allemand possède un vocabulaire (mots, lexies) plus grand que la français... Mais il n'est pas plus "riche" ou plus ceci ou moins cela. Il est différent. La formation des lexies est différente entre l'allemand et le français. Un allemand ne "pense pas le Monde" comme un français.
Les expressions figées, chaque langue à les siennes. En anglais on dit "bon appetit" (sic), ou "enjoy your meal". Donc, il faut chasser ce cliché français. On mange très bien Pologne, c'est vrai... ;-) ça je le sais grâce à ma grand-mère !

E. Kloczko

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#19 27-02-2006 22:23

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

-- merci d'avoir repondu si vite :)

... je pensais justement a l'allemand en ecrivant ce message. Vous allez peut-etre trouver que je pinaille -- ce n'est pas mon intention :) -- mais quand vous dites que'il n'y a pas de langue plus ou moins riche, j'ai du mal a vous croire. Certainement qu'on ne s'en rend pas compte au naturel parce que, "sur place", on ne parle que de ce que l'on connait... donc rien ne nous manque ;)

Mais, si l'on compare les langues, on peut constater ce que vous avez dit:

<< "L'allemand possède un vocabulaire (mots, lexies) plus grand que le français..."

... cette langue est donc plus riche, non? :))

D'ailleurs, il est bien connu que les Allemands ont plus de facilites dans l'apprentissage des langues etrangeres -- ils ont deja tous les concepts en tete ;)

<< Mais il n'est pas plus "riche"... (...) Un allemand ne "pense pas le Monde" comme un français."

-- Justement, sur ce point, peut-on voir -- en regardant les differents developpements de vocabulaires des langues en Terre du Milieu -- la diversite (y compris entre qenya et sindarin) des orientations culturelles des Peuples?

FdN

P.S. ...je m'etais deja demande si vous n'aviez pas des origines polonaises ;)

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#20 27-02-2006 22:33

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

oups!...euh?

...je viens de relire a nouveau (mais plus posement) votre message et je dois reviser mon propos.

Sans parler de la notion de "richesse" (issue de ma meconnaissance sur le sujet) il n'empeche que que j'aimerai bien savoir si quelqu'un a une idee de reponse a ma question -- je nous epargne une troisieme redaction\lecture ;)

FdN

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#21 28-02-2006 02:32

Toko
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Re : Sur 'l'authenticité' des langues de Tolkien

Tes questions touchent à des problèmes vastes et complexes.

Tout d'abord, la linguistique est une science empirique (basée sur l'observation et la description), et en tant que science elle rejette tout jugement de valeur subjectif (esthétique ou "qualitatif") et surtout tout préjugé.

> D'ailleurs, il est bien connu que les Allemands ont plus de facilites dans l'apprentissage des langues etrangeres -- ils ont deja tous les concepts en tete ;)

Il n'ya pas de peuple  favorisé ou défavorisé dans l'apprentissage des langues (préjugé qui frise le "racisme linguistique" !), de même qu'il n'y a pas de langue qui – dans l'absolu – facilite l'apprentissage de n'importe quelle autre langue. Par contre, il y a des politiques linguistiques plus ou moins efficaces (l'apprentissage d'une langue étrangère chez l'enfant est optimum avant dix ans) et des situations qui favorisent l'apprentissage (le multilinguisme chez le jeune enfant notamment, qu'il s'agisse d'une langue étrangère ou régionale). Par ailleurs, certaines langues sont plus ou moins apparentées, ce qui peut faciliter la chose : un allemand aura plus de facilité à apprendre l'angais (autre langue germanique) et un français à apprendre l'espagnol, l'italien ou le portugais (autres langues romanes). Mais face à des langue complétement différentes (chinois, japonais, swahili, etc.), un anglais, un allemand ou un français éprouveront les mêmes difficultés.

> -- Y a-t-il dans ses langues des concepts que l'on ne retrouve pas de l'une a l'autre? -- comme par exemple l'expression "Bon appetit" qui existe aussi en polonais: "Smacznego"; mais pas en anglais... (Vous me direz, vu leur cuisine... ;)

Si tu veux parler des langues de Tolkien, les langues elfiques sont assez proches dans les concepts exprimés par l'auteur, puisque quenya et sindarin ont été envisagé comme des langues "cousines", issues d'un même ancêtre commun (l'eldarin commun, lui même issu du quendien primitif). Elles ont donc été développées parallèlement par Tolkien, et l'on retrouve à peu près les mêmes mots, concepts ou notions, et en même quantité (on possède une véritable profusion de quasi synonymes dans certains domaines particuliers comme la lumière, les ténèbres, et d'autres notions qui tenaient à coeur à Tolkien).

