John Ronald Reuel Tolkien, universitaire, professeur de philologie anglo-saxonne à Oxford (il finit sa carrière à Merton College), est connu des spécialistes de l’anglo-saxon médiéval pour ses travaux sur Beowulf (poème anonyme qui prit forme vers le VIe siècle), l’ouvre la plus commentée d’Angleterre.

En marge de son œuvre académique, l’œuvre de sa vie, celle dont il dit qu’il l’a écrite ” avec son sang “, consiste en l’élaboration d’un monde (Middle-Earth traduit par la terre-du-milieu, mais en anglais médiéval, cela désigne notre terre ou monde tout simplement) peuplé d’êtres imaginaires ayant une mythologie propre. C’est que ce projet, commencé durant la grande guerre que Tolkien affronte dans le Nord (bataille de Cambrai, de la Somme), visait à donner à l’Angleterre les légendes dont elle manquait au regard des grecs par exemple. Cette mythologie (et monde imaginaire) a deux sources : l’âme celtique et le christianisme (Tolkien était catholique romain).

Littérairement, cette œuvre s’est déclinée principalement en trois livres : Bilbo le Hobbit (1937), le Seigneur des Anneaux (1954-1955), et le Silmarillion (1977). Parcourons-les dans l’ordre chronologique des légendes et non de leur rédaction. Le Silmarillion raconte les deux premiers âges des légendes et commence par un récit de création du monde par Eru – Ilúvatar (Dieu). Les principaux protagonistes y sont les Valar (ou Ainur, les anges) et les Eldar, c’est-à-dire les elfes, dont Tolkien narre leur guerre contre Melkor – Morgoth (Satan). Les hommes n’apparaissent que tardivement dans ce monde, après les elfes (et les nains, qui sont une race à part entière) notamment. Le Silmarillion ne fut pas publié par Tolkien lui-même qui ne parvint pas à rendre cohérentes des légendes qui, au moment de sa mort, existaient parfois en une bonne douzaine d’états, puisque commencées depuis près de soixante ans ! C’est à son fils, Christopher qu’échue la tâche de ” compiler ” le Silmarillion, c’est-à-dire de faire des choix dans les différentes versions existantes. Ainsi paru en 1977 le Silmarillion (depuis (1983-1996), Christopher a rendu public presque tous les manuscrits originaux, avec leurs contradictions, sous la forme d’une série de douze volumes au titre général The History of Middle-Earth). Le second âge, où les hommes côtoient les elfes est aussi présenté dans une espèce de ” suite ” du Silmarillion : Les contes et légendes inachevées. Tolkien y reprendra le mythe de l’Atlandide. Le Vol de l’Anneau Unique marque le terme du second âge.

Bilbo le Hobbit se situe, lui, à la fin du troisième âge. Bilbo est donc un Hobbit (être intermédiaire entre les nains et les hommes). Bilbo reçoit pour mission d’aller dérober le trésor de Smaug, un dragon. Au passage, il s’empare d’un anneau, celui dont il sera question dans la suite de Bilbo : le Seigneur des anneaux. Bilbo était avant tout un livre pour les enfants. Son succès fut tel que les éditeurs voulurent une suite et Tolkien mit quinze ans à l’écrire : elle fait mille pages.

Le Seigneur des anneaux est l’histoire d’une quête. Frodo, le neveu de Bilbo, doit détruire l’anneau trouvé par son oncle. Cet anneau est en effet le seigneur des anneaux, un anneau magique forgé, durant le second âge, par Sauron (le premier lieutenant de Melkor). Quiconque a l’anneau peut dominer le monde. Si Sauron le retrouve, le mal l’emportera sur le bien et le monde connaîtra les ténèbres. La seule solution est de détruire l’anneau en le fondant dans le feu où il fut forgé, dans l’antre du Malin.
Pour rendre ce monde imaginaire plus crédible, Tolkien a utilisé une mise en perspective en se référant à des légendes toujours plus anciennes. Le Seigneur des anneaux évoque constamment les légendes du Silmarillion (qui n’était pas publié alors, ce qui explique qu’il fut très attendu). Cette impression d’historicité est redoublée par un souci philologique propre à Tolkien (ce qu’il appelait son ” vice secret “). Il a doté ses êtres imaginaires (ainur, maiar, elfes, hobbits, orcs, trolls, ents, etc.) de langues propres. La plus connue et développée, pour laquelle il existe dictionnaire et grammaire, est le Quenya, une des langues des elfes, qui s’écrit avec un alphabet spécifique, dont les lettres se nomment des tengwar. Enfin, l’aspect historique est renforcé en ce que Tolkien situe notre monde contemporain au septième âge. Son monde appartient en quelque sorte à la préhistoire. Son projet était bien d’explorer les voyages dans le temps (tandis que C. S. Lewis, son célèbre ami, et professeur oxonien comme lui, explorait les voyages dans l’espace avec sa Trilogie cosmique par exemple).
Non content d’inventer un monde, Tolkien l’a aussi illustré. Son œuvre picturale est d’envergure. Peintures, aquarelles, esquisses peuplent – à la lettre – le monde qui est le sien.

En bref, la seule œuvre imaginaire est polymorphe : littéraire, linguistique, artistique. Il faut ajouter que bien  évidemment Tolkien a fait la théorie du conte de fée (dans un livre Faërie).

La terre-du-milieu fait la joie des rôlistes qui y voient un monde donnant un cadre où chacun peut devenir qui un elfe, qui un orc, qui un hobbit, être bon ou mauvais. Le Seigneur des anneaux a été élu livre du siècle par les Anglais. Peter Jackson en tourne actuellement, en Nouvelle-Zélande pour les extérieurs, une adaptation cinématographique (trois films de deux heures) à fort budget et renfort d’effets spéciaux.

Michaël Devaux.