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#76 25-09-2003 17:40

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 017

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Mais, oui bien sûr, shame on me ...!!! Bienvenue Benoist et bienvenue aussi à Prelat; Heureuse rencontre j'espère (tabernacle, voila t'y pas qu'on a un prelat sur le forum).

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#77 25-09-2003 18:49

Vinyamar
Inscription : 2001
Messages : 1 813

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Certes Bienvenue à tous, et surtout Usher qui m'a révélé sur son site les secret des concepts Jungiens.
Je ne sais pas qui ratisse sur les autres forums dévoués à Tolkien (quoique j'ai mon idée), mais si nous allons tous les rameuter parce que Mme Smadja accepte de se prêter à la formule pour s'expliquer, elle va vite se retrouver seule face à une armée de villipendeurs avertis.
Je demande sa grâce ! (ou bien elle ne reviendra jamais)
(mais comment faire, je n'en sais rien...)

Par ailleurs, je connais le public de la Cour d'Obéron, et leur signale que ce forum (et surtout cette discussion) est dédié exclusivement à Tolkien. Il serait sans doute plus sage de s'y tenir, et de discuter des jeux de rôle ailleurs. C'est un tout autre débat, vraiment totu autre, ce serait dommage de l'amalgamer ici (précisémment ce que nous avons reproché à Mme Smadja de faire).

Je m'excuse donc pour ceux qui auraient voulu se défendre ici sur ce point, mais ce n'est pas le lieu.

V*

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#78 25-09-2003 19:40

Ylla
Inscription : 2003
Messages : 173

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Ce fuseau commence à prendre une ampleur... Dites, je relance la proposition : si on gelait le débat jusqu'à ce week-end ? Je sais que vous avez tous beaucoup à dire, mais à force il va devenir impossible de répondre à tout, ce serait peut-être une bonne chose d'attendre que Mme Smadja soit de retour ?

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#79 25-09-2003 19:57

Cedric
Lieu : Près de Lille
Inscription : 1999
Messages : 5 763
Webmestre de JRRVF
Site Web

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Je partage l'idée d'Ylla, préfèrons le jeu des questions-réponses et attendons les réponses d'I. Smadja ;-)

Je suis également d'avis, comme le suggère Vinymar, d'isoler les discussions. Discutons ici de l'oeuvre de Tolkien proprement dite, du texte et des messages qu'elle est censée porter et de l'impression qu'elle peut donner. Et, d'autre part, évoquons ceux qui lisent Tolkien et leur "profil psychologique"... Un autre fuseau peut tout à fait se prêter à ce débat-là.


Cédric.

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#80 25-09-2003 20:06

vincent
Inscription : 2000
Messages : 1 426

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

et pourquoi ne pas ouvrir un nouveau fuseau, "Interview d'Isabelle Smadja 2" ?
cela permettrait au débat de repartir sereinement, sur de nouvelles bases, tout en facilitant le chargement et la consultation de ce fuseau ci, où se trouvent des éléments très divers.

Cédric ?

Vincent

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#81 25-09-2003 21:57

Benoist
Inscription : 2003
Messages : 8

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

D'abord, excusez les fautes, mots qui manquent etc dans mon precedent post. J'ai ecris ceci a 3.30 du matin, avec une configuration ne comprenant pas d'accents, donc vous m'excuserez.

Par ailleurs, je connais le public de la Cour d'Obéron, et leur signale que ce forum (et surtout cette discussion) est dédié exclusivement à Tolkien. Il serait sans doute plus sage de s'y tenir, et de discuter des jeux de rôle ailleurs. C'est un tout autre débat, vraiment totu autre, ce serait dommage de l'amalgamer ici (précisémment ce que nous avons reproché à Mme Smadja de faire).

Je m'excuse donc pour ceux qui auraient voulu se défendre ici sur ce point, mais ce n'est pas le lieu.

Je comprends parfaitement. C'est faire de l'amalgame, ce que nous reprochons tous generalement ici, sur ce forum. La n'etait pas le but de mon post bien sur, j'espere que vous l'aurez compris. Je m'en tiendrai a Tolkien et directement aux discussions du SdA, de la Tentation du Mal, et des propos bienvenus d'I. Smadja.

Merci a tous pour la bienvenue!

