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#1 29-01-2018 19:33

ISENGAR
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Tolkien et les sciences

Voici l'accroche de la conférence Tolkien, the Lord of Sciences du mardi 13 février à 20 h 30 à Chartres.

Peut-on modéliser le climat en Terre du Milieu ? Les Wargs sont-ils des canidés domestiqués par les Orcs ? Pourquoi les Hobbits ont-ils de gros pieds poilus ? Plongez dans le monde fabuleux de Tolkien pour faire des sciences en compagnie d'un digne représentant de la guilde des conférenciers vulgarisateurs : une véritable enquête scientifique en Terre du Milieu !

Le conférencier est Jean-Sébastien Steyer, chercheur au CNRS et paléontologue au Centre de recherche paléobiodiversité et paléoenvironnements au Muséum National d’Histoire naturelle de Paris.

Je vous ferai un retour, car je serai bien présent à cette présentation.

I.

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#2 29-01-2018 20:14

Hyarion
Inscription : 2004
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Re : Tolkien et les sciences

ISENGAR a écrit :

Je vous ferai un retour, car je serai bien présent à cette présentation.

Merci d'avance, JR.

Je suis curieux notamment de savoir ce qui sera dit concernant les gros pieds poilus des Hobbits. ^^

Amicalement,

Hyarion.

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#3 12-02-2018 20:45

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
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Re : Tolkien et les sciences

Le conférence a lieu demain.
Je suis bien enrhumé mais je tiendrai le coup smile

Je note cependant que l'imagerie qui accompagne la com' autour de cette conférence est d’obédience très... jacksonienne. J'espère que ce n'est qu'une faute de goût et que ça n'augure pas quelque chose de décevant.

Réponse demain soir (et compte-rendu détaillé, dès que possible)

I.

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#4 13-02-2018 09:29

Zelphalya
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Re : Tolkien et les sciences

C'est surement juste de la stratégie marketing smile

Pourras-tu demander s'il y a une captation vidéo ou audio qui sera diffusée ultérieurement ?
Merci d'avance smile

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#5 13-02-2018 22:48

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
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Re : Tolkien et les sciences

Hello,

juste pour dire que la conférence s'est bien déroulée, mais que je suis vraiment trop à plat pour faire un compte-rendu ce soir.
Bonne surprise, la présentation a été filmée alors que ce n'étais pas prévu au départ.

A très vite !

I.
Au dodo !

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#6 18-02-2018 22:21

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
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Re : Tolkien et les sciences

Merci jean, la mise à jour est faite smile

Comme promis, voici un petit retour sur la conférence de mardi soir.

Malgré la neige et le verglas, toujours bien présents ce soir là à Chartres, Jean-Sébastien Steyer est venu de Paris pour présenter "Tolkien, the Lord of the Science".
Il y avait une trentaine de personnes, quelques jeunes (12-13 ans) et leurs parents, des étudiants du site, et quelques seniors habitués qui ne ratent aucune des séances des mardis de la science, quelles que soient les conditions climatiques.
Pour ma part, je suis venu avec un très gros rhume, un paquet de mouchoirs, et la fatigue d'une journée difficile.

Une des spécialités de Steyer, c'est la paléontologie. Et l'univers "étendu" de Tolkien était le prétexte assumé, ce soir là, à des errances paléontologiques très intéressantes, adossées à l'idée que la fiction tolkienienne est si complète qu'elle permettrait une analyse avec les outils scientifiques actuels.
Je précise "univers étendu", car Steyer s'est très largement appuyé sur une imagerie provenant des films de Jackson, pour illustrer son propos.

La démarche était louable : Steyer évoque un épisode du Seigneur des Anneaux ou du Hobbit, l'illustre par un texte du roman ou éventuellement par un dessin de Tolkien (s'il en a un sous la main), puis compare avec une vignette tirée des adaptations. Il explore en suite du côté des sciences en général et de la paléontologie en particulier pour vérifier l'adéquation entre fantasy et réalité.

Par exemple, les dragons. Présentation du célèbre dessin de Smaug par Tolkien, puis une photo tirée du HobbitTM. Critique de la physionomie démesurée donnée au Dragon par Peter Jackson. Puis une échappée vers le mythe des dragons en Occident et en Chine, et une réflexion sur la jonction entre mythologie et paléontologie.
Autre exemple, le Gardien de la Moria. Lecture d'un extrait du Seigneur des Anneaux et dessins de Tolkien (porte de la Moria) et capture d'écran du film (la scène des tentacules). Topo sur la Porte de Durin, les caractère elfiques utilisés, puis passage en revue des possibilités de ce qu'aurait pu être le Gardien, en comparant avec différents céphalopodes ou à des variétés de méduses géantes, et en éliminant les candidats les uns après les autres en fonction du nombre de tentacules.

Comme prévu, cher Hyarion, il a bien été question des poils sur les pieds des Hobbits, avec une comparaison entre le dessin par Tolkien de Bilbo dans son smial, et une photo des pieds énormes des Hobbits jacksoniens. Conclusion : l'adaptation exagérerait la pilosité des pieds chez les Hobbits. Je laisserai les spécialistes débattre de la question dans un autre fuseau... Quoiqu'il en soit on en est venu à évoquer les Naines barbues et à conclure que les Nains développent naturellement plus de testostérone que les Hobbits.

Mais l'exercice a ses limites : pour les Wargs, après la lecture du passage correspondant dans le Hobbit puis la photo du film, Steyer montre une autre photo tirée du Seigneur des AnneauxTM. Il compare les deux physionomie jacksoniennes et s'égare dans une comparaison entre le pseudo-warg jacksonien monté par Azog, qui aurait tout d'un grand canis lupus femelle, et un autre pseudo-warg jacksonien monté par les chevaucheurs de loup dans Les Deux ToursTM, qui lui ressemblerait plutôt au genre Hyaenidae. Partant de là, Steyer développe un point de plus de 10 minutes sur les divergences évolutives, sur la domestication à des fins guerrières et termine sur une acrobatie etymologique, présentant le mot "warg", comme étant une contraction de "war-dog"... Tout cela était certainement très intéressant, mais partir d'un fait jacksonien très éloigné de la réalité tolkienienne, l'a finalement conduit nulle part.
Et le spectateur a retenu que le Warg est une sorte de grosse Hyène qui sert de monture aux gobelins...

