L’œuvre de Tolkien est immense. Par sa taille, sa richesse, sa longévité, par bien des aspects en réalité… La littérature secondaire (les différents articles et livres commentant l’œuvre de J.R.R.T.) est légion, que ce soit en langue anglaise mais aussi désormais en langue française.

Alors comment en appréhender la portée ? Par où commencer ? Pourquoi est-elle si remarquable ? Qu’est-ce qui fait finalement qu’on aime lire Tolkien ?

Depuis 20 ans, c’est l’objectif de JRRVF que d’étudier et commenter l’œuvre de Tolkien, de partager avec vous études, essais et autres commentaires.

Grâce au travail de J-M Beaupain (alias Pellucidar sur le forum) avec cette superbe image et divers auteurs et compilateurs, vous pourrez aborder certains des points majeurs de la vie et de l’œuvre de Tolkien. Bien entendu, n’hésitez pas à faire part de vos réflexions et commentaires sur le forum (ou dans le zone “Commentaires” en bas de page).

J’ai intitulé cette rubrique “Tolkien en 1 image” car il fallait bien lui trouver un nom. Bien entendu, on ne saurait condenser toute une vie de travail et de passion en un seul tableau, si beau soit-il. Pour autant, les dizaines d’objets qui y sont rassemblés et les notices que vous pourrez lire dans cette page en sont un résumé pertinent.

“Tolkien en 1 image”, c’est donc aussi une large introduction à l’œuvre de Tolkien, avant que vous ne plongiez plus profondément au sein de JRRVF et des écrits de Tolkien lui-même.

Bonne lecture !
Cédric.

En détail

Pour profiter de toute la beauté de l’image et de ses détails, vous pouvez cliquer et zoomer sur chacune des parties de l’image données ci-dessous.

Introduction

En guise d'introduction, quelques mots issus de Wikipedia : Clive Staples Lewis, plus connu sous le nom de C. S. Lewis, né à Belfast le 29 novembre 1898 et mort à Oxford le 22 novembre 1963, est un écrivain et universitaire britannique. Il est connu pour ses travaux sur la littérature médiévale, ses ouvrages de critique littéraire et d'apologétique du christianisme, ainsi que pour la série des Chroniques de Narnia parues entre 1950 et 1957.

Ami très proche de J. R. R. Tolkien, il enseigne à ses côtés à la faculté de littérature anglaise de l'université d'Oxford ; ils faisaient tous deux partie du cercle littéraire des Inklings.

 

Compilation réalisée par Sosryko, septembre 2016

  • 1926 : rencontre de Tolkien et C.S. Lewis. Tolkien, 34 ans, après un passage par l’université de Leeds, revient sur Oxford après avoir été élu (en juillet) à une chaire de vieil-anglais et obtenu (en octobre) un poste au Pembroke College. C.S. Lewis, 27 ans, est alors jeune professeur de littérature anglaise au Magdalen College depuis 1925.
  • 1927 : Tolkien introduit C.S. Lewis au club des Coalbiters.
  • 1931 : Tolkien et C.S. Lewis rejoignent le club littéraire des Inklings. Les affinités littéraires de Lewis et Tolkien sont nombreuses. Parmi celles qui ont été relevées sur JRRVF :
    • en 2006, à l’occasion de la parution du Vent dans les Saules aux éditions Phébus, Fangorn nous rappelle que C.S. Lewis et Tolkien connaissaient bien ce conte de Kenneth Grahame.
    • déjà en 2003, il évoquait An Experiment with Time (1927) de J.W. Dunne, autre livre important à plus d’un titre pour Tolkien et Lewis (voir à1937)
    • quant à Sosryko, il rappelle en 2002 que C.S. Lewis avait invité Tolkien à rejoindre l’Oxford Dante Society et suggère que les lectures partagées du Purgatoire ont pu inspirer la formulation du Notre Père en Quenya.
  • 1930-1931 : C.S. Lewis accompagne Tolkien dans sa tentative de refonte des études linguistiques et littéraires de l’université d’Oxford.
  • 1931 est aussi une année personnellement charnière pour C.S. Lewis car elle correspond à sa conversion à la foi chrétienne. Tolkien a joué un rôle non négligeable dans son cheminement spirituel et c’est à la suite de longs échanges sur les mythes et l’Évangile que Lewis, alors théiste après avoir abandonné la foi de ses jeunes années et professé l’athéisme (Spirits in Bondage, 1919), devient chrétien. Ces échanges autour du Mythe, de l’Homme et du Créateur conduiront Tolkien à écrire un poème, Mythopoeia. Avec Tolkien, Lewis accepte (ainsi que Szpako l’écrit en 2003) que finalement le plus beau des contes de fées est celui du Christ car « cette histoire est entrée dans l’Histoire et le monde primaire » (Faërie, épilogue). Pour Tolkien le cœur du Christianisme est un mythe qui est aussi un fait et Lewis de renchérir : « The old myth of the Dying God, without ceasing to be myth, comes down from the heaven of legend and imagination to the earth of history » (Essays on Theology and Ethics, p.66).
  • 1936 : C.S. Lewis se lie d’amitié avec Charles Williams, lequel rejoint les Inklings.
  • 1937 (ou juste avant) : les réflexions sur la fonction du mythe conduisent C.S. Lewis et Tolkien à l’écriture d’œuvres prévues pour être complémentaires. Humphrey Carpenter, biographe des Inklings et de Tolkien, rapporte ainsi la proposition de Lewis à Tolkien :

« “Tollers, il y a trop peu de ce que nous aimons vraiment dans les légendes. Je crains que nous ne soyons obligés d’en écrire nous-mêmes”. Ils convinrent que Lewis essaierait “les voyages dans l’espace” et Tolkien  “les voyages dans le temps”. » (Cédric)

Il s’agit en réalité d’une citation d’une lettre de Tolkien (no294 ; voir aussi nos24, 159, 257). Pour Tolkien, cela se traduit par la rédaction de la Route Perdue. S’il ne mène pas au bout le projet d’écriture (il faudra attendre la parution en 1987 du cinquième volume des Histoires de la Terre du Milieu pour lire le manuscrit), Lewis termine Au-delà de la Planète Silencieuse en 1937, le propose à un éditeur qui le publie dans la foulée (1938). Tolkien est enthousiaste à la lecture du livre et personnage principal, le Dr. Elwin Ransom, est un professeur de philologie de l’université d’Oxford qui ressemble beaucoup à un Tolkien « lewisisé » (voir Lettres, no77). Tolkien acceptera l’hommage et reprendra le nom du personnage dans The Notion Club Papers (HoMe IX).