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#82 26-09-2003 22:43

Isabelle Smadja
Inscription : 2003
Messages : 5

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja


Bonjour, (1)
Vous me posez souvent des questions sur ma démarche et sur les raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre. Je voudrais reprendre ici ce que j’ai écrit à Nicolas Liau,  « J’ai voulu entamer une réflexion sur les raisons de ces deux succès : il me semble que réfléchir à ce qui plaît à tant de monde à la fois doit permettre de comprendre quelques-unes des composantes de notre société. Quand on assiste à un tel engouement pour une œuvre, qu'il s'agisse d'Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux, on peut voir cet ouvrage comme une espèce de loupe ou de projecteur braqué sur nos désirs et sur nos angoisses. » À partir du moment où mon objectif était d’étudier ces succès en tant que tels, pour voir ce qui en eux pouvait expliquer qu’ils plaisent, il n’était pas question de les analyser à la lumière du Silmarillion puisque, précisément, Le Silmarillion ne faisait pas partie de ce succès, et qu’il n’est pas lu par « tant de monde à la fois ». Mon livre est d’ailleurs paru, comme mon premier livre, Harry Potter, les raisons d’un succès, dans la collection « Sociologie d’aujourd’hui ». Braquer le projecteur sur Le Silmarillion aurait faussé la donne.
      Semprini me refuse le droit de prendre cette démarche : c’est son problème. Il me semble, à moi, que c’est une démarche qui se justifie, qu’elle n’est pas dénuée d’intérêt, et qu’on ne peut pas tout expliquer, dans les succès de grande ampleur, par le simple fait qu’il y a un effet de mode ou un grand battage médiatique (d’autant plus qu’on peut prendre le raisonnement suivant : si le film paraît aujourd’hui, c’est précisément la preuve qu’on s’intéresse de nouveau à Tolkien). J’ai donc lu Le Silmarillion, non pas pour l’étudier, mais simplement pour vérifier que je ne me trompais pas du tout au tout dans mes analyses. Or non seulement je n’ai rien vu qui contredise radicalement les thèses que j’ai énoncées, mais en plus, comme la majorité des lecteurs du SdA n’ont pas lu Le Silmarillion, il m’est apparu de mon devoir de mettre l’accent sur le racisme, en (p.96) « posant la question sous cette forme : la description des Orques créés par Tolkien donne-t-elle suffisamment de signes de l’irréalité de ces êtres pour que l’auteur échappe à l’accusation de racisme ? »
   Vous dites, Messieurs, que mes conclusions sont « absurdes ». Nous n’avons pas la même notion de l’absurde.  Je pense pour ma part qu’il est absurde de vouloir nier l’évidence et de vouloir faire croire que la seule raison pour laquelle on a vu du racisme dans le SdA est une erreur grossière qui consiste à avoir cru que les Elfes sont beaux et blonds. Direz-vous que, quand Tolkien écrit que les Orques sont une « race perfide » (et que, de ce fait, il justifie qu’on les extermine sans culpabilité) il ne l’a pas écrit ? Et direz-vous également que personne, parmi la multitude de gens qui ont lu récemment le Seigneur des Anneaux – et non le Silmarillion – n’a lu que les Orques étaient une race perfide… ?  Ou direz-vous que, s’ils l’ont lu, ils ont tout de suite compris (sauf moi et une petite minorité d’imbéciles illettrés) qu’il ne s’agissait que d’un « procédé littéraire » ( ?) de sorte qu’il n’était par conséquent absolument pas nécessaire d’en parler publiquement (mais uniquement en sourdine, à l’intérieur de ce forum )? Si vous pensez pouvoir montrer que dire d’une race qu’elle est perfide, ne signifie pas qu’on pense que cette race est perfide, (ou ne signifie pas que cette race est une race) alors il aurait fallu le faire avant, et plus fort. Et c’est là que j’en appelle à la responsabilité intellectuelle : prévenir de contre-sens éventuels extrêmement fâcheux.
   C’est la responsabilité des spécialistes de Tolkien qui s’y trouve engagée : il me semble incompréhensible qu’on considère que, dans un livre qui contient des phrases parlant de « race perfide » ou à l’opposé de « belle race », ces phrases sont quantité négligeable et qu’on peut écrire en toute tranquillité des ouvrages rendant hommage à Tolkien sans même en parler. Je cite Semprini : « La lutte contre le racisme est une question très grave, pour laquelle il convient de faire beaucoup. » Si vous le pensiez, n’aurait-il pas été bon de parler un tant soit peu plus haut, plus fort et plus vite, pour prévenir des contre-sens ou pour dissiper des malentendus concernant toutes ces phrases sur la race orque qui émaillent le récit ?
  Mais je crois que nous pouvons trouver ici un terrain d’entente : en insistant sur la nécessité de lire Le Silmarillion en même temps que le SdA, vous voulez prévenir du malentendu sur le racisme, parce que vous pensez que Le Silmarillion dédouane totalement le SdA de toute accusation de racisme.
J’ai eu l’impression également qu’il fallait prendre le problème au sérieux et surtout ne pas l’occulter. cf la page 104 de mon essai, où je pose noir sur blanc la question : « les de Tolkien diront que l’auteur n’est pas l’ouvrage. Peut-on faire, diront-ils, le procès d’un auteur qui ne décrit pas le monde existant mais qui invente un monde où il projette un certain nombre de créatures issues des fantasmes racistes d’une époque ? Les interrogations des seront différentes : n’y a-t-il pas un certain danger à présenter comme un ouvrage exceptionnellement riche un ouvrage sous-tendu par un tel racisme ? » En parlant des « partisans de Tolkien », c’est de vous, présents sur ce forum, que je parlais. Alors, vous pourrez peut-être me reprocher de ne pas vous retrouver dans cette présentation des partisans de Tolkien, mais vous ne pouvez pas me reprocher de vous avoir présentés comme des racistes :  je ne l’ai pas fait ; je pense avoir donné un argument que vous avancez ici et, même si moi-même je reste persuadée qu’il y a bien « un certain danger à présenter comme un ouvrage exceptionnellement riche un ouvrage sous-tendu par un tel racisme», reconnaissez au moins que cette manière de présenter la discussion sous forme d’interrogation que je laisse ouverte (cette interrogation clôt le chapitre sur les Orques), témoigne de mon souci d’honnêteté. 
Cependant, à mon sens, le Silmarillion ne modifie pas fondamentalement l’interprétation du SdA. Je maintiens ce que j’ai dit dans mon livre et dans l’entretien accordé à Nicolas Liau. Vos argumentations ne m’ont pas convaincue : peu importe que les Orques soient ou non une race dégénérée, ou corrompue par Sauron ou qu’ils soient une race à part entière, (et, même à la limite qu’ils soient ou non des « androïdes » ne changerait strictement rien, on n’aurait aucun droit de les exterminer pour autant) : je maintiens qu’à partir du moment où ils ont une pensée, des réflexions et un langage, ils participent de l’humanité et que leur pensée ainsi que leur individualité, leur donnent le droit à être traités comme des humains. On voit d’ailleurs, dans le passage que j’ai cité en bas de la page 99, que leur pensée est susceptible d’évolution (c’est même là le propre de la pensée), ce qui témoigne à mon sens qu’on ne doit pas interdire aux Orques la possibilité de se perfectionner et que, dans la mesure où Tolkien ne le fait pas, on ne peut pas considérer que le message que son livre renvoie est uniquement un message de tolérance. (cf également le passage que cite Greenleaf, qui témoigne d’une pensée, donc d’une évolution possible).

