Cet essai est la transcription de la conférence donnée par Jean Chausse lors du congrés
annuel d’Oxonmoot (20 & 21 septembre 2003) qui réunit chaque année amateurs et spécialistes de Tolkien.

Introduction

Il est amusant de constater que Tolkien et Dumézil ont beaucoup de points en commun :

  • Ils étaient tous les deux plus ou moins de la même génération car ils sont nés durant la dernière décennie du XIX° siècle,
  • Tous les deux ont connu les champs de bataille de la première Guerre Mondiale et ont été profondément marqués par cette expérience de jeunesse,
  • L’un comme l’autre étaient des mythologues émérites. Si Tolkien s’est essentiellement consacré aux mythologies anglo-saxones et scandinaves, Dumézil, lui, eut dans ses recherches un spectre plus large, tout en ayant un intérêt particulier pour les mythes germaniques et nordiques. Par exemple, il parvint en début de carrière à se faire nommer comme professeur à Uppsala pour pouvoir y étudier cette matière « in situ » et l’un de ses premiers ouvrages publiés s’intitulait « Mythes et dieux des germains »,
  • Ils lisaient couramment tous les deux un nombre impressionnant de langues anciennes (une dizaine pour Tolkien et une trentaine pour Dumézil),
  • Enfin tous les deux connurent la célébrité à peu près au même moment dans les années cinquante. Il faut toutefois souligner là une différence réelle. Tolkien se fit connaître par ses oeuvres de fiction alors que ses travaux académiques n’étaient lus que par des hyper spécialistes. Dumézil, au contraire, a réussi à dépasser les cercles restreints des philologues et des historiens et ses recherches sont connues du grand public.

Si l’on considère toutes ces convergences il est particulièrement tentant de chercher à rapprocher l’oeuvre de ces deux hommes et de chercher à analyser les romans de Tolkien à la lumière des thèses de Dumézil.

Grâce à son immense érudition, utilisant des textes scandinaves, irlandais, grecques, romains, caucasiens, persans et indiens, Dumezil eut l’intuition que tous ces anciens peuples percevaient les fonctions qui régulent la vie en société en trois grandes catégories :

  • La fonction sacerdotale et souveraine appelée « première fonction »,
  • La fonction guerrière appelée « deuxième fonction »,
  • La fonction tournant autour de la production de richesse qui, dans des sociétés essentiellement agricoles et pastorales, est aussi liée à la fertilité et la reproduction appelée « troisième fonction ».

Ensuite il démontra de manière assez convaincante que cette « idéologie trifonctionnelle » structurait toutes les anciennes civilisations indo-européennes mais n’était pas présente dans les civilisations d’autres origines. Il montra également que les différentes mythologies indo-européennes, aussi différentes qu’elles puissent sembler au premier abord, obéissaient à des schémas tripartites similaires.

L’applicabilité des thèses de Dumézil au monde entier inventé par Tolkien est un bien vaste sujet, trop vaste pour une conférence limitée à une heure, et je voudrais donc me concentrer sur un pan plus précis de l’histoire de la Terre du Milieu et des études de Dumézil.

Dumézil lui même après sa principale découverte a publié de nombreux essais sur l’application de sa tripartition dans de nombreux sujets (dans la cuisine, la musique…). Dans ce cadre il a publié en 1969 un ouvrage intitulé « Heurs et Malheurs du Guerrier » qu’il amplifiera et corrigera dans une nouvelle publication en 1983. Une bonne partie de cet essai est consacré aux « trois péchés du Guerrier ». Pour illustrer cet essai Dumézil a recours à près d’une douzaine de légendes de plusieurs parties du mondes. Je ne peux pas toutes les reprendre ici, mais avant de passer à la généralisation je souhaite, tout de même, donner l’exemple d’Héraclès car il est certainement le plus emblématique de tous les guerriers archétypaux (même si sa vie est top souvent réduite à ses douze travaux seulement).

I) Résumé de la vie d’Héraclès

Zeus, le roi des dieux, était amoureux d’Alcmène, la reine des Perséïdes. Comme elle était fidèle à son mari, pour la posséder, Zeus, avec l’aide d’Hermès, prit l’exacte apparence d’Amphitryon son époux. Mais il savait que cette occasion ne se reproduirait pas. Dans le but de profiter au maximum de sa nuit d’amour, Zeus arrêta alors le temps de sorte que la nuit dura trois fois la durée d’une nuit ordinaire. A cause de cette extraordinaire dépense d’énergie sexuelle de la part de Zeus, Héraclès sera trois fois plus fort que les autres demi-dieux.