  • 1940-1948 : C.S. Lewis entre dans une période intense d’activité radiophonique et d’écriture d’essais philosophiques et théologiques qui font de lui, en quelques années, un apologète célèbre :
    • le Problème de la souffrance (1940 ; qui déçoit Jean),
    • Tactique du diable (1942),
    • The Case for Christianity (1942),
    • Broadcast Talks (1942),
    • Christian Behaviour (1942),
    • l’Abolition de l’Homme (1943 ; cité par Sosryko),
    • le Grand Divorce (1945)
    • et Miracles (1947).

Dans cette même période, Au-delà de la Planète Silencieuse est suivi de deux autres romans de science-fiction théologiques : Perelandra (1943) et Cette Hideuse Puissance (1945), lequel clos ce qu’il est convenu d’appeler la Trilogie Cosmique et qui entre en résonance avec une certaine actualité de 2015.

Si C.S. Lewis, dans Cette Hideuse Puissance, rend hommage au monde du légendaire tolkienien en employant les termes de « l’Ouest véritable » et de Numinor (renvoyant ainsi au Númenor de la Route Perdue), force est de constater que les thématiques et le genre sont ceux de Charles Williams. De manière symétrique, Tolkien reprendra la notion de Lewis des hnau telle qu’on la rencontre dans Au-delà de la Planète Silencieuse.

Entre les deux derniers romans de la Trilogie Cosmique paraît English Literature in the Sixteenth Century dans la collection « Oxford History of English Litterature » (1944). En 1948, Tolkien évoque cet ouvrage dans une lettre d’excuses qu’il adresse à C.S. Lewis à la suite de vives critiques formulées au cours d’une lecture de Lewis aux Inklings (Lettres, no113).

Cette période 1940-1948 peut donc être considérée comme celle de l’apparition des causes de l’éloignement futur entre Tolkien et Lewis. Ces causes sont multiples : les prises de positions théologiques publiques de C.S. Lewis désolent Tolkien et l'antipapisme privé de son ami (revenu dans l’Église anglicane en se convertissant) le blesse ; à cela s'ajoute une certaine jalousie devant la rapidité d’écriture de Lewis, le succès d’édition qui est le sien ou son admiration à l’égard de Charles Williams – Tolkien regrettant l’influence grandissante de ce dernier sur C.S. Lewis.

  • En 1949, Tolkien voit paraître le Fermier Gilles de Ham accompagné d’illustrations de Pauline Baynes dont il présente le travail à C.S. Lewis. Bien que C.S. Lewis n’apprécie pas autant que Tolkien les talents de Pauline Baynes, celle-ci illustrera l’intégralité des sept chroniques de Narnia :
    • le Lion, la Sorcière Blanche et l’Armoire magique (1950 ; cité par Yyr),
    • le Prince Caspian (1951),
    • l’Odyssée du passeur d’Aurore (1952 ; cité par Fangorn, Yyr et Romaine),
    • le Fauteuil d’Argent (1953 ; cité par Yyr),
    • le Cheval et son écuyer (1954)
    • le Neveu du Magicien (1955 ; cité par Fangorn)
    • la Dernière Bataille (1956)

En 2001 et en 2002, Fangorn, en passe de devenir un grand lecteur de C.S. Lewis, annonce la parution en poche de la traduction française des Chroniques de Narnia, 40-50 ans après leur publication en Angleterre. Cédric, qui avait été le premier à relever la nouvelle, associait alors non sans raison cette publication tardive avec le succès de Harry Potter en France.

Les trois premiers titres des Chroniques ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques qui n’ont quasiment pas été abordées sur le forum sinon ici ou .

  • 1954 : nomination de C.S. Lewis au poste de professeur de littérature anglaise du Moyen Âge et de la Renaissance à l’université de Cambridge. Ce départ d’Oxford accélère le délitement des Inklings, dont Lewis était rapidement devenu l’élément central (Lettres, no298).
  • 1955 : C.S. Lewis publie une critique du Seigneur des Anneaux (« The Dethronment of Power », Time & Tide 36 du 22 octobre) dans laquelle, entre autre, il souligne le lien qui existe entre le traitement de la guerre dans le roman et la guerre telle que Tolkien et lui-même ont pu la vivre dans les tranchées.
  • 1956-1963 : la rencontre de C.S. Lewis avec Joy Davidman, avec laquelle il se marie en 1956 et qui mourra quatre ans plus tard d’un cancer des os correspond à la période du plus grand éloignement entre Tolkien et C.S. Lewis.

Pendant cette période, C.S. Lewis écrit non seulement des essais de spiritualité (Réflexions sur les Psaumes, 1958 ; Lettres à Malcom, parution posthume en 1964), philosophique (Les Quatre amours, 1960) ou littéraire (l’Expérience de critique littéraire, 1961) mais aussi un roman, Un Visage pour l’éternité (1961) – certainement le plus personnel et qu’un critique aussi posé et sérieux qu’Irène Fernandez considère comme « peut-être le plus beau » de son œuvre.