Quelques-uns m’ont reproché ici (mais c’est surtout ailleurs que sur ce forum que je l’ai le plus lu) d’avoir agi pour gagner de l’argent ou pour en tirer « profit ». Dans le compte-rendu de Semprini, cette critique apparaît sous cette forme : «En profitant de la vague de ce succès pour mieux le dénoncer, elle fait preuve d’un certain cynisme. »C’est pour cette raison essentiellement que j’ai réagi si brutalement à l’intervention de Vincent Ferré, que je cite : « semprini répondra mieux que moi, mais pour avoir vu la nouvelle version, il n'a pas "revu sa copie" ; il a simplement précisé sur son argumentation sur certains points. mais semprini est trop modeste et trouve toujours que ses propos sont très perfectibles. »  Il s’agissait donc pour Vincent Ferré de dire que tout, dans le compte-rendu de Semprini, était juste, y compris cette phrase, y compris également le titre, y compris  les erreurs présentes dans son compte-rendu, dont la phrase suivante « Elle avertit le lecteur dès la première page que Le Seigneur des Anneaux est un livre pour enfants » ou celle-ci «pas une ligne du Seigneur des Anneaux tendant à contredire les assertions d’I. Smadja n’est citée ». Il y avait dans l’idée que je voulais profiter cyniquement du succès du SdA, un procès d’intention et j’ai réagi, pour cette raison, en lui opposant un procès d’intention du même type.

À MJ du Gondor, (concernant l’analyse du poème) : tout d’abord je voudrais m’excuser pour mes propos et j’espère très sincèrement que vous les accepterez. Si j’ai réagi si brutalement, c’est que ne comprenais pas pourquoi vous vouliez me refuser le droit à la sincérité et pourquoi vous vouliez interpréter toutes mes paroles comme mensongères. Je pense maintenant que vous avez sincèrement pris pour ironie ou humour, ce dans quoi je n’avais mis ni ironie ni humour. Et ceci me paraît dû à un contre-sens sur mon interprétation du poème de Tolkien.
Vous citez en effet cette phrase de ma conclusion «En lisant le Seigneur des Anneaux les amoureux de Tolkien trouvent ce qu’ils seraient bien en peine de trouver ailleurs : la poésie de la guerre et de la Dictature, les quartiers de noblesse littéraire de l’attrait pour le mal ».Mais pourquoi ne pas citer le reste de la conclusion :  « l’ouvrage de Tolkien, précisément parce qu’il est un livre, aide à maintenir l’agressivité dans la fiction » ou encore  la dernière phrase du livre « demandons à ceux que le SdA aurait mordus de sa veine poétique de suivre Frodon jusqu’au pays où les ombres s’étendent tout en étant un peu plus libres face à l’idéologie que nous transmet Tolkien »? On y verrait clairement distinguer d’un côté la poésie de la guerre, qui me paraît être une des grandes forces du livre, et d’un autre côté l’idéologie véhiculée (raciste, …) qui me semble être une des grandes faiblesses du livre. (Et de la même manière, dans les réponses données à N. Liau, j’ai refusé de mettre sur le même plan l’attrait pour la mort présente dans le poème et le racisme…).
Pourquoi ne pas rappeler en même temps que j’ai mis en exergue d’un de mes chapitres une des phrases de Freud qui illustrent le mieux en quoi selon lui l’art est une catharsis : « La véritable jouissance d’une œuvre littéraire provient de ce que notre âme se trouve par elle soulagée de certaines tensions. Peut-être le fait même que le créateur nous met à même de jouir de nos propres fantasmes sans scrupules ni honte contribue-t-il pour une large part à ce résultat. » ? Pourquoi ne pas rappeler également cette phrase de Michel Guiomar que je cite « c’est l’Art tout entier qui peut être examiné sous l’hypothèse de la prépondérance de la mort au sein même des démarches créatrices » ? Croyez-vous vraiment que je m’attaque à « l’Art tout entier », et à des pans entiers de la poésie, et que je considère l’art et notamment la poésie comme réservés à des gens plus ou moins pervers qui seraient attirés plus que les autres par le morbide ? Comment pouvez-vous croire que je reproche à Tolkien son poème alors même que, selon moi, il est – avec l’exploitation que Tolkien fait de l’image de l’anneau  - ce qui explique en grande partie la fascination pour le SdA et sa valeur esthétique ? Et par valeur esthétique, il faut aussi entendre valeur cathartique. C’est pour cela que j’ai cité Freud : c’est lui – et, avec lui, Winnicott et la psychanalyse en général - qui ont décelé l'extrême violence des pulsions dès le plus jeune âge, et qui ont montré que les œuvres d'art pouvaient représenter une élaboration des pulsions destructrices, qu’elles pouvaient transformer en représentations tolérables des pulsions ou des fantasmes confus, non réellement pensés.
    Pourquoi croyez-vous que je cite Winnicott, juste après l’analyse du poème de Tolkien (p.61 :« dans le fantasme de l’adolescence, il y a le meurtre »), sinon parce que je pense que  la fascination exercée par le poème tire sa puissance – entre autres - de ce qu’il correspond précisément à ce fantasme ? Je n’ai jamais écrit – contrairement à ce que certains disent - que les tolkieniens étaient « des gens aux instincts plus sadiques que d’autres » (tout le monde passe par l’adolescence, et si je cite Winnicott et Freud c’est justement pour rappeler combien ces fantasmes et l’agressivité qu’ils véhiculent sont universels ; pour Freud « il y a quelque chose en l’homme qui aime la mort »).
L’ambivalence que je décèle dans le poème de Tolkien correspond ainsi à l’ambivalence « des images les plus belles » qui sont, d’après Bachelard que je cite, « des foyers d’ambivalence ».
Vous écrivez : « Les « ténèbres » chez Nerval témoignent d’un écrivain en quête d’une puissance poétique, pourquoi refuser à l’Anneau la sombre beauté d’El Desdichado ? et y rechercher une ambiguïté du message chez Tolkien ? » Vous aurez beau chercher dans mon livre, vous ne verrez jamais marqué que le poème de Tolkien fascine uniquement les guerriers agressifs et meurtriers. Vous ne le verrez jamais écrit tout simplement parce que ne l’ai jamais pensé, d’autant que je m’inclus dans ceux qui sont fascinés par ces vers (cf p.17 « la forme que prend le récit décrivant l’Anneau est d’une grande beauté(…) il concentre toute la veine poétique de Tolkien …»)En citant Nerval, en complément de l’analyse du poème de Tolkien, je ne fais rien d’autre qu’affirmer qu’il s’agit de la même sombre beauté, sinon pourquoi l’aurais-je cité ? Et de même, croyez-vous que je convoque Valéry (cf « j’y suivais un serpent qui venait de me mordre »), (soit dit en passant, un des poètes que je préfère), pour l’accuser d’une idéologie douteuse ? Ne serait-ce pas plutôt pour rappeler que la « tentation du mal » est présente dans  d’autres poésies ?
Laissez-moi encore une fois insister sur la dernière phrase de mon livre : au point où j’en étais (je venais d’accuser le SdA de véhiculer une idéologie raciste), croyez-vous vraiment que j’aurais « demandé  à ceux que le SdA aurait mordus par sa veine poétique  de suivre Frodon jusqu’au pays où les ombres s’étendent » si je ne pensais pas que c’était là une chose très naturelle et positive ? Et si, de bonne foi, vous relisez, en acceptant ce que je viens de dire, les quelques phrases de la conclusion qui précèdent, vous y verrez que je n’ai jamais écrit que les tolkieniens avaient des instincts plus sadiques que d’autres, puisque je pense, au contraire (cf toute la première partie de mon livre)que les fantasmes assouvis par la poésie de l’anneau sont des fantasmes inconscients, inhérents au psychisme des hommes.
         Ce que j’écris en revanche, ce que Semprini appelle ma « sociologie de pacotille », et que je maintiens absolument, parce que je suis convaincue que ce que je dis est juste, c’est que la résurgence du succès du livre de Tolkien provient en partie de l’engouement pour les jeux vidéo et pour les jeux de rôle : je cite ma conclusion encore une fois « c’est parce qu’ils n’ont aucune envie de « tous nous lier  dans les ténèbres » que certains ont tant besoin de ce livre. » Ce n’est pas pour rien que les orques, les elfes … se trouvent être des avatars présents dans énormément de jeux vidéo : c’est que le SdA permet de justifier le contenu très agressif de certains jeux vidéo et jeux de rôle, en leur donnant ce que j’ai appelé des « quartiers de noblesse littéraire ». Et quand je dis qu’il « permet de justifier » l’agressivité présente dans les jeux vidéo, je ne dis pas pour autant que c’est horrible et terrible que les gens jouent à ces jeux, que tous ceux qui y jouent sont sadiques, et que Tolkien est le véritable responsable de tout cela. Je dis « Bien au contraire » : il me semble en effet – et je ne fais, en le disant, que répéter ce que j’ai écrit dans ma conclusion – que le grand avantage du SdA est de maintenir l’agressivité au sein de la fiction, de donner la possibilité à ceux qui jouent de se trouver par le jeu devant une véritable catharsis, alors que, sans la référence permanente au livre de Tolkien, ils seraient toujours en hésitation devant une possibilité de basculer hors de la fiction. Je prie instamment ceux qui ont lu mon livre soit de le relire – soit au moins de relire la p .128 (conclusion) que vous incriminez - et de me dire si, à un seul moment, j’ai écrit autre chose.

