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#1 28-02-2023 23:59

Hyarion
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Tolkien était-il un « logocrate » ?

Dans le cadre de la rédaction de mon livre, j'ai été (et je suis encore parfois) amené à me pencher sur tout un tas de questions sur J. R. R. Tolkien (ou Robert E. Howard, ou d'autres auteurs et artistes) dépassant a priori mon sujet d'étude, mais qu'il m'a paru important de considérer au moins dans le cadre de l'écriture des prolégomènes servant d'introduction à mon travail. Parmi ces questions figure la question politique, et plus exactement politico-religieuse s'agissant de Tolkien, qui à mon sens a été jusqu'ici insuffisamment étudiée de façon autant que possible non-partisane.

Il en est de la recherche plus ou moins "savante", ou de la simple lecture ou appréhension d'une œuvre de l'esprit, comme il en est de la conception et de la construction d'un algorithme numérique : tout développement d'une action, ou d'un point de vue, se fait avec un certain état d'esprit et certaines contraintes idéologiques ou sociales. Cela ne doit pas (ne devrait pas) être cependant une excuse derrière laquelle se cacher pour éviter de se confronter lucidement au réel, sous couvert notamment d'entretenir une certaine illusion faussement "universaliste", en l'occurrence celle d'un irénisme tolkienophile pour ce qui nous occupe ici.

À cette aune, me concernant, et avec tout le respect généralement dû à l'ensemble des acteurs du milieu tolkienien (ce que j'appelle, avec bienveillance, la planète Tolkien), je n'approuve pas la thèse (apparemment supposée faire consensus, du moins en France) selon laquelle Tolkien serait "apolitique" (son positionnement pro-franquiste durant et après la guerre d'Espagne, par exemple, a une connotation politique, que "n'excuse" pas sa foi catholique), et je ne pense pas qu'il suffise, pour prétendre régler la question, d'invoquer une poignée de lettres (toujours les mêmes) de l'écrivain exprimant (certes clairement) des opinions anti-nazi et anti-apartheid pour pouvoir décréter qu'il aurait été un "humaniste", pas du tout d'extrême-droite, et finalement heureusement compatible avec des réceptions "de gauche" de son œuvre, comme si c'était une évidence, alors que cela ne peut éventuellement l'être que pour des lecteurs/spécialistes voulant voir une telle compatibilité entre l'homme et l'œuvre d'une part et leurs propres idéaux d'autre part. D'autres lecteurs/spécialistes, de l'autre côté du spectre politique conventionnel (et cela qu'ils le veuillent ou non, car même quand ils se veulent seulement préoccupés de religion, ils ont bel et bien un positionnement politique, généralement conservateur), ne se gênent pas pour revendiquer la justesse de leurs propres lectures de l'œuvre, en s'appuyant avec facilité sur la foi religieuse et l'antimodernisme de l'auteur : il existe, à cette aune et depuis longtemps, toute une tendance de publications tolkieniennes ramenant ainsi tout à la religion, et ce faisant au conservatisme auquel peuvent volontiers se rattacher les commentateurs concernés eux-mêmes, fût-ce avec toutes les nuances individuelles (et toutes les éventuelles protestations de "neutralité savante") que l'on pourra toujours faire valoir. Cette tendance conservatrice fortement imprégnée de christianisme, et d'un christianisme volontiers antimoderne (quoique parfois maquillée avec un fard aujourd'hui "à la mode" et nommé "écologie intégrale"), se double d'un volet plus ouvertement identitaire, célébrant les "racines" de l'Europe, éventuellement plus néo-païen que chrétien selon les cas, mais toujours positionné très "à droite", Tolkien ayant décidément toujours intéressé un certain public de ce côté-là.

Je ne conteste évidemment pas la nécessité de s'aventurer sur un terrain conservateur politico-religieux pour étudier Tolkien, mais à condition de faire passer autant que possible l'objet d'étude, conçu dans une perspective "historico-critique", avant une sorte de "plaisir personnel" lié à ses propres convictions et "valeurs actuelles" : voila notamment pourquoi il m'a toujours semblé plus pertinent d'étudier le rapport spirituel et intellectuel que Tolkien a pu avoir avec les déclarations et écrits des papes qu'il a connu de son vivant ou qui appartenaient à un passé relativement récent pour lui (Pie IX, Léon XIII, Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI), plutôt qu'avec les déclarations et écrits de papes appartenant à une période postérieure à la mort de Tolkien mais auxquels certains catholiques tolkienophiles peuvent toujours accorder une grande importance à titre personnel de nos jours, alors que c'est une importance qui n'engage qu'eux vis-à-vis de leurs propres idéaux et priorités personnelles au jour d'aujourd'hui.

La vérité de l'auteur ne se situe, à mon sens, ni franchement à l'extrême-droite, mais ni non plus "à gauche", même si je préfèrerai sans doute que ce soit le cas compte tenu de ma propre sensibilité politique, plutôt socialiste (notamment compte-tenu de la médiocrité générale de la vie politique française actuelle, "mon" socialisme, pour mémoire, est assez "inactuel", en ce sens qu'il est sans doute plus influencé par William Morris, Jean Jaurès ou Léon Blum, ou au-delà par Albert Camus, que par des références plus récentes, mon idéalisme étant du reste assez largement tempéré par mon scepticisme "mitigé" qui me vient notamment de Montaigne et de Hume).
Personnellement, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire correspondre un sujet d'étude avec mes propres idéaux (ce qui reviendrait à vouloir stupidement soumettre à tout prix le réel à l'idéal), mais de "simplement" de rechercher humblement la vérité, si jamais elle peut être connue ou du moins approchée au plus près... et tant pis si la vérité mise en évidence devait finir par ne pas me plaire (c'est déjà plus ou moins le cas, à vrai dire, s'agissant d'un certain type de réception de l'œuvre : quand je vois des tolkienophiles religieux célébrer la "Joie" qu'ils ont à se sentir en communion "spirituelle" – conservatrice – avec Tolkien, cela aurait plutôt tendance à me dégoûter de Tolkien, alors même que l'auteur n'est pourtant pas responsable des commentaires plus ou moins identitaires que l'on peut faire sur son œuvre, au milieu de bien d'autres commentaires et réceptions possibles [dont diverses approches spirituelles possibles, et pourquoi pas d'inspiration chrétienne, mais ne s'accompagnant pas forcément d'une vision dogmatiquement conservatrice du monde et de la société]).

Bref, si l'on s'occupe de cheminer vers une vérité – et non pas vers "LA" Vérité, qui est assez généralement celle des lecteurs/spécialistes ramenant tout à leurs propres conceptions étroitement idéologiques ou religieuses –, si l'on veut, par exemple, trouver une correspondance idéologique entre la société des Hobbits et les idées politiques auxquelles Tolkien a pu être réceptif en son temps, il me parait objectivement pertinent d'établir un lien avec le distributisme, cette sorte de prétendu "bon sens (chrétien) près de chez soi" que G. K. Chesterton et Hillaire Belloc concevaient comme une "troisième voie" entre capitalisme et communisme.
Mais il est d'autres propos de Tolkien qui peuvent renvoyer encore à autre chose, même quand on estime que, par exemple, telle déclaration en faveur d'une monarchie non-constitutionnelle relèverait d'une "provocation" seulement exprimée en privé. Soyons lucides, et acceptons ce qui peut se dégager de l'analyse des sources, même si cela nous ne plait pas, et sachant que toute récupération politique (pas seulement d'extrême-droite) est au moins toujours discutable, sinon toujours condamnable selon les valeurs de chacun (personnellement, si je n'approuve pas la récupération "anarcho-écolo-libertaire" que l'on peut faire de nos jours de William Morris, et que je n'approuve pas non plus la récupération conservatrice chrétienne antimoderne/anti-technique/identitaire de Tolkien, j'avoue que c'est cette dernière récupération conservatrice de Tolkien qui me pose le plus de problèmes du point de vue des idées).

Tout cela pour dire que dans le cadre de la rédaction de mon livre, si je veux arriver (enfin) au bout du processus d'écriture, il me faut lâcher (sérieusement) du lest, et qu'à cette aune, il me parait finalement préférable, malgré le côté toujours potentiellement clivant de la chose, que la question politico-religieuse abordée ici, et à laquelle je ne peux consacrer au mieux qu'une petite place dans le livre, soit exposée en ces lieux, afin d'être traité plus collectivement dans un intérêt général, quitte à ce que chacun, moi y compris, puisse s'appuyer sur les échanges éventuels pour sa propre réflexion et ses propres écrits.
Je ne vous cacherai pas, toutefois, que je souhaiterai que la question ne fasse pas in fine l'objet d'un article publié dans une revue connotée idéologiquement/politiquement, comme ce fut le cas avec un autre sujet ayant finalement atterri, comme on le sait, dans une publication à propos de laquelle il y a déjà eu une discussion, dans un autre fuseau, et sur laquelle je ne reviendrai pas (mon avis n'ayant pas changé depuis, du reste).

Venons-en à l'interrogation qui sert de titre au présent fuseau : Tolkien était-il un « logocrate » ? Je m'appuie, pour formuler cette interrogation, sur « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang », un texte de George Steiner pour une publication de l'European University Institute de Bruxelles et datant de 1982.