Par ailleurs, à plusieurs reprises, j'ai noté que la maîtrise de l'univers de Tolkien par Steyer est relative. Il y a eu beaucoup d'erreurs et d'approximations. C'est sans gravité, bien évidemment, et je ne lui en fais pas le reproche, d'autant qu'il a reconnu ne pas être spécialiste de Tolkien, lors de l'échange avec le public. Mais la répétition des "à-peu-près" a fini par m'agacer.

A la fin de sa présentation, Steyer a évoqué un ouvrage en cours, dont il semble être l'un des coordonnateurs, qui réunit des scientifiques de diverses origines disciplinaires. Le sujet de l'ouvrage est celui de la conférence du jour : évoquer Tolkien sous l'angle des sciences d'aujourd'hui, et faire de l'histoire naturelle à partir du merveilleux.
Il a également évoqué le Dictionnaire Tolkien, et l'association Tolkiendil avec laquelle il a des contacts.

Il n'y a pas eu beaucoup de questions. Un spectateur passionné par une certaine vision de Tolkien a monopolisé les échanges avec le public en avançant des théories fumeuses sur les manipulation génétiques de Saruman, ou sur l'origine extraterrestre du métal dans lequel Sauron a forgé l'Anneau, ce genre de chose. Steyer est resté très poli, mais du coup, le reste du public s'est retrouvé un peu largué.
Je suis à peine intervenu pour ma part, ayant une voix très abîmée et n'ayant à la fin, qu'une envie : aller me coucher smile
Je suis tout de même allé saluer Steyer, très sympathique, ainsi que le staff de centre-sciences, qui organisait la soirée.

La séance a été filmée exceptionnellement.
A priori, il faut l'attendre sur la page Facebook de Centre-Sciences. Mais rien à l'horizon pour le moment.

Bonne soirée

I.

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#7 18-02-2018 22:58

Hyarion
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Re : Tolkien et les sciences

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette "idée que la fiction tolkienienne est si complète qu'elle permettrait une analyse avec les outils scientifiques actuels", mais on verra bien ce que donnera l'ouvrage collectif en cours dont Steyer a parlé à la fin de son intervention, et dont on avait eu des échos ici ou là, il y a déjà quelques années me semble-t-il (sauf erreur de ma part, je crois qu'EJK était dans la boucle...)...

Merci beaucoup, cher JR, pour ce compte-rendu, en tout cas... et soigne-toi bien (moi aussi, en cet hiver particulièrement pluvieux et humide, j'ai encore attrapé un rhume...). ^^

Amicalement,

Hyarion.

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#8 19-02-2018 11:18

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Merci Isengar :)

Bien d'accord avec Hyarion, au passage.

À entendre le témoignage personnel d'Isengar, je me dis que je tiens la preuve que l'adage ancien est faux : « une pomme chaque matin éloigne le médecin ... à condition de bien viser ». Les hobbits étant réputés pour leur adresse en la matière ... :)

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#9 19-02-2018 17:29

Druss
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Re : Tolkien et les sciences

ISENGAR a écrit :

A la fin de sa présentation, Steyer a évoqué un ouvrage en cours, dont il semble être l'un des coordonnateurs, qui réunit des scientifiques de diverses origines disciplinaires. Le sujet de l'ouvrage est celui de la conférence du jour : évoquer Tolkien sous l'angle des sciences d'aujourd'hui, et faire de l'histoire naturelle à partir du merveilleux.
Il a également évoqué le Dictionnaire Tolkien, et l'association Tolkiendil avec laquelle il a des contacts.

Je confirme qu'on est quelques noms tolkieniens à participer à l'ouvrage... j'avais espéré qu'il dévoile une date de sortie d'ailleurs.

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#10 20-02-2018 13:02

jean
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Re : Tolkien et les sciences

Pas directement en lien avec cette conférence, mais tout de même en rapport avec le thème, j'avais lu il y a maintenant plus de 10 ans un petit livre de Henry Cee intitulé «the science of middle earth». Assez intéressant. Cette référence à t elle été donnée?

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#11 20-02-2018 21:07

ISENGAR
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Re : Tolkien et les sciences

Non, J.S. Steyer a été assez peu prolixe en ce qui concerne la bibliographie.

I.

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#12 21-02-2018 16:02

Elendil
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Re : Tolkien et les sciences

À ma connaissance, EJK n'est pas (ou plus) dans la boucle du livre dirigé par Steyer.

Sinon, l'auteur du livre The Science of Middle-earth se nomme Henry Gee. Je ne saurais en dire plus, n'ayant pas ce livre dans ma bibliothèque.

Amicalement,
E.

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#13 17-11-2019 20:14

Tharkun
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Re : Tolkien et les sciences

Roland Lehoucq, astrophysicien au CNRS, est connu pour ses livres et ses conférences démêlant le vrai du faux ou plutôt le possible du rêve dans les livres et films de science-fiction, cosigne chez Belin Tolkien et les sciences.
Je ne l'ai ni lu ni même parcouru.

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#14 17-11-2019 20:19

sosryko
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Re : Tolkien et les sciences

Merci Tarkhun pour l'information. On trouvera une présentation et critique détaillée sur Tolkiendil. D'après cette critique, plusieurs tolkiendili connus de ces lieux fournissent parmi les meilleurs chapitres de l'ouvrage.
S.

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#15 17-11-2019 21:45

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Merci Tharkun & Sosryko ... et à Quentin Feltgen également pour sa bonne revue.

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#16 27-11-2019 18:02

Hyarion
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Re : Tolkien et les sciences

J'ai pris connaissance de cet ouvrage à sa sortie le mois dernier. Il y aurait, sans surprise, beaucoup de choses à dire à propos du bon, du moins bon, et du pas-bon-du-tout que contient cet ouvrage, au contenu quelque peu hétéroclite, mais je crois que Quentin a exprimé l'essentiel dans sa critique sur Tolkiendil.

Je note simplement ici, en passant et sans vouloir déclencher un "gros débat" (j'ai assez donné ces derniers mois...), que l'article de Michaël Devaux ("Défense et illustration de la philosophie chez Tolkien") reflète le caractère particulier semble-t-il propre aux séances du cours qu'il a donné au public du Collège des Bernardins en 2016 : ce qu'il dit de la philosophie de Nietzsche, notamment, sous couvert de parler des idées de Hugh l'Anson Fausset et de J. R. R. Tolkien lui-même, me parait à vrai dire bien rapide et fort discutable, même de mon point de vue qui n'est pas celui d'un athée ou d'un spécialiste de Nietzsche par ailleurs, et laisse en tout cas penser que l'auteur exprime aussi volontiers à cette occasion sa propre opinion (chrétienne) sur Nietzsche (entre autres) face à un public sans doute conquis d'avance (du moins dans sa plus large part, je suppose)...
Il faudra peut-être un jour que l'on m'explique en quoi un point de vue chrétien est particulièrement pertinent pour juger du degré d'"athéisme" de la pensée de Nietzsche dans le cadre d'une argumentation philosophique, car la question me parait en tout cas plus complexe que l'on ne le pense parfois... comme tant d'autres questions. En ce qui concerne le message de Socrate, par exemple, je me souviens que Yyr m'a dit comment il comprenait ce message, qu'il considère comme complété en quelque sorte par l'Evangile, alors que pour ma part je considère que Socrate, avant tout, n'était pas un ami de la "pensée arrivée", et qu'il était donc d'abord un stimulateur (précieux) de la pensée, bien plus qu'un annonciateur d'une "Vérité". S'agissant de Nietzsche, réduire sa pensée à un objet de critique chrétienne de l'"athéisme" ne me parait pas juste, en cela que ladite réduction ne fait que refléter a minima une simple "défense" du christianisme face à la critique - certes ô combien virulente - de Nietzsche à l'égard de cette option religieuse. Il est toujours un peu dommage, de mon point de vue, que l'on doive compter avec cela à chaque fois que l'on parle de Tolkien, sous prétexte de tenir compte - sinon carrément d'épouser - son point de vue catholique sur le monde, l'humanité et l'histoire des idées. Mais bon, c'est ainsi, et sur les chemins de la pensée, je conçois bien qu'il en faut pour tous les goûts...
Ceci étant dit, le propos de Michaël Devaux est, comme d'habitude, tout-à-fait solide, notamment en matière de documentation et d'analyse "pure". Sa conclusion est intéressante : il dit qu'en raison de son approche de la philosophie comme un tout (science comprise), Tolkien a une approche philosophique plus proche d'un certain encyclopédisme que d'un rapport bien marqué à la vérité, et je suis assez d'accord (en gardant toutefois à l'esprit que pour Tolkien, il y a bien de toute façon un certain rapport à la "Vérité", mais dans un sens religieux, même s'il parlait parfois seulement d'une "hypothèse" voire d'un "Espoir sans certitudes" à ce propos). Mais il (Michaël) poursuit en écrivant :

Néanmoins la cohérence interne à chaque thèse d'une bonne philosophie n'engage pas au-delà d'une série d'intuitions de l'univers sans qu'un système soit requis. Après tout, cela ressemble fort à ce que Tolkien a développé comme philosophie de la Terre du Milieu...

Michaël Devaux, « Défense et illustration de la philosophie chez Tolkien », in Tolkien et les sciences, p. 77.

J'avoue que c'est un peu sibyllin, de mon point de vue... S'il s'agit de dire qu'en gros une bonne pensée philosophique n'a pas besoin de système sophistiqué pour exister, ma lecture des Essais de Montaigne, par exemple, m'en aura autrement mieux convaincu qu'en lisant Tolkien. Même Nietzsche, à ce qu'il me semble, n'avait pas l'esprit de système. Et s'il suffit d'avoir des intuitions, et partant une impression de cohérence de la pensée qui en découlerait, pour faire de la bonne philosophie, alors je ne vois pas très bien pourquoi discuter du fait même que Tolkien serait philosophe, puisqu'à cette aune, nous le sommes tous, ou pouvons tous l'être, quitte à légitimer philosophiquement au passage toute tentation idiosyncrasique. Ceci dit, je suis d'accord avec l'auteur sur le fait que si Tolkien n'est pas comparable aux philosophes (ce pourquoi il ne saurait être, selon moi, un maître-à-penser qui leur serait en soi préférable), il avait bien entendu suffisamment de notions de philosophie pour avoir une opinion assez éclairée sur la pertinence de la démarche philosophique elle-même. On ne peut que souhaiter que tout le monde puisse être dans le même cas sur cette planète, surtout par les temps qui courent, ces temps qui sont une épreuve permanente pour le plein exercice d'une pensée en mouvement (quoi que cela ne soit certes pas nouveau)...

Hyarion.

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#17 01-12-2019 16:21

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Pas de soucis Benjamin pour le risque d'un gros débat ;).

Pour Socrate, je ne dirais pas qu'il se voit complété par l'Évangile (mais j'ai probablement dit quelque chose de ce genre, faute de mieux). Pour le philosophe chrétien, Socrate cherche philosophiquement ce que le Christ apporte entièrement (et qui n'est pas une "pensée arrivée"). Après, il faut bien voir de quel Socrate on parle. Celui de Xénophon n'est pas celui de Platon, et, chez ce dernier, celui des premiers dialogues n'est pas  celui des derniers. Restent des grandes lignes, toutefois, et le fait que c'est à partir de lui que quelque chose change en matière de philosophie — avant lui, on parle des « présocratiques » — et que la foi chrétienne entre en relation avec la philosophie. Les points de contact sont nombreux ... dont ... le mépris avec lequel (m'a-t-on dit) Nietzsche les estiment tous les deux ;).

Pour la validité du « point de vue chrétien » pour juger de l'athéisme ou de tel athéisme, la question revient à discuter de la validité du point de vue chrétien tout court : comme le Christ révèle la véritable nature de Dieu, par définition, il révèle ce qui n'est pas Dieu, ce qui est athée. Le fait qu'il s'agisse de philosophie n'invalide pas le point de vue chrétien car la foi (du point de vue chrétien) est raisonnable (le Christ est le Logos Incarné) ... À la fin, la question première reste de savoir si « le point de vue chrétien » est vrai.

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#18 05-12-2019 20:33

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Je profite de ce fuseau pour une question à la cantonade :
j'ai reçu aujourd'hui un exemplaire de Tolkien et les sciences ... sans mot ni expéditeur (autre que Cultura).
Le bienfaiteur serait-il parmi vous ? :)

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#19 05-12-2019 22:55

Silmo
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Re : Tolkien et les sciences

Pas moi. Je l'ai feuilleté mais pas acheté (le sommaire ne mentionne aucun article sur l'astronomie)

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#20 09-12-2019 09:41

Zelphalya
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Re : Tolkien et les sciences

Silmo a écrit :

(le sommaire ne mentionne aucun article sur l'astronomie)

J'avoue que c'est un point relativement décevant, d'autant plus avec la présence de Roland Lehoucq dans la direction de l'ouvrage.
Je suis très mitigée sur l'ensemble de l'ouvrage. S'il est sympathique au regard de la qualité de l'objet, des illustrations et de la présence de quelques amis, je le trouve à première vue assez inégal et approximatif.

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#21 09-12-2019 12:08

ISENGAR
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Re : Tolkien et les sciences

Je suis innocent smile
Je n'en pas fait l'acquisition.

I.

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#22 24-12-2019 11:02

TB
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Re : Tolkien et les sciences

À choisir, je préférerais savoir l'Unique au doigt de Nietzsche que de Platon, que l'Inexistence de Dieu me patafiole...Pour ce qui est du bouquin, j'ai la pub de Carrefour sous les yeux, et bien que je me souvienne pas avoir écrit un livre sur Toto, "...le sens caché de l'Anneau qui corrompt, pourquoi les Hobbits ont des grands pieds, un Ent est-il possible...", ça donne envie.
Et puis, à 35 €uros le bout, ça fait le Savoir à pas cher...Surtout si il y a des morceaux de vrais tolkiendili dedans! wink
Que mon affection triste vous accompagne, en ces temps de dindes martyrisées et de libations forcenées...Carpe diem.

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#23 02-01-2020 21:08

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Ça y est, je connais la (gentille) coupable :).

Cet ouvrage enchaîne une courte note éditoriale des directeurs de l'ouvrage, une introduction, une quarantaine d'articles réparties en six sections, et des annexes (biblio, index, auteurs).
L'introduction est d'Isabelle Pantin. Disons-le d'emblée, cette introduction constitue un joyau — à mon sens le sommet de cet ouvrage.
Les autres articles contiennent du bon, parfois du très bon, parfois moins bien (et des fois beaucoup moins encore) et, à la fin, je rejoins bien Audrey sur son impression d'ensemble.

Je ne sais pas si je pourrai faire un retour global, mais je me propose déjà de vous partager celui de cette excellente introduction.

« Tolkien et les sciences : une relation à plusieurs visages »

Tel est le titre de la contribution d'Isabelle Pantin.

Elle introduit son article en deux paragraphes, qui résument l'essentiel :

Tolkien se voyait d’abord comme un poète, un créateur de mythes à travers les mots, mais il était certainement tout autant un scientifique, si on s’en tient à une définition fondamentale (et donc intemporelle) de la science : l'effort mené de façon rationnelle pour connaître et comprendre la réalité naturelle, depuis l'organisation du cosmos jusqu'aux activités et productions humaines. En revanche, si on restreint la définition à l’image standard (caricaturale ?) d’une science moderne occidentale dominée par des modèles créés par et pour la physique et les mathématiques, et engagée dans une démarche conquérante appuyée sur la technologie, l'analyse doit devenir bien plus nuancée. Il faut donc examiner séparément ces deux approches.

Tolkien avait l'esprit scientifique dans l’acception la plus large : sans doute pas celle de Gaston Bachelard et de tous ceux pour qui cette aptitude à la « connaissance objective » ne pouvait exister avant le tournant de la modernité, mais plutôt celle de Platon, d’Aristote ou de Roger Bacon (1214-1294), le « docteur admirable » à l’insatiable curiosité qui l'avait précédé à Oxford, quelque sept siècles auparavant et à une autre chaire [attention rien à voir avec Francis Bacon (1561-1626) ;)]. Il aimait la réalité, il en était curieux, et il voulait avoir avec elle une relation non biaisé : doué d’un sens critique aigu, il détestait cordialement, en tous domaines, les discours alambiqués et prétentieux qui offrent mensongèrement l'accès à une connaissance alors qu’ils fonctionnent comme des écrans opaques et illusoires.

I. Pantin, Tolkien et les sciences, p.9

Isabelle Pantin commence par examiner chez Tolkien le refus de tricher avec le réel. Elle rappelle son dégoût des faux-semblants, et le mot bogus qui revient plusieurs fois sous sa plume pour stigmatiser une facticité de pacotille, notamment dans le domaine de la subcréation, ainsi de l'apparat pseudo-scientifique de certaine science-fiction. Et l'auteur de conclure cette partie :

Étant donné le caractère fondamental de ce refus de tricher avec le réel, [...] il est absurde de séparer, pis encore d’opposer, un niveau de la libre création imaginaire et un niveau où se jouerait la confrontation avec les choses telles qu'elles sont. C’est pourquoi, de front avec son ami C. S. Lewis (1898-1963), son collègue à Oxford, Tolkien a rudement bataillé contre les préjugés opposant une littérature dite sérieuse, témoin prétendument fidèle et responsable des problèmes actuels (« en prise sur le monde » comme on dit), et une littérature dite d'évasion, moyen facile de se changer les idées grâce à des fictions aussi éloignées que possible du fade quotidien.

I. Pantin, Tolkien et les sciences, p.11

En deuxième lieu, Isabelle Pantin examine le rapport tolkienien entre mythe et vérité scientifique. L'amour des mythes ne s'oppose nullement à une démarche rationnelle et ne diminue en rien « l'appétit pour la vérité scientifique » au contraire : la valeur de la subcréation dépend des qualités scientifiques de son subcréateur, de son aptitude à reconnaître les choses du monde réel pour ce qu'elles sont. Les échanges entre l'imagination et la science sont constants et toutes les deux sont aiguillonnées par l'émerveillement. Et l'auteur de rapprocher Tolkien avec Aristote :

Si vous voulez vraiment savoir quel est le fondement de la Terre du Milieu, c'est l'émerveillement et la joie que me donne la terre telle qu'elle est, particulièrement la terre naturelle.

J. R. R. Tolkien, Saturday evening post, 2 juillet 1966

Ce fut en effet [l'émerveillement] qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, puis ils cherchèrent peu à peu à résoudre des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des étoiles, enfin la genèse de l'Univers. Apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance, et c 'est pourquoi aimer les mythes est, en quelque sorte se montrer philosophe, car le mythe est composé de merveilleux.

Aristote, Métaphysique, 2, 982b

Comme en écho au frère Guglielmo Spirito, l'auteur rappelle que, pour Tolkien :

[Les contes de fées] s'écartent délibérément du réalisme et du vraisemblable ordinaires pour accéder, à travers le mythe et la création de mondes imaginaires, à une forme supérieure de réalisme, parce qu'ils approchent le réel à un niveau plus profond, plus fondamental.

I. Pantin, Tolkien et les sciences, p.11

Troisièmement, l'auteur aborde le rejet du « matérialisme scientifique » par Tolkien. Elle décrit le Mordor et l'Isengard comme une évocation de ce matérialisme scientifique, à savoir « sa forme diabolique qui associe la recherche proprement dite à une escalade technologique et à la manipulation par de grandes puissances — puissances d'argent ou puissances politiques — » et rappelle l'amertume de Tolkien face au devenir de l'université — non plus lieu de formation mais d'initiation à la recherche — tout en faisant le lien avec sa foi :

Il y a tant à apprendre avant. [Cette idée de la recherche] s'impose souvent aux étudiants à la fin de leur scolarité à cause du désir de se hisser sur le grand train de la science en marche (ou au moins sur une petite remorque en queue), afin de capter un peu du prestige et de l'argent que les « Souverainetés et Pouvoirs et les chefs de ce siècle » font pleuvoir sur la Vache sacrée (comme un écrivain, un scientifique, l'a nommée) et ses acolytes.

J. R. R. Tolkien, Lettre à Michael Georges Tolkien, 1966

Sa foi chrétienne, son sens aigu de la distinction entre l’ordre de l’Esprit (ou du Christ) et celui de la Chair, pour reprendre les termes de saint Paul, explique la profondeur de ses exigences éthiques et la force de son rejet de tous les aspects « matérialistes » de la science. Son idée de la nature et de la façon de la connaître en dépendait aussi. Il n'était en rien un fondamentaliste, et les propositions nouvelles de la science de son temps trouvaient en lui un esprit ouvert et curieux, mais il restait fidèle à l’idée que « les cieux racontent la gloire de Dieu » (Psaume 19) et que le savant explorant la nature, tout comme l'auteur d’un « monde secondaire », collaborent à la mise en lumière de la beauté de la Création, dans l’admirable complexité de son organisation et de son évolution à travers le temps.

I. Pantin, Tolkien et les sciences, p.19

Contrairement à la plupart d'entre nous, les représentations de Tolkien du Monde, de la nature ou des savoirs, ne se sont pas construites au cours d'un apprentissage de signes et de figures mathématiques. Pour lui, la connaissance de la nature pouvait s'exprimer dans les mêmes langues que tout le reste de l'expérience humaine. Aussi la transformation en « sciences humaines » des savoirs relatifs aux langues, aux littératures et aux mythes, lui fut-elle pénible.

De là, Isabelle Pantin examine le rapport entre « féérie », « magie » et « science-fiction ». La réduction des savoirs évoqués à l'instant procède d'une logique qui, inévitablement, confondra la « féérie » et la « magie ». Pourtant, « [l']atmosphère et [le] pouvoir particuliers [de la Féérie sont] diamétralement opposés aux procédés vulgaires du magicien laborieux et scientifique » (du conte de fées) : la magie a bien plutôt à voir avec la technologie qu'avec la féérie. Et l'auteur de rappeler la critique salée de Tolkien à l'égard d'un projet de scénario pour un film du SdA :

[...] Tout ce qui vise à [...] « scientifiser » [mon histoire] me déplaît [fortement]. Nous ne sommes pas [dans le roman] en train d'explorer la Lune, ou quelque autre région plus improbable. Aucune analyse par aucun laboratoire ne saurait découvrir les propriétés chimiques rendant le lembas supérieur aux autres galettes de farine.

J. R. R. Tolkien, Lettre à M. G. Zimmerman, 1958

C'est ici que l'auteur situe la difficulté pour Tolkien à se sentir à l'aise avec la science-fiction, du moins en tant qu'écrivain, difficulté qui fait précisément l'objet des discussions des Notion Club Papers :

Certains des personnages semblent défendre le point de vue de Tolkien : ils attaquent le caractère artificiel des explications pseudo-scientifiques que les auteurs se croient obligés de donner, et des machines qu'ils inventent. Il en résulte, selon eux, un désastre littéraire : la destruction de la cohérence de l'œuvre, de son unité esthétique. D'admirables évocations de mondes imaginaires sont gâchées par le fait que les visiteurs y arrivent à bord de véhicules ridicules. Mieux vaut donc rester fidèle aux procédés narratifs de la féerie, ou bien faire voyager ses héros dans le temps par le moyen de la réminiscence, de la vision ou du songe : c’est le choix que Tolkien a fait lui-même dans Le Seigneur des Anneaux.

I. Pantin, Tolkien et les sciences, p.22

Isabelle Pantin conclura son article en soulignant le contraste du rapport à la science chez Tolkien : d'un côté ce rapport peut être celui de la curiosité pour le Monde, de l'autre il peut être celui de la tentation du pouvoir. Le premier aspect, et non le second, peut être réuni à la création artistique. Cet accord est du reste celui des Elfes :

Les elfes représentent, pour ainsi dire, les aspects artistique, esthétique et purement scientifique de la nature humaine, élevés à un degré supérieur qu'on ne le voit effectivement en l'homme. C'est-à-dire qu'ils ont un amour fervent pour le monde naturel, et un désir de l'observer et de le comprendre à la fois pour lui-même et comme « autre », à savoir comme une réalité dérivée de Dieu au même degré qu'eux-mêmes, et non pas comme une matière à utiliser ou une plate-forme pour le pouvoir.

J. R. R. Tolkien, Lettre à M. Straits, 1956

Je pinaillerai juste un détail de sa conclusion, puisqu'elle situe « l'ambivalence de la science » entre Fëanor d'un côté — archétype des « géniaux et dangereux chercheurs prêts à tout sacrifier à leur passion pour leurs inventions » — et les contemplatifs de la Lórien de l'autre — « capables de réunir quête de la connaissance et création artistique ». Tout le reste de son article montre au contraire que la partition se situe, pour la problématique présente, entre, à la rigueur, les Elfes (et Bombadil !) d'un côté, et Saruman de l'autre. Car certes, Fëanor a chuté, mais sa chute n'est pas celle du matérialisme scientifique, tout comme, de façon plus modérée, les Elfes peuvent tomber dans le piège de « l'embaumement » : c'est une autre problématique ... même si, bien sûr, il y aura inévitablement des recoupements. Car si « la science (tellement noble dans son origine et son but originel) s’est alliée avec le péché pour produire des cauchemars, des horreurs et des menaces de la nuit devant lesquels les géants et les démons pâlissent » (du Conte de fées), d'autres choses peuvent s'allier avec le péché ... On pourra renvoyer à l'article de Sosryko dans le Dictionnaire Tolkien (art. « Machine, machines ») ou au fuseau sur la Machine, ou encore à la plupart des articles de notre recueil Pour la gloire de ce monde : recouvrement et consolation en Terre du Milieu.

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#24 03-01-2020 12:58

Silmo
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Re : Tolkien et les sciences

Ah sacrebleu, je n'ai pas très envie de réagir sur ce thème mais tout de même, Tolkien n'était pas à un paradoxe près sur le sujet de la science.... Oser écrire « la science (tellement noble dans son origine et son but originel) s’est alliée avec le péché pour produire des cauchemars, des horreurs et des menaces de la nuit devant lesquels les géants et les démons pâlissent » (du Conte de fées), ça relève du sophisme et du mépris, pour les scientifiques ! (et pardon pour I. Pantin, idem pour la plupart des citations évoquées). La science ne s'est jamais "alliée" à rien du tout. Seuls les humains pêchent (politiques et guerriers), pas systématiquement les savants. Cette théorie globale, ce genre de généralités est exaspérant. Toute invention peut devenir mauvaise mais pas forcément (ok pour le nucléaire, pas ok pour la pénicilline, l'azt, les vaccins de Pasteur) Torniguedouille, le siècle dernier les gens avaient encore une espérance de vie de 50 ans qui a quasi doublé. On ne cesse de faire des progrès dans l'alimentation, dans le bio, dans l'éducation. Bref, j'aime bien Tolkien mais avec tout le respect que je lui dois, à biens des égards, c'était tout de même un vieux con réac et rétrograde. Je continue à aimer ses livres pour leurs scénarios, beaucoup moins pour le sous-contenu.
Tolkien aimait la science mais a toujours eu un problème à l'adapter à son Légendaire (les phases de la Lune, la géographie, etc.)  Il a fait avec par ci et il a échoué par là, prouvant ainsi la dimension humaine de l'imperfection.
S.
ps : et désolé de ne pas argumenter avec multiples citations :-)

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#25 06-01-2020 12:03

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Pour moi, Tolkien n'est ni paradoxal ni méprisant ;). En fait, la discussion a déjà été menée dans le fuseau sur la Machine référencé plus haut et, pour le résumer (partiellement) avec les termes d'Isabelle Pantin, il s'agit de distinguer entre la science « dans l'acception la plus large » et le « matérialisme scientifique ». Olivier Rey, mathématicien et philosophe, a bien situé cette intrigue dans Itinéraire de l'égarement : du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (Seuil, 2003) auquel Tolkien souscrirait entièrement. Mais ça n'oblige personne à en faire autant et, pour ma part, je crois judicieux de ne pas y revenir davantage ici ;).

Les plus grands ayant repris le chemin de l'école, le plus petit allant bien mieux depuis 2-3 jours, et le gros des gardes étant derrière moi, je pense pouvoir terminer par un compte-rendu plus global de l'ensemble du volume.

« Les sciences et Tolkien : un énoncé pour faire des sciences en s'amusant »

La courte note éditorial des directeurs de l'ouvrage montre une approche radicalement autre que celle de l'introduction d'Isabelle Pantin :

Le but assumé de cet ouvrage [est d'] utiliser l'univers de Tolkien — son histoire, ses langues, sa géographie, ses monstres, ses personnages — pour parler de sciences humaines, de sciences physiques ou encore de sciences naturelles. [...] Bienvenue en « terre du Milieu des sciences » ! Un voyage transdisciplinaire — et parfois indiscipliné — au pays de Tolkien ...

R. Lehoucq, L. Mangin et J.-S. Steyer, Tolkien et les sciences, p.7

Effectivement, la plupart des articles du volume suivront ce but et passeront le Légendaire au crible de certaines sciences pour rendre ces dernières intéressantes et amusantes. Quelques autres, toutefois, se situeront davantage dans la perspective de l'introduction — on les retrouve essentiellement dans les deux premières sections : « la construction d'un monde » et « un ancrage dans l'espace et le temps ». Presque tous, quoi qu'il en soit, se révèlent très instructifs. En revanche, tous ne sont pas intéressants, loin s'en faut, pour ce qui concerne la Terre du Milieu ou Tolkien, voire peuvent-ils, à l'occasion, induire quelques faux-sens.

Les articles qui s'inscrivent dans la perspective de l'introduction sont le plus souvent le fait des spécialistes de Tolkien. Le rapport à Tolkien est alors entier tandis que le rapport à la science est celui de la science dans son acception la plus large, pour reprendre Isabelle Pantin. On pourrait rassembler ce sous-ensemble sous le titre mérité de Tolkien et les  sciences.

L'article de Michaël, en particulier — « défense et illustration de la philosophie chez Tolkien » —, est remarquable, et nous gratifie de textes tolkieniens pour ainsi dire inédits. Les commentaires de Michaël, quant à eux, sont sobres, efficaces et très utiles (certes, je comprends que Benjamin ait été gêné aux entournures ; à mon avis la concision explique cela, et je ne pense pas que Michaël souhaitait régler le compte de Nietzsche à l'emporte-pièce). Je retiens, au passage, la correction par Michaël des traductions d'un passage très important du Conte de fées :

Je ne dirai pas « voir les choses telles qu'elles sont » pour ne pas me mêler aux philosophes ...

J. R. R. Tolkien, Du Conte de Fées

Michaël traduit lui-même, en précisant que « F. Ledoux et C. Laferrière forcent le texte en disant : "en butte aux" ou "la cible des" philosophes ».
Cf. le parallèle avec une autre déclaration importante :

J'écris des choses que l'on pourrait classer dans la catégorie des contes de fées [...]. Je fais cela parce que, si ce n'est pas lui attribuer un titre trop grandiloquent, je trouve que mon commentaire sur le monde y est le plus facilement et naturellement exprimé. [...] J'espère que « commentaire sur le monde » ne paraît pas trop solennel.

J. R. R. Tolkien, Lettres, p.419

On retrouve bien ici à la fois l'esprit scientifique au sens large et donc philosophique de Tolkien et son insistance à ne pas confondre les spécialités : Tolkien est philologue et conteur ; il n'est ni philosophe, ni théologien, ni historien, ni moraliste, etc. de profession ... ce qui ne l'empêche pas de l'être à son niveau en lien avec sa vie et avec son art.