Des rolistes sont apparus sur ce forum : je voudrais leur demander si la question des limites, de la frontière entre le réel et le fictif, n’est  pas une question qui se pose parfois et si la présence du SdA ne peut pas être pensée comme un garde-fou qui donne son cadre d’intervention au jeu et donc limite les débordements. Je n’ai jamais rien écrit d’autre sur ce point.  Cf p.128 : »plus que ne le font les jeux de rôle qui oscillent entre réalité et fiction, et qui menacent constamment de faire incursion dans le réel, l’ouvrage de Tolkien, précisément parce qu’il est un livre, aide à maintenir l’agressivité dans la fiction » Il est possible que je me trompe sur l’oscillation entre réel et fictif ou que je généralise trop de ceux que je connais, à l’ensemble des rolistes. Mais je ne parle pas de ce que j’ignore : je fais cours à des élèves de terminale depuis 1985 ; ce sont essentiellement des garçons entre 18 et 20 ans, puisque j’enseigne dans un lycée technique, à des sections de STI (mécanique, électronique…) et j’ai souvent parlé de cela avec mes élèves, certains fréquentant eux-mêmes assidûment des boutiques de jeux de rôle (la philo en lycée technique est souvent un débat d’idées bien plus qu’un cours de prof à élèves). Je sais d’expérience combien la frontière entre le jeu et le réel, surtout quand elle aborde le thème de la violence, est mouvante et fragile; qu’entre, par exemple, le jeu autour de l’intimidation et de la menace  (quelques élèves renvoyant à d’autres le message suivant : je ne fais que jouer à t’intimider, faire semblant de te menacer) peut aussi être ressenti dans le même temps - sans que personne ne puisse en décider clairement – comme une véritable intimidation et une véritable menace.
Bref, me reprocher de dire que je considère les tolkieniens – rôlistes ou pas -comme plus sadiques que d’autres, parce que j’ai écrit que Tolkien « légitime, en la montrant comme un élément constitutif de l’essence humaine, toute l’attirance pour la mort, la destruction et les conquêtes », c’est comme si on reprochait à Winnicott, psychiatre pour enfants et adolescents, d’avoir écrit que tous les adolescents sont des meurtriers parce qu’il a écrit que « dans le fantasme de l’adolescence, il y a le meurtre » !
Et si j’insiste si lourdement, c’est que le contre-sens me paraît d’une part très grave et d’autre part complètement injustifié.
Je poste la suite immédiatement,

