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#76 13-06-2020 23:09

Elendil
Lieu : Velaux
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Voilà ce sur quoi je suis tombé en rangeant de vieux papiers personnels. Cela doit venir de mes parents ou même grands-parents, vu le type de papier utilisé. Je me suis dit que cela ferait une bonne illustration pour ce fuseau. wink

E.

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#77 13-06-2020 23:37

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 954

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Magnifique et belle mise en perspective pour ce fuseau . Merci Elendil ! :)
(Et une question que je ne m'étais jamais posée : Tolkien connaissait-il Pascal ?)
S.

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#78 14-06-2020 10:24

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 017

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Engrenages et Charité font aussi penser aux Temps Modernes de Chaplin  smile

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#79 14-06-2020 17:12

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 954

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Oui, assurément. En cherchant, j'ai trouvé les deux plans suivants :

« Notre sens de la vie a été émoussé par l'appât du gain, le pouvoir et le monopole. Nous avons laissé ces forces nous envelopper sans nous préoccupper le moins du monde des redoutables conséquences que cela pourrait avoir. »

Charlie Chaplin, Histoire de ma vie (1964)

Et puis l'omniprésence de la Charité comme sens et réponse, avec le long monologue du barbier du Dictateur :

« Nous maîtrisons la vitesse, mais nous restons enfermés. Les machine qui donnent la richesse nous laissent dans la pauvreté. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence durs et méchants. Nous pensons trop et ressentons trop peu. Plus que de machine, nous avons besoin d'humanité. Plus que d'habileté, nous avons besoin de gentillesse et de douceur. Sans ces qualités, la vie sera violence, et tout sera perdu
[...]
Vous n'êtes pas des machines, vous n'êtes pas du bétail, vous êtes des hommes ! Vous portez l'amour de l'humanité dans vos cœurs. Vous n'avez pas de haine ! Seuls ceux qui ne sont pas aimés haïssent, ceux qui ne sont pas aimés et les dénaturés. »

« We have developed speed, but we have shut ourselves in. Machinery that gives abundance has left us in want. Our knowledge has made us cynical; our cleverness, hard and unkind. We think too much and feel too little. More than machinery, we need humanity. More than cleverness, we need kindness and gentleness. Without these qualities, life will be violent and all will be lost.
[...]
You are not machines, you are not cattle, you are men! You have the love of humanity in your hearts! You don’t hate! Only the unloved hate; the unloved and the unnatural.»

Charlie Chaplin, Le Dictateur (1940)

Notons aussi qu' à la différence de Tolkien, Chaplin, humaniste et progressiste, voit dans l'origine de l'avion non une volonté de puissance mais celle du partage et du désir de communication/communion :

L'avion et la radio nous ont rapprochés. La nature même de ces inventions est un appel à la bonté des hommes ; est un appel à la fraternité universelle, pour l'union de tous. Et en cet instant ma voix atteint des millions de personnes à travers le monde, des millions d'hommes de femmes et de petits enfants qui désespèrent, victimes d'un système qui fabrique des bourreaux et emprisonne les innocents. A ceux qui peuvent m'entendre, je dis : Ne désespérez pas. Le malheur qui est sur nous n'est autre que le passage de la cupidité, de l'amertume de ceux qui craignent la marche du progrès humain.

The airplane and the radio have brought us closer together. The very nature of these inventions cries out for the goodness in men; cries out for universal brotherhood; for the unity of us all. Even now my voice is reaching millions throughout the world, millions of despairing men, women, and little children, victims of a system that makes men torture and imprison innocent people. To those who can hear me, I say, do not despair. The misery that is now upon us is but the passing of greed, the bitterness of men who fear the way of human progress.

Charlie Chaplin, Le Dictateur (1940)

Merci Silmo pour le rappel important de la Charité de Charlot (& merci à Yyr pour ce nouvel outil des citations en colonnes ;-)) !

S.

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#80 14-06-2020 21:48

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 017

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Alors à revoir en entier ici.
https://youtu.be/HAPilyrEzC4
Pour moi Chaplin reste le plus grand, il a tout inventé.
Les Temps modernes est son premier film parlant quoiqu'on n'entende de lui que la chanson baragouinée du serveur de restaurant , mais côté charité, c'est lui qui s'accuse d'un vol qu'il n'a pas commis pour épargner une jeune orpheline (perdant son père dans une manif de chômeurs - ça nous parle aujourd'hui encore). J'adore aussi  les scènes de l'usine bien sûr et la nuit squattée dans un supermarché avec des prouesses sur patins à roulettes près d'un précipice qui était un décor imprimé, et puis les musiques aussi composées par Chaplin, quel talent smile

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#81 15-06-2020 18:21

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 306

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Il serait peut-être intéressant ici d'expliciter le sens de ce que l'on met derrière le mot « charité » : quel sens a-t-il, avec et/ou sans majuscule ?

B.