Je relève aussi l'article de Cécile Breton, que je ne connaissais pas, à mon avis un des meilleurs : « Tolkien chercheur, illustrateur ... et rêveur ». Il me semble qu'elle a bien saisi le rapport de Tolkien à la science, à l'art et à la nature. Et, en ce qui me concerne, elle m'a permis de relier la fraternité préraphaélite, le symbolisme et Tolkien (tout en m'expliquant sans doute pourquoi j'ai toujours énormément aimé les peintures de Gustave Moreau :)). Quelque chose où je devine aussi pouvoir compter sur Hyarion pour progresser à l'occasion ;). En plus, l'auteur a le bon goût de respecter notre langue et de parler d'autrice pour désigner Mary Shelley. En effet, quitte à féminiser le statut (pas une bonne idée à mon avis), autant le faire correctement et joliment.

Les travaux de nos amis Druss et Elendil m'ont aussi bien plu.

Dans « Vestiges archéologiques et cités enfouies », Vivien m'a fait beaucoup progressé, lui aussi. À noter, quant au lien entre Númenor et l'Égypte antique, sur un autre plan, mais non indépendant, le passage très saisissant du SdA où Gandalf, de toute son autorité, rappelle les limites de celle de Denethor :

Vous n'avez pas autorité, Intendant de Gondor, pour ordonner l'heure de votre mort, répliqua Gandalf. Et seuls les rois païens, sous la domination de la Puissance Ténébreuse, le firent, se tuant dans leur orgueil et leur désespoir, et assassinant leurs proches pour faciliter leur propre mort.

SdA, Livre V, Chap. 7

Certains rois égyptiens ne facilitaient-ils pas leur propre mort en se faisant accompagner par leurs proches ?
Le spirituel, là encore (là toujours), anime le corps du récit tolkienien.

Damien, quant à lui, relie bien, chose chère à Tolkien, la langue et la littérature, et s'attache aux différents détours empruntés par Tolkien pour rendre compte de la transmission des Légendes, soit le nœud essentiel entre les deux. C'est, là encore, un article très utile. Et je profite de ta présence en ces lieux, Damien, pour et demander si tu ne penses pas qu'à la fin, la transmission des Légendes des Jours Anciens devait être le fait de Bilbo plutôt que d'Ælfwine ? C'est Bertrand qui m'y a fait songé depuis longtemps maintenant : à la fin du SdA, on comprend que Bilbo a rédigé des Traductions de l'elfique. De quoi peut-il s'agir si ce n'est du Silmarillion ? Autre question : avais-tu pu consulter les Archives de Pengolodh, réalisées par Philippe Garnier sur JRRVF (mais je ne crois pas qu'elles soient encore en ligne) ou son article dans la Feuille de la Compagnie n°2 (« Eriol ou Ælfwine le marin », pp.157-180) ?

Les articles (bien plus nombreux) qui se situent dans la perspective des directeurs de l'ouvrage sont souvent le fait d'auteurs scientifiques peu familiers de Tolkien (ce qui m'a été confirmé par l'un des participants qui a dû corriger pas mal de petites choses dans l'article auquel il était invité à collaborer). Le rapport à Tolkien est alors partiel voire parfois même absent tandis que le rapport à la science est presque toujours celui du matérialisme scientifique, pour reprendre Isabelle Pantin. On pourrait rassembler ce sous-ensemble sous le titre plus juste de : Les sciences (matérialistes) et Tolkien. À l'exception de quelques uns, les articles restent intéressants, mais uniquement pour ce qu'ils nous apprennent de ces sciences. Toutefois, quelques uns d'entre eux sont plus qu'inégaux et approximatifs ... et ils sont même parfois désobligeants. On croirait devoir délimiter un dernier (petit) sous-ensemble « espace libre » dans cet ouvrage (et il ne s'agit pas du bon sens de la liberté ;)). On remarquera aussi la colonisation jacksonienne par endroits (les borgs ont encore frappé ;)).

Au final, relisant la critique de Quentin Feltgen sur Tolkiendil, je m'y accorde entièrement.

Par rapport à sa très bonne synthèse, je soulignerai, quant à moi :
- le hiatus entre les deux approches concurrentes au sein l'ouvrage ; car, même si je comprends que l'on puisse défendre la perspective des éditeurs (toutefois, me concernant, cela reste difficile, au nom de la science dans son acception la plus large — une science que je qualifierais, moi, de complète), il y a là un comble à être tombé exactement dans l'ornière décrite par Tolkien à savoir, en gros, analyser la structure socio-bio-chimique de la Terre du Milieu ... cf. les citations données supra par Isabelle Pantin :) ;
- l'amputation de la métaphysique, de la théologie et de l'astronomie, trois domaines extrêmement fouillés par Tolkien (ce n'est pas une surprise pour les deux premières disciplines, qui désacralisent la science matérialiste ; en revanche, concernant la troisième, les auteurs ont-ils seulement eu connaissance de Tolkien : le façonnement d'un monde ? à quoi ça sert que Ducros il se décarcasse ? :)) ;
- le fait que, pour ma part, bien que les dessins soient techniquement très beaux, ils ne me paraissent pas toujours en phase avec l'âme du Conte d'Arda (entre autres, des oreilles elfiques presque dignes des Chroniques de la guerre de Lodoss ;)).

Yyr

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#26 06-01-2020 12:05

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

En guise de post-scriptum :

Il se trouve que deux personnes ont été très généreuses avec moi.
Je dispose donc de deux exemplaires de l'ouvrage.
Je serai heureux d'offrir l'un des deux à qui voudra :).

[édit: c'est fait :)]

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#27 07-01-2020 10:02

Elendil
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Re : Tolkien et les sciences

Yyr a écrit :

Certains rois égyptiens ne facilitaient-ils pas leur propre mort en se faisant accompagner par leurs proches ?

En aucun cas, à tout le moins à l'époque historique. Les anciens Égyptiens auraient indubitablement assimilé cela à un crime impardonnable privant le défunt de toute chance de survie dans l'au-delà. Tu confonds certainement avec d'autres cultures qui pratiquaient cela régulièrement : Celtes, Germains, Slaves, Scythes... sans parler des traces mythiques de cette pratique dans l'Iliade ou de la sati dans l'hindouisme. En fait, il est probable que l'assassinat de proches lors des funérailles d'un chef soit une coutume commune à tous les anciens peuples indo-européens. Le jugement de Gandalf (et ici indubitablement de Tolkien) vise donc les peuples proches et non les coutumes lointaines.