Hors ligne

#83 26-09-2003 22:46

Isabelle Smadja
Inscription : 2003
Messages : 5

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Suite et fin :
Je voudrais également préciser quatre points sur nazgul (cela a fait couler beaucoup d’encre) :
1) si j’en ai parlé, c’est d’abord pour rappeler que je n’ai jamais soutenu que Tolkien avait la moindre complaisance envers les nazis, bien au contraire.
2) C’est ensuite parce que j’ai l’impression qu’une des erreurs de beaucoup de commentateurs, est d’avoir été trop persuadés que, à quelques exceptions près, la source essentielle des références du SdA était les légendes celtes. Il m’a semblé dès lors qu’on n’avait pas suffisamment exploré toutes les ressources possibles du SdA et qu’il fallait accepter de voir en Tolkien, non pas uniquement le spécialiste des langues anciennes , mais également un homme influencé par son époque (je renvoie là encore au petit détail – le « little » -que j’ai relevé p.76 « Little or nothing was modified by the war that began in 1939 » ) et influencé par une culture très large, qui inclut la mythologie grecque et de multiples connaissances littéraires. À mon avis, s’il insistait tant sur la nécessité de ne pas voir dans son œuvre une allégorie de la 2nde GM, ce n’est pas qu’il n’y avait aucune influence de cette guerre dans son œuvre, mais c’est surtout qu’il craignait que, ayant cru déceler la clef d’interprétation de son livre, certains le réduisent à cela.

Je saisis l’occasion pour répondre à une question de CdC : je ne pense pas que la connaissance du Kalevala soit indispensable pour analyser le poème. Je crois fermement aux vertus de « l’œuvre ouverte » au sens où Umberto Eco l’entend, et à la possibilité de lire et de relire une œuvre à la lumière de nouvelles perspectives. À chacun ensuite de manifester par sa comparaison que l’interprétation qu’il donne est légitime. Et je crois fermement qu’on n’a pas épuisé le SdA en se cantonnant au domaine dans lequel Tolkien était spécialiste. M. Ferré me dit que, « comme d’habitude », je n’avais pas vu que le lien avec Shakespeare avait été fait : il a effectivement cité lui-même une image de Richard II, je pense, reprise dans le SdA, mais je n’ai vu nulle part que la comparaison que j’ai établie entre Gollum et Caliban, qui me paraît archi-évidente quand on relit La Tempête, ait été faite ailleurs, avant que je publie mon livre. Je n’ai bien sûr pas eu accès à l’immense biobliographie sur Tolkien, mais j’ai fait qq recherches, tout comme j’ai essayé de voir si la comparaison entre l’anneau de Gygés de Platon et l’anneau de Tolkien avait été établie. Je n’ai pas vu qu’on l’ait faite : peut-être que je me trompe. En tout cas, si je me trompe, je suis persuadée que qqu’un ici se chargera de me prouver le contraire. Mais alors qu’il le prouve.