Lorsque le jour prévu pour la délivrance d’Alcmène est arrivé, Zeus conscient du destin extraordinaire qui attend l’enfant annonce fort imprudemment devant les autres dieux que ce jour va naître le futur roi des Perséïdes et que tout le peuple devra lui obéir. Furieuse et jalouse Hera, son épouse, s’arrange alors pour ruiner ses plans. Elle réussit à retarder la naissance d’Héraclès d’un jour et à avancer d’autant celle d’Eurystee, un autre prince. Zeus est alors lié par le destin qu’il a lui même fixé, Eurystee sera roi et Héraclès devra lui obéir.

Devenu un adulte, Héraclès, conscient de sa plus grande valeur et haute noblesse refuse l’autorité d’Eurystee. Ce faisant il se rebelle non seulement contre son roi mais aussi, indirectement contre Zeus lui même. Cette révolte contre le roi des dieux constitue son premier péché. En punition de cette offense il est atteint d’une soudaine crise de démence durant laquelle il tue sa femme Mégara et ses enfants.

Pour racheter ces crimes, Héraclès est condamné par Eurystee à ses douze Travaux d’Intérêt G énéral. Une fois ceux-ci accomplis il est libre de recommencer sa vie et décide de se remarier et de fonder une nouvelle famille. Il tombe amoureux de Iole fille du roi Eurytos. Mais celui-ci méfiant refuse le mariage. Vexé, Héraclès dérobe durant la nuit les chevaux du roi et les cache dans une caverne.

Iphitos, le frère de Iole se doute de ce qui s’est passé mais, loin de défier un champion aussi redoutable qu’Héraclès, il vient lui demander son aide. Ce faisant il se montre rusé, car Héraclès en vrai « redresseur de tors » a juré de ne jamais refuser son aide à qui la lui demande après avoir été injustement spolié. Le héros est donc piégé. Pour gagner du temps il feint de répondre positivement et propose de monter sur une haute tour pour voir s’ils aperçoivent les chevaux. Mais lorsque le prince se penche au dessus du parapet pour regarder, Héraclès le pousse traîtreusement et le tue. Ceci constitue son second péché. La faute réside non dans le meurtre (qui est consubstantiel à la deuxième fonction), mais dans le caractère sournois de cette mort au lieu d’un combat à la loyale.

Pour se racheter, le héros est condamné par l’oracle de Delphe à être vendu comme esclave et le prix de sa vente est donné au enfants d’Iphitos. Après cinq années de servitudes, durant lesquelles il accomplit encore de nombreux exploits, Héraclès est libéré. Il poursuit alors son idée de mariage et épouse Déjanire. Mais, en fait, il n’a pas oublié Iole et une nuit il attaque le palais d’Eurytos, tue le roi et enlève Iole. Il devient donc bigame ce qui constitue son troisième péché.

Apprenant sa mauvaise fortune, Déjanire lui envoie une toge qu’elle a préalablement plongé dans le sang du centaure Nessus. Elle croie de bonne foi qu’il s’agit d’un filtre d’amour alors que c’est, en fait, un poison mortel. Dès qu’il a enfilé ce vêtement Héraclès souffre le martyr et décide que les brûlures d’un feu normal seront moins insupportables que celles dues au poison. Il construit donc son propre bûcher et se jette dans les flammes.

En récompense pour ses remarquables exploits, il est alors accepté parmi les dieux et vit désormais immortel comme champion de l’Olympe.

II) Généralisation de la structure des mythes concernant les guerriers

J’ai été un peu long avec le cas d’Héraclès mais il me semblait intéressant de donner un véritable exemple avant de passer à la structure générale proposée par Dumézil.

Selon lui, dans toutes les mythologies indo-européenne, la vie d’un guerrier est caractérisée par cinq étapes :

  1. une conception extraordinaire (père divin pour Héracles, père géant pour Starcaturus, père démon pour Sisupala…)
  2. un premier « péché » contre la première fonction qui peut prendre différentes formes :
    – refus de se soumettre à un édit d’un représentant de la première fonction (cas d’Héraclès),
    – faute rituelle lors d’une cérémonie (cas de Tulius Hostilius),
    – meurtre d’un pontife (cas de Indra).
  3. un deuxième péché contre la deuxième fonction dont la forme peut là encore varier
    – le meurtre par traîtrise d’un autre héros (cas de Indra ou de Héraclès),
    – une soudaine panique lors d’un combat accompagnée d’une fuite honteuse sur le champ de bataille (cas de Starcaturus),
    – incapacité à protéger la vie de quelqu’un que le héros avait juré de défendre.
  4. un troisième péché contre la troisième fonction qui peut prendre différentes formes
    – violation des lois sacrées du mariage (cas de Héraclès, Indra et Sisupala),
    – acceptation d’un pot de vin pour tuer non par devoir mais par cupidité (cas de Starcaturus).
  5. après avoir épuisé son capital de « droit au péché » en ayant offensé les trois fonctions successivement le héros n’a plus qu’à mourir. Ce qu’il fait toujours avec panache, volontairement dans un suicide plus ou moins dramatique (Héraclès construit son propre bûcher, Starcaturus choisi un guerrier qu’il estime digne de lui et lui demande de le décapiter, Sisupala va délibérément provoquer le guerrier dont l’oracle lui a prédit qu’il le tuerait…). Mais la force vitale du héros est telle qu’il ne peut pas simplement mourir et disparaître comme un homme ordinaire, il connaît une forme de destin post mortem. Ainsi Héraclès devient un immortel, Starcaturus prédit à celui qui le décapite que s’il parvient à passer entre sa tête et son corps avant qu’ils ne touchent terre il héritera sa force et son courage, l’âme de Sisupala est incorporée à Krsna qui utilisera ses compétences de brillant général lors de la bataille eschatologique à venir.
 

III) Application de ces thèmes au monde de Tolkien et à Túrin en particulier

Les livres de Tolkien sont pleins de valeureux combattants (hommes ou elfes) qui accomplissent d’extraordinaires exploits lors des glorieuses batailles (victorieuses ou non) qui s’enchaînent chapitres après chapitres. Pour autant, aussi surprenant que cela puisse paraître, cela ne suffit pas à les ranger dans la classe des guerriers au sens de Dumézil. En effet, si l’on y regarde bien ces personnages sont le plus souvent des combattants par accident allant à guerre par devoir sacré mais contre leur gré. Au fond de leur cour, ils préféreraient vivre en des temps plus calmes et pouvoir se consacrer à l’étude du savoir ou à leur famille.

C’est par exemple le cas d’Aragorn, un des caractères le plus développé du Seigneur des anneaux. Dans l’« Adieu à la Lórien » il dit lui même à Galadriel que son plus cher désir est de pouvoir épouser Arwen. Pour lui gagner la guerre de l’anneau et devenir roi du Gondor et d’Arnor n’est qu’un moyen d’atteindre ce but ultime.

Cette aversion pour la guerre est même, en fait, chez Tolkien une preuve de sagesse alors que l’amour des combats et de la gloire est une faille. Ceci est clairement montré dans la paire Boromir-Faramir. Tout deux sont courageux et bon capitaine à la guerre. Même si la vision de Denethor est biaisée par son amour paternel, les autres observateurs ne s’y trompent pas. Beregrond sur les remparts de Minas Tirith loue les qualités de capitaine de Faramir « le capitaine: il sait maîtriser bêtes et hommes ». Mais Faramir regrette la guerre et ses conséquences alors que Boromir aime les batailles pour la gloire qu’elles peuvent apporter. Cet amour de la guerre constitue une faiblesse et un manque de noblesse qui n’échappe pas à l’oil impartial d’Eomer « il m’a paru ressembler davantage aux rapides fils d’Eorl qu’aux graves Hommes du Gondor ». Leur attitude différente vis à vis de l’anneau constitue la pierre de touche de ce décalage en noblesse et en sagesse. En ce sens Boromir peut être qualifié de « Guerrier » au sens de Dumézil alors que Aragorn ou Faramir sont en fait plus proches de la première fonction.