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#82 15-06-2020 19:30

sosryko
Inscription : 2002
Messages : 1 954

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

La Charité de Pascal est l'amour (caritas, agapê) et renvoie aux trois ordres des Pensées.
S., rapidement :)

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#83 15-06-2020 22:35

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 306

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Merci Sosryko. :-)

Pour Blaise Pascal, à travers l'ordre supérieur de la charité, il est donc question ici du cœur, conçu par Pascal plus ou moins comme étant le moyen intuitif d'une révélation intérieure du Dieu chrétien, et la source de connaissances supposées plus fermes que les connaissances de la raison. On emploie décidément bien souvent improprement la formule pascalienne « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », puisque par cette formule, Pascal ne faisait que parler du cœur chrétien tourné vers Dieu et non de la question (plus large selon moi) des pensées et actions perçues comme irrationnelles, notamment en matière d'amour. En tout cas, il est donc bien question ici de foi et non de raison, et il n'est donc question d'amour que dans un sens religieux spécifique (l'amour et la charité ne subsument pas à [ou sous] les conceptions théologiques de ces termes, et on peut bien sûr le voir notamment avec Chaplin). Ce que l'on appelle la Charité avec majuscule serait donc, selon Pascal, l'ordre supérieur permettant de dépasser les contradictions et limites de la condition humaine, dominée par l'illusion quelles que soient les capacités de la raison et quels que soient nos occupations ou « divertissements ». La foi en un Dieu tel que le Dieu personnel de la Bible relève-t-elle, elle aussi, du divertissement tel que conçu par Pascal et relève-t-elle donc aussi de l'illusion ? La question ne se posait, semble-t-il, ni pour Pascal, ni pour Tolkien, mais elle n'en reste pas moins une question largement ouverte : tout dépend du goût que l'on a pour les paris, en fonction de ce que l'on croit connaître...
Tout cela me rappelle notamment ce qui distingue Montaigne de Pascal, ce dernier ayant critiqué l'auteur des Essais tout en s'en inspirant. S'agissant de la grâce (ou Grâce) caractérisant Dieu, les deux penseurs se rejoignent, mais pour ce qui est de quoi faire du temps qui nous est imparti à cette aune, ils diffèrent complètement. Comme a pu le résumer Bertrand Vergely, aux yeux de Pascal, Montaigne est trop humain, mais aux yeux de Montaigne, Pascal serait sans doute apparu comme ne l'étant pas assez.

sosryko a écrit :

(Et une question que je ne m'étais jamais posée : Tolkien connaissait-il Pascal ?)

Tolkien ne connaissait peut-être pas plus Blaise Pascal que Friedrich Nietzsche pour ce que l'on en sait... À noter toutefois que Pascal a pu être lu très tôt en Grande-Bretagne, et dès son vivant même, puisque les Provinciales ont fait l'objet d'une première traduction en anglais parue à Londres, chez Royston, en 1657. Pour ce qui est des Pensées, œuvre posthume, elles ont fait l'objet de traductions publiées aux XIXe et XXe siècles, et il était en tout cas possible de les lire en milieu universitaire du temps de Tolkien, au moins en partie si j'en crois cette édition des presses universitaires de Cambridge parue à partir de 1908, et proposant une sélection de textes traduits par Moritz Kaufmann : https://books.google.fr/books?id=pNbs0g … over&hl=fr
On sait bien sûr que Tolkien pouvait lire le français, mais je ne crois pas qu'un auteur comme Pascal aurait pu lui être connu d'abord autrement que par quelque édition anglophone. Peut-être a-t-il par ailleurs été éventuellement quelque peu initié à la philosophie et à son histoire durant ses études, mais je n'ai jamais vu passer beaucoup d'informations de la part des tolkienologues à propos de ce qu'on lui enseignait exactement à l'époque, toutes disciplines confondues...

En fait, il y a tant d'informations concernant Tolkien que nous ignorons toujours, que ces informations aient été éventuellement négligées par les chercheurs, ou bien ignorées, ou bien encore détruites ou cachées par ailleurs... Quand je lis Tom Shippey déclarant que « a combinaison of circumstances means that we know more about Tolkien than about almost any other author, from any period » (cf. son avant-propos à Tolkien's Library: An Annotated Checklist), je me dis que cela serait bien que quelqu'un se dévoue, un jour, pour modérer quelque peu l'enthousiasme de l'auteur de J.R.R. Tolkien: Author of the Century : non seulement Tolkien ne me parait pas être forcément l'Author du Century, mais je ne crois pas non plus qu'il soit l'auteur dont on connaisse forcément beaucoup plus de choses que l'on en connait s'agissant de « presque n'importe quel autre auteur », toutes périodes confondues ! ^^'

B.

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#84 16-06-2020 08:45

Elendil
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

NB : Pour Shippey, Author of the Century ne signifiait pas « l'auteur du siècle », mais « auteur dans son siècle ». C'est une importante nuance, même si l'ambiguïté était manifestement voulue. Au demeurant, Shippey me semble être un de ceux qui évaluent le mieux l'œuvre de Tolkien et portent sur elle un regard critique affuté par une connaissance intime.