3) Je maintiens ce que  j’ai dit sur les nazgul : sans même aller jusqu’à dire que le mot a été choisi en partie pour cela, (mais c’est une interprétation qui se défend) il me paraît invraisemblable que quelqu’un qui a travaillé sa vie durant sur les racines des mots, en s’appuyant sur les lettres et les sonorités contenues en chacun, n’ait pas, à l’époque où il a écrit puis publié son livre, vu la ressemblance avec le terme de nazi. Et il me semble que, l’ayant vu, s’il n’a pas changé de terme (ses connaissances de linguiste lui donnait d’autres choix pour inventer un terme), c’est parce qu’il ne lui déplaisait pas que cette affinité soit possible.
4) La réaction qu’a suscitée mon interprétation de ce terme motive en partie ma décision de ne plus intervenir sur ce forum : j’ai l’impression que je pourrais m’épuiser à la tâche en argumentant indéfiniment sur chaque point sans que rien de ce que je dise ne puisse vous convaincre. Il y aura toujours qqu’un pour tourner en dérision ou au ridicule ce que je dis et pour que, à court ou à long terme, mes arguments soient passés sous silence ou, pire, se retournent contre moi .
En publiant mon livre, je n’ai cherché à attaquer personne : la signification du poème de l’anneau me semblait très clairement appartenir au domaine de l’art et être de ce fait une élaboration de «nos» fantasmes (je me suis, je le répète, tant ça me semble essentiel, incluse dans ceux qui sont sensibles à la beauté des vers de Tolkien et à leur puissance poétique.) En revanche, j’ai volontairement exclu de ce domaine tout ce qui concerne les Orques (je crois m’en être en partie expliquée  dans mon livre, en parlant d’effet de réel…) et l’idéologie véhiculée dans ce livre, parce qu’il me semble que le racisme n’est plus de l’ordre du fantasme, et que, lorsqu’on lit que la race des Orques est hideuse ou qu’on lit« je ne vais perdre mon temps à parler avec un domestique », nous ne sommes plus dans le domaine esthétique, mais dans quelque chose qui est malheureusement trop proche de la réalité. Bref, à mon sens, « Un anneau pour les gouverner (…) Et dans les ténèbres les lier », c’est de la poésie et une élaboration fascinante de nos propres fantasmes ; mais quand on parle d’ »êtres perfides » , il est légitime de substituer à l’approche esthétique un autre type d’analyse, plus idéologique.
. En d’autres termes, quand je pose la question « la description des Orques créés par Tolkien donne-t-elle suffisamment de signes de l’irréalité de ces êtres pour que l’auteur échappe à l’accusation de racisme ? » je réponds non. mais si j’avais posé la question « le poème de l’anneau donne-t-il suffisamment de signe de son irréalité pour échapper à tout type d’accusation», il est évident que j’aurais répondu oui.  Le racisme, le conservatisme, la misogynie, ce n’est plus de la poésie, mais de l’idéologie. Cela ne signifie pas du tout que j’ai écrit ou dit que les amoureux de Tolkien étaient racistes.  Ceux qui ont lu mon livre pourraient peut-être me défendre sur ce point : autant j’opère fréquemment le passage de la signification du poème de Tolkien à l’attrait que le lecteur peut y trouver, autant à aucun moment je n’écris – ou même ne suggère - que si les lecteurs de Tolkien aiment le SdA, c’est parce qu’ils sont racistes ou misogynes. Et si je ne l’écris pas, c’est tout simplement parce que j’ai, dès le départ, admis que la fascination pour Tolkien venait de sa veine poétique et non pas du reste.
    Alors, j’admets tout à fait que vous rétorquiez que, pour vous, ce qui rend le livre de Tolkien si admirable, c’est le message de tolérance et non pas la poésie de l’anneau, mais vous ne pouvez pas m’accuser d’avoir dit que, si vous aimiez le SdA, c’était pour l’idéologie raciste ou misogyne qu’il véhiculait. Permettez-moi d’insister là encore sur la dernière phrase : «demandons à ceux que le SdA aurait mordus de sa veine poétique de suivre Frodon jusqu’au pays où les ombres s’étendent tout en étant un peu plus libres face à l’idéologie que nous transmet Tolkien »? ». Cela veut bien dire que, pour moi, ce qui a été la raison de la fascination, c’est d’abord et avant tout la puissance poétique de cette strophe, et qu’à partir du moment où cette fascination opérait, elle vous empêchait de voir ce que Semprini a appelé la phase B de mon argumentation.
D’ailleurs, avant qu’il me réponde qu’il n’en a jamais reconnu l’existence, je voudrais dire que je suis très heureuse que Semprini reconnaisse que la phase B existe. Je cite Semprini :
« Si je me souviens bien, vous usez très fréquemment dans votre livre d’un procédé qui me paraît schématiquement être le suivant :
Phase A : Gandalf dit que tout être mérite la pitié.
Phase B : Or, les faits du livre et l’attitude même de Gandalf démentent son affirmation, puisque les « ennemis » sont tués.
Phase C : Donc Le Seigneur des Anneaux est raciste, belliciste, etc…
En général, vous agrémentez le tout d’une citation d’un philosophe dont la pertinence n’est pas toujours évidente eût égard au sujet discuté. Or, lorsque l’on atteint la Phase C de votre raisonnement, vous ne citez pas une ligne du Seigneur des Anneaux contredisant votre thèse, puisque vous considérez avoir épuisé les citations dans la Phase A, sans du tout en réalité les avoir exploitées, sans leur donner de crédit. Pour une raison qui m’échappe, vous semblez donner peu de poids chez Tolkien au commentaire interne à l’œuvre (qui se rapporte pourtant au regard de l’auteur chrétien sur l’épopée) et tout leur poids aux faits (ceux décrits par l’historien neutre relatant une mythologie païenne non toujours pénétrée des valeurs humanistes) »
Je ne suis pas d’accord sur ce que vous appelez phase C : je ne passe pas dans mon livre de A : « tout être mérite pitié » à B : « or la communauté est impitoyable envers les Orques » puis au C que vous dites : « donc Tolkien est raciste… » mais à ce C-ci : « donc le message explicite prônant la pitié est contredit par les faits ». Dès lors je n’avais plus à mon avis à reparler de A. Je suis en revanche sensible à votre argument selon lequel j’aurais dû donner le même poids au commentaire interne à l’œuvre et aux faits. Voilà ce que je voudrais répondre :
Je n’ai pas occulté le fait que le message de tolérance soit là, je l’ai cité, mais – et c’est là qu’apparaît l’image de Descartes - j’ai vraiment eu l’impression, en lisant à droite à gauche ce qui se disait sur Tolkien, qu’on avait trop insisté sur ce message de tolérance et pas assez (et c’est un euphémisme) sur la phase B, qui pourtant existe. C’est pourquoi j’ai tenu à donner du poids aux faits et j’ai essayé de m’en expliquer p.126 en citant, d’abord Ricœur : « l’imagination, en tant qu’elle prospecte les possibilités les plus impossibles de l’homme, est l’œil avancé de l’humanité, vers plus de lucidité, plus de maturité, bref, vers la stature adulte. », puis en ajoutant à cette citation l’idée suivante : pour que l’œil se fasse vraiment lucide, il faut qu’il puisse voir aussi bien « le maître de véracité » que le « maître de séduction », bref que la séduction opérée n’occulte pas la phase B. (j’en profite également pour rappeler que je n’ai pas dénigré totalement le pessimisme de Tolkien cf p.125 et 126 ; j’ai simplement dit p.51 que ce pessimisme pouvait être associé au conservatisme de l’auteur et je le pense encore).

Autre argument de Semprini auquel je suis sensible :   « Pourtant, JRRVF n’est pas une communauté mais un lieu de rencontre convivial et agréable. Dès lors, une question se pose : Où placez-vous, Madame, au sein de votre ordonnancement des lecteurs de Tolkien, ceux qui, comme moi, sont des individualistes rétifs à l’idée de communauté, de gauche et irrémédiablement athées ? Où mettez-vous ceux qui, comme moi, se retrouvent entièrement dans votre mise en garde selon laquelle « il y a dans le monde géopolitique actuel des formes différentes de violence et de cruauté ; on ne peut s’en tenir à cette position fort confortable, certes, mais dangereuse, qui consiste à ne voir d’un côté que des monstres de guerre, et de l’autre des gens courageux ou lâches qui se défendent contre les monstres ? ». Permettez-moi de reprendre votre formule à mon compte, mais de vous demander, vraiment, ce que Tolkien vient faire dans les rapports géopolitiques actuels et dans le combat qu’il y a à mener. Si toutefois vous tenez absolument à vous engager sur ce terrain-là, sachez que Tolkien était opposé à l’hégémonie américaine et en faveur du multiculturalisme. »