Yyr a écrit :

Et je profite de ta présence en ces lieux, Damien, pour et demander si tu ne penses pas qu'à la fin, la transmission des Légendes des Jours Anciens devait être le fait de Bilbo plutôt que d'Ælfwine ? C'est Bertrand qui m'y a fait songé depuis longtemps maintenant : à la fin du SdA, on comprend que Bilbo a rédigé des Traductions de l'elfique. De quoi peut-il s'agir si ce n'est du Silmarillion ? Autre question : avais-tu pu consulter les Archives de Pengolodh, réalisées par Philippe Garnier sur JRRVF (mais je ne crois pas qu'elles soient encore en ligne) ou son article dans la Feuille de la Compagnie n°2 (« Eriol ou Ælfwine le marin », pp.157-180) ?

Je connais bien les articles de Philippe Garnier, en effet. J'ai longtemps pensé qu'en achevant le SdA, Tolkien avait fini par rejeter l'idée d'une transmission des textes elfiques par le biais d'Ælfwine en faveur d'une conservation des archives des Hobbits, notamment par le biais de Bilbo, dont les Traductions de l'elfique ne peuvent en effet qu'être une version du Silmarillion. J'ai dû changer d'avis à la lecture des HoMe 10 à 12, où Christopher Tolkien explique que beaucoup des textes de Tolkien postérieurs au SdA et relatifs aux Jours Anciens restent introduits par une forme ou une autre d'un dialogue entre Pengolodh et Ælfwine, sans pour autant que Tolkien donne plus de détails à la façon dont Ælfwine ait pu rencontrer Pengolodh. Ce schéma restait manifestement très cher à son cœur.

On pourrait évidemment imaginer une solution élégante, où Ælfwine ne serait qu'une anglicisation de Nimruzîr, le nom adûnaïque d'Elendil, lequel aurait pu rencontrer Pengolodh lors d'un des derniers voyages des Eldar à Númenor. Ces textes ferait alors partie des archives préservées par Elendil, puis conservées au Gondor ou à Imladris, où elles auraient ensuite été copiées par les Hobbits. Mais rien n'indique que Tolkien ait eu en tête une idée de ce genre. J'incline plutôt à croire qu'il maintenait son idée du voyageur médiéval parvenant à Tol Eressëa et ramenant de là un certain nombre de récits, lesquels seraient venus en compléments ou comme versions alternatives des textes préservés par les Hobbits, bien qu'il n'ait pas voulu se risquer à refaire une version du cadre médiéval nécessaire pour développer cette idée.

E.

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#28 08-01-2020 09:07

Hyarion
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Re : Tolkien et les sciences

Yyr a écrit :

Je relève aussi l'article de Cécile Breton, que je ne connaissais pas, à mon avis un des meilleurs : « Tolkien chercheur, illustrateur ... et rêveur ». Il me semble qu'elle a bien saisi le rapport de Tolkien à la science, à l'art et à la nature. Et, en ce qui me concerne, elle m'a permis de relier la fraternité préraphaélite, le symbolisme et Tolkien (tout en m'expliquant sans doute pourquoi j'ai toujours énormément aimé les peintures de Gustave Moreau :)). Quelque chose où je devine aussi pouvoir compter sur Hyarion pour progresser à l'occasion ;).

Le préraphaélisme, le symbolisme et notamment la peinture de Gustave Moreau font effectivement aussi partie de la matière avec laquelle je m'efforce de façonner mon livre. Il se peut donc que nous ayons l'occasion d'en reparler. ;-)

Si tu repasses un jour en Occitanie, il est une église, dans un coin du Rouergue que je connais bien, qui mérite particulièrement la visite car elle conserve, en son sein, toute une série de tableaux représentant le chemin de croix : c'est un ensemble unique de 14 toiles peintes par Gustave Moreau, spécialement pour cette église (Notre-Dame de Decazeville).

Amicalement,

Hyarion.

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#29 10-01-2020 00:31

Yyr
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Re : Tolkien et les sciences

Eh bien un grand merci à tous les deux !

Je n'en doutais pas, Benjamin, mais je vois encore que tu auras de belles choses à me transmettre.
Le passage en Occitanie (ou ailleurs) n'est pas de sitôt mais le jour où, je compte sur toi !

Quant à Damien, c'est absolument parfait et très enrichissant (tu vas nous le faire tout seul le SDAa comme tu es parti :)).

Elendil a écrit :
Yyr a écrit :

Certains rois égyptiens ne facilitaient-ils pas leur propre mort en se faisant accompagner par leurs proches ?

En aucun cas, à tout le moins à l'époque historique. Les anciens Égyptiens auraient indubitablement assimilé cela à un crime impardonnable privant le défunt de toute chance de survie dans l'au-delà. Tu confonds certainement avec d'autres cultures qui pratiquaient cela régulièrement : Celtes, Germains, Slaves, Scythes... sans parler des traces mythiques de cette pratique dans l'Iliade ou de la sati dans l'hindouisme. En fait, il est probable que l'assassinat de proches lors des funérailles d'un chef soit une coutume commune à tous les anciens peuples indo-européens. Le jugement de Gandalf (et ici indubitablement de Tolkien) vise donc les peuples proches et non les coutumes lointaines.

Eh bien là c'est un double merci ! J'ignore comment ce faux souvenir s'est inscrit dans ma mémoire, depuis longtemps je crois ...
Bon, le ridicule ne tue pas :). Et ici, grâce à toi, il me permet de grandir encore un peu :).
Désolé Vivien pour ce faux-sens !

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#30 26-04-2021 16:13

ISENGAR
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Re : Tolkien et les sciences

J'ai lu sur Elbakin qu'une exposition dont le titre pourrait être « Carnet des sciences en Terre du Milieu » devrait avoir lieu à l'automne prochain, à l'université Paris-Sorbonne (plus précisément, à la bibliothèque de Biologie, Chimie, Physique Recherche (BCPR) du campus Pierre-et-Marie-Curie de Jussieu).
Cette expo s'inscrit dans la continuité de la publication et du succès de Tolkien et les sciences (dont la version en anglais sort ces jours-ci outre-Manche, si je ne me trompe pas).

http://www.elbakin.net/tolkien/news/265 … s-Sorbonne

A suivre, donc.

Oh, je lis aussi qu'une projection des films sera prévue sur le campus... Mmh, intéressant d'associer à l'ensemble des domaines scientifiques déjà évoquées dans l'ouvrage de Lehoucq, Mangin et Steyer, des observations de foules dans le cadre d'études de sociologie des comportements et de recherches en psychopathologie  devil

I.

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#31 26-04-2021 22:35

Silmo
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Re : Tolkien et les sciences

Merci de l'info, ... à suivre.

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