J'ai déjà plusieurs fois évoqué George Steiner en ces lieux, principalement au moment de sa mort dans le fuseau dédié du présent forum.

Plutôt que de passer du temps (trop de temps par rapport à l'écriture de mon livre) à étaler ici mes propres réflexions sur son texte et sur les liens que l'on peut établir avec certains aspects des idées de Tolkien (notamment avec son paradigme spirituel autour de la « Chute » biblique, connu depuis longtemps), je crois plus utile de partager simplement ici une (bonne) partie dudit texte de Steiner, afin de laisser chacun juge de ce que l'on peut en tirer d'un point de vue de "tolkienologue".

    Parmi les modèles génétiques du langage, on peut distinguer en gros deux classes. La première correspond à un ordre d'explication « naturaliste » ou « positiviste ». Dans cette approche, l'évolution du langage humain est analogue et étroitement liée à l'évolution des autres attributs physiologiques et psychologiques de l'espèce. La phonétique s'efforce de déterminer les contraintes et le potentiel de l'expression vocalique. Elle le fait de pair avec l'anatomie comparée et la neurophysiologie, qui s'efforcent d'établir l'étiologie et la mécanique des organes vocaux et des centres de la parole dans le cortex humain. La paléo et la sociolinguistique essaient, à leur tour, de donner une explication rationnelle des conditions sociales, économiques et écologiques dans lesquelles la parole serait née et se serait développée. La théorie marxiste, qui rattache l'évolution de la parole à la division du travail, ou les récentes spéculations sur la dynamique de la réciprocité entre la fabrication d'outils et le développement du langage humain à la fin du dernier âge glaciaire sont des exemples de cet ordre d'explication. Une linguistique « positiviste » ne prétend pas nécessairement pouvoir fournir une explication théorique et pragmatique des origines et de l'évolution du langage ; elle n'affirme même pas que les investigations et résultats encore à venir, dans la biochimie du cerveau ou dans notre intelligence de la préhistoire, apporteront une explication définitive. Mais la linguistique « positiviste » insiste sur le fait que le problème et sa solution putative relèvent d'une catégorie naturelle. De manière concomitante, elle affirme que l'évolution et le caractère du langage, si sophistiqué soit-il, font partie d'un continuum qui comprend toutes les formes de communication dans les espèces animales (la zoolinguistique) et les codes de communication pré- ou extra-verbaux (sémantique générale).
    À la seconde classe d'explications, on pourrait donner le nom de « transcendant ». Elle ne nie pas nécessairement que le langage soit instrumentalement conditionné par des contraintes physiologiques [...]. Elle ne nie pas les composantes socioéconomiques, collectives et environnementales du développement et de la diversification des langues telles que nous les connaissons. Mais, dans ce modèle de « transcendance », le problème des origines du langage est perçu comme cardinal et sui generis. Elle rejette le postulat naturaliste en vertu duquel le problème des origines, de l'incipit du discours humain, est jugé à tous égards analogue au problème des origines et de l'évolution de tout autre attribut organique ou socialement adaptatif. Pour simplifier à outrance : la théorie « transcendante » du langage postule un processus ou un moment de « création spéciale ». Elle soutient que la notion de « pensée préverbale » est, littéralement, dénuée de sens. Elle rejette l'idée que les schémas évolutifs de mutation, de sélection compétitive et de spécialisation puissent donner une explication cohérente des relations, presque tautologiques, entre l'identité de l'homme et l'usage que celui-ci fait du langage. [...] De manière concordante, une catégorie d'explication « transcendante » s'efforcera de réfuter l'hypothèse d'un continuum entre la communication animale et le langage humain. Elle admettra d'éventuelles analogies entre les deux et accordera qu'il y a, dans l'une et l'autre, des traits de mimésis, d'étalage, de marquage du territoire. Mais une « linguistique transcendante » implique un postulat ontologique quant à l'unicité du discours humain. [...]
    Dans la classe des modèles « transcendants », on peut opérer une subdivision. Le problème des origines du langage peut être jugé insoluble et donc, en un sens, trivial. À cet égard, certaines des positions linguistiques les plus fortement « positivistes » ont une base « transcendante ». [...] De même que les cosmologies actuelles, certaines écoles de linguistique « scientifique » commencent « trois secondes » après le big bang. Procéder ainsi, c'est, dans les faits comme dans la logique, admettre une source de causalité « transcendante ». Mais aucune importance, aucun statut rationnel et productif de vérification ou de falsifiabilité ne s'attache nécessairement à cette source.
    Dans sa forme « essentialiste » ou rigoureuse, une linguistique de type « transcendant » attachera une importance primordiale au problème des origines du langage humain. Et le modèle qu'elle met en avant sera « théologique », pour employer le mot en un sens strict et en un sens qui permette des variantes analogiques et métaphoriques. Il affirmera ou supposera que le parler humain est un don de Dieu. Il soutiendra que c'est avant tout en rapport avec la parole que l'homme a été créé à l'image de Dieu et qu'aucune modification évolutive ultérieure ni aucune analogie fonctionnelle avec le chant des oiseaux ou les sons émis par les baleines ne peut affecter un instrument linguistique qui est un don de Dieu et demeure ontologiquement unique. Il n'y a pas de pensée sans langage, intérieur ou extérieur. Il ne saurait y avoir de conscience morale sans pensée articulée. Il s'ensuit que la conscience de soi, voire ce qui le fait homme, possède un noyau linguistique. Aucun diagnostic naturaliste ne saurait anatomiser ce centre de l'esprit ou rendre compte de son étiologie en termes de mutation ou de sélection. Sa source et sa texture sont, à proprement parler, transcendantes. Tel est l'ordre d'« explication » dans laquelle le vol du feu divin par Prométhée devient une allégorie de l'octroi du langage rationnel (la parole est raison en action) au mortel. C'est le genre d'explication qu'avance Vico quand il postule une forme de « pré-parole », probablement musicalisée, à « à l'âge des dieux ». [...]
    Nombreux peuvent être, et sont, les modèles transcendants. Mais à travers sa diversité historique, l'ensemble particulier et rigoureux qui m'intéresse ici, l'ensemble où prévaut le postulat actif et informant d'une source théologique de la parole, possède un trait unificateur. Il emploie le mot-clé de logos. Il l'emploie soit en rapport spécifique avec le Verbe créateur de Dieu dans la terminologie johannique, néoplatonicienne ou gnostique, soit en un sens plus diffus qui, tout à la fois, suppose et implique le mystère d'une force divine de la parole. Très souvent, cette implication pèsera sur le radical logos dans des mots tels que logique ou analogie. Cette extension est censée élucider et mettre en relief la « transcendance logistique » de la grammaire, des opérations de la pensée humaine (et des opérations, on l'a vu, considérées comme ontologiquement liées au langage). La parole humaine est l'incarnation du « Verbe » – du « logos » – et l'aura de cette dévolution depuis une source transcendante colle même au plus grossier et rudimentaire de nos actes de parole (speech-acts).

    On peut cependant faire une distinction supplémentaire. Dans un modèle théologique de la parole, il est possible de distinguer une vision fonctionnelle du langage humain et une vision que je qualifierais de « logocratique », en m'excusant à l'avance de ce mot disgracieux.
    Le point de vue fonctionnaliste suppose au discours humain une origine divine et une qualité transcendante. Mais il voit l'homme un maître et utilisateur du langage à des fins naturelles. Le langage est l'instrument nécessaire et juste de son existence sociale et politique. C'est l'outil de la connaissance pure et appliquée. C'est le vecteur de son imagination, par lequel il engendre les arts et les sciences. Fût-ce à la hauteur du sublime, la relation de l'homme avec les ressources du langage est utilitaire. Telle est la perspective caractéristique de la linguistique déiste des Lumières, par exemple chez Rousseau, ou de la sociolinguistique marxiste et positiviste – bien que, dans ce dernier cas, la prémisse transcendante soit normalement cachée ou abandonnée.
    Le point de vue « logocratique » est beaucoup plus rare et, presque par définition, ésotérique. Il radicalise le postulat de la source divine, du mystère de l'incipit, dans le langage de l'homme. Il part de l'affirmation suivant laquelle le logos précède l'homme, que « l'usage » qu'il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans certaine mesure, une usurpation. Dans cette optique, l'homme n'est pas le maître de la parole, mais son serviteur. Il n'est pas propriétaire de « la maison du langage » (die Behausung der Sprache), mais un hôte mal à l'aise, voire un intrus. Les formes d'expression les plus densément chargées, celles de la poésie, du discours métaphysique et religieux, résulteraient non pas du gouvernement du langage, mais d'une servitude privilégiée, de la capacité rare qu'a le rhapsode, le penseur ou le visionnaire d'« entendre ce que lui dit le langage ». Ce modèle « logocratique » est ancien. Il semble qu'il ait été au centre de ce faisceau d'attitudes connu sous le nom d'orphisme. Mais c'est à notre époque qu'il a été formulé avec le plus d'intransigeance. Ce n'est « pas l'homme qui parle le langage » mais le « langage qui parle l'homme » ou, dans sa formulation la plus lapidaire : « la parole parle », die Sprache spricht. La pierre de touche de la position « logocratique », notamment dans ses habits modernes, est le recours canonique, implicite ou explicite à deux textes. Le premier est le Cratyle. Le « logocrate » souscrit soit intuitivement, soit en vertu d'une réflexion, aux mots et aux sens. Les mots ne sont pas les jetons arbitraires de Saussure. Ils désignent et donc définissent la quiddité des êtres, pour employer le vocabulaire thomiste et en définitive « cratylien » de Gerald Manley Hopkins. D'où les nominations immédiates et ontologiquement déterminantes d'Adam dans le jardin d'Éden. De là vient aussi que la polysémie, l'ambiguïté et la contre-factualité sont des symptômes et des conséquences de la Chute. Le second texte talismanique du « logocrate » est l'énigmatique fragment sur le logos auquel Diels a assigné le numéro un dans son édition des fragments d'Héraclite. De ce gnômôn ont été proposées presque autant de traductions qu'il existe d'absolutistes du langage. Il semble parler de l'octroi du logos à l'homme, de la présence et du présent (presentness) dans le logos de « tout ce qui est là », mais aussi de l'incapacité dans laquelle se trouve l'ordre commun de l'humanité d'appréhender le logos dans sa plénitude d'être. Seul l'homme rare est ouvert à cette appréhension. Il est éveillé. Les autres laissent le don du logos leur échapper comme dans un sommeil. Mais il est un autre texte indispensable aux deux « logocrates » du XXe siècle que j'entends examiner. Ce que Parménide dit de « l'être » et de « l'unicité » de l'être avec et dans le dire et le sens du sens(*).