Quant à la connaissance qu'on a de Tolkien, quels sont les auteurs dont on peut reconstituer les occupations quotidiennes presque au jour le jour pendant plus de cinquante ans ? Quels sont les auteurs dont presque tous les brouillons de romans ont été publiés, jusqu'aux moindres notes marginales ? Il n'y en a guère, je pense. Ne manquent à l'appel que les journaux et lettres intimes — ce qui est important, il est vrai. Et pour ce qui est des textes étudiés par Tolkien, J.S. Ryan s'étonnait il y a déjà trente ans que presque personne n'ait l'idée d'aller consulter le syllabus des cours suivis par Tolkien, ce qu'il est pourtant possible de faire. Il est vrai que la remarque reste assez vraie aujourd'hui : il n'y a guère que lui, Phelpstead, Garth, Hammond et Scull à avoir eu cette minutie dans leurs recherches.

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#85 16-06-2020 09:57

Hyarion
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Elendil a écrit :

Pour Shippey, Author of the Century ne signifiait pas « l'auteur du siècle », mais « auteur dans son siècle ». C'est une importante nuance, même si l'ambiguïté était manifestement voulue.

Je suis au courant du sens premier de l'expression « Author of the Century ». Mais quelle était alors la signification de ce titre, sinon ce double sens partiellement assumé ? Shippey a évidemment une connaissance intime de l'œuvre, mais son regard critique n'est pas dépourvu d'un certain parti pris : ce n'est pas un mal, mais de mon point de vue, cela n'en fait pas seulement un spécialiste.

Elendil a écrit :

Quant à la connaissance qu'on a de Tolkien, quels sont les auteurs dont on peut reconstituer les occupations quotidiennes presque au jour le jour pendant plus de cinquante ans ? Quels sont les auteurs dont presque tous les brouillons de romans ont été publiés, jusqu'aux moindres notes marginales ? Il n'y en a guère, je pense.

Mais il y en a sans doute, quoiqu'aucun tolkienologue ne soit semble-t-il capable d'en citer : je ne blâme pas les spécialistes, mais j'aimerai bien que ce type d'affirmation (méliorative) soit un jour davantage étayé. Ceci dit, en dehors de ce qui reste inédit dans les papiers de quelque importance de l'écrivain, je ne sais pas s'il y a in fine de quoi être extrêmement enthousiaste quant à ce dont nous disposons (ou sommes censés disposer), de toute façon... Tolkien me donne aujourd'hui l'impression d'avoir à la fois été étudié à l'extrême, et de rester malgré tout flou à travers l'image que cette étude, pourtant continue et industrieuse, a donné jusqu'ici de lui... Même si les sujets de recherche continuent de ne pas manquer, et que bien des archives restent encore sans doute largement sous-exploitées, peut-être n'y aura-t-il cependant rien d'autre à voir que ce flou, mais ce n'est sans doute pas un mal en soi, car sur la forme, tout ne passe pas par l'écrit, et que sur le fond, la volonté de « maîtrise » n'est pas la meilleure chose qui soit... Et puis après tout, que connaît-on jamais d'un individu, créateur ou non ? Comme pour tout auteur, il restera l'œuvre avant tout, tant qu'elle sera lue.

B.

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#86 16-06-2020 11:59

Elendil
Lieu : Velaux
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Hyarion a écrit :

Je suis au courant du sens premier de l'expression « Author of the Century ». Mais quelle était alors la signification de ce titre, sinon ce double sens partiellement assumé ? Shippey a évidemment une connaissance intime de l'œuvre, mais son regard critique n'est pas dépourvu d'un certain parti pris : ce n'est pas un mal, mais de mon point de vue, cela n'en fait pas seulement un spécialiste.

En même temps, je ne recense guère de spécialistes qui détestent leur sujet d'étude, et les rares exceptions que je connaisse sont loin d'être des modèles de rigueur. Après, bien sûr que Shippey a un certain parti pris, mais au rebours de ce que tu énonces, je considère que tout spécialiste a nécessairement un certain parti-pris, plus ou moins cohérent et plus ou moins rationnel selon les individus. Et dans le cas de figure qui nous intéresse, il ne faut pas non plus oublier que Shippey a un sens de l'humour assez développé et le sens de la provocation. Il me semble assez clair que ses premiers ouvrages étaient au moins autant dirigés vers les spécialistes de la littérature contemporaine, qui, encore récemment, faisaient profession de mépriser Elfes et Hobbits, que vers les amateurs de Tolkien.

Hyarion a écrit :
Elendil a écrit :

Quant à la connaissance qu'on a de Tolkien, quels sont les auteurs dont on peut reconstituer les occupations quotidiennes presque au jour le jour pendant plus de cinquante ans ? Quels sont les auteurs dont presque tous les brouillons de romans ont été publiés, jusqu'aux moindres notes marginales ? Il n'y en a guère, je pense.

