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#1 22-06-2003 02:02

Moraldandil
Lieu : Paris 18e
Inscription : 2001
Messages : 887
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La cloche marine

[Édit (Yyr) 2021 : ce fuseau est l'un des nombreux rejetons de l'arbre initial de la traduction des poèmes]

Voici un autre poème extrait des Aventures de Tom Bombadil, un des plus beaux de Tolkien à mon sens. En tout cas, il me touche profondément.
J'ai tenté sa traduction en français. L'original fait usage d'un vers purement accentuel à quatre accents, césuré 2 / 2. Le système de rimes est assez particulier : les vers impairs comportent une rime interne tandis que les vers pairs riment deux à deux. On peut aussi noter un nombre appréciable d'allitérations. Il m'a paru approprié d'employer dans cette traduction un alexandrin irrégulièrement césuré (devrais-je alors l'appeler dodécasyllabe ?), et  de conserver, vu son importance, le système des rimes... non sans quelques acrobaties.

En espérant que vous l'apprécierez aussi, voici :

The sea-bell

La cloche marine

I walked by the sea, and there came to me
as a star-beam on the wet sand,
a white shell like a sea-bell;
trembling it lay in my wet hand.
In my fingers shaken I heard waken
a ding within, by a harbour bar
a buoy swinging, a call ringing
over endless seas, faint now and far.

J'allais longeant la mer, quand mes yeux avisèrent
Comme un rai d'étoile sur le sable mouillé
Une conche opaline, une cloche marine ;
Elle tenait tremblante dans ma main trempée.
Entre mes doigts secoués j'entendis s'éveiller
Un tintement, au môle d'un port incertain
Une bouée danser, un appel résonner
Au-delà des mers infinies, sourd et lointain.

Then I saw a boat silently float
on the night-tide, empty and grey.
"It is later than late! Why do we wait?"
I leapt in and cried : "Bear me away!"

Puis, sans bruit, sur le flot d'une marée de nuit,
J'aperçus qui voguait un bateau vide et gris.
"Il est bien plus que tard ! Qu'attendre encor ce soir ?"
J'y bondis en criant : "Portez-moi loin d'ici !"

It bore me away, wetted with spray,
wrapped in a mist, wound in a sleep,
to a forgotten strand in a strange land.
In the twilight beyond the deep
I heard a sea-bell swing in the swell,
dinging, dinging, and the breakers roar
on the hidden teeth of a perilous reef;
and at last I came to a long shore.
White it glimmered, and the sea simmered
with star-mirrors in a silver net;
cliffs of star pale as ruel-bone
in the moonlight-foam were gleaming wet.
Glittering sand went through my hand,
dust of pearl and jewel-grist,
trumpets of opal, roses of coral,
flutes of green and amethyst.
But under cliff-eaves there were glooming caves
weed-curtained, dark and grey;
a cold air stirred in my hair,
and the light waned, as I hurried away.

Éclaboussé d'écume, enveloppé de brume,
Il m'emporta au loin, blessé dans ma torpeur,
Vers la côte oubliée d'une étrange contrée.
J'entendais dans la pénombre des profondeurs
Une cloche marine rouler dans la houle,
Tinter, tinter encore, et rugir les brisants
Sur les écueils furtifs d'un périlleux récif ;
Puis enfin j'arrivai en vue d'un long estran.
Blanchâtre il poudroyait, et la mer frémissait
En miroirs d'étoiles dans des rets argentés.
Des falaises, roches pâles comme os de seiche,
Dans l'écume de lune luisaient détrempées.
Entre mes doigts glissait un sable où chatoyait
Une poussière de perles et de joyaux,
Des flûtes de béryl, des trompettes d'opale,
Des roses fines d'améthyste et de coraux.
Mais sous les promontoires des cavernes noires
S'ouvraient garnies de rideaux d'algues racornies.
Un air froid soudain m'échevela, et plus loin
Je me hâtai dans une lumière évanouie.

Down from a hill ran a green rill;
its water I drank to my heart's ease.
Up its fountain-stair to a country fair
of ever-eve I came, far from the seas,
climbing into meadows of fluttering shadows:
flowers lay there like fallen stars,
and on a blue pool, glassy and cool,
like floating moons the nenuphars.
Alders were sleeping, and willows weeping
by a slow river of rippling weeds;
gladdon-swords guarded the fords,
and green spears, and arrow-reeds.