(*)Phrase typiquement steinerienne, faisant allusion (comme souvent chez Steiner, qui avait un goût parfois immodéré pour les périphrases) à une source classique (ici Parménide d'Élée, mais aussi peut-être Platon avec son dialogue le Parménide ?) en misant sur la culture de l'auditoire pour qu'elle soit aisément devinable, du moins en théorie. Autre traduction, peut-être un peu plus claire, de cette phrase (par Olivier Véron, disciple de Boutang) : « C'est celui [le texte] de Parménide sur « l'être » et sur l'unité qui rassemble l'être et le dire, qui met l'être au sein même du dire et dans la signification de ce qui est dit. » (note de votre serviteur)

George Steiner, « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang » (1982), in Les Logocrates, traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Éditions de l'Herne, 2003, I. « Mythe et Langage », p. 9-15.

« Deux « logocrates » du XXe siècle que j'entends examiner » : Steiner parle ici de Martin Heidegger (1889-1976) – "phare de la pensée" pour les uns, indécrottable antisémite nazi pour les autres, mélange inextricable des deux pour d'autres encore – et de Pierre Boutang (1916-1998) – intellectuel royaliste chrétien, proche de Maurras dans sa jeunesse, maréchaliste sous Pétain avant de d'évoluer vers un conservatisme imprégné de métaphysique chrétienne, reniant finalement l'antisémitisme lié à son passé maurrassien tout en restant invariablement royaliste.

Mais la suite du texte de Steiner, comme indiqué dans le titre de celui-ci, évoque d'abord Joseph de Maistre (1753-1821), qui lui n'appartient pas au XXe siècle, et dont l'œuvre écrite m'est du reste sensiblement plus familière que celles des deux autres, les œuvres de Heidegger et de Boutang me paraissant par ailleurs moins accessibles de façon générale, sans même parler des options politiques choisis par Heidegger et Boutang au cours du XXe siècle, options autrement plus pénibles à considérer (me concernant) que les opinions historiquement plus lointaines d'un Joseph de Maistre – quoique je ne me sente pas du tout proche des idées réactionnaires qui furent notoirement celles dudit Maistre, du moins à partir de 1789.
La mort d'Élisabeth II en Grande-Bretagne et sa succession assurée par son fils Charles III ont été assez récemment l'occasion d'exprimer, dans un autre fuseau, ce que je pense de la question monarchique, notamment en ce qui concerne la France, où ladite question me parait être devenue (ou du moins devoir devenir), comme je l'avais écrit alors, une question d'histoire et de patrimoine national, à étudier, à transmettre, sans politisation intempestive. Sans doute en est-il de même concernant des philosophies ultra-conservatrices (refusant la Révolution française) comme celles de Joseph de Maistre et de son confrère penseur et coreligionnaire Louis de Bonald (1754-1840).

En ce qui concerne la question du langage, Maistre s'est opposé à la théorie matérialiste qu'Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780) expose dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746) et selon laquelle les langues sont une invention humaine, Maistre affirmant pour sa part, notamment dans son Essai sur le principe générateur des constitutions politiques et des autres institutions humaines (manuscrit écrit en 1809 à Saint-Pétersbourg et publié à Paris en 1814, par l'intermédiaire de Bonald auquel Maistre avait adressé son « opuscule »), que « toute langue humaine est apprise et jamais inventée » (Essai sur le principe générateur..., XLVII), puisque Dieu seul, selon lui, est créateur et notamment onomaturge, le pouvoir de désignation étant d'origine divine, Maistre estimant à cette aune que « nulle hypothèse imaginable dans le cercle de la puissance humaine ne peut expliquer avec la moindre apparence de probabilité ni la formation, ni la diversité des langues » (Ibid., XLVII).

George Steiner, pour sa part, évoque un autre texte de Maistre, généralement plus connu que l'Essai sur le principe générateur..., également écrit en 1809 dans la capitale de l'empire russe mais publié plus tard, en 1821, peu de temps après la mort de l'auteur : Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, un ouvrage composé de discussions et de dialogues, d'inspiration vraisemblablement au moins en partie réelle, entre trois personnages réunis pour deviser aimablement sur les bords de la Néva – le Comte (identifiable à l'auteur, diplomate sarde d'origine savoyarde et d'expression française), le Sénateur (identifiable à Basile Stepanivich Tamara, érudit ukrainien d'origine grecque, opposé aux Lumières, nommé sénateur à Saint-Pétersbourg sous Catherine II de Russie) et le Chevalier (identifiable à François Gabriel de Bray, chevalier de l'Ordre de Malte, émigré français devenu ambassadeur bavarois à Saint-Pétersbourg).

Dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, Maistre développe, avec la langue de grande qualité, le style alerte et l'esprit volontiers caustique qu'on lui connait, ses conceptions anti-Lumières et contre-révolutionnaires de la vie des peuples, lesquels devant, selon lui, être soumis au principe d'une hiérarchie basée sur le droit divin des rois et le ministère de l'Église catholique romaine (Maistre étant très favorable à la théocratie papale), au nom de la puissance de Dieu censée s'imposer à tous. À cette aune, parce que la Providence est censée veiller à la destinée des êtres humains quels que soient leurs heurs et malheurs, Maistre voit notamment la guerre comme un signe d'expiation, faisant ainsi dire au Chevalier « C'est donc par un trait particulier de bonté que Dieu châtie dans ce monde, au lieu de châtier beaucoup plus sévèrement dans l'autre ».
(Pierre Glaudes, dans son édition de textes de Joseph de Maistre pour la collection Bouquins chez Robert Laffont, fait remarquer que Jean-Yves Pranchère a rapproché Maistre du théologien catholique suisse Hans Urs von Balthasar [1905-1988], de par une conception semble-t-il commune de l'Enfer conçu comme étant forcément infiniment pire que toutes les souffrances connaissables sur Terre [au point que tout chrétien devrait espérer, selon Urs von B., que l'Enfer soit vide], justifiant ainsi selon Maistre de considérer l'humanité souffrante ici-bas non pas comme une "masse de perdition" comme le pensait Augustin d'Hippone, mais comme une masse que Dieu s'acharnerait en fait à sauver quels que soient les moyens pour ce faire, y compris l'ampleur de la violence déployée, du sang versé, des hécatombes...)

Mais laissons-là le profond pessimisme maistrien concernant la condition humaine ici-bas, pessimisme censé contribuer à une gloire de Dieu que les êtres humains, aux yeux de Maistre, ne sauraient juger, et revenons plus précisément, via Steiner, à la conception du langage selon ledit Maistre :

    Joseph de Maistre ne fut pas un « logocrate » pur. Dans les faits, seuls l'ont été un certain nombre de grands poètes ; dans le domaine de la théorie, Heidegger aura peut-être été le seul. De Maistre fut en effet influencé par les éléments profanes et naturalistes des Lumières qu'il entreprit d'annuler. Sa théorie du langage, telle qu'il l'exposa dans la deuxième des Soirées de Saint-Pétersbourg (1821), présente nombre des traits caractéristiques auxquels j'ai fait allusion.
    L'argument linguistique n'est pas étranger à ses doctrines politiques ni à son analyse de l'histoire. Bien avant George Orwell, il [de Maistre] fit valoir la congruence essentielle existant entre l'état du langage, d'un côté, la santé et les fortunes du corps politique, de l'autre. En particulier, il découvrit une corrélation exacte entre la décomposition nationale ou individuelle et l'affaiblissement ou l'obscurcissement du langage : « En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage. » Du fait de cette réciprocité, il était impératif d'en arriver à une vision claire du génie de la langue et de le situer au cœur de l'idéologie et du système politique. L'idée d'une origine évolutive et contractuelle du langage frappe de Maistre par son inanité flagrante : « Nulle langue n'a pu être inventée, ni par un homme qui n'aurait pu se faire obéir, ni par plusieurs qui n'auraient pu s'entendre. Ce qu'on peut dire de mieux sur la parole, c'est ce qui a été dit de celui qui s'appelle PAROLE. Il s'est élancé avant tous les temps du sein de son principe ; il est aussi ancien que l'éternité... Qui pourra raconter son origine ? » L'invocation du Verbe incarné, les citations de Michée [Michée] et d'Ésaïe [Isaïe] sont parfaitement représentatives de la posture « logocratique ». Pour de Maistre, une vision positiviste des commencements du langage humain est un blasphème contre la vérité révélée et le sens commun. Notre expérience du langage est telle « qu'il exclut toute idée de composition, de formation arbitraire et de convention antérieure ». Il s'ensuit qu'il ne saurait y avoir dans la morphologie lexicale ou grammaticale d'une langue le moindre arbitraire ni la moindre contingence saussurienne. La position de Joseph de Maistre est, en toute rigueur, celle du [de] Cratyle : « Ne parlons donc jamais de hasard ni de signes arbitraires. » Bien au contraire. Il existe un accord ontologique entre les mots et le sens parce que toute parole humaine est l'émanation immédiate du logos divin. Il peut y avoir interaction évolutive comme entre différentes langues ; il peut y avoir et, manifestement, il y a dégénérescence linguistique dans les communautés humaines après la Chute. Mais ces faits n'affectent ni l'origine ni l'essence de la parole (la distinction terminologique de Joseph de Maistre annonce précisément celle de Saussure, mais à des fins contraires) :

    " Les langues ont commencé, mais la parole jamais, et pas même avec l'homme. L'un a nécessairement précédé l'autre ; car la parole n'est possible que par le VERBE. Toute langue particulière naît comme l'animal, par voie d'explosion et de développement, sans que l'homme ait jamais passé de l'état d'aphonie à l'usage de la parole. Toujours il a parlé, et c'est avec une sublime raison que les Hébreux l'ont appelé ÂME PARLANTE. "(*)

    La restriction – « et pas même avec l'homme » – est la quintessence du point de vue « logocratique ». Elle contient en germe toute la doctrine élaborée par Heidegger.
    Selon de Maistre, il n'y a pas de dissociation possible entre la parole et la pensée. Le concept de pensée pré ou extra-verbale est une absurdité, « car la pensée et la parole ne sont que deux magnifiques synonymes ; l'intelligence ne pouvant penser sans savoir qu'elle pense, ni savoir qu'elle pense sans parler, puisqu'il faut qu'elle dise : je sais ». Là encore, cette équation, avec ses échos augustiniens et cartésiens, interdit toute explication naturaliste des sources de la conscience humaine. Car celles-ci sont à chercher dans le logos. Locke, reconnaît de Maistre, était « un homme de beaucoup d'esprit », mais le modèle de la tabula rasa est manifestement controuvé [erroné].


(*)Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, Deuxième entretien, propos attribué au Comte, p. 503 in Joseph de Maistre, Considérations sur la France et autres textes, édition établie par Pierre Glaudes, collection « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 2007, rééd. 2021. (note de votre serviteur)

George Steiner, « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang » (1982), in Les Logocrates, traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Éditions de l'Herne, 2003, I. « Mythe et Langage », op. cit., p. 16-18.

Je passe sur les développements qui suivent dans le texte de Steiner à propos des métaphysiques d'Heidegger et de Boutang et du rapport de celles-ci au langage, pour en venir à la dernière partie dudit texte où Maistre revient, si j'ose dire, dans l'équation. Je souligne la définition que donne Steiner du conservatisme.

    On a surnommé de Maistre le « prophète de la réaction ». Sa critique des Lumières et de la Révolution française, l'assurance avec laquelle il prévoyait que tous les programmes mélioristes et populistes de l'action politique conduiraient à la tyrannie et à la servitude bureaucratique continuent de défier toutes les écoles doctrinales libérales ou libertaires. L'engagement nazi de Heidegger fut un épisode extrêmement opaque (j'ai essayé de le montrer ailleurs). En revanche, le pastoralisme autoritaire de Heidegger ne fait pas l'ombre d'un doute, pas plus que sa posture émotionnelle et intellectuelle à l'extrême-droite du spectre politique ordinaire. Pierre Boutang, associé dans sa jeunesse à Maurras et à l'Action française, demeure la seule grande voix philosophique de la droite contemporaine en France. Il se réclame d'un royalisme intransigeant, pour lequel seul le retour à un système monarchique peut résoudre le vide fondamental de la légitimité – et le problème fondamental de la contingence du pouvoir exécutif dans l'État moderne. De Maistre et de Bonald sont les « maîtres de pensée » de Boutang, ainsi que les modèles de sa prose souvent lapidaire dans son lyrisme.
    D'où ma question : quelles consonances y a-t-il entre une théorie du langage fondée sur une inférence du logos et un idéal politique autoritaire, conservateur jusqu'à l'extrême ? Nul n'est besoin d'aller chercher les réponses bien loin.
    Une linguistique « transcendante » est, par définition, une linguistique qui postule une source du langage hors et au-delà de l'évolution humaine en quelque sens séculier et naturaliste que ce soit. Cette source sera, implicitement ou explicitement, théologique. De Maistre et Boutang sont des penseurs catholiques. L'ontologie de Heidegger s'organise autour d'une modulation métaphorique du théologique en des termes métaphysiques dans lesquels, n'en déplaise à Heidegger et à ses efforts acharnés de dissociation, « être » est, bien souvent, un substitut commode de « Dieu ». La tautologie souveraine de Heidegger, Sein ist Sein, est manifestement calquée sur l'autodéfinition tautologique de la Divinité : « Je suis ce que Je suis. » Une telle transcendance implique – encore une fois, presque par définition – une hiérarchie de la présence dans laquelle l'ordre humain et l'ordre social sont assujettis à un mystère revêtu d'autorité – qu'il soit d'une Église ou d'un agent numineux, comme dans la « venue de l'être » de Heidegger. La Révélation est autoritaire. L'auto-dévoilement du logos (alêtheia) est porteur d'impératifs pour l'homme. Les vérités ultimes, les sources premières de l'être, telles que le logos « donne corps » (body forth : la formule de Shakespeare(*) est parfaitement à propos ici), ne sont pas sujettes au plébiscite.
    En deuxième lieu, au cœur du modèle « logocratique » se trouve un Kulturpessimismus radical. Le langage, qui était jadis adamique, où clarté de la perception et communication de la vérité étaient synonymes d'énonciation, a souffert d'une dégénérescence catastrophique. De Maistre affirme avec véhémence que les langues dites primitives ne sont rien de tels ; elles sont les sordides produits de la décomposition, du déclin de l'homme dans la barbarie. Bien que moins visible, un processus comparable de décomposition contamine la parole civilisée. Pour Heidegger, le Gerede, le verbiage qui emplit la grande majorité des vies humaines, atteste directement l'éclipse du logos, son retrait dans la dissimulation. C'est la signification régénératrice de cette dissimulation qui est le thème de l'enquête de Boutang. Pour dire les choses autrement : le scénario diachronique implicite dans une théorie du langage fondée sur le logos dérive directement de la doctrine de la Chute, dont elle est aussi complémentaire. Cette doctrine est à la racine de la politique de Joseph de Maistre et de sa philosophie politique. Elle est instrumentale dans la quête que poursuit Boutang d'un principe de légitimité. Dans la formule de Heidegger, c'est la catastrophe de la Seinsvergessenheit, l'incapacité dans laquelle se trouve l'homme, après les présocratiques, de se « rappeler l'être ». Dans cette amnésie, Heidegger situe non seulement la faille constante de la métaphysique occidentale, mais aussi la cause active de l'anomie individuelle et des folies collectives qui caractérisent l'histoire et la société modernes. Pour ma part, il m'a toujours paru que la meilleure définition opératoire du conservatisme, de l'autoritarisme, est la suivante : une politique qui découle de la Chute et qui s'efforce d'y faire face. L'histoire humaine, avec son indéniable succession de souffrances et de gaspillages autodestructeurs, et la société humaine, avec ses injustices criantes et ses guerres intestines, sont la conséquences directe de la disgrâce de l'homme. La politique a pour sombre obligation de se débrouiller des réalités matérielles et psychologiques de la damnation. Une politique réaliste, pour de Maistre, est une politique du châtiment. C'est, selon Heidegger, une politique d'acceptation sacrificielle, d'accueil (at-homeness) archaïque sur une terre ordonnée. Si fragile et problématique soit-elle, soutient Boutang, la monarchie incarne ce mystère du pouvoir délégué par Dieu, sans lequel la société humaine devient bestiale. L'homme est « berger de la Parole ». Seul peut assurer ce gardiennage un corps politique autoritaire.


(*)William Shakespeare, Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream), V, I. : “And as imagination bodies forth / The forms of things unknown, the poet's pen / Turns them to shapes, and gives to airy nothing / A local habitation and a name.” (« Et comme l'imagination donne corps aux choses inconnues, la plume du poète les façonne, et donne à un rien dans l'air un logis et un nom » [note et traduction "à l'arrache" de votre serviteur])

George Steiner, « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang » (1982), in Les Logocrates, op. cit., p. 24-27.

Steiner évoque ensuite la dimension culturelle, semble-t-il inévitablement élitiste, d'une conception « logocratique » du langage, dimension allant avec le penchant politique autoritaire sous-tendant cette conception « transcendante » et non-saussurienne.