Si les essais de spiritualité ne sont toujours pas du goût de Tolkien, ce dernier renoue le contact dans les derniers mois de la maladie qui emporte C.S. Lewis, en novembre 1963. Círdan rapportait en 2002 l’émouvante confidence de Tolkien, dévasté par la mort de celui qui était resté son ami le plus intime :

« Jusqu’ici j’ai eu les émotions normales d’un homme de mon âge – comme un vieil arbre qui perd ses feuilles une à une : là c’est plutôt un  hache près des racines » (Lettres, no251)

  • 1973 : Mort de Tolkien. Selon diverses sources concordantes, C.S. Lewis avait rédigé, à la fin des années 1950, une présentation de Tolkien qui devient, le 3 septembre 1973, la nécrologie parue dans le Times. Le critique littéraire et auteur de l’Allégorie de l’Amour (1936) y rappelle que le Seigneur des Anneaux n’a jamais été envisagé par Tolkien comme une allégorie de la seconde guerre mondiale :

This things were not devised to reflect any particular situation in the real world. It was the other way round. Real events began horribly, to conform to the pattern he had freely invented. 

Ainsi que Jean le concluait en 2008, une telle conformité des événements historiques au schéma librement inventé met en évidence l’applicabilité du mythe à la compréhension de l’Histoire et de l’Homme (Szpako, en 2001, faisait de même en faisant allusion au même texte de C.S. Lewis).

Círdan revient en 2014 sur le sujet important de l’allégorie et questionne l’usage que Tolkien et Lewis en faisaient. On retient souvent le mépris que Tolkien affichait pour ce procédé, mais la réalité n’est pas aussi tranchée, ainsi que nous le rappelle Elendil (cf. déjà Vinyamar en 2005).

L’écart entre Tolkien et Lewis réside en ce que l’allégorie employée par C.S. Lewis intervient dans des œuvres littéraires fréquemment et volontairement conçues comme une apologie de la foi chrétienne.

Une telle dimension apologétique explique une réception faite à C.S. Lewis dans les milieux chrétiens évangéliques qui dépasse celle de Tolkien. Le forum en témoigne incidemment, à l’occasion de vacances récentes de notre webmaster dans les montagnes de Tenerife.

Une telle apologie chrétienne n’est pas du goût de certains amateurs de Tolkien qui y voient là une forme d’excès rédhibitoire (Tirno).

D’autres au contraire, tel Jean de retour de l’Oxonmoot 2010, se réjouissent de prolonger la découverte des œuvres de Tolkien par celles de C.S. Lewis.

Ainsi, parmi les amateurs de Tolkien sur JRRVF, ceux qui apprécient aussi Lewis l’apprécient avec enthousiasme (Fangorn, Jean, Yyr, Sosryko), tandis que plusieurs rejettent Lewis à cause d’une écriture trop différente de celle de Tolkien (Lambertine, Laegalad, Vinyamar).

Cependant la qualité du critique littéraire n’est jamais mise en cause – et Hyarion nous rappelle qu’un écrivain aussi opposé aux cercles des auteurs d’Oxford que Philip Pullman ne franchit pas cette limite. Et lorsqu’il s’agit d’expliquer la raison de « l’obsession » qui pousse les participants de ce forum à explorer l’œuvre littéraire de Tolkien, c’est en compagnie de larges extraits de l’Expérience de critique littéraire de C.S. Lewis (1961) que Fangorn répond mieux qu’aucun autre n’aurait pu.

 

Bibliographie complémentaire

  • The Collected Letters of C.S. Lewis:
    • Family Letters 1905-1931 (Zondervan ; isbn : 0060884495)
    • Books, Broadcast, and the War 1931-1949 (Zondervan ; isbn : 0060883324)
    • Narnia, Cambridge, and Joy 1950-1963 (Zondervan ; isbn : 0060819227)
    • C.S. Lewis Essay Collection. Literature, Philosophy and Short Stories (HarperCollins ; isbn : 0007136544)
    • C.S. Lewis Essay Collection. Faith, Christianity and the Church (HarperCollins ; isbn : 0007136536)
    • The C.S. Lewis Readers’ Encyclopedia (Zondervan ; isbn : 0310215382)
    • Alister McGrath, C.S. Lewis. A Life (Tyndale ; isbn : 1496410459)
    • Irène Fernandez, C.S. Lewis. Mythe, raison ardente (Ad Solem ; isbn : 2884820612)
    • Daniel Warzecha, L’imaginaire spirituel de CS Lewis. Expérience religieuse et imagination dans son œuvre de fiction (L’Harmattan ; isbn : 229610911X)
    • notices « Lewis, C.S. », « Inklings », « Tolkien, J.R.R., carrière & travaux universitaires » dans le Dictionnaire Tolkien (CNRS Éditions ; isbn : 2271075041)

Simonne d'Ardenne

Notice n°2, par J-M Beaupain

Simonne d’Ardenne et Priscilla Tolkien vers 1937.

Simonne Rosalie Thérèse Odile d’Ardenne (1899-1986) est une philologue belge, spécialiste du moyen anglais. En février 1932, elle est admise à Oxford où Tolkien supervise sa thèse, une édition du texte Liflade ant te Passiun of Seinte Iuliene. Durant un an, elle habite chez les Tolkien au 20 Northmoor Road et devient une amie proche de la famille, particulièrement de Priscilla Tolkien. Sa thèse (publiée sous son seul nom en 1936) lui permet d’obtenir un doctorat de l’université de Liège et d’y être engagée deux ans plus tard en tant que professeur de grammaire comparée. En novembre 1937, elle produit une traduction en français de la première version de Farmer Giles of Ham (publiée seulement en 1975) et est suggérée par Tolkien à son éditeur comme possible traductrice du Hobbit qui vient de paraître.