Je voudrais répondre que, là encore, ma démarche n’était pas d’étudier le SdA à la lumière d’une biographie de Tolkien mais de situer un succès et la résurgence de ce succès dans notre époque (je renvoie à ce sujet à un article que j’ai écrit dans Le Monde Diplomatique en décembre 2002 alors que personne ne pouvait dire avec certitude si les USA allaient ou non attaquer l’Irak et où j’émets l’hypothèse que le succès de Harry Potter et du SdA pourrait venir en partie de ce besoin de se rassurer sur les forces en présence et de croire en une interprétation manichéenne du monde. Pour ceux que ça intéresserait l’article doit être consultable en ligne). Quant à la question de savoir où je vous place, je répondrai cette fois que je vous place parmi ce que j’appelle « les partisans de Tolkien », qui diront « qu’on ne peut pas faire le procès d’un auteur qui ne décrit pas le monde existant mais qui invente un monde où il projette un certain nombre de créatures issues des fantasmes racistes d’une époque ». Mais je refuse d’admettre que, sous prétexte que tous les gens qui ont aimé le SdA n’ont pas les mêmes opinions, on ne peut pas réfléchir aux raisons les plus fréquentes du succès actuel du SdA.
        Il va de soi que je ne reproche pas à Tolkien d’avoir prévu tous les différents usages qu’on pouvait faire de son œuvre. Il va de soi que je ne rends pas Tolkien responsable des rapports géopolitiques actuels, qu’il ne pouvait pas prévoir. Mais je pars du principe qu’on peut réfléchir autour des raisons du succès actuel d’une œuvre en se référant à la fois et indissociablement et à l’œuvre et à l’actualité. Je pars donc du principe qu’on peut rechercher ce qui, dans l’œuvre précise qui est concernée par ce succès (et non pas chez son auteur, qui ne pouvait prévoir entièrement l’évolution des rapports de force et qu’on ne peut pas rendre responsable de l’utilisation future de son ouvrage), pourrait entrer en symbiose avec des aspirations actuelles.
Cela veut dire d’une part qu’une œuvre est toujours « ouverte », qu’on peut légitimement admettre que sa relecture ne dépend pas seulement de ce que son auteur y a mis, mais également de la place qu’elle va occuper à l’intérieur d’un ensemble social. C’est cette démarche que Semprini me refuse ; c’est pourtant cette démarche que je revendique.
Mais cela veut dire d’autre part que si les néo-nazis voient dans l’œuvre de Tolkien une œuvre qui les conforte dans leur analyse, Tolkien n’a rien à voir là dedans (et mon interprétation du terme nazgul – à laquelle en dépit de vos critiques je tiens - pourrait aider à témoigner que Tolkien était à mille lieues de vouloir faire l’apologie du nazisme). Cela témoigne pourtant que le danger de cette lecture était là, en germe, et qu’il faut, pour parvenir à l’écarter, montrer soit que la lecture néo-nazie du SdA est complètement illégitime, soit bien délimiter le problème des races chez Tolkien afin de rendre « l’œil plus lucide ».


À Lambertine : c’est vrai, j’aurais du parler de la misogynie, de ce que j’entends par émancipation et dire qu’il n’y a à mon sens d’émancipation féminine que si c’est à la femme, et à chacune en particulier, de choisir ce qu’elle veut faire. Et même si chaque métier, chaque travail, contient bien une part d’aliénation, il n’y a en revanche de liberté possible que dans et par le choix individuel et personnel. Je n’argumente pas assez, bien sûr, mais j’aurais préféré la solution de CdC qui aurait permis, en limitant les questions qui m’étaient posées, de limiter mon intervention à quelques personnes et de mieux la préciser.

À  « Casus Belli n°18 » : la seule fois dans mon livre où j’emploie le terme de malsain est la suivante (p.101) : commentant quelques passages qui témoignent d’un mépris envers les domestiques ou les servantes (cf Gandalf, par exemple, disant « je n’ai pas passé par le feu et la mort pour échanger des paroles avec un domestique »), j’ai écrit : « quoi qu’on en dise, il y a qqch de malsain dans ces réflexions, distillées à petites doses, et qui sont d’autant plus insidieuses qu’elles sont enfouies dans une intrigue différente, de sorte qu’on n’y prête pas l’attention nécessaire au jugement critique ».
De là, vous vous permettez d’écrire que, selon moi, Tolkien et tous ces lecteurs sont malsains.  (C'est le cas dans Casus Belli N°18, où j'ai publié un article quelque peu détourné. On vous y a attribué la phrase : "Tolkien était un auteur réactionnaire, misogyne, raciste, et c'est parce qu'il était malsain que vous l'avez adoré.") Vous transformez donc une prise de position, disons de gauche, qui s’interroge sur une œuvre où s’affiche un tel mépris envers les domestiques, en une prise de position radicalement opposée, d’une extrême droite haineuse, comme si j’étais capable de traiter un être humain de malsain (ce que j’aurais honte de faire) et comme si j’étais capable de juger de la bonne santé ou de la malignité d’un homme en fonction de ses lectures ! Je ne l’ai jamais fait : je dis simplement que, si on ne relève pas de telles réflexions, l’œil « n’acquiert pas stature adulte » pour reprendre l’expression de Ricœur, et qu’il risque d’y avoir une espèce d’accoutumance au mépris envers les autres, mépris qui, effectivement, n’est pas en lui-même très sain. Je crois que c’est très différent de lire un ouvrage, en sachant très bien ce qu’on lit (c’est l’attitude que je prône car elle permet de ne retenir que ce qu’on veut retenir et d’écarter le reste) , et de lire un ouvrage sans relever les imperfections qu’il contient.
Bref, ce que vous avez fait, avec ou sans guillemets, n’est pas à mon sens très digne. Je vous sais grè pourtant d’avoir essayé de modifier l’article.
   À Semprini, encore, mais sur ce point, je passe trop vite : l’idée de la polyphonie de l’œuvre ne me paraît pas pertinente dans le cas de Tolkien : il y a indéniablement un effort de l’auteur pour orienter notre jugement sur le fait que Gandalf est un sage et que les Orques sont des monstres. (je prends un exemple très caricatural, mais si on admet dans tous les cas l’idée de la polyphonie, alors on peut à la limite expliquer que Le Juif Süss n’a rien d’antisémite et admettre n’importe quelle œuvre comme susceptible d’une interprétation positive, quelle que soit son degré de haine ou de racisme).