    Mais, bien que chacun soit, ou devrait être, un gardien du logos, il est patent que d'aucuns sont bien plus près que d'autres de la source sacrée. Ce sont les poètes et les penseurs, proclame Heidegger, qui sont les curateurs de l'être, qui ont en charge les pulsations de lumière du logos. Eux qui écoutent « le silence de la paix » dans le langage et qui lui font écho. Eux qui, pour parler comme Hölderlin, s'engagent sur les voies de la foudre ; qui, au risque d'en être consumés, mettent leurs mains en coupe afin de recevoir le feu d'Héraclite. Pour de Maistre, les quelques esprits conscients sont les seuls agents et interprètes responsables de l'histoire humaine. Pour Boutang, les « bergers de la Parole » sont Platon, Thomas d'Aquin, Dante, Scève et Mallarmé. Ce ne sont pas des best-sellers. Une société de consommation, une technocratie populiste ou directoriale, étouffe leurs voies. Inévitablement, elle érode les disciplines intellectuelles, les silences de l'attention et les conventions du respect du canonique, qui sont indispensables à la vraie dissémination de l'excellence poétique et philosophique. Seules les valeurs et pratiques pédagogiques d'« ancien régime » peuvent armer les hommes, ou les mieux qualifiés d'entre eux, pour appréhender la vie du logos chez les maîtres de la haute pensée et de la poésie. Pourtant, fait valoir Heidegger, c'est littéralement de cette appréhension que dépend la survie de l'homme comme étant humain. En conséquence, et c'est le troisième domaine de congruence, une conception « logocratique » du langage exige nécessairement un ordre culturel élitiste, voire sacerdotal ou mandarinal. D'où la polémique de Joseph de Maistre contre les programmes rousseauistes d'éducation et leurs conséquences démocratiques. D'où aussi les virulentes attaques de Heidegger contre le populisme américain et la technocratie de masse soviétique. Non moins que Benda, Boutang aspire à une cléricature, à un ordre militant de grands ascètes ou de voluptuaires (les deux sont équivalents, bien entendu) de l'esprit.
    Les idéaux inhérents à une linguistique du logos, le canon des textes révélés, philosophiques et poétiques auxquels se réfère une telle linguistique, l'intériorité et l'ascétisme du recueillement, du « service » de l'ontologique qu'impliquent ces idéaux, d'un côté, l'égalitarisme, de l'autre, sont antithétiques. (La politique eschatologique mais assurément « humanitaire » d'un Walter Benjamin serait-elle une exception notable ?) La révolte des masses les a renversés ou réduits à un artifice académique. Parce qu'elle est « pure », la « logocratie » heideggerienne va plus loin encore. L'« humanisme », au sens cartésien ou libéral, fausse du tout au tout la place authentique de l'homme dans la totalité de l'être. Il n'est pas au centre de cette totalité. Il n'est pas l'initiateur ni le possesseur du langage et du sens. C'est quand le « langage se parle dans et à travers lui » que l'homme est au plus près de l'être véritable. Ce « contre-humanisme » ou, à certains moments de sa vie et de sa pensée, cet « in-humanisme », fait de Heidegger un autoritaire au sens le plus profond.

George Steiner, « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang » (1982), in Les Logocrates, op. cit., p. 27-28.

Et Steiner de conclure ainsi :

    En linguistique, comme dans toute autre quête analytique, toutes les théories ne sont pas exemptes de valeurs. Il serait fécond, par exemple, de sonder les corrélations entre les éléments de la linguistique générative et transformationnelle de Chomsky et son radicalisme politique. Dans cette note, je me suis efforcé d'indiquer certaines concordances nécessaires entre l'idée que le langage a une origine transcendante et recèle l'évidence plus ou moins manifeste du logos et la politique de l'autorité. Il se peut que l'argument ait des implications plus larges. Auquel cas, il pourrait être une simple note en bas de page à la conclusion de William Hazlitt : « Le langage de la poésie rencontre naturellement le langage du pouvoir. »

George Steiner, « Les « Logocrates » : de Maistre, Heidegger et Boutang » (1982), in Les Logocrates, op. cit., p. 29.

Pour qui voudrait avoir accès à l'intégralité du texte de Steiner, outre la traduction de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat parue dans un recueil des Éditions de l'Herne (Les Logocrates, 2003) que j'ai reprise ici dans mes longues citations, une autre traduction du texte, faite par Olivier Véron (un disciple de Boutang, ainsi que je l'ai signalé dans une note plus haut) et diffusée en 1996, est accessible en ligne à cette adresse : https://www.lesprovinciales.fr/wp-conte … 2/n°47.pdf

Je ne sais si j'ai bien fait, mais j'ai en tout cas assez écrit (et recopié) ici pour le moment. Si ce fuseau devait éventuellement aboutir à une discussion constructive en faveur d'une réflexion commune (et lucide quant aux positionnement des uns et des autres), sa création n'aurait pas été vaine.

Peace and love,

B.

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#2 01-03-2023 15:57

Cédric
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Hello,

Le message est dense, le propos également, ne t'inquiète pas de ne pas avoir de réaction immédiate Hyarion. OK ?:-)
Je suis dans le train pour Lyon demain, ça pourrait être l'occasion pour moi de prendre connaissance de ton message en détail.

C.

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#3 02-03-2023 04:18

Hyarion
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Cédric a écrit :

Le message est dense, le propos également, ne t'inquiète pas de ne pas avoir de réaction immédiate Hyarion. OK ?:-)

Merci beaucoup pour ton message, Cédric. ^^

Sur la Toile comme dans la "vraie vie", dès lors qu'il est question de communication écrite, on ne peut jamais savoir si autrui sera bien ou mal luné lorsqu'il tombera sur votre pavé... car comme on l'a assez souvent dit en ces lieux, il y a toujours un risque de décalage entre ce que l'on écrit et ce qu'autrui peut y lire. Mais bon, sur le principe, tant qu'on ne prend pas tel ou tel de mes propos pour une "agression", une "diffamation" ou que sais-je d'autre qui ne serait pas constructif, je ne m'inquiète pas. :-)

Cédric a écrit :

Je suis dans le train pour Lyon demain...

À cette information particulière, je me suis permis de réagir dans un autre fuseau : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 650#p91650

Amicalement, ^^

B.

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#4 02-03-2023 11:01

Elendil
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

J'ai eu l'occasion de lire ce volume de L'Herne il y a un an ou deux (j'avoue que les nécessités de la vie familiale ont un effet perturbateur sur mon appréhension de la dimension temporelle de la vie intellectuelle). J'aurais précisément aimé écrire quelque chose à propos du texte présenté ici, qui permet d'appréhender Tolkien par un biais sinon nouveau, du moins peu exploré, ou tout au moins d'initier une discussion sur JRRVF à ce propos. C'eut été une manière de payer en partie ma dette envers Steiner. Je remercie donc Hyarion de l'avoir fait à ma place, car il est fort peu probable que j'en aurais eu le temps avant un laps de temps indéfini, mais fort long.

Il n'est certes pas facile de répondre à la question posée ici, sauf peut-être pour dire que les piques répétées de Hyarion (à mon égard ou envers d'autres) m'inciteraient bien sûr à faire l'exact inverse des souhaits qu'il exprime concomitamment, juste pour le rembourser en nature, et quand bien même ce n'aurait pas été mon intention initiale. On pourrait comparer cela à la troisième loi de Newton, au sens propre comme au sens figuré, mais en toute amitié bien entendu. wink Pour évoquer d'abord un point abordé en introduction, je serais tout à fait enclin à croire qu'il faudrait creuser la piste du distributisme et de l'influence manifeste de Chesterton sur Tolkien pour analyser la société des Hobbits de la Comté. Société que Tolkien considère avec affection, mais dont il évoque par ailleurs les limites. Cela dit, mieux vaudrait pour cela mieux connaître l'auteur et sa théorie économique que je ne pourrais le prétendre. Il est d'ailleurs fort possible que des commentateurs anglophones s'y soient déjà essayé : je ne suis pas d'assez près l'énorme littérature qui s'accumule à propos de Tolkien.

Pour revenir à la question de fond, il y a certes une théologie de la Chute et de la dégradation du langage chez Tolkien, sans doute plus marquée dans les textes des années 1930, comme les diverses versions du Lhammas, que dans les textes tardifs. Elle semble toutefois s'inspirer plus de Barfield que de Heidegger, dont l'absence de mention a priori totale dans les textes publiés de Tolkien m'incite à croire qu'il ne l'avait pas lu, contrairement à d'autres auteurs de réflexions tout aussi ésotériques sur le langage -- quoique de manière entièrement différente : je pense notamment à Joyce. En revanche, il est manifeste que le langage n'est pas un apanage purement humain chez Tolkien, ni même une capacité réservée aux Eruhíni. Sans même s'appesantir sur la question du langage des anges, sur laquelle Tolkien a beaucoup varié et à laquelle il a fini par répondre par l'affirmative dans « Quendi et Eldar », tout être du Légendaire tolkienien doté d'une fraction de capacité à raisonner se voit attribuer une capacité verbale répondant à la définition du langage selon Saussure. C'est un des arguments qui me semble probants pour qualifier la démarche mythopoétique de Tolkien de panenthéiste, bien qu'il ne soit pas certain qu'il aurait approuvé le qualificatif.

Par ailleurs, c'est bien l'absence de Chute qui distingue les Elfes des Hommes, ce qui explique sans doute en partie la distinction profonde que Tolkien esquisse entre leurs capacités linguistiques et celles des Hommes, notamment dans le Dangweth Pengolod, encore qu'il faille tenir compte du fait que la théorie qui y est exposée soit d'origine elfique. Pour autant, cela n'empêche pas les langues des Elfes d'être elles aussi sujettes au changement, sans que cela soit nécessairement connoté de manière négative. On est donc décidément très loin de Heidegger dans l'ensemble, en dépit de rapprochement ponctuels. Le lien entre les Elfes et la nature, tout aussi patent que leur talent inné pour le langage, tendrait également à s'écarter des opinions de Maistre sur l'origine divine de cette faculté, du moins en ce qui les concerne. Pour les Hommes, la chose est moins claire, si l'on prend au pied de la lettre le « Conte d'Adanel », mais il est notable que celui-ci est d'origine humaine et tend à rehausser la place et le rôle voulu pour les Apanónar dans le plan divin pour Arda.

Bref, Tolkien semble se situer quelque part à la croisée des chemins, comme souvent, puisqu'il se passionne autant pour le, ou plutôt les mythes d'origine du langage -- en tout cas dans son Légendaire -- que pour leur évolution ultérieure, envisagée de manière naturaliste et même partiellement arbitraire. A cette aune, peut-être répondrait-il à la définition que fait Steiner du conservatisme, tout au moins dans le domaine linguistique, sans pour autant rentrer dans la catégorie des logocrates, même s'il partage certaines de leurs prémisses. A moins qu'on ne considère anachronique d'appliquer à Tolkien ces catégories, dans la mesure où il se situe lui-même dans la filiation des grands philologues du XIXe siècle, à commencer par les frères Grimm, plutôt que celles des linguistes du milieu et de la seconde moitié du XXe. De fait, comparer les considérations de Tolkien et de Boutang en matière linguistique ne me paraît pas forcément mieux (ou plus mal) fondé que d'examiner ses opinions religieuses à la lecture des encycliques de Benoît XVI. (Ce qui ne veut pas dire que j'y sois intrinsèquement hostile, les uns et les autres étant les héritiers respectifs de traditions qui possèdent clairement des origines communes -- du moins dans la mesure de mes connaissances, lesquelles, concernant Boutang, se limitent à ce que j'ai pu lire à son propos chez Steiner et quelques autres.)

E.

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#5 03-03-2023 20:35

Silmo
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Benjamin
il faudrait bien, un jour ou l'autre tenir ce bouquin en nos mains pour l'apprécier au fil des pages.
Cela fait tellement d'années que tu le promets, résous-toi à y mettre un terme pour qu'on le découvre. Je crains que ma retraite n'y suffise si tu nous fais encore attendre des lustres.
Souci de bien d'auteurs, retirer plein de virgules et savoir écrire un point final.
J'ai déjà souvent cité, mon cher Boileau "“Hâtez-vous lentement (pas trop) ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.” (L'Art Poétique, 1674).
Une bonne résolution en 2023 serait de finir de polir et nous partager ton ouvrage smile
François - Silmo

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#6 05-03-2023 01:09

TB
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Je ne retiendrais qu'une chose: Hyarion est "plutôt" socialiste...Moi qui pensait l'espèce disparue avant même son avènement !  :)

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#7 05-03-2023 02:33

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 032

Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

incongru dans le Légendaire.
Fier d'être aussi socialo que Hyarion et je trouve le sujet vraiment dommage ici!
Mais après tout les éléphants de gauche subsistent, ce qui n'est pas le cas des dinosaures cher TB.
Il reste des socialos, l'espèce n'a pas disparu, ni ses éléphants,  et nous nous souvenons de Carmaux, Ferry, 1905, Epinay,  et honorons le 31 juillet 1914.
arrêtons donc le thème hors-sujet avant toute amertume.
S.

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#8 05-03-2023 05:37

Hyarion
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Ce n'est pas grave, François (merci quand même pour tes messages)... Les gens ne retiennent jamais que ce qu'ils veulent dans ce qu'on leur donne à lire... TB me refait encore le coup de la provoc' à côté des clous, sans se douter, évidemment, à quel point ce n'est pas le moment... En fait, je crois que personne ne soupçonne à quel point je peux en avoir ras le bol (pour ne pas dire autre chose), de tout ça... Pas le premier, ni le dernier, sans doute. Que l'on soit athée ou croyant (ce terme de "croyant" est en soi trop imprécis, mais évitons de parler trop directement d'adeptes du Dieu personnel des religions du Livre abrahamiques : j'en connais qui seraient encore tenté de vouloir me "faire la leçon", là encore sans avoir pris le temps de comprendre ce que je dis), rien de ce que l'on pourrait dire de "spirituel" ne saurait être de nature à modifier ce sentiment d'absurde qui m'habite, semble-t-il, chaque jour un peu plus, grâce à mes semblables humains, qui savent, si souvent et si bien, rendre tout décevant (jusqu'à mes propres actions). Mais bon, j'ai horreur de me plaindre, alors basta.
Je laisse donc, à qui voudra, la liberté de pondre un éventuel commentaire génial à propos du présent message, et retourne essayer d'oublier tout ça, au moins pour un moment, et sinon dans le Léthé, du moins sous l'aile d'Hypnos.

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#9 12-03-2023 09:38

TB
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Houla...Je pensais que l'émoticon de fin était suffisant pour éviter toute polémique: apparemment, le domaine de l'idéologie reste très imperméable à l'humour que j'aime pratiqué...Je tiens donc à m'excuser pour ce manque absolu de tact envers les socialistes, ainsi que pour l'apparente indifférence envers les autres familles idéologiques non mentionnées: centristes, fascistes, anarchistes, apolitiques de gauche comme de droite !
Je m'en voudrais qu'on puisse croire un instant que j'ai voulu tuer Jaurès une deuxième fois à l'insu de mon plein gré... 8.(

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#10 12-03-2023 10:05

TB
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Et pour mieux "expliquer" le pourquoi du comment de ma "provoc", c'est la juxtaposition du terme "plutôt" à celui de socialiste qui m'a rendu d'humeur badine...J'ai trouvé ça plutôt amusant, d'où la suite !
Encore une fois, désolé pour le dérangement...Et soyez sans crainte, je laisse à chacun le droit d'être plutôt ce qu'il veut !  O:)

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#11 12-03-2023 15:40

ISENGAR
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

En tout cas, cher TB, ça fait plaisir de te lire et de voir que quelques-uns de tes mots, fussent-ils rares, font toujours mouche.
Moi qui me range aussi dans le genre "plutôt", j'en ai bien souri, car je l'avais bien repéré ce sourire de fin de phrase, qui, en des temps moins sensibles, voulait bien dire : "pas de panique - je plaisante", mais dont le sens s'est un peu perdu dans les méandres du dialogue nocturne dématérialisé.

Haut les cœurs, les amis ! Il fait jour et on est sur JRRVF smile

I.

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#12 13-03-2023 10:24

TB
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Bah, je trouve ce costard de Fusilleur de Fourmies promptement offert trop cocasse pour m'en offusquer: je vais le ranger précieusement au côté de mes uniformes d'anarcho-fasciste et de Gille de Binche... ;)

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#13 13-03-2023 10:29

Elendil
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Je me permettrai d'ajouter, au cas où le ras-le-bol d'Hyarion soit en partie de mon fait, qu'il n'y a qu'une seule émoticône dans mon message ci-dessus, et qu'elle est stratégiquement placée. D'ailleurs, quand bien même l'envie de provocation me titillerait (ce qui, j'avoue, est parfois le cas), que le temps me ferait défaut pour le court comme pour le moyen terme. wink

E.

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#14 19-03-2023 23:58

Hyarion
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Or donc, qu'avais-je d'ors et déjà écrit précédemment, dans le présent fuseau, en matière d'échanges par écrit en ligne ? ^^'

Précédemment, votre serviteur a écrit :

Sur la Toile comme dans la "vraie vie", dès lors qu'il est question de communication écrite, on ne peut jamais savoir si autrui sera bien ou mal luné lorsqu'il tombera sur votre pavé... car comme on l'a assez souvent dit en ces lieux, il y a toujours un risque de décalage entre ce que l'on écrit et ce qu'autrui peut y lire.

La preuve par l'exemple avec les messages (pavés ou non) qui ont suivi (le mien inclus)...

Bon, essayons de mettre un peu de clarté dans tout ça. :-)

TB a écrit :

Houla...Je pensais que l'émoticon de fin était suffisant pour éviter toute polémique...

ISENGAR a écrit :

...j'en ai bien souri, car je l'avais bien repéré ce sourire de fin de phrase, qui, en des temps moins sensibles, voulait bien dire : "pas de panique - je plaisante", mais dont le sens s'est un peu perdu dans les méandres du dialogue nocturne dématérialisé.

Elendil a écrit :

Je me permettrai d'ajouter, au cas où le ras-le-bol d'Hyarion soit en partie de mon fait, qu'il n'y a qu'une seule émoticône dans mon message ci-dessus, et qu'elle est stratégiquement placée.