D’Ardenne commence à travailler avec Tolkien sur une édition de Seinte Katerine (une vie de Catherine d’Alexandrie), mais la Seconde Guerre mondiale interrompt leur collaboration. Excepté un message transmis par la Croix Rouge Internationale en décembre 1943, Tolkien n’aura plus de nouvelles de son amie durant toute la durée du conflit, pendant lequel elle prit de gros risques en aidant à faire passer en zone non occupée des aviateurs alliés recueillis par la Résistance. La fin de la guerre voit leur collaboration reprendre (mars 1945), avec un second séjour de «tatie» Simonne dans la famille à l’été 47. Plusieurs rencontres ont lieu à Liège dans les années 50, notamment en octobre 54 où il est fait Docteur Honoris Causa à l’ULg sur proposition de Simonne d’Ardenne qui prononcera un discours de présentation. Mais Tolkien est de plus en plus accaparé par son oeuvre de fiction et leurs échanges deviennent sporadiques, même s’ils continueront à s’écrire régulièrement. Simonne d’Ardenne participera encore au Festschrift présenté à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Tolkien (1962) ainsi qu’au recueil d’hommages posthumes J.R.R. Tolkien : Scholar and Storyteller: Essays in Memoriam (1979).

 

Pour compléter cette notice, consultez l'excellent fuseau consacré à Simonne d'Ardenne sur le forum.

 

Liège

Notice n°3, par J-M Beaupain

Façade néo-classique de l’entrée principale de l’Université de Liège (1817).

Liège (Belgique) et son université est un des endroits hors Angleterre que Tolkien a le plus visité, en partie à cause de ses liens d’amitiés avec Simonne d’Ardenne (voir la notice (2) sur cette même page). Il s’y rend une première fois en novembre 1950, où, représentant l’Université d’Oxford, il participe à la première de deux conférences données à l’occasion du 60ème anniversaire des Facultés de Philologie romane et germanique. L’année suivante, en septembre, pour le Congrès International de Philologie et la seconde conférence, il présente Middle English ‘Losenger’ : Sketch of an Ettymological and Semantic Enquiry. En compagnie des autres conférenciers, il est reçu dans divers endroits de la ville et visite la région. En octobre 1954, il retourne à l’ULg une troisième fois pour y être fait Docteur Honoris Causa.

En septembre 1957, dernier voyage à Liège où il loge plusieurs jours chez Simonne d’Ardenne à Solwaster. A la mort de cette dernière en 1986, sa bibliothèque personnelle (qui contient un certain nombre d’éditions originales signées par Tolkien, des photos, des lettres, des épreuves d’imprimerie corrigées, des notes prises aux cours de Tolkien, etc) est léguée à l’université. En mai 1992 s’y déroule une « exposition Tolkien » à l’occasion du centenaire de sa naissance et plusieurs de ces documents sont présentés au public (les lettres seront quant à elles rétrocédées à Priscilla Tolkien). En septembre 2011, Tolkien est de nouveau mis à l’honneur dans le cadre des 23ème Journées du Patrimoine en Wallonie sur le thème des écrivains.

The Return of the King

Notice n°4, par J-M Beaupain

“Proof print” du Return Of The King et sa transcription en Tengwar rajoutée à la main par Tolkien.

Lors de sa troisième visite à Liège en octobre 1954, Tolkien donna à Simonne d’Ardenne les épreuves d’impression du Retour du Roi qu’il a relues et corrigées ainsi qu’une épreuve de la jaquette de La Communauté de l’Anneau.

Propagande

Notice n°5, par Jean-Rodolphe Turlin

Carte de propagande publiée par le Parliamentary Recruiting Commitee entre 1914 et 1917 (archives de l’Ontario).

L’entrée en Guerre du Royaume-Uni en août 1914 contre l’Empire allemand a entraîné le développement d’une propagande nationaliste et « va-t-en-guerre », pilotée depuis le ministère de la guerre de Lord Kitchener. Outre ses fortes intentions idéologiques, cette propagande, dont la production la plus connue représente Lord Kitchener lui-même (par l’artiste Alfred Leete), visait également à inciter les jeunes hommes de l’ensemble de l’Empire britannique, à faire acte de volontariat et à s’engager dans les forces armées.

L’affiche d’Alfred Leete (septembre 1914).

En effet, si l’Angleterre et les Dominions possédaient des troupes professionnelles, les premières batailles de 1914 ont été de véritables saignées pour les forces britanniques. La nécessité de recruter des troupes fraîches en grand nombre est alors devenue une priorité pour le gouvernement de Sa Majesté.

Martelée par tous les médias existants, la propagande a imposé une lourde pression sociale sur la jeunesse anglaise. Des centaines de milliers de jeunes hommes se sont engagés aussi bien par patriotisme que par conformisme durant les premiers mois de la guerre. L’entourage de J. R. R. Tolkien n'a pas fait exception à la règle. Son jeune frère de Hilary, s’est enrôlé à la fin de l’été 1914 et ses amis Robert Q. Gilson, Geoffrey B. Smith puis Christopher Wiseman, membres du T. C. B. S,. se sont engagés à partir de l’automne 1914.

Tolkien n’était pas contraint de s’enrôler, et il a préféré achever ses études à Oxford, comme le lui permettait le régime du volontariat. Mais la pression de la propagande culpabilisait les jeunes restés à l’arrière. Tolkien, fiancé à Edith Bratt depuis janvier 1914, finit donc par intégrer un corps d’entraînement d’officiers : il put ainsi effectuer un service militaire tout en poursuivant ses études, et en restant près de sa future femme.

 

Pour compléter cette notice, consultez la page Tolkien et la Somme sur le site.

 

Les Calendriers Tolkien

Notice n°6, par Cédric Fockeu

Tout comme les pompiers, les facteurs, les rugbyman, les mannequins, Tolkien a également son calendrier annuel. C’est d’ailleurs à ma connaissance le seul calendrier dédié à l’oeuvre d’un écrivain. Car, ce n’est plus un secret, l’une des forces des écrits de Tolkien est sa capacité à enflammer l’imaginaire de ses lecteurs. Paysages, scènes bucoliques ou de batailles, personnages nobles comme humbles, suscitent toutes sortes de représentations de la Terre du Milieu. Que ce soit le HobbitLe Seigneur des Anneaux ou Le Silmarillion, et d’une manière générale toute la matière du “Légendaire” chez Tolkien, tout cela a un réel impact sur notre imagination.