Voilà. Je remercie tous ceux qui ont accepté de débattre avec moi et tous ceux qui ont accepté de me lire. Je pense que certains sont déjà beaucoup trop engagés, à l’extérieur ou même à l’intérieur de ce site, pour modifier, ne serait-ce qu’un minimum, leur jugement sur mon livre, mais cela aura peut-être servi aux autres ou à quelques autres à changer au moins leur jugement sur moi. Je remercie Nicolas Liau et Cédric Fockeu (ainsi que CdC et Vinyamar pour leurs interventions : j’ai eu le sentiment qu’elles avaient toujours pour but de ne pas faire déraper la discussion et de lui permettre de se poursuivre). Et même si vos motivations, à vous tous et aux autres participants, m’échappent et que, si je les connaissais, je ne vous remercierais pas, je tiens à vous dire que je vous suis très reconnaissante de m’avoir permis de m’expliquer. Je n’interviendrai plus sur ce forum ; je vous prie de m’excuser si je n’ai pas pu examiner toutes les questions dans le détail, mais je crois avoir dit l’essentiel de ce que j’avais à dire. Je suis consciente que certains auront l’impression d’un inachèvement : de mon côté également, j’aurai souvent aussi ce sentiment que j’aurais pu répondre par tel ou tel argument, que je n’ai pas suffisamment développé tel ou tel point… Mais  il me faut conclure. Ne vous offusquez pas de mon silence futur.
Isabelle Smadja

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#84 26-09-2003 23:27

Alfonso
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Isabelle Smadja>>j’ai l’impression que je pourrais m’épuiser à la tâche en argumentant indéfiniment sur chaque point sans que rien de ce que je dise ne puisse vous convaincre.

Ce n'était qu'une impression.

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#85 27-09-2003 11:56

Usher
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

De "Casus Belli n°18" à "Tentation du mal" :

Mme "Tentation du mal", je constate que vous établissez un commentaire assez long sur mon rectificatif, mais que vous ne répondez à aucune des trois questions, pourtant très précises, que j'ai pu poser sur votre livre.

Voilà qui est d'autant plus remarquable que vous avez, du reste, établi un texte long et détaillé pour répondre à vos différents interlocuteurs... Comment interpréter votre omission ?

En tout cas, puisque vous avez négligé de proposer votre point de vue, je vais exposer le mien.

COMPARAISON VIRGILE / TOLKIEN

Dans le vers de Virgile, "Ils s'en allaient obscurs, dans la nuit solitaire", vous relevez, selon le commentaire qu'en fait Jean Cohen, la présence d'un glissement poétique, puisque ce sont les personnages qui sont théoriquement solitaires, et la nuit qui est obscure. Jean Cohen a raison : il relève simplement la présence de deux hypallages, qui permettent ce glissement. Dans une deuxième étape, vous appliquez cette analyse de Cohen à l'anaphore "Un Anneau... un anneau... un anneau..." du poème liminaire du SdA ; vous arguez que Tolkien a opéré un glissement semblable, et que la répétition d'"un anneau" est en fait la suggestion que l'anneau unique est de même nature que les anneaux elfiques, et que les anneaux elfiques, objets séduisants, sont donc les emblèmes de la séduction du mal. C'est sur cette interprétation du poème de Tolkien que vous commencez à bâtir votre thèse, à savoir que "Le seigneur des Anneaux" est le roman de "la tentation du mal".
Le problème, c'est que votre raisonnement ne tient pas. Vous attribuez à l'anaphore de Tolkien la valeur d'une hypallage, ce qui est une faute grossière d'analyse stylistique. En outre, vous tendez à faire dire à Cohen une absurdité, puisqu'il commente bel et bien les hypallages de Virgile, non l'anaphore de Tolkien. Non seulement votre raisonnement est erroné, mais vous déformez implicitement le propos d'un critique, en le prenant comme argument d'autorité pour une interprétation qu'il n'aurait certainement pas défendue au sujet du poème de Tolkien.

Je n'ai pas le temps de poursuivre dans l'immédiat. (Madame "tentation du mal" n'est pas la seule agrégée qui fasse cours en terminale à intervenir sur ce fuseau..."Casus Belli n°18" doit pour l'heure aller papoter sur le "Supplément au voyage de Bougainville" avec ses élèves de terminale littéraire. ;-)) Toutefois, dans la journée, je reviendrai démontrer comment on peut faire, dans un essai sur Tolkien, un contresens magistral sur "Dom Juan" de Molière, ce qui, incidemment, ruine le raisonnement analogique qu'il étaie au sujet de la misogynie du SdA.

Je ne répondrai pas sur ce fuseau au sujet des insinuations sur les rôlistes. Pour les gens intéressés par cet aspect du débat, je propose de le poursuivre sur "La cour d'Oberon" (http://hikaki.forum-gratuit.com/) dans le forum "Tolkien & cie", sur le fuseau "Biographies de Tolkien".

Cibiesquement vôtre,

"Casus Belli n°18"

alias
Usher / Jean-Philippe Jaworski

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#86 27-09-2003 18:18

Usher
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Avant de poursuivre, je dois rendre à César ce qui est à César : Isabelle Smadja a répondu à l'une de mes trois questions. Mais comme il s'agissait d'une question sur les rôlistes, je commenterai la réponse sur "La cour d'Oberon".

Revenons aux faiblesses de raisonnement contenues par "Le seigneur des Anneaux ou la Tentation du mal."

COMPARAISON TABATIERE DE SGANARELLE / HERBE A PIPE

Premières phrases du chapitre 9 : "Est-ce pure coïncidence ? Deux œuvres littéraires commencent par une apologie du tabac, parodique chez Molière, plus sérieuse chez Tolkien."

Isabelle Smadja remarque que tout le chapitre 2 du Prologue du SdA est consacré à l'herbe à pipe, et elle observe que la scène d'exposition de "Dom Juan" commence par un éloge du tabac. Elle s'interroge sur cet éloge du tabac prononcé par Sganarelle ; elle prétend qu'il s'agit d'un "déplacement", c'est-à-dire d'un mot placé pