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#1 19-05-2010 04:37

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 974

La fleur vivante

Je voudrais partager avec vous le plaisir de lecture de ce jour et l'écho qu'il a produit :

« If a man could pass thro’ Paradise in a Dream, & have a flower presented to him as a pledge that his Soul had really been there, & found that flower in his hand when he awoke — Aye? And what then? »
— Coleridge, Coleridge’s notebook: a selection, éd. par Seamus Perry, Oxford, 2002, p. 127. [http://books.google.fr/]

Traduction de Paul et Sylvia Bénichou de la reprise de ce texte par Jorge Luis Borges dans « La fleur de Coleridge » :
« Si un homme traversait le paradis en songe, qu’il reçut une fleur comme preuve de son passage, et qu’à son réveil, il trouvât cette fleur dans ses mains… que dire alors ? »
— Borges, J. L., Enquêtes, Folio essais n°198, p. 26.

Dans ce texte, Borges cherche à "retracer l'histoire de l'évolution d'une idée  à travers les textes hétérogènes de trois auteurs". Cette idée est celle de l'objet-témoin d'un voyage surnaturel : la "fleur céleste" ou "fleur de songe" pour Coleridge, la "fleur future" pour H.G. Wells (The Time Machine) et le portrait qui représente les traits du visage futur dans The Sense of the past, nouvelle inachevée de Henry James.
Il semble que Tolkien constitue ce que Borges appelle "un autre témoin de l'unité profonde du Verbe" :

« (…) une jeune fille aux cheveux flottants et en robe plissée vint à sa rencontre. \ (…) elle se baissa [279] pour cueillir une fleur blanche à ses pieds et la piqua dans les cheveux de Smith.
Il ne se rappela rien du voyage de retour jusqu’au moment où il se retrouva en train de suivre à cheval les route de son propre pays (…). À son arrivée chez lui, (…) Nell le prit par la main et le mena jusqu’à l’âtre, et là elle se retourna pour le regarder. “Mon cher Homme, dit-elle, où as-tu été et qu’as-tu vu ? Tu as une fleur dans les cheveux.” Elle la retira doucement et la garda dans sa main ouverte. (…)
La fleur ne se fana pas, ni ne se ternit ; et ils la conservèrent en secret comme un trésor. »
— Tolkien, Smith de Grand Wootton, trad. par Francis Ledoux, dans Faërie et autres textes, Paris, Bourgois, 2003, p. 278-279.

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#2 19-05-2010 08:18

shudhakalyan
Inscription : 2008
Messages : 299

Re : La fleur vivante

Merci Sosryko !
J'ai l'impression que chez Tolkien, il y a moins de contraste entre le voyage lui-même et le retour où demeure une trace de ce voyage. Je veux dire que Tolkien ne joue pas du suspense laissant le lecteur et le héros dans une hésitation momentanée : cela a-t-il bien eu lieu ? Auquel répond l'objet : oui, cette trace le prouve... voire : en tout cas cette trace le prouve, cela a donc dû exister (où l'on infére la réalité de l'expérience, à partir du témoignage qu'on en garde). Chez Tolkien, la réalité de cette expérience pour celui qui l'a vécue est ininterrompue. Vous ne pensez pas ?

s.

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#3 19-05-2010 09:15

Elendil
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Re : La fleur vivante

Dans Tolkien et ses légendes. Une expérience en fiction, Isabelle Pantin aborde justement cette thématique du temps chez Tolkien et effectue des comparaisons avec The Sense of the past de Henry James et Peter Ibbetson de George Du Maurier.

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#4 19-05-2010 09:22

shudhakalyan
Inscription : 2008
Messages : 299

Re : La fleur vivante

Tout à fait. Ce qu'elle reprend d'ailleurs un peu à Verlyn Flieger qui avait étudié ces rapprochements plus de dix ans plus tôt, en 1997, dans A Question of Time: J.R.R. Tolkien's Road to Faërie.


s.

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#5 19-05-2010 13:07

Benilbo
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Re : La fleur vivante

Superbe remarque, cher Sosryko! Qui n'est pas sans rappeller étrangement d'ailleurs l'étymologie d'une certaine Lothlórien ;)

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#6 19-05-2010 19:28

Elendil
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Re : La fleur vivante

shudhakalyan a dit :
Tout à fait. Ce qu'elle reprend d'ailleurs un peu à Verlyn Flieger qui avait étudié ces rapprochements plus de dix ans plus tôt, en 1997, dans A Question of Time: J.R.R. Tolkien's Road to Faërie.