Rien d’étonnant donc à ce que quantité d’illustrateurs, amateurs ou professionnels, se soit lancé dans les illustrations du monde de Tolkien.

Rappelons d’ailleurs que Tolkien fut l’un des premiers auteurs à accompagner son oeuvre de ses propres dessins. Citions par exemple sa mythique carte de la Terre du Milieu.

 

De 1969 à nos jours

Le phénomène des illustrations prend son essor quelques années après la parution du dernier tome du Seigneur des Anneaux, en 1955. Ainsi le premier calendrier est publié par Tim Kirk en 1969.

Puis, en 1973 et sans interruption, ce sont les différentes maisons d’édition de Tolkien qui se lancent dans les “produits dérivés”. Ballantine Books aux Etats-Unis lance le 1er calendrier commercial comportent notamment (exclusivement ?) des reprises de dessins de Tolkien.

Les choses s’accélèrent en 1974 avec George Allen & Unwin (premier éditeur de Tolkien en Angleterre) qui se lance à son tour, accompagné de Faun Fantasy Press et d’autres éditeurs qui éditent leur propre calendrier.

En 1980, dans la foulée de son adaptation - inachevée - du Seigneur des Anneaux, Saul Zaentz publie un calendrier qui reprend les images du film qu’il a produit (avec Ralph Bakshi aux commandes).

Chaque année voit donc paraître plusieurs calendriers Tolkien avec notamment les diverses "Tolkien Society" qui se prêtent à l’exercice à travers le monde : Italie, Finlande, Espagne, la liste est longue…

1992, c’est au tour de HarperCollins de proposer sa propre version pour l’année à venir et occupera le terrain avec bon nombre d’autres propositions depuis lors.

Du côté de la France, c’est en 1993 que la société Hexagonal sort pour la première fois un calendrier en langue française avec les illustrations d’un certain … Alan Lee (il est le futur illustrateur des rééditions du Seigneur des anneaux et du Hobbit dont le travail est encore présent aujourd'hui dans les titres publiés récemment chez Christian Bourgois comme Beren et Lúthien - ou encore La Chute de Gondolin). 1993 est d’ailleurs le 100e anniversaire de la naissance de l'écrivain.

Plus proche de nous et de la sphère française de Net, signalons que l’association Tolkiendil publie son propre calendrier.

 

Sources

Pour un inventaire plus précis des divers calendriers publiés, je vous invite à consulter le site The Compleat Gyde to Tolkien Calendars (site en langue anglaise).

 

Quelques exemples

Tolkien Calendar 1999
Illustration par Alan Lee

Tolkien Calendar 1999
Illustration par Alan Lee

Tolkien Calendar 2000
Illustration par John Howe

Tolkien Calendar 2016
Illustration par Tove Jannson

Tolkien Calendar 2017
Dédié au Hobbit, manière de fêter les 80 ans de sa parution (le 21 septembre 1937).

Tolkien Calendar 2017
Dédié au Hobbit, manière de fêter les 80 ans de sa parution (le 21 septembre 1937).

Araignée

Notice n°7, par Cédric Fockeu

Note liminaire : nous utilisons la traduction de Daniel Lauzon dans notre texte quand nous nous référons à Shelob, à savoir Araigne. Cependant, les citations du dictionnaire Tolkien (dont la sortie en librairie est antérieure à la traduction de D. Lauzon) se réfère à la traduction de Francis Ledoux (ie Arachné) avec une variation, à savoir Arachne. Ainsi :

  • Shelob : nom attribué par Tolkien ;
  • Arachné : traduction par Francis Ledoux ;
  • Araigne : traduction par Daniel Lauzon ;
  • Arachne : dictionnaire Tolkien.

Introduction

Le symbole de l’Araignée est parmi les plus connus de l’œuvre de Tolkien. Il est aussi l’un des plus récurrents dans son œuvre car il apparaît dans bon nombre de ses textes.

Un personnage autobiographique ?

Le pourquoi de cette araignée comme l’un des monstres les plus puissants et terrifiants de l’œuvre de Tolkien n’est pas avéré. Certains ont pu avancer l’épisode où Tolkien, encore jeune enfant, habitant alors en Afrique du Sud, se fit mordre par une grosse araignée locale (tarentule). C’est ce qu’évoque Humphrey Carpenter dans la biographie autorisée de Tolkien, parmi d’autres incidents :

Un jour le singe favori d’un voisin passa par-dessus le mur et vint manger trois des tabliers du bébé. Il fallait prendre garde aux serpents qui étaient dans la remise à bois. Et plusieurs mois plus tard, quand Ronald apprit à marcher, il mit le pied sur une tarentule qui le piqua. De terreur, il courut en tous sens dans le jardin jusqu’à ce que la bonne l’attrapât et suçât le venin.

Humphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie (1980), trad. Pierre Alien (revue par Vincent Ferré),
Paris, Christian Bourgois, 2002, page 19.

 

Pourtant il ne faut y avoir aucun lien avec cette expérience enfantine selon Carpenter :

Plus tard, il se souvint d’un jour très chaud et d’une course apeurée dans de hautes herbes mortes, mais le souvenir de la tarentule elle-même s’évanouit, et il disait que l’incident ne lui avait pas laissé une aversion particulière pour les araignées.

Ibid., pp. 19-20.

 

Ce que Tolkien confirme par ailleurs dans sa longue lettre du 7 juin 1955 où il répond à William H. Auden sur la question de son « point de départ », de ce qui l’a amené à écrire Le Seigneur des Anneaux et comment les personnages ont pris vie dans son récit. À la toute fin de cette lettre, il y évoque la présence de l’ « Araignée ».