Malheureusement, nous savons peu de choses de la vie de Boromir pour vérifier si la structure en cinq points mis en évidence par Dumézil pourrait s’appliquer. Je propose donc de nous tourner vers Túrin-Turambar, dont nous connaissons bien la vie. Le goût de la guerre et des combats est aussi une des ses caractéristiques frappantes. Nous savons d’après les CONTES ET LEGENDES INACHEVES que dès l’âge de cinq ans il avait fait le voux de combattre « toi qui as gâté la Terre du Milieu, plaise au ciel que je te voie face à face et que je te gâte la face » . Plus tard, toujours dans les CONTES ET LEGENDES INACHEVES, Tolkien insiste sur le fait qu’il était doué pour les armes mais pas pour les arts « Beleg […] lui enseignait les arts forestiers et le tir à l’arc et aussi (ce qu’il préférait) le maniement de l’épée ; mais il était mois habile à la fabrication d’objets [d’art] ». Son désir de combattre est même si fort qu’il ne peut attendre d’être un adulte pour réclamer de rejoindre l’armée sur les frontières de Doriath. Anomalie que le roi Thingol ne manque pas de souligner « un homme parais-tu, de part ta stature. Cependant tu n’as as atteint ta pleine force, tu n’es pas l’homme fait que tu seras un jour ».
Trois années plus tard son intérêt pour l’étiquette de la Cour est si faible qu’il ne prend même pas la peine de se peigner en rentrant dans la palais du roi. Cette attitude de soldat peu dégrossi débouche sur son duel avec Saeros qui aura de si terribles conséquences. Bien sur dans cette affaire Saeros porte la principale responsabilité, mais si Túrin en plus d’être un guerrier avait aussi été un homme attentif à la beauté et l’harmonie, le pire aurait pu être évité.

Enfin, quelques années plus tard, alors qu’il vit à Nargothrond et est accueilli par le roi au sein de son conseil « il regrettait les batailles et la bravoure à découvert ». Il parvient d’ailleurs à entraîner les elfes dans une guerre ouverte désastreuse à terme.

Pour toutes ces raisons je pense qu’il est possible de considérer Túrin comme un Guerrier pur, membre de la seconde fonction au sens de Dumézil. Voyons maintenant si la structure mise à jour par celui-ci peut s’appliquer à sa vie.

Túrin n’a pas contrairement aux autres guerriers archétypaux de naissance fabuleuse. Son père est bien un personnage un peu à part car il a été l’un des rares mortels admis à visiter Gondolin, mais cette particularité ne suffit pas, à mon avis, à en faire un être surnaturel. Pour le reste nous retrouvons de manière frappante l’enchaînement de « péchés » propres aux guerriers des légendes :