En ce qui concerne les langues réelles, la question est très différente ! Toute langue est avant tout l' "outil" d'une communauté de locuteur, et en cela elle est adaptée au besoin de cette communauté. Si les besoins changent, soit la langue évolue, soit les locuteurs en adpotent une autre, plus "prestigieuse". En ce sens, toute langue possède des "concepts" particuliers et est en soi une façon de représenter, construire et appréhender le monde.

> est-ce qu'on peut comparer les langues en regardant la richesse (ou la pauvrete) des unes et des autres dans tel ou tel sujet, et ainsi definir en quelque sorte l'orientation culturelle des differents Peuples?

Comme je l'ai dit, cette "richesse" est tout bonnement subjective. Le français n'aurait que faire d'une vingtaine de mots pour désigner la glace ou la neige, mais ce n'est pas le cas des langues inuites ! D'autre part, le lexique n'est pas forcément un moyen pertinent pour mesurer la "richesse" d'une langue (qu'est-ce que le lexique ? les mots attestés ou les mots possibles ? des morphèmes ou des mots simples et des mots construits ?), car chaque langue a un fonctionnement différent. L'allemand recourt massivement à la composition, qui est la combinaison de deux mots existants dans la langue (ex. porte-manteau en fr.). Or, dans cette langue, un mot composé peut se combiner à un autre mot pour former un autre composé, et ainsi de suite, avec pour conséquence la possibilité de produire un nombre quasi infini de mots nouveaux (qui peuvent être d'une longueur effrayante !). Le français utilise plutôt la dérivation (ajout d'affixes, qui ne sont généralement pas des mots mais uniquement des particules ajouté à des mots), ainsi que des syntagmes nominaux figés (pomme de terre, tête à claque), même si la composition existe (mais elle est marginale). Mais on ne peut pas accumuler les affixes, et les constructions nominales sont difficilement extensibles, sous peine de "lourdeur" (la machine à laver le linge > machine à laver > lave-linge). Enfin, les syntagmes nominaux figés n'apparaissent pas toujours dans le dictionnaire, et pas forcément comme entrée, alors qu'il s'agit bien de mots à part entière (une pomme de terre n'est pas une pomme) ! Au total, les deux langues peuvent exprimer les mêmes notions mais de façon différente.

Pour ce qui est de "l'orientation culturelle des différents peuples" en fonction de la langue, de telles recherches relèvent du domaine de l'ethnolinguistique.

> peut-on voir -- en regardant les differents developpements de vocabulaires des langues en Terre du Milieu -- la diversite (y compris entre qenya et sindarin) des orientations culturelles des Peuples?

C'est bien difficile dans le cas de langues sorties du cerveau d'un seul homme ! Cela mériterait sans doute une étude des lexiques respectifs des différentes langues (mais on sait déjà que certains concepts sont sur-représentés – cf. le cas des synonymes très nombreux dans certains domaines –, alors que d'autres nous sont encore inconnus), mais on en est pas là : pour le moment on en est encore à compiler et trier le corpus, toujours en cours de publication ! De plus, on est là dans le domaine de l'ethno-sociolinguistique fictive ! Or le problème, c'est que les locuteurs sont eux aussi fictifs ! On retombe donc sur l'auteur, unique, et la limite imposé par ses textes...

> Vous allez peut-etre trouver que je pinaille [...] mais quand vous dites que'il n'y a pas de langue plus ou moins riche, j'ai du mal a vous croire. Certainement qu'on ne s'en rend pas compte au naturel parce que, "sur place", on ne parle que de ce que l'on connait... donc rien ne nous manque ;)

Le fait est qu'il est toujours possible de traduire n'importe quelle phrase d'une langue X à une langue Y (si l'on considère des langues vivantes). Bien sûr, il y aura toujours des difficultés et des distortions, mais un papou pourait sans doute décrire un avion, un téléphone ou un ordinateur dans sa langue natale, quitte à créer de nouveaux mots pour cela (ce que nous avons bien du mal à faire avec le français, langue dotée d'une histoire littéraire "prestigieuse", toujours tournée vers le passé et réticente à toute nouveauté : en français, le poids social de la norme sur le locuteur est très fort et celui-ci se sent plus héritier ou locataire que propriétaire de sa propre langue).

Sébastien.

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