Il me reste encore tout à découvrir sur les chats de la Reine Berúthiel. En revanche, je connaissais plus ou moins tout du rôle de Gollum, et de Sam, et je savais que le chemin était gardé par une Araignée. Et si cela a un quelconque rapport avec la tarentule qui m’a piqué lorsque j’étais un tout jeune enfant, les gens sont libres de le penser (en supposant, ce qui est improbable, que cela intéresse quelqu’un). Je puis seulement dire que je ne m’en souviens absolument pas, que je ne serais pas au courant si on ne me l’avait pas raconté ; que je ne déteste pas particulièrement les araignées, et que je n’ai aucun besoin de les tuer. D’ordinaire, je sauve celles que je trouve dans la baignoire !

J.R.R. Tolkien, Lettres (1981), trad. Delphine Martin et Vincent Ferré,
Paris, Christian Bourgois, 2005, page 308.

 

On peut conclure sans aucun doute que le motif de l’Araignée n’a donc rien de biographique. Plus simplement, on pourra supposer que le choix de cette araignée fait écho à une peur relativement fréquente chez les bêtes à deux pattes que nous sommes. C’était le cas d’ailleurs de Michaël Tolkien, l’un des fils de J.R.R, arachnophobe (voir Damien Bador, Coralie Potot, Vivien Stocker, Dominique Vigot, dir., L'Encyclopédie du Hobbit, Le Pré aux Clercs, 2013, p. 106, entrée « Araignées »..).

Convenons qu’une araignée « normale » peut ne pas faire peur mais il en serait tout autrement pour chacun d’entre nous si nous faisions face à une araignée d’une taille démesurée, capable de faire peur aux Êtres les plus puissants de la Terre du Milieu ?

Dans les écrits

Nous le disions, l’Araignée est un motif récurrent et quiconque a lu Tolkien (ou même vu certains films qui en sont inspirés) sait ce que signifie au moins en partie ce « personnage ».
Le Monde de Tolkien est rempli de Merveilles. Il est un hommage aux Mots, aux Langages, à la Nature et à l’Espoir et le contraste est d’autant plus fort quand ce sens du Beau, du Bien fait face à la Corruption d’Arda, au Mal, incarné notamment par les Araignées.

Si nous considérons uniquement les trois « principales » œuvres de Tolkien, à savoir Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillion, nous y retrouvons à chaque fois le personnage de l’araignée.
Pour celles et ceux qui ont découvert les titres de Tolkien dans l’ordre suivant – tout comme j’ai pu les découvrir moi-même – il y a une sorte de gradation entre les araignées du Hobbit, du Seigneur des Anneaux puis du Silmarillion. Une gradation et une progression dans leur capacité de nuisance, leur pouvoir, dans l’horreur pour ainsi dire.
Les araignées du Hobbit sont maléfiques mais sont en accord avec l’ambiance du roman et le public à qui il s’adresse originellement (les enfants de Tolkien). Ces araignées (voir le chapitre VII, « Mouches et araignées ») parlent et communiquent mais leur plan est finalement facilement déjoué par le courage et l’épée de Bilbo (il réussit même à tuer l’une d’entre elles).

Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillion retracent des événements bien plus dramatiques et les personnages qui y figurent sont là aussi à l’avenant. L’araignée y est un personnage à part entière, un être pensant, rusé voire intelligent, uniquement motivée par la Corruption et la Destruction.
C’est le cas d’Araigne comme le révèle les chapitres « L’Antre d’Araigne » et « Les choix de maître Samsaget » dans Le Seigneur des Anneaux où elle apparaît, rivalisant sans mal avec les Nazgûl dans sa malice et perversité :

Elle ne connaissait rien et n’avait cure des tours et des anneaux, ni de toutes ces créations de l’esprit ou des mains ; elle qui, à tout autre qu’elle, ne souhaitait que la mort, corps et âme, et pour elle-même une débauche de vie, seule au monde, enflée jusqu’à ce que les montagnes ne pussent plus la soutenir et les ténèbres la contenir.

J.R.R. Tolkien - Les Deux Tours (1966), Paris, Christian Bourgois, 2015,
Chap. 9, L’antre d’Araigne, p. 399.

Sa pensée n’est qu’une obsession :

Elle incarne le Mal dans sa plus grande pureté, un Mal sans principe, sans aspiration particulière contrairement à Sauron par exemple, sans aspiration que l’apaisement de cette faim aveugle et insatiable.

Vincent Ferré, dir., Dictionnaire Tolkien, entrée « Sexualité dans l’œuvre de Tolkien »

 

Arachne et Sauron se rejoignent cependant sur un point car même s’il « n’existe […] pas d’alliance entre Arachne et Sauron […] ils [n’]ont [que] la haine en commun » (Lettres, n° 144 à Naomi Mitchinson).

Le mal sourde littéralement d’Araigne et corrompt son environnement. Il se diffuse autour d’elle et devient palpable.

Ils se tinrent bientôt sous cette ombre, et là, au milieu, ils aperçurent l’entrée d’une caverne. « C’est par là, dit doucement Gollum. C’est l’entrée du tunnel. » Il n’en prononça pas le nom : Torech Ungol, l’Antre d’Araigne. Une puanteur en émanait, non pas l’écœurante odeur de pourriture des prairies de Morgul, mais un relent nauséabond, comme d’une ordure innommable, lentement accumulée dans les ténèbres à l’intérieur.

Les Deux Tours, p. 399.

 

Dans une moindre mesure, la forêt de Grand'Peur connaît le même phénomène et les araignées qui y habitent n’y sont pas étrangères.

De tous côtés, ses faibles rejetons, bâtards de misérables mâles, sa propre progéniture, que souvent elle tuait, se répandaient de vallon en vallon, de l’Ephel Dúath aux collines de l’est, jusqu’à Dol Guldur et aux repaires de Grand’Peur. Mais aucun ne pouvait rivaliser avec elle, Araigne la Grande, dernier enfant d’Ungoliant à affliger le monde malheureux.