  1. Il refuse de se soumettre au jugement de Thingol par orgueil même lorsqu’il a la certitude qu’il a été lavé de toute faute. Or Thingol est souverain des elfes de Doriath. Il a effectué le voyage à Valinor et a contemplé les Valar, qui plus est il est marié avec une Maia qui lui confère un indéniable pouvoir spirituel. Il est donc clairement un représentant incontestable de la première fonction. La rébellion de Túrin contre son autorité entraîne d’ailleurs pour lui une chute (comme pour Indra ou Héraclès) car il passe du statut de fils biologique d’un prince des hommes et fils adoptif d’un roi des elfes à celui de renégat vivant au milieu de voleurs, violeurs et assassins.
  2. Concernant la seconde fonction Turin commet même une double faute :
    – Il tue Beleg son ami contrairement à l’éthique des frères d’armes. Certes cette mort est due à une tragique méprise mais Tolkien souligne la gravité de ce meurtre. Lors de la propre mort de Túrin son épée parle et reproche nommément à Túrin la mort injuste de son ami « je boirai ton sang avec joie pour oublier le sang de Beleg mon maître » . Ceci est particulièrement significatif car il s’agit du seul cas d’objet parlant dans toute la Terre du Milieu (si on excepte le porte monnaie du troll dans le hobbit mais dans un contexte fort différent).
    – Il n’arrive pas à protéger Finduilas et il la laisse périr aux mains des orcs alors que son devoir de guerrier aurait été de tout tenter pour la sauver. Le caractère irrémédiable de cet échec qui entraînera à terme la chute finale de Túrin est d’ailleurs bien souligné par les derniers mots de Gwindor mourant « Cours à Nargothrond et sauve Finduilas. Et je te dis encore ceci : elle seule se tient entre toi et ton destin. Si tu manque à Finduilas, ton destin ne te manquera pas ».
  3. Turin commet son troisième « péché » contre un des interdits les plus sacrés et les plus répandus au monde en épousant sa propre soeur et commettant l’inceste.
    Certains pourraient prétendre que Turin n’est pas coupable des différents « péchés » qui lui sont reprochés. Il tue Beleg par erreur dans le noir alors qu’il croyait de bonne foi qu’il s’agissait d’un ennemi. Il ne peut pas secourir Finduilas car il est victime d’un enchantement contre lequel sa volonté est vaine et lorsqu’il épouse Niniel il n’a aucun moyen de savoir qu’il s’agit de sa sour. C’est là notre façon moderne de voir. Après 2000 ans de christianisme nous considérons normal qu’une faute pour devenir un péché réunisse deux conditions, la connaissance de la faute et la volonté de la commettre. Mais pour les auteurs antiques il n’en était rien. Si nous prenons le cas d’Oedipe, celui-ci ne pouvait pas savoir que l’homme qu’il a tué en duel était son père et que Jocaste qu’il a épousé est sa mère. A nos yeux il n’est pas coupable. Mais pour les olympiens les choses sont différentes et les dieux envoient la peste sur Thèbes en châtiment de ses crimes. Peste qui ne s’arrêtera qu’une fois Jocaste pendue et qu’Oedipe se sera crevé les yeux et aura quitté la ville comme mendiant. De même les légendes irlandaises sont pleines de héros contraints, contre leur gré, d’enfreindre un interdit et sur lequel la malédiction s’abat ensuite impitoyablement.
  4. Enfin, lorsque Turin a épuisé son « capital » de faute, il choisi de se suicider de manière dramatique exactement à la manière des héros antiques. Ceci est d’autant plus remarquable que les cas de suicides sont fort rares dans la Terre du Milieu. Nous avons même le destin post mortem avec son utilisation comme champion par les puissances surnaturelles lors de la dernière bataille eschatologique à la fin des temps. Cet épisode n’a pas été conservé par Christopher Tolkien dans le Silmarilion tel qu’il a été publié en 1977. Peut-être car il causait d’énormes difficultés dans une « théologie d’Arda ». Mais nous l’avons dans le volume V de l’History of Middle Earth où il est dit « Morgoth voyant que la garde s’est relachée, reviendra par la porte de la nuit hors du vide éternel; et il détruira le soleil et la lune. Mais Earendel (sic) fondra sur lui tel une flamme incandescente et le boutera hors des airs. Alors sur les prés de Valinor se déroulera la Dernière Bataille. Ce jour là Tulkas affrontera Morgoth, et à sa droite sera Fionwe, et à sa gauche Turin-Turambar, fils de Hurin, sortit des cavernes de Mandos, et la noire épée portera à Morgoth le coup fatal et ainsi les enfants de Hurin et tous les hommes avec eux seront vengés » (traduction personnelle).

La « Geste des enfants de Hurin » a été écrit bien avant la publication par Dumézil du moindre travail sur les trois « péchés » du guerrier. Différentes possibilités peuvent être envisagées :

  • Tolkien lui même avait découvert les trois fonctions et la structure commune à tous les guerriers archétypaux indo-européens. Ces découvertes feraient partie des nombreux travaux académiques que nous savons qu’il avait en tête mais qu’il ne prit jamais le temps de formaliser car il était trop occupé à faire vivre et développer son monde imaginaire. Une telle hypothèse relève à mes yeux d’une forme de « Tolkienolatrie », et, personnellement, je ne suivrai pas cette piste.
  • Tolkien et Dumézil se connaissaient ou étaient en correspondance et avaient échangé sur ces sujets avant une publication officielle. Si l’on considère la réputation de chacun des deux hommes dans leur spécialité, cette hypothèse n’a rien d’irréaliste. Malheureusement rien dans la documentation publiée (les lettres, les biographies ou les treize volumes de l’History) ne le laisse à penser. Jusqu’à preuve du contraire cette piste me semble donc elle aussi relativement hasardeuse.
  • Tolkien était si imbibé de mythologies indo-européennes et avait pour cette matière une telle empathie qu’il était capable d’en reproduire inconsciemment à la perfection les structures. Une telle performance est bien suffisante, à mes yeux, pour justifier mon admiration pour mon auteur préféré.

 

Jean Chausse,
novembre 2003.