Descendant d'un coteau coulait un vert ruisseau ;
La joie m'emplit le cœur quand je bus de son eau.
Et remontant son lit, je vins en un pays
Ravissant sous un soir sans fin, bien loin des flots ;
Je grimpai dans des prés pleins d'ombres agitées :
Comme des étoiles tombées des fleurs poussaient,
Et sur l'eau bleue d'un étang frais et transparent,
Des nénufars pareils à des lunes flottaient.
Des aulnes sommeillaient et des saules pleuraient
Auprès d'un cours alangui que ridaient les herbes ;
Feuilles comme épées, des iris gardaient les gués,
Et des roseaux en lances et flèches en gerbes.

There was echo of song all the evening long
down in the valley; many a thing
running to and fro: hares white as snow,
voles out of holes; moths on the wing
with lantern-eyes; in quiet surprise
brocks were staring out dark doors.
I heard dancing there, music in the air,
feet going quick on the green floors.
But wherever I came it was ever the same:
the feet fled, and all was still;
never a greeting, only the fleeting
pipes, voices, horns on the hill.

Au fond de la vallée toute cette soirée
Sonna l'écho d'une chanson ; un peu partout
Maintes choses couraient : des lièvres blanchoyaient ;
Des taissons un peu surpris guignaient de leurs trous ;
Des campagnols sortaient de leurs terriers ; en vol
Clignaient des phalènes aux yeux en lumignons.
Là j'entendais danser, des mélodies flotter,
Des pieds passer rapidement sur les gazons.
Mais où que je me porte il en fut de la sorte :
Les pieds s'envolaient puis tout restait calme et morne ;
Sur la butte jamais un salut, que des flûtes
Qui s'évanouissaient, des voix, le son de cornes.

Of river-leaves and the rush-sheaves
I made me a mantle of jewel-green,
a tall wand to hold, and a flag of gold;
my eyes shone like the star-sheen.
With flowers crowned I stood on a mound,
and shrill as a call at cock-crow,
proudly I cried: "Why do you hide?
Why do none speak, wherever I go?
Here now I stand, king of this land,
with gladdon-sword and reed-mace.
Answer my call! Come forth all!
Speak to me words! Show me a face!"

Des feuilles du cours d'eau et de joncs en faisceaux
Je me fis un manteau de gemmes verdoyantes,
Un grand bâton à manier, un drapeau doré ;
Mes yeux paraissaient deux étoiles éclatantes.
Couronné de fleurs, perché sur une hauteur,
Comme un appel strident qu'à l'aube un coq criaille,
Fièrement je lançai : "Pourquoi donc vous cacher ?
Pourquoi donc nul ne parle en quelque endroit que j'aille ?
Moi qui me tiens ici, le roi de ce pays,
Un iris comme épée, un roseau comme masse.
Maintenant répondez ! Sortez tous sans tarder !
Dites-moi quelques mots ! Montrez-moi une face !"

Black came a cloud as a night-shroud.
Like a dark mole groping I went,
to the ground falling, on my hands crawling
with eyes blind and my back bent.
I crept to a wood: silent it stood
in its dead leaves; bare were its boughs.
There must I sit, wandering in wit,
while owls snored in their hollow house.
For a year and a day there must I stay:
beetles were tapping in the rotten trees,
spiders were weavings, in the mould heaving
puffballs loomed about my knees.

Vint une nue de suie comme un suaire de nuit.
Comme ferait une taupe sombre, à tâtons
Je m'enfuis, chancelant, tombant au sol, rampant
Sur les mains, les yeux aveuglés et le dos rond.
Je me glissai dans un bois qui poussait là, coi,
Ses feuilles mortes et ses rameaux dénudés.
Là, tandis que des hiboux ronflaient dans leurs trous,
Il me fallut m'asseoir, tous mes sens égarés.
Un jour et une année il m'y fallut rester :
Dans les arbres pourris des scarabées toquaient ;
Des vesses de loup tout autour de mes genoux
Surgissaient de la terre ; des araignées tissaient.

At last there came a light in my long night,
and I saw my hair hanging grey.
"Bent though I be, I must find the sea!
I have lost myself and I know not the way,
but let me be gone!" Then I stumbled on;
like a hunting bat shadow was over me;
in my ears dinned a withering wind,
and with ragged briars I tried to cover me.
My hands were torn and my knees worn,
and years were heavy upon my back,
when the rain in my face took a salt-taste,
and I smelled the smell of sea-wrack.