Ibid.

 

Araigne veut le Néant mais elle est aussi un obstacle vers le Salut. Elle est finalement le seul adversaire vivant qu’aient à affronter directement en combat Frodo et Sam – une fois séparés de la Compagnie – dans leur Quête pour détruire l’Anneau qui scellera le Destin de la Terre du Milieu.
Le nom même de “Araigne” témoigne qu’il s’agit d’une araignée fondamentale, comme si ce nom était la personnification d’un genre à part entière. Personne n’a pu la vaincre même si Sam l’a gravement blessée dans les circonstances (un peu heureuses) que l’on sait. Est-elle plus puissante que les Nazgûl eux-mêmes ? Probablement, car la force de ces derniers ne résidait que dans la peur qu'ils engendraient.
Signe de sa Puissance, Araigne peut être considérée comme l’alter-égo de Galadriel, son double du côté des Ténèbres, comme nous le décrit le dictionnaire Tolkien :

Traitée avec déférence, comme en témoigne le nom "Her Ladyship" - traduit en "Madame" - qui lui est attribuée, ainsi que l'utilisation du pronom personnel "She" ("Elle"), Arachne est présentée par Tolkien comme étant une créature très féminisée, formant le pendant maléfique de Galadriel (même situation au cœur d'un lieu impénétrable, mais opposition tranchée entre les ténèbres et la lumière). […] Arachne, qui met à mort sa progéniture, apparait comme une "femme-araignée" diabolique et rusée; elle tisse dans son antre de Cirith Ungol des toiles d'obscurité qui empoisonnent les sens et les esprits pour prendre au piège ses victimes. […] Si l'histoire ne dit avec précision ce qu'il advient d'elle, Tolkien émet une hypothèse, nous éclairant sur le destin de Shelob : elle se serait lentement "guéri de l'intérieur" et aurait tissé de nouveau ses toiles funestes, "poussée par une faim mortelle.

Dictionnaire Tolkien, entrée « Arachne ».

 

Pour ce que nous en savons, sous le règne d’Aragorn II, Araigne ne commet pas d’autres crimes notables. Probablement parce que personne n’a osé s’aventurer sur son territoire…

Nous l’avons vu plus haut, Araigne est la dernière et la plus puissante des innombrables rejetons d’Ungoliant (La Tisseuse de Ténèbres, en quenya), la mère de toutes les Araignées. Surgie du Néant et présente sur Arda pour le répandre, Ungoliant grandit en Pouvoir aux côtés de Melkor et s’associa à lui dans un duo qui sema l’effroi et la terreur en Almaren. Cette association avec Melkor aboutit même à ce que son Pouvoir crût suffisamment pour s’opposer à lui, et seules les hordes de balrogs ont pu le secourir et faire fuir Ungoliant. Pourtant, elle continua à répandre ses maléfices pour finalement périr dans un climax sordide, un suicide à la hauteur de son infamie :

Elle descendit jusqu'en Beleriand […] et s'enfonça dans ce sombre val que l’on nomma plus tard Nan Dungortheb, la Vallée de l’Horrible Mort, à cause des horreurs qu'elle y engendra. Car d'autres ignobles créatures arachnéenne y habitaient, depuis le temps de la fondation d'Angband, et elle s'accoupla avec elles et les dévora ; et même après qu’Ungoliant fut partie, pour aller à son gré dans les terres oubliées du sud du monde, sa progéniture y demeura, tissant ses toiles hideusees. Du sort d'Ungoliant, nul récit n’a rendu compte. Mais d’aucuns ont dit qu’elle périt il y a longtemps, quand dans son extrême famine elle finit par se dévorer elle-même.

J.R.R. Tolkien, Le Silmarillion, Paris, Christian Bourgois, 2022,
Chap. 9 - La Fuite des Noldor, p. 71.

Illustrations

Pour conclure cette notice, quelques illustrations qui montrent tout l’impact que ce personnage peut avoir sur les illustrateurs de Tolkien.

Sam and Shelob
(Source - Auteur : John Howe)

Ungoliant
(source)

Sting
(Auteur : Wes Talbott)

Rugby

Notice n°8

sur l'idée commune d'un ancien flanqueur, Silmo, et documentée, argumentée par deux bons piliers Isengar et Cédric.

Rugby is a game for barbarians played by gentlemen. Football is a game for gentlemen played by barbarians.

Oscar Wilde.

Petite "plaisanterie" avec la création d'un ticket factice de match de rugby qui pu avoir lieu à
King Edward's school en 1910, alors que JRR Tolkien y était scolarisé. Par Cédric Fockeu.

Le passage de J.R.R. Tolkien à la King Edward’s school est l’un des moments clés pour le développement de son intérêt pour les langues (et notamment de l’anglo-saxon grâce à son professeur George Brewerton[1]) mais il s’y fit également remarquer par ses talents au rugby.

C’est que Tolkien était un fervent adepte de ce sport (contrairement au criquet qu’il trouvait particulièrement ennuyeux[2]) et l’a pratiqué avec un certain talent lors de ses jeunes années étudiantes.

Un ballon de rugby datant de 1920 [3]

D’ailleurs, même si de son propre aveu il était plutôt chétif et donc finalement pas vraiment prédestiné à jouer à un sport demandant une condition et une constitution physique « adaptée », il compensa cette relative faiblesse par un surcroît de motivation et de « férocité ». Ses prestations sur le terrain s’en ressentirent à tel point qu’il devint capitaine de l’équipe[4]. Hors du terrain mais toujours impliqué, il fut secrétaire du club de rugby[5]!

À sa grande surprise, sa réputation de rugbyman traversa les années comme Tolkien put s’en rendre compte lors d’une visite à Birmingham en 1944 où bon nombre d’élèves le connaissait, dit-il, pour « mes prouesses au rugby et mon goût pour les chaussettes de couleur »[6].

Photo de l’équipe de rugby de la King Edward’s school (année scolaire 1910-1911) en 1910.
J.R.R. Tolkien est assis, second rang, à droite.
© World Rugby Museum.

Comme bon nombre de joueurs de ce sport de gentleman, Tolkien n’a pas été exempté de blessures durant sa « carrière ». Comme il l’évoqua avec son fils Michael, il eut outre les contusions habituelles « la langue presque tranchée »[7] au cours d’un match. D’après lui, c’est cette blessure qui était responsable de sa tendance à mâcher ses mots voire à bredouiller parfois. Il faut cependant considérer cette confession comme une forme d’humour de Tolkien (on le sait, il bredouillait bien avant cela) ou une façon gentille de se moquer de la part de son biographe, Humphrey Carpenter[8]. Autre séquelle, des douleurs qui se firent ressentir bien longtemps après les faits (Tolkien mentionne ce problème à son fils Michael en 1936[9]) ayant pour origine un nez cassé au rugby, et mal soigné.

À part l’aspect sportif et physique du rugby, Tolkien a aussi trouvé une certaine inspiration littéraire à King Edward’s school. En 1911, il publie l’un de ses tous premiers poèmes dans le The King Edward's School Chronicle intutilé « The Battle of the Eastern Field »[10]. Ce poème décrit en termes épiques (et parodiques) un match de rugby qui s’inspire des célèbres « Lays of Ancient Rome » de Lord Macauly.
Les deux équipes en présence sont représentées par Tolkien comme des clans romains vêtus de rouge et de vert, prêtes à en découdre. Extrait :

Oh, crécelles appelez au combat !
Oh, trompettes vagissez bruyamment !
Jusqu’au sang, les clans vont rivaliser
En ce jour dans le champ,
En ce jour les murs et les tableaux noirs
Sont couverts d’écriture déliée[11]

Tout un programme !

Terminons par une légende qui nous fait sourire à défaut de pouvoir dire qu’elle a une quelconque réalité. Le terme « orc » serait en effet tiré de l’acronyme ORC du Oxford Rugby Club où les hurlements gutturaux de certains joueurs auraient inspiré à Tolkien le nom de cette engeance[12]

Notes

* : le terme est de Silmo, merci à lui 🙂
[1] Voir Tolkien en 20 cartes – Vol. 14 – King Edward’s school (part. 2) sur notre site.
[2] Il conviendra cependant qu’il n’aimait pas le criquet parce que, notamment, il n’y était pas bon. Cf Lettres, par Humphrey Carpenter, Christian Bourgois, 2005 : lettre n°199 à Caroline Everett, page 364.
[3] Il n’a pas été évident de trouver une photographie d’un ballon de rugby du début du XXième siècle, moins encore de 1911 quand Tolkien y jouait (si d’aventure vous trouviez une photo de 1911, n’hésitez pas à nous le dire 😊). Signalons tout de même la photo proposée par John Garth sur son site où un ballon est « en pleine action » ainsi d’ailleurs que Tolkien (3ième personne à partir de la gauche, short noir, maillot blanc).
[4] Lettres, lettre n°16 à Michael Tolkien, pp 39-40.
[5] Tolkien, une biographie, Humphrey Carpenter, Christian Bourgois, 2002, page 53.
[6] Lettres, lettre n°58 à Christopher Tolkien, page 107.
[7] Lettres, lettre n°16 à Michael Tolkien, pp 39-40.
[8] Tolkien, une biographie, pages 52-53.
[9] Lettres, lettre n°250 à Michael Tolkien, page 477.
[10] John Garth, Tolkien at Exeter College, How an Oxford undergraduate create Middle-earth, auto-édition, voir le site de John Garth pour plus de détails.
[11] Voir le fanzine L’arc et le Heaume, Au-delà de la Terre du Milieu, association Tolkiendil.com, n°5, avril 2017 : La Bataille du champ Oriental, commentaire et traduction par Damien Bador.
[12] Voir la page Tolkien’s Battle of the Eastern Field sur le site du World Rugby Museum.

Chats

Notice n°9, par Jean-Rodolphe Turlin

Plus qu'une notice, c'est un long article proposé par Jean-Rodolphe Turlin intitulé "Des chats dans l’oeuvre de Tolkien" que nous vous proposons.
Nous reproduisons ici l'introduction et vous invitons évidemment à profiter de la suite.

Le  bestiaire de la Terre du milieu laisse une place de choix à de nombreux animaux. Des animaux fantastiques, comme les Grands Aigles ou les Dragons, et d’autres espèces auxquelles nous sommes beaucoup plus habitués, comme les chevaux et les poneys. Un animal domestique bien connu de nos contemporains, le chat, est aussi régulièrement présent. Mais autant le dire tout de suite, il ne tient pas un rôle de premier ordre dans le Légendaire de la Terre du Milieu. Son existence parmi la faune d’Arda bien qu’indubitablement attestée par plusieurs écrits qui se rapportent aux traditions dont JRR Tolkien fut le dépositaire, reste fort discrète.

Il est intéressant de noter que l’animal est à première vue largement évoqué par l’auteur du Seigneur des Anneaux sous des couleurs plutôt sombres. On pourrait ainsi hâtivement conclure qu’une antipathie féroce envers la gent féline animait le professeur. Mais plusieurs de ses textes moins illustres, ainsi que de nombreux indices, tendent à nous présenter les chats sous un jour clairement plus favorable. Les deux visions de l’animal, nettement contradictoires, sont comme une sorte de reflet des passions dont le chat a toujours été l’objet au cours des âges. Peut-être serait-il intéressant, dans le cadre de cette modeste flânerie, d’en savoir un peu plus à propos du discret minet d’Arda et d’essayer de comprendre les intentions de J.R.R. Tolkien à l’égard de cet animal. En particulier de tenter de relever les raisons qui, au cours des différentes étapes de la composition du conte d’Arda, ont fait profondément évoluer l’image de nos chers matous, marauds, greffiers et minets…