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#1 11-01-2021 22:52

Yyr
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[Essai] Heurs et Malheurs de Thorin Écu-de-Chêne

À l'occasion du rapatriement des Chroniques de Chant-de-Fer sur JRRVF, Isengar avait annoncé (ici) la publication de du fameux essai de Tilkalin en 2007, lui-même inspiré de celui de Jean avec Túrin :

Heurs et malheurs de Thorin Écu-de-Chêne

Nous pourrons ici laisser nos commentaires le cas échéant.
Je me propose de commencer :).

J'avoue, penaud, ne l'avoir découvert qu'à cette occasion. Pour mon plus grand plaisir, cela dit. J'ai toujours beaucoup aimé le peuple de Durin et, après celles qui concernaient les Elfes, c'était leurs histoires après lesquelles je languissais. Avec cet essai, j'ai pu cheminer à nouveau dans les pas de Thorin. Merci Éric !

Dans cet essai, Tilkalin applique à la quête de Thorin le schème de Dumézil en cinq étapes de la vie d’un guerrier dans les mythologies indo-européennes :

  1. une ascendance extraordinaire : guerrier noble, le nom Thorin « courageux, hardi ; avoir le courage d’agir » le rattache à la thématique du courage nordique, et son surnom Écu-de-chêne à celle du héros ; petit-fils et fils de rois, héritier du Royaume sous la Montagne, avec son trésor et son droit de vengeance, il s'illustre à la bataille d’Azanulbizar, faisant partie de ces héros tolkieniens qui « persévéraient [et continuaient] d’avancer même si vous saviez que vous ne faisiez que combattre une “longue défaite”, sans aucun espoir à la fin » ;

  2. un premier péché contre la fonction sacerdotale et souveraine : en refusant d’être généreux envers les survivants de Lacville, « Thorin rejette les conditions qui permettraient le retour de la fertilité et de l’abondance dans ce qui est devenu en l’absence de toute figure royale une terre gaste » (avec un excellent parallèle avec Fëanor) ;

  3. un deuxième péché contre la fonction guerrière : lors des tractations entre la Montagne Solitaire et les émissaires de Thranduil et Bard, Thorin contrevient aux règles de la diplomatie en décochant sa flèche ; de même l’attaque déloyale des Hommes et des Elfes par les Nains de Dáin : « en remplaçant la vaillance par une attaque déloyale, on peut de fait percevoir le geste des Nains de Dáin – mais aussi celui de Thorin – comme un refus du combat d’égal à égal, voire comme une forme de lâcheté » ;

  4. un troisième péché contre la fonction « productive » : « en reniant [après que Bilbo ait acheminé la pierre Arken à Bard et Thranduil] les serments échangés et contractualisés avec le Hobbit » ;

  5. une mort héroïque : « on peut en effet voir dans son [dernier fait d'armes] un sacrifice volontaire » et, de ce fait, la résolution dramatique de la geste de Thorin : « Thorin fait ainsi acte de pénitence, son expiation entraînant sa rédemption. Se réconciliant avec lui-même tout en recouvrant l’honneur de la lignée de Dúrin, il se repent alors de ses péchés auprès de Bilbo ».

Éric développe et illustre tout cela, bien entendu, avec un nombre impressionnant de références tout à propos, des illustrations convainquantes, et une concision et une clarté qui rendent la lecture de son travail très agréable. En ce qui me concerne, outre l'enrichissement non négligeable de mes maigres connaissances « trifonctionnelles » du sujet, je dois ici à Éric d'avoir compris que « dans ce cadre, l’avarice de Thorin apparaît non seulement comme la cause de son trépas mais aussi comme la manifestation de son état ».

J'ai aussi beaucoup aimé sa conclusion — c'est peu dire. Inscrivant explicitement ses pas dans ceux de Laurent et de Jean, Éric conclut en situant Tolkien dans un rapport libre avec la théorie dumezilienne, et résume ainsi la geste de Thorin (citant d'abord Dumezil puis Tolkien) :

On peut de fait réduire l’histoire de Thorin à sa plus simple expression comme étant « une description contrastée de deux moments d’une vie remarquable, l’ascension et le déclin ». Et parce que « la destinée accorde le salut à l’homme de courage », on peut voir ces épisodes comme deux étapes dans l’ascension de Thorin vers la gloria. À l’image de Beowulf, « poème héroïque élégiaque et […] prélude à un chant funèbre », Bilbo le Hobbit serait donc une œuvre dans laquelle a été préservée « une forte proportion du passé scandinave [mais] mêlée […] à la foi nouvelle ».

Pour proposer, à la fin :

La théorie du courage telle que la met en scène Tolkien à travers la geste de Thorin pourrait ainsi évoquer la dialectique espoir (amdir)-espérance (estel) que pose l’Elfe Finrod lors de sa discussion avec l’Humaine Andreth, et qui parcourt le reste du Légendaire. De fait, « la tragédie de la grande défaite dans le Temps […] finit par cesser d’être importante : ce n’est pas une défaite, car la fin du monde fait partie des desseins de Method […]. Au-delà se profile une possibilité de victoire éternelle (ou de défaite éternelle), et c’est entre l’âme et ses adversaires qu’a lieu la vraie bataille ».

Ce que Tilkalin avait déjà résumé ici-même à l'époque, soulignant que, dans la mythologie nordique, « loin d'être écrasés par un fatum inexorable, il est donné aux söguligir, ces hommes reconnus “dignes de donner matière à saga”, de participer à leur destin, révélant en eux quelque chose qui témoigne du sacré — les incitant à accepter leur sort et à accomplir les arrêts du Destin », et l'analogie de fait qui en découle « avec la notion de grâce chrétienne ». Ce qui nous renvoie à la perspective tolkienienne du libre arbitre : participation à / accomplissement de sa nature ... c'est-à-dire de son destin, d'après la quasi équivalence faite par les Elfes entre les deux notions — soit la réunion, une fois de plus, du « passé scandinave » à « la foi nouvelle » (ici en particulier pour le lien avec Éric).

Jérôme

Deux pinaillages de rien :

  • Le terme de « syncrétisme » ne me paraît pas juste : le mélange entre « le passé scandinave » et « la foi nouvelle » résulte, Tolkien prend soin d'ailleurs de le préciser, d'une « fusion » qui n'est pas « confusion » (cf. ma conclusion d'« Estel Eruhínion » appuyée sur la théologie de Benoît XVI / Joseph Ratzinger qui parvient parfaitement à rendre compte de ce type de rencontre sans confusion des deux parties ni assujettissement de l'une par l'autre) ;

  • À l'inverse, parler de « vertu théologale de l'Espérance » pour Thorin et la plupart des protagonistes du Conte d'Arda me paraît excessif, du moins si l'on veut être rigoureux sur les termes : seuls, parmi les Incarnés, des personnages comme Finrod et Aragorn ont une espérance théo-logique.

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