Enfin le jour reluisit dans ma longue nuit,
Et j'aperçus mes cheveux tout gris pendiller.
"Même courbé d'hivers, je dois trouver la mer !
Je me suis perdu et ne sais par où aller,
Mais il me faut partir !" Et je me mis à fuir,
Par la menace d'ailes d'ombre recouvert,
Tout trébuchant, dans mes oreilles un vent desséchant.
Je tâchai de me vêtir de bouts de bruyère ;
Mes mains étaient déchirées, mes genoux usés,
Et les ans pesaient lourdement sur mon échine,
Quand l'ondée sur mon visage devint salée,
Et je sentis l'odeur de la laisse marine.

Birds came sailing, mewing, wailing;
I hard voices in cold caves,
seals barking, and rocks snarling,
and in spout-holes the gulping of waves.
Winter came fast; into a mist I passed,
to land's end my years I bore;
snow was in the air, ice my hair,
darkness was lying on the last shore.

Des oiseaux vinrent planant, criant, gémissant ;
J'entendais comme des voix dans des grottes froides :
Des aboiements de phoques, des grondements de rocs,
Par des évents le bruit de vagues en giclades.
Promptement vint l'hiver ; jusqu'au bout de la terre
Enveloppé de brouillard je portai mes ans ;
L'air était neigeux, pleins de glace mes cheveux,
Les ténèbres recouvraient le dernier estran.

There still afloat waited the boat,
in the tide lifting, its prow tossing.
Weary I lay, as it bore me away,
the waves climbing, the seas crossing,
passing old hulls clustered with gulls
and great ships laden with light,
coming to haven, dark as a raven,
silent as snow, deep in the night.

Et là, toujours à flot, attendait le bateau,
Dans la marée sa proue remontait en tanguant.
Je m'y étendis las, au loin il m'emporta,
Grimpant les vagues, traversant les océans,
Passant de vieux vaisseaux tout hérissés d'oiseaux
Et d'immenses navires chargés de clarté,
Revenant au port, cherchant son quai, noir de jais,
Coi comme neige, ennoyé dans l'obscurité.

Houses were shuttered, wind round them muttered,
roads were empty. I sat by a door,
and where drizzling rain poured down a drain
I cast away all that I bore:
in my clutching hand come grains of sand,
and a sea-shell silent and dead.
Never will my ear that bell hear,
never my feet that shore tread,
never again, as in sad lane,
in blind alley and in long street
ragged I walk. To myself I talk;
for still they speak not, men that I meet.

Par les routes désertées, les maisons bouclées,
Le vent tournait grognant. Assis près d'une entrée,
Là où le crachin s'écoulait dans un égout,
J'éparpillai tout ce que je pouvais porter :
Quelques grains de sable dans le creux de ma main,
Une cloche marine silencieuse et morte.
Jamais plus mon oreille de cloche pareille
N'entendra ; jamais plus de grève de la sorte
Mon pied ne foulera ; jamais plus, et de voie
En allée sombre, longue rue, triste chemin,
Je marche en ma bohème, et me parle à moi-même ;
Car ceux que je croise ne disent toujours rien.

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#2 22-06-2003 15:39

Mj du Gondor
Inscription : 2003
Messages : 574

Re : La cloche marine

Bravo! voilà une traduction ! plus peut-être ! le reflet poétique français d'un poême anglais ! Magnifique !
Je voudrais en dire beaucoup plus mais j'aurais peur de rompre le charme par mon inexpérience. Je me limiterai donc à l'émotion !
Mj

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#3 23-06-2003 18:57

Finrod
Inscription : 2002
Messages : 381

Re : La cloche marine

Tout pareil que Mj (et tu nous montres en passant qu'elle avait bien raison de dire que la poésie est bien mieux traduite par un poète) :-)
Ah, et puis j'aime bien tes rimes même quand elles sont acrobatiques (ça a dû d'ailleurs être un sacré boulot !), comme les lièvres qui blanchoyaient par exemple. Il fallait le trouver ;-)

L.

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#4 24-06-2003 11:53

Laegalad
Lieu : Strasbourg
Inscription : 2002
Messages : 2 998
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Re : La cloche marine

Je relis et re-analyse tout ça, mais comme d'habitude, je suppose que je n'aurai rien à redire ;-) Félicitations ! Et merci pour l'explication du a-
Finrod: patience, patience pour TB : je n'ai pour l'instant fait que les recherches de vocabulaire ;-)

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