Au risque d'éventuellement surprendre, en ce qui me concerne, j'avais parfaitement vu, au premier coup d'œil, les sourires/émoticônes dont vous faites tous mention. Je ne me suis donc pas senti agressé, et je n'ai pas paniqué. Cependant, Silmo ayant réagi avant moi, avec ses mots à lui, j'en ai tenu compte dans ma propre réaction. Silmo a des convictions « de gauche » sans doute assez proches des miennes, de même que JR/Isengar, même si je ne suis probablement pas aussi idéaliste qu'eux deux peuvent peut-être l'être encore, bien que je sois un peu plus jeune qu'eux. Concernant l'orientation religieuse/spirituelle personnelle, j'ai préféré éviter de revenir trop directement ici sur ce sujet, toujours un peu pénible, quoique sans doute inévitable à un moment donné mais qui a du reste été déjà évoquée plusieurs fois (tout comme ma conception du socialisme) dans d'autres fuseaux en ces lieux par le passé.
Mais toujours est-il que, me concernant, dans ce fuseau-ci, il m'a paru simplement honnête et utile de ne pas me cacher derrière cette fausse « neutralité tolkienophile » derrière laquelle on se cache trop volontiers pour parler de Tolkien, notamment s'agissant de questions politico-religieuses. À cette aune, dans le message inaugural du présent fuseau, j'ai mentionné un certain nombre de références historiques et philosophiques pour donner une idée de ce qu'il y a derrière « mon » socialisme et derrière le fait que je puisse donc me dire (modestement) « plutôt socialiste », une formule que TB a donc, nous dit-il, trouvé plutôt amusante... Du long message en question, j'avoue que j'aurai préféré que l'on ne retienne pas forcément seulement les quelques mots écrits sur « mon » socialisme, mais bon, comme je l'ai déjà écrit, chacun reste libre de retirer ce qu'il veut de ce qu'écrit autrui...

Petit rappel, à ce stade : il va sans dire (mais cela va sans doute mieux en le disant) que je n'ai rien contre TB, ni aujourd'hui, ni par le passé, sans quoi je n'aurai notamment sans doute pas pris le temps de réagir comme je l'ai fait, par exemple, sur son fuseau « Exuvie » il y a déjà quelques années (dans le fuseau en question, on pourra constater qu'il y a certes eu une mauvaise compréhension mutuelle au départ, mais en prenant le temps de discuter, les choses, me semble-t-il, se sont arrangées).

TB a écrit :

...apparemment, le domaine de l'idéologie reste très imperméable à l'humour que j'aime pratiqué...

Si je puis me permettre, mon cher TB, si tu parcourais éventuellement plus souvent et plus attentivement le présent forum (je ne te blâme pas : chacun est libre de visiter ces lieux comme il l'entend), tu saurais depuis longtemps que je n'ai pas de problème avec l'humour, y compris en particulier avec l'humour politique ou politico-religieux, ce qui n'est certes pas le cas de tout le monde ici. J'aime l'ironie, qui est un art difficile, et à cette aune, plutôt que l'humour inoffensif « pour public familial » que certains aiment beaucoup ici comme ailleurs, j'ai tendance à apprécier davantage l'humour satirique sachant sainement et savoureusement railler les travers de nos sociétés et de ceux qui prétendent les diriger ou les influencer d'une manière ou d'une autre (les « puissants », les amoureux du pognon, les chefs d'État, les politiciens [de tous bords, et notamment les personnalités toxiques comme Sarkozy ou Mélenchon], les chefs religieux, les gourous en tout genre, les idéologues de tous bords, les militants/manifestants/prosélytes qui meublent psychologiquement leurs vies avec des certitudes idéologiques et/ou religieuses qu'ils veulent imposer aux autres, etc.). Pour te donner une idée de ce que j'aime pratiquer ou voir pratiqué en matière d'humour, je me permets de renvoyer à une tentative de partage d'humour satirique (avec un dessin de feu Pétillon visant le Vatican) que j'avais faite dans un autre fuseau, il y a quelques années (Yyr avait détesté, et j'imagine qu'Elendil a dû ne pas aimer aussi, mais je continue pour ma part de trouver pertinente et savoureuse l'ironie de Pétillon) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 330#p89330

Dans le fuseau en question, en 2018, votre serviteur a écrit :

...souvenir de lecture satirique, remontant au pontificat de Benoît XVI. En 2009, dans son édition du dimanche 8 mars, sortie la veille au soir, L'Osservatore Romano, le quotidien du Saint-Siège, avait célébré la journée du dimanche en question (journée internationale des droits des femmes) en présentant la machine à laver comme étant peut-être ce qui a « le plus participé à l'émancipation des femmes occidentales au XXe siècle »... ce qui avait inspiré au regretté Pétillon (disparu en septembre 2018) un savoureux dessin paru dans Le Canard enchaîné du mercredi suivant (11 mars 2009).

Je pourrais aussi parler des dessins satiriques anciens, ceux du XIXe siècle ou des années 1900-1910 par exemple, qui arrivent encore, au moins pour certains d'entre-eux, à me faire sourire plus d'un siècle après leur publication, qu'ils traitent de politique, de religion ou de mœurs (je parle de certains de ces dessins dans mon livre encore en cours d'écriture, et je pourrais le faire un peu ici aussi, si cela intéresse [ce ne serait pas « hors-sujet », en tout cas])...

Ce que j'aime également, en matière d'humour, c'est le sens de l'autodérision, à savoir être capable de rire de soi-même et de ses propres convictions (ce qui est généralement très difficile pour les idéologues et peut-être plus encore pour les religieux, qui se méfient volontiers du rire et peuvent y réagir violemment, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, pour ne citer qu'eux). Un tel sens de l'humour n'annule pas lesdites convictions que l'on peut avoir, mais il aide assurément à avoir du recul par rapport à elles, sans quoi l'autocritique est impossible, ce qui n'est jamais une bonne chose. Comme je l'ai souvent dit, ici ou ailleurs, on ne fait pas de travail sérieux en se prenant au sérieux. Voila pourquoi ton amusement concernant le fait que je me dise plutôt socialiste ne me touche pas plus que ça, en fait : c'est une réaction, à vrai dire, peu surprenante quand on pense aux idées reçues qui circulent aujourd'hui comme hier sur les idéaux socialistes et l'idée que l'on s'en fait en fonction de son petit point de vue, toujours plus ou moins orienté. Silmo a voulu défendre les idéaux en question, avec ses mots, et ses références qui recoupent en partie les miennes (mais en partie seulement : Jules Ferry, bof, bof, sans même parler du colonialisme, il s'est renié s'agissant de la séparation de l'Église et de l'État, et concernant le développement de l'instruction publique, Victor Duruy avait tout de même déjà agi sous Napoléon III). Je le remercie encore d'avoir pris le temps de le faire, même si je n'aurai pas réagi de la même façon que lui si j'avais répondu en premier : après tout, ce n'est pas si fréquent de ne pas se sentir isolé ici ou ailleurs...

« Mon » socialisme, comme je l'ai écrit dans mon message inaugural, est tempéré par un scepticisme « mitigé » : cela veut notamment dire que je ne fais pas partie des gens qui croient en « l'Homme Nouveau » de la société sans classes comme d'autres croient fermement au Péché originel et/ou en l'Immaculée Conception. Cela veut dire aussi que je ne suis pas aussi idéaliste que pouvait l'être un grand homme comme Jean Jaurès.
Par exemple, Jaurès avait une conception gradualiste de l'histoire et de la connaissance, excluant le scepticisme (tel qu'il le décrit) de l'éclectisme dont il se réclamait, éclectisme qu'il concevait comme une marche de l'esprit vers la vérité, « une marche graduée et de plus en plus ferme vers une vérité de jour en jour plus vaste dans son ensemble et plus nette dans ses détails ». Pour moi, l'esprit évolue vers une possible vérité, vers ce que j'appelle la Conscience, mais je ne vois pas particulièrement ce cheminement comme « une marche graduée et de plus en plus ferme ». Je n'en ai pas moins beaucoup d'estime pour Jaurès, qui reste pour moi une référence en matière de socialisme notamment en raison du fait qu'il s'est d'abord construit philosophiquement lui-même avant de s'engager dans l'action politique, sans avoir été excessivement endoctriné dès le départ comme tant d'autres.
Mais je n'ai pas de rapport maladivement « religieux » à Jaurès, contrairement par exemple à un type détestable comme Mélenchon, ce mégalo démago qui, lorsqu'il était député (après avoir siégé pendant des lustres au Sénat, où la soupe était bonne), a stupidement voulu à tout prix poser ses misérables fesses exactement sur le même siège que Jaurès à l'Assemblée Nationale, et qui, parait-il, achète tous les 31 juillet des tartes aux fraises, ce que dégustait Jaurès au moment de son assassinat en 1914 : je trouve ce genre de comportement à la fois puéril, minable et écœurant (même si j'aime les tartes aux fraises par ailleurs). Tu t'inquiétais (inutilement), mon cher TB, « qu'on puisse croire un instant que [tu] ai[es] voulu tuer Jaurès une deuxième fois à l'insu de [t]on plein gré », mais d'autres s'en chargent bien assez, d'assassiner Jaurès à nouveau, à chaque fois qu'ils se réclament de lui pour servir leurs petits intérêts, leurs postures, leur ego... « Mon » socialisme est loin de tout ça, et donc parce que j'ai naturellement tendance à avoir du recul par rapport à l'idéologie en général, par rapport aux doctrines, aux dogmes, il en faudrait bien plus que ce tu as écrit pour que j'y vois quelque-chose de vraiment infamant, d'autant plus que, je le rappelle, j'avais bien vu le sourire qui l'accompagnait.

Bref, voila pour mon état d'esprit. Au-delà du côté potentiellement « offensant », Silmo a estimé que ton trait d'humour, mon cher TB, n'avait pas sa place dans cette discussion, et c'est vrai sur le principe : nous ne sommes pas dans l'Espace libre du forum. Toutefois, je serais mal placé pour me plaindre d'une digression dans une discussion, étant souvent pratiquant de la chose moi-même...
Non, le vrai problème n'est évidemment pas là, puisque j'ai parlé de sentiment de l'absurde. De fait, pour ce qui me concerne, le ras-le-bol que j'ai exprimé dépasse largement ton intervention qui se voulait humoristique : quand je dis que j'en ai ras-le-bol « de tout ça », cela va bien plus loin que le présent forum et bien plus loin que ce que j'appelle la planète Tolkien, et les sourires/émoticônes n'y peuvent pas grand-chose...
C'est une question de mal-être général, dans ce monde-là, ici et maintenant. Et ce n'est pas à cause du climat, hein : même si déplore toujours la dégradation de l'environnement et de la biodiversité, je ne suis pas « éco-anxieux » pour autant, peut-être parce je pense que la vie n'a pas besoin de l'humanité, de son maigre savoir et de ses pauvres croyances, pour continuer à poursuivre son but, sachant que, possiblement, comme l'a écrit Remy de Gourmont dans sa Physique de l'amour, « l'idée même de but est une illusion humaine »...
Quant à la vie politique française actuelle, j'ai déjà rapidement évoqué précédemment sa médiocrité : en un quart de siècle de suivi des débats parlementaires, je n'ai jamais vu un niveau intellectuel aussi bas que celui s'exprimant durant la législature en cours, tandis que, de la « valeur travail » de Sarkozy au « sens de l'effort » de Macron, c'est toujours le même plat, « libéral », infect, qui nous est toujours servi... Le gouvernement actuel est minable, mais l'opposition (plurielle) actuelle l'est tout autant... Cela laisse, ces jours-ci à nouveau, comme il y a quelques années (avant les confinements), le champ libre à un climat de violence, propice à l'épanouissement de ce que Marx et Engels ont appelé le lumpenproletariat, une notion que la deuxième fille de Karl Marx, Laura Marx-Lafargue, a élégamment traduite en français par « voyoucratie ». Cette notion me parait assez bien correspondre aux casseurs, pillards, incendiaires de voitures, et autres agresseurs de biens et/ou de personnes, qui notamment « accompagnent » de nos jours, tels des charognards, les manifestations de rue par ailleurs légitimes, et qui en tant que « lumpen » sans conscience politique ou sociale (malgré les prétentions « anarchistes » de certains), servent objectivement les intérêts de l'ordre établi et les obsessions sécuritaires qui vont avec... Si je voulais ironiser, je dirais que ce n'est pas du tout comme ça que l'on va construire le socialisme...
Mais voila précisément que je digresse, à nouveau...

J'ai, en tout cas, assez écrit pour ce soir.

Peace and love,

B.

[EDIT: corrections de fautes diverses, et aussi de certaines phrases pour éviter, autant que possible, de donner l'impression d'envoyer des piques à... je ne sais qui en particulier...]

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#15 20-03-2023 10:37

Elendil
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Hyarion a écrit :

Pour te donner une idée de ce que j'aime pratiquer ou voir pratiqué en matière d'humour, je me permets de renvoyer à une tentative de partage d'humour satirique (avec un dessin de feu Pétillon visant le Vatican) que j'avais faite dans un autre fuseau, il y a quelques années (Yyr avait détesté, et j'imagine qu'Elendil a dû ne pas aimer aussi, mais je continue pour ma part de trouver pertinente et savoureuse l'ironie de Pétillon) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 330#p89330

Puisque tu l'évoques, j'avoue que ce dessin m'avait fait sourire. Je ne prétendrai pas une seconde que c'est le genre d'humour que je goûte le plus (d'une manière générale, je trouve d'assez mauvais goût la quasi-totalité de l'humour se rapportant au domaine sexuel), mais il faut avouer que c'était assez bien trouvé, quand bien même on ne partagerait pas les convictions du dessinateur. Je partage en tout cas ton point de vue sur l'humour et sur son utilité, même si, à l'usage, l'humour peut évidemment virer à la méchanceté et à l'injustice : témoins -- entre bien d'autres exemples -- les caricatures sur les Juifs avant la Shoah (et même après, dans certains milieux ou sociétés).

E.

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#16 11-04-2023 21:33

TB
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Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Hyarion, je te déteste...Me rappeler avoir écrit de pareilles horreurs...À d'innocents lecteurs inconscients du danger...C'est mal !
Mais bon, j'ai une excuse: j'étais "clean"...Enfin, plus ou moins, sûrement, plus que probable.
Mais je te pardonne, parce que je t'aime...Comme j'aime chacun de ceux qui contribuent à cet espace idyllique et précieux: vous êtes, merci pour ça, une part non négligeable de mon humanité.
Carpe diem... :)

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#17 24-04-2023 04:57

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 371

Re : Tolkien était-il un « logocrate » ?

Elendil a écrit :
Hyarion a écrit :

Pour te donner une idée de ce que j'aime pratiquer ou voir pratiqué en matière d'humour, je me permets de renvoyer à une tentative de partage d'humour satirique (avec un dessin de feu Pétillon visant le Vatican) que j'avais faite dans un autre fuseau, il y a quelques années (Yyr avait détesté, et j'imagine qu'Elendil a dû ne pas aimer aussi, mais je continue pour ma part de trouver pertinente et savoureuse l'ironie de Pétillon) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 330#p89330

Puisque tu l'évoques, j'avoue que ce dessin m'avait fait sourire. Je ne prétendrai pas une seconde que c'est le genre d'humour que je goûte le plus (d'une manière générale, je trouve d'assez mauvais goût la quasi-totalité de l'humour se rapportant au domaine sexuel), mais il faut avouer que c'était assez bien trouvé, quand bien même on ne partagerait pas les convictions du dessinateur. Je partage en tout cas ton point de vue sur l'humour et sur son utilité, même si, à l'usage, l'humour peut évidemment virer à la méchanceté et à l'injustice : témoins -- entre bien d'autres exemples -- les caricatures sur les Juifs avant la Shoah (et même après, dans certains milieux ou sociétés).

E.

Il y a effectivement de la finesse dans l'ironie exprimée dans ce dessin de Pétillon, qui en fait toute la saveur et qui m'avait marqué d'emblée lors de sa publication.
J'avoue qu'il y a quelque-chose d'un peu rassurant dans ta propre réaction à ce dessin, notamment en comparaison de la réaction de Yyr à l'époque. Bien entendu, je l'avais déjà dit alors, l'humour n'échappe pas à une certaine loi de la relativité, et il faut bien faire avec. Mais disons qu'il y a généralement, hélas, semble-t-il, une profonde difficulté, voire une sorte d'incapacité, des gens religieux à rire, ou même seulement sourire, à quoi que ce soit qui puisse les inviter à se moquer d'eux-mêmes, de leurs croyances et des institutions et discours publics associés. L'autre jour, il y a déjà trois semaines en fait, à l'occasion du dimanche des Rameaux, je suis allé, accompagné, à la basilique St-Sernin, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps (je passe toujours souvent devant ce célèbre édifice toulousain, mais n'y entre plus que rarement ; cela a été d'ailleurs l'occasion de constater le retour de l'eau bénite dans le bénitier, après les années de restrictions sanitaires : se signer avec cette eau en entrant est une des quelques habitudes cultuelles que j'ai personnellement conservé quand je suis dans une église), et je me demande, parmi tous les gens qui étaient là, combien seraient capables de véritablement faire preuve d'humour à l'égard de leur propre religion... Rire des convictions qui ne sont pas les siennes, mais sans pouvoir faire de même avec son propre paradigme chrétien – notamment s'il est conservateur – perçu de facto comme la "normalité" et comme relevant d'un prétendu "bon sens" ou "sens commun" : toute la limite de la posture "spirituelle" de "grands esprits" comme G. K. Chesterton est là... du moins à ce qu'il me semble.

TB a écrit :

Hyarion, je te déteste...Me rappeler avoir écrit de pareilles horreurs...À d'innocents lecteurs inconscients du danger...C'est mal !
Mais bon, j'ai une excuse: j'étais "clean"...Enfin, plus ou moins, sûrement, plus que probable.
Mais je te pardonne, parce que je t'aime...Comme j'aime chacun de ceux qui contribuent à cet espace idyllique et précieux: vous êtes, merci pour ça, une part non négligeable de mon humanité.
Carpe diem... :)

Merci TB. ^^

Je vais essayer, si je peux, de revenir prochainement au sujet de ce fuseau, toujours en vue de délester mon livre encore en chantier de certaines considérations qui, en l'état, peuvent sans doute aussi bien se retrouver ici dans leur version plus ou moins "dense".

Amicalement,

B.

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