Mais il y en a sans doute, quoiqu'aucun tolkienologue ne soit semble-t-il capable d'en citer : je ne blâme pas les spécialistes, mais j'aimerai bien que ce type d'affirmation (méliorative) soit un jour davantage étayé. Ceci dit, en dehors de ce qui reste inédit dans les papiers de quelque importance de l'écrivain, je ne sais pas s'il y a in fine de quoi être extrêmement enthousiaste quant à ce dont nous disposons (ou sommes censés disposer), de toute façon... Tolkien me donne aujourd'hui l'impression d'avoir à la fois été étudié à l'extrême, et de rester malgré tout flou à travers l'image que cette étude, pourtant continue et industrieuse, a donné jusqu'ici de lui... Même si les sujets de recherche continuent de ne pas manquer, et que bien des archives restent encore sans doute largement sous-exploitées, peut-être n'y aura-t-il cependant rien d'autre à voir que ce flou, mais ce n'est sans doute pas un mal en soi, car sur la forme, tout ne passe pas par l'écrit, et que sur le fond, la volonté de « maîtrise » n'est pas la meilleure chose qui soit... Et puis après tout, que connaît-on jamais d'un individu, créateur ou non ? Comme pour tout auteur, il restera l'œuvre avant tout, tant qu'elle sera lue.

Qu'il y en ait, c'est possible, encore que Shippey, qui possède une connaissance bien plus large que moi de la critique littéraire, estime que les exemples comparables soient particulièrement rares. D'après lui, seul Joyce était dans ce cas en littérature anglaise. Cela dit, est-ce une affirmation méliorative ? Pas pour moi. C'est une constatation, voilà tout. A la limite, cela ne m'arrange pas, parce que cela implique une quantité d'autant plus massive d'informations à consulter et à mémoriser avant d'avancer la moindre affirmation supplémentaire. Quant à la question du flou, il faudrait sans doute préciser ce que tu entends par là. Si c'est que l'auteur et son oeuvre sont irréductibles à toute analyse, aussi poussée soit-elle, et ce d'autant plus que l'oeuvre est riche et complexe, j'aurais clairement tendance à être d'accord.

Pour l'enthousiasme, j'aurais tendance à croire que c'est une émotion un peu trop personnelle pour que quiconque se mêle de décréter les cas où il y a lieu de l'éprouver ou non. Après tout, nombre de nos contemporains s'enthousiasment bien de voir une vingtaine de gusses courir pendant une heure trente après un ballon approximativement rond, chose qui m'a toujours laissé froid. D'autres entendent de la musique enthousiasmante là où je ne perçois qu'une cacophonie aussi tonitruante que désagréable. Qui suis-je pour affirmer qu'ils auraient absolument tort et moi raison ? Que chacun suive le chemin qu'il s'est fixé (ou qu'il croit s'être fixé, selon l'idée qu'on se fait du libre-arbitre), cela me suffit.

E.

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#87 16-06-2020 23:30

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 017

Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Je viens de relire ce fuseau parfois bavard et les petites joutes d'autrefois qui m'ont amusé a posteriori.  Je crois qu'avec l'âge nous avons plus de sagesse aujourd'hui.
La notion de Charité avec ou sans majuscule - chez un catholique comme Tolkien - me fait surtout penser aux actes / œuvres de la Miséricorde selon St-Mathieu (donner à manger aux affamés ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les pèlerins ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts). La Bonté, en somme, c'est aussi un joli mot.
Il me semble qu'il était plus inspiré par cela que par Pascal.  smile
et c'est un mécréant qui vous dit ça.
S.

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#88 16-06-2020 23:53

sosryko
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Complément : Les sources et le tableau auquel Silmo pense sans le dire, mais il le pense si fort, et moi avec lui ;-)

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#89 16-06-2020 23:59

Silmo
Inscription : 2002
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Oui Sosryko, à tout voyage à Naples, j'allais et j'irai toujours voir ce tableau chaque matin au réveil. smile
et pour les sources, j'ai eu la paresse de copier/coller mais le ferment me semblait là avant tout pour un fervent comme JRRT.  smile

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#90 18-06-2020 00:37

Hyarion
Inscription : 2004
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Elendil a écrit :

En même temps, je ne recense guère de spécialistes qui détestent leur sujet d'étude, et les rares exceptions que je connaisse sont loin d'être des modèles de rigueur.

Qui parle de détestation ? L'attachement pour un sujet a aussi ses excès, tout simplement. :-) Et ce n'est probablement pas la première fois que j'affirmerai ici que Tolkien n'a pas (ou plus) vraiment besoin qu'on le défende contre ceux qui méprisent son œuvre (vu l'état actuel du processus de légitimation en cours, cela ressemble de plus en plus à un combat d'arrière-garde, même si j'en ai encore trouvé des traces à l'occasion de l'exposition de la BNF, laquelle est pourtant le symbole même de cette reconnaissance tant désirée par les fans et spécialistes).

Elendil a écrit :

Et dans le cas de figure qui nous intéresse, il ne faut pas non plus oublier que Shippey a un sens de l'humour assez développé et le sens de la provocation.