C'est exact — mais elle enrichit considérablement l'analyse.

Si l'on parle de Borges, on peut également signaler que Ross Smith a longuement discuté des parallèles entre l'œuvre de Borges, d'Eco et de Tolkien dans Inside Language (c'est d'ailleurs le principal intérêt de ce livre).

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#7 20-05-2010 15:04

shudhakalyan
Inscription : 2008
Messages : 299

Re : La fleur vivante

Elendil Voronda a dit :

C'est exact — mais elle enrichit considérablement l'analyse.

De quel point de vue ?
Je n'ai fini aucun des deux ouvrages mais je pense avoir lu les passages concernant The Sense of the past de Henry James et Peter Ibbetson de George Du Maurier dans les deux ouvrages (et aussi, d'ailleurs, les évocations, toujours suite à l'étude de Flieger, d'un essai sur le temps de J.W. Dunne et d'une expérience au Trianon de Mme Moberly et Mme Jourdain : Ch. 2 Remembrance That Never Dies chez Flieger ; ch. 3 La vie antérieure. Aspects du temps et de la mémoire chez Pantin), or je n'ai pas remarqué une autre profondeur chez I. Pantin. J'avais même plutôt l'impression inverse, sachant que chez V. Flieger, ces considérations interviennent au sein d'une thèse générale sur le temps chez Tolkien auquel l'ensemble de l'ouvrage est consacré, alors qu'ils sont évoqués plus brièvement et parmi beaucoup d'autres choses dans l'ouvrage d'Isabelle Pantin...

Pour Borgès, on peut aussi rappeler que Géographies imaginaires de Pierre Jourde (José Corti, 1991) avait le grand mérite d'articuler, dans son étude, les quatre grands auteurs du 20e siècle que sont Gracq, Borgès, Michaux et Tolkien.

S.


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#8 20-05-2010 16:16

sosryko
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Re : La fleur vivante

Très belle étude que celle de Jourde ; malheureusement épuisée :-(.

>shudhakalyan : la narration de Tolkien ôte au lecteur toute part de doute quant à la réalité des voyages de Smith. Pourtant, l'expérience vécue par Smith n'est pas si "ininterrompue" que cela et pourrait éveiller chez lui une réflexion similaire à celle de Coleridge.
En effet, Tolkien précise que Smith "ne se rappela rien du voyage de retour jusqu’au moment où il se retrouva en train de suivre à cheval les route de son propre pays".
Smith ne retrouve pleinement conscience qu'une fois revenu dans un cadre connu ; et ce n'est qu'arrivé chez lui, avec l'aide de Nell, qu'il ne prend conscience de la fleur vivante -- qu'il avait donc oublié pendant toute la durée du retour à travers Faërie, le bois et son propre pays. 

S

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#9 25-05-2010 02:37

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 974

Re : La fleur vivante

Au hasard de recherches sur Internet, voici une citation qui, sortie de son contexte (commentaire biblique) pourrait très bien convenir comme commentaire du don de la "fleur vivante" à l'humble Smith, et plus généralement comme commentaire de la manière d'aborder le conte de Fée chez Tolkien:

« Le miracle n’est pas une fleur desséchée, qu’on étudie au microscope, dans un laboratoire scientifique ; c’est une fleur vivante, dont on ne peut goûter le parfum que dans un jardin, sous le soleil printanier. Du miracle concret, vivant, se dégage un appel à ce que nous gardons de secret désir pour tout ce qui est santé, intégrité, beauté : beauté du corps rétabli dans son intégrité, beauté de l’âme restituée à sa pureté originelle. Si le désir est atrophié, éteint, le miracle sera un signe sans signification. Si le désir est vivace, il sera un langage divin. Et voilà pourquoi le miracle parlera aussi bien aux simples qu’aux savants, et parfois mieux aux simples qu’aux savants, parce qu’en eux la faculté d’intuition spirituelle est restée jeune, plus droite, plus souple à la grâce. »
Joseph Huby, Evangile selon saint Marc, Beauchesne, 1924, p. 49.

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