C'est sans doute parce qu'il est, effectivement, volontiers provocateur qu'il mériterait bien que, de temps en temps, un miroir lui soit tendu, comme à tout un chacun, évidemment en toute cordialité et avec tout le respect dû à son travail. Critiquer les spécialistes de la littérature contemporaine lui tient (ou lui a souvent tenu) à cœur, mais sa défense de Tolkien face à eux doit être aussi prise pour ce qu'elle est, sans la faire relever par nature de l'argument d'autorité. Les faits sont les faits, mais les hommes sont aussi des hommes, et il ne faut pas non plus oublier, à cette aune, le positionnement des tolkienologues universitaires, plus ou moins intermédiaires entre l'Université et ce que j'appelle le fanariat, positionnement qui peut, à des degrés divers, se refléter dans les discours et leur degré, variable, de parti pris. Encore une fois, ce n'est pas un mal, mais personnellement il me semble utile d'en tenir compte.

Elendil a écrit :

Qu'il y en ait, c'est possible, encore que Shippey, qui possède une connaissance bien plus large que moi de la critique littéraire, estime que les exemples comparables soient particulièrement rares. D'après lui, seul Joyce était dans ce cas en littérature anglaise. Cela dit, est-ce une affirmation méliorative ? Pas pour moi. C'est une constatation, voilà tout.

Oui, les faits, toujours les faits. ;-) Encore une fois, avant d'énoncer des choses qui, qu'on le veuille ou non, ont une dimension méliorative (chez Shippey, il est quand même difficile de le nier : il entend souvent défendre Tolkien autant qu'il l'étudie, du moins dans des ouvrages comme celui précédemment mentionné, et qui n'est certes plus très récent), j'aimerai simplement que l'on étaye davantage quand cela le mérite. Tu parles de James Joyce. Très bien, voila déjà un exemple (le seul dont Shippey parle assez régulièrement). Tu parles de constatation. Eh bien, que l'on constate alors, et avec des faits, et donc sans se contenter de garder la tête dans le guidon tolkienien, si j'ose dire, a fortiori quand on fait allusion à d'autres écrivains.
Note bien que Shippey me parait tout-à-fait capable de le faire, y compris sur un terrain tel que celui de la fantasy, puisqu'il a édité une anthologie dédiée au genre il y a déjà plus d'un quart de siècle (avec notamment une nouvelle de Robert E. Howard à l'intérieur, bien choisie qui plus est, mais ce qui rend d'autant plus regrettable le fait que son point de vue sur cet écrivain et son œuvre soit apparemment si imprégné de clichés, si j'en crois ce qu'il en dit dans l'avant-propos de 2019 [à Tolkien's Library d'O. Cilli] dont j'ai parlé plus haut, et dans lequel il semble par ailleurs s'étonner que Tolkien ait pu lire des auteurs comme Howard et qu'il ait pu trouver un intérêt à la lecture des histoires de Conan [ou au moins d'une d'entre elles] : personnellement, je suis a priori moins enclin à être étonné que lui sur ce point, même si cela n'est qu'assez anecdotique en soi. C'est en tout cas par ce genre de détails, au fil de mes lectures, que je peux percevoir les limites du regard spécialiste sur Tolkien, sachant bien cependant, de toute façon, que ces limites sont naturellement inévitables, comme pour toute spécialité, ce pourquoi je ne blâme évidemment personne, puisqu'il est là question uniquement d'esprit critique).

À noter, par ailleurs, qu'avoir une bonne connaissance d'un auteur ne dépend pas forcément en soi d'une énorme quantité de données collectées : encore faut-il que ces données racontent quelque-chose sur l'auteur, ce qui n'est pas toujours véritablement le cas (qu'il s'agisse par exemple, dans le cas spécifique de Tolkien, de papiers linguistiques d'un intérêt purement technique pour les spécialistes, ou qu'il s'agisse plus prosaïquement des notes d'épicier de n'importe quel écrivain ayant lui-même fait ses courses).

Elendil a écrit :

Pour l'enthousiasme, j'aurais tendance à croire que c'est une émotion un peu trop personnelle pour que quiconque se mêle de décréter les cas où il y a lieu de l'éprouver ou non. Après tout, nombre de nos contemporains s'enthousiasment bien de voir une vingtaine de gusses courir pendant une heure trente après un ballon approximativement rond, chose qui m'a toujours laissé froid. D'autres entendent de la musique enthousiasmante là où je ne perçois qu'une cacophonie aussi tonitruante que désagréable. Qui suis-je pour affirmer qu'ils auraient absolument tort et moi raison ? Que chacun suive le chemin qu'il s'est fixé (ou qu'il croit s'être fixé, selon l'idée qu'on se fait du libre-arbitre), cela me suffit.

Je suis désolé de sans doute t'enquiquiner avec mes remarques, mais au pire, personne ne t'oblige à accorder de l'importance à ce que je dis. ^^ « À chacun son trip, et que chacun se mêle plus ou moins de ses affaires », pourrait-on, à cette aune, avoir l'impression de lire en creux dans ta dernière phrase à vocation conclusive, mais bon, peu importe. ;-) Pour ma part, je ne cherche pas à avoir raison... et qui parle de décréter quoi que ce soit ? Chacun s'enthousiasme pour ce qu'il veut, Elendil, et je ne reproche pas aux spécialistes leur tolkienophilie. Ce qui me pose un peu problème, simplement, c'est lorsque cet enthousiasme, personnel, imprègne l'évocation de faits au point d'aboutir à un discours un peu trop mélioratif sans être pour autant toujours très étayé vis-à-vis du public. La limite peut être subtile, certes, mais disons que j'ai suffisamment lu un certain nombre de tolkienologues pour y être assez sensible, au fil des années. Peut-être que le problème ne se pose pas pour le fan inconditionnel, qu'il soit ou non chercheur par ailleurs. Personnellement, l'esprit critique m'amène parfois à faire ce genre d'observation, mais il est certes bien sûr naturellement permis de ne pas s'en soucier davantage que de sa première couche Pampers.

Elendil a écrit :

Quant à la question du flou, il faudrait sans doute préciser ce que tu entends par là. Si c'est que l'auteur et son oeuvre sont irréductibles à toute analyse, aussi poussée soit-elle, et ce d'autant plus que l'oeuvre est riche et complexe, j'aurais clairement tendance à être d'accord.

J'ai dit que Tolkien me donnait l'impression d'avoir à la fois été étudié à l'extrême, et de rester malgré tout flou à travers l'image que cette étude a donné de lui jusqu'à maintenant. De mon point de vue, cela tend à être à la fois un bien et un mal. Un bien dans le sens que tu indiques, à savoir que, bien heureusement, aucun auteur ni aucune œuvre ne sont réductibles à l'analyse. Un mal dans le sens du constat que j'ai déjà fait en ces lieux par le passé, celui d'une œuvre de plus en plus recouverte des cendres que peut tendre à constituer le commentaire, et aussi paradoxalement dans le sens du constat d'un auteur à propos duquel, au fond, on ne sait que ce que l'on a bien voulu nous donner à voir pendant des décennies (le paradoxe redoublant ici du fait de la quantité de documents dont nous sommes pourtant censés disposer).
Voila donc là un peu tout ce qui me donne aujourd'hui cette impression de flou, assez générale, avec d'un côté une œuvre éclipsée voire noyée dans le commentaire et l'érudition (je reprends ici des métaphores de George Steiner déjà évoquées ailleurs), et d'un autre côté, le portrait d'un auteur qui en l'état ne me parait pas, les années passant, aussi ressemblant qu'il pourrait peut-être l'être, même s'il ne reste quantitativement que peu d'éléments encore restés cachés... Mais bon, sur ce dernier point, peut-être qu'il n'y a que cela à voir, après tout, et comme je l'ai dit plus haut, que connaît-on jamais d'un individu ? Pour ce qui est de l'œuvre et des commentaires dont elle est recouverte, c'est un autre problème, sachant que dans ce cas-là particulier, je crains finalement surtout de perdre, sous les couches de commentaire, la magie des origines, fut-elle au départ, une autre forme de flou, celui plus positivement impressionniste des débuts (combien de fois ai-je entendu des fans de Tolkien dire qu'ils enviaient les joies de la découverte tolkienienne chez les lecteurs néophytes ?).

Silmo a écrit :

La notion de Charité avec ou sans majuscule - chez un catholique comme Tolkien - me fait surtout penser aux actes / œuvres de la Miséricorde selon St-Mathieu (donner à manger aux affamés ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les pèlerins ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts). La Bonté, en somme, c'est aussi un joli mot.
Il me semble qu'il était plus inspiré par cela que par Pascal.  :)
et c'est un mécréant qui vous dit ça.

Je précise, cher Silmo, que j'ai souhaité répondre à Sosryko concernant Blaise Pascal parce qu'il m'a lui-même répondu en évoquant la conception proprement pascalienne de la Charité, mais sans penser moi-même qu'il y aurait beaucoup à creuser de ce côté-là (pascalien). L'avantage du paradigme chrétien, c'est qu'il peut permettre toutes les investigations et suppositions congrues, en partant simplement du principe que Tolkien était un chrétien de stricte observance et plus précisément un fervent catholique. Or, pour ce qui nous occupe, oui, la Charité peut se borner ici à être appréhendée à l'aune des sept œuvres de miséricorde corporelles et de ce qu'en donne notamment à voir la peinture du maître Caravage conservée au Pio Monte della Misericordia de Naples, ainsi que toi et Sosryko le suggérez à juste titre. Mais ce n'est pas moi qui ait commencé avec Pascal ! ;-)

Pour mémoire, je le mentionne rapidement au passage, Jean Jaurès parle aussi notamment de charité, en lien avec la raison et notre fond humain, dans un Cours de philosophie dont j'ai parlé ailleurs le mois dernier : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 712#p88712

Silmo a écrit :

Je crois qu'avec l'âge nous avons plus de sagesse aujourd'hui.

Certes, le temps passe, notre raisonnement ainsi que notre jugement sont censés s'être affinés avec l'âge, et nous nous prenons un peu moins la tête avec des choses qui n'en valent pas la peine. Mais n'oublions pas, cependant, que le piège du jeune-conisme a toujours son pendant : le piège du vieux-conisme ! ;-p

Amicalement,

B.

P.S. : désolé pour la longue digression, concernant plus ou moins Shippey et quelque peu unexpected me concernant... ^^'

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#91 18-06-2020 10:11

Silmo
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Mon bon Hyarion, tu m'obliges là à une autre digression pour citer Brassens "Le Temps ne fait rien à l'affaire, ..."
https://www.youtube.com/watch?v=zMALuEYxK6U
de la part d'un vieux con des neiges d'antan
smile  smile  smile
S.

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#92 07-07-2020 23:42

Yyr
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Belle suite, les amis, bravo !
Du coup, vous m'avez motivé pour achever le reprisage du fuseau dans son intégralité ;). J'ai même réussi à récupérer d'anciens liens.

Silmo a écrit :

Je viens de relire ce fuseau parfois bavard et les petites joutes d'autrefois qui m'ont amusé a posteriori.  Je crois qu'avec l'âge nous avons plus de sagesse aujourd'hui.

Arf, content que tu le prennes comme ça François. Pour ma part je regrette de n'avoir pas compris assez vite qu'il me fallait accepter d'être en désaccord, même à ce point, même avec toi ou Stéphanie ;)

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#93 10-12-2020 15:01

Yyr
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

La traduction récente de certaines interviews de J.R.R. Tolkien est l'occasion de verser au dossier un passage de la dernière d'entre elle. En cet endroit, Tolkien prend un peu de contre-pied son interlocuteur, qui cherchait visiblement à le cataloguer comme anti-moderne : Tolkien coupe court, en insistant pour distinguer entre ses aversions, « personnelles », et son jugement. Ce dernier est très intéressant. Il n'a « aucune objection » à tel élément de la modernité « en tant que tel ». Cela dépend ... de leur taille ... et de leur nombre.

Ainsi des usines :

Elles pourraient être meilleures qu'elles ne sont. Cela dépend de ce que vous entendez par usine, je veux dire, une usine peut être une très grosse (big), très grande ou une très petite chose.

« “Tolkien in Oxford” (BBC, 1968) : une reconstruction », in l'Arc & le Heaume HS n°2, p.84

Et des automobiles :

Il y a en a trop, oui, oui, pas mal. Mais le mal de toutes choses doit être jugé sur la table de multiplication, parce que la table de multiplication rend à peu près tout mauvais. [...]

[Cf. cette brève remarque dans l'interview précédente : « la pression des nombres rend tout plus grand » (p.44).]

En rendant les automobiles de plus en plus nombreuses, de moins en moins chères, le véritable utilisateur d'automobiles n’est plus capable de faire les choses pour lesquelles les automobiles sont faites. Toutes les publicités pour les automobiles continuent, dans l’ensemble, d’attiser le désir qu’ont la plupart de gens de s'échapper, et vous voyez un moteur et un panier de pique-nique sur la rive d’un ruisseau sans entraves. Mais de nos jours, avant que vous puissiez atteindre les ruisseaux, les constructeurs de routes de l’Etat ont fracassé le ruisseau et abattu les arbres pour que vous puissiez y venir. J'aurais pensé que ce sont les constructeurs de routes plus que les automobiles que je déteste, ils sont vraiment impitoyables et stupides.

Ibid.

On retrouve là la distinction :
- entre machine et Machine (Tolkien) ;
- entre technique et Technique ou système technicien (Ellul).
Et aussi :
- le titre et le développement de deux des récents et magistraux ouvrages d'Olivier Rey : Une question de taille (Stock, 2014), et : Quand le monde s'est fait nombre (Stock, 2016).

Cet angle de traitement rappelle un auteur qui, je crois, n'a pas été cité ici, le discret Leopold Kohr, dont la thèse centrale, très tolkienienne pour le coup, est ainsi résumée :

Il semble qu'il n'y ait qu'une seule cause derrière toutes les formes de misère sociale : la taille escessive (bigness). [...]
La taille excessive apparaît comme le seul et unique problème imprégnant toute la création. Partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros. (*)

Kohr, The breakdown of Nations (1957), cité et traduit par O. Rey, Une question de taille, p.85

Au temps pour moi donc, qui avais prétendu que la question de la taille et des seuils n'était pas vraiment celle de Tolkien (ou d'Ellul : double erreur mon cher Yyr ! ;)).

(*) Olivier Rey commente :

Une proposition de ce genre, on le voit, est immédiatement compréhensible à quiconque a atteint l'âge de raison. Ce qui, paradoxalement, a nui à sa réception : on n'aime guère que des questions complexes aient une réponse simple. Non seulement notre goût pour la complication se trouve frustré mais, surtout, il serait difficile de prendre au sérieux le principe de Kohr sans en tirer des conséquences pratiques. Or, critiquer le monde tel qu'il va est une chose, être disposé à rompre avec les processus d'accroissement à l'œuvre depuis plusieurs siècles en est une autre.

O. Rey, Une question de taille, pp.85-86

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#94 10-12-2020 23:04

sosryko
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

A noter que le livre de Leopold Kohr a été récemment publié en France sous le titre L'Effondrement des puissances (R&N, 2018). La citation de Yyr se trouve dans l'introduction, p. 25.
S.

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#95 10-12-2020 23:21

Yyr
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Merci Sosryko :)

Et je rajoute, car j'avais oublié tout à l'heure, un autre passage, plus loin, de la même interview :

Eh bien, on regrette et pleure diverses choses. Je peux regretter de devenir vieux et je pleure le fait particulier d'être né dans un pays qui s’est développé et a changé très rapidement [...]. Je suis assez sensé pour réaliser qu'une bonne partie de cela est essentielle en tout cas ; ce n'est pas spécifique à notre époque. C’est seulement que la table de multiplication est entrée en jeu désormais. [...]

« “Tolkien in Oxford” (BBC, 1968) : une reconstruction », in l'Arc & le Heaume HS n°2, p.95

Ce qui, à la taille et au nombre, ajoute ici la vitesse.

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#96 23-12-2020 00:19

Yyr
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Re : La Machine ou la nécessité de raser le monde réel

Je mentionne en passant la figure de « l'immortel » Maurice Genevoix (à l'occasion du récent transfert de ses cendres au Panthéon).

Je ne le connaissais que de nom et ne l'ai pas lu, mais les articles parus à cette occasion (cf. entre autres Famille Chrétienne, n°2235) n'ont pas manqué de me faire relever de nombreux points communs avec Tolkien :

  • dévasté par la mort de sa mère (il avait 13 ans) qui compta beaucoup pour lui, elle qui, « peu à peu, patiemment, [l]'a délivré de la sécheresse du cœur » (M. Genevoix) ;

  • écrivain à la vocation née dans la boue de la Grande Guerre, ayant fait l'expérience incommunicable de son horreur et de la mort ;

  • pour ensuite célébrer et transmettre « la chaleur et la permanence de la vie » (M. Genevoix) dans une « langue où on ne voit jamais l'envers, jamais. Tout est tissé si fin, si serré, que même les mots compliqués, perdus ou trop précieux, deviennent lumineux, parce que le sens est là, évident » (A-M. Royer Pantin, spécialiste du poète) ;

  • dans un monde où « l'homme se mécanise et se détache de sa souche » (M. Genevoix), il « possédait une “empathie”  hors du commun pour chaque être vivant [:] il s'agissait de “penser” comme un arbre [...] Il a beaucoup parlé du “regard” des bêtes [...] Ce qui l'intéresse, c'est la vie, mais la vie qui nous déborde [: l']“étoffe du vivant” » (J. Tassin, admirateur de Genevoix, spécialiste des questions écologiques, qui qualifie encore l'écologie de Maurice Genevoix d'« écologie de la joie ») ;

  • catholique, il voulait « célébrer Dieu par sa Création » (M. Genevoix), dans une « relation [...] faite d'harmonie et de respect » (J. Larère, son petit-fils) ; pour lui, le consentement à la mort serait sans doute la condition d’une vie accomplie, et l'on peut déceler dans son œuvre « une discrète sagesse chrétienne, sans l’air d’y toucher, remplie d’une espérance tissée dans l’odeur et la couleur des jours, des saisons, des choses qui reviennent » (A-M. Royer Pantin).

Quelques citations suivent infra. Certaines m'ont fait penser à ce que Tolkien partageait à Christopher pendant la Seconde Guerre Mondiale, quand l'un et l'autre échangeaient leurs observations des bouvreuils, des chardonnerets ou encore des martinets qui « touchent au cœur des choses » (Lettres n°75 pp.130-131). Il paraît que « quand Genevoix saturait intellectuellement, il se ressourçait par un simple regard à travers la fenêtre pour regarder le vol d’un martinet ou les feuilles d’un marronnier » (J. Tassin).

 
Le plus brillant des oiseaux de la forêt jaillit, flèche d'or du merisier sauvage. C'est le plus verni des loriots, le plus fier de ses ailes écarlates, le plus gourmand de baies juteuses, le plus joyeux. (Forêt voisine, 1933)

Croyez-moi, je plains de tout mon cœur les enfants qui n'ont pas eu la bonne fortune de voir un maître-artisan travailler. C'est merveilleux. Grâce à l'Asile, puis à la Communale, mon frère et moi avions nos entrées partout. Nous savions ce que c'était que forger un soc de charrue, cercler une roue, cuire une fournée, jabler un fût, assembler en queue d'aronde. Je voyais là une sorte de magie. (Au cadran de mon clocher, 1960)

Je ne peux pas, je ne veux pas me résigner à croire qu'en cet été 1914, dans la lumière du jour radieux où le clocher de mon enfance tremblait aux battements du tocsin, une civilisation mourait toute, basculait d'un bloc et sombrait, s'abîmant corps et biens, corps et âme, dans un brusque et sanglant remous, effacée de dessous le ciel et dorénavant abolie comme si elle n'eût jamais été. (Ibid.)

C'est mon ami [un rouge-gorge]. Chaque hiver, il revient dans notre jardin des Vernelles. Il sait la marche de l'escalier où l'attendent l'épi de mil, la croûte de pain trempée de lait, la brique du mur bas où la neige est toujours balayée. Sa petite voix “gouttèle” à mon approche. Il gonfle son jabot, tout rond, et tend vers moi son plastron rouge. (Bestiaire sans oubli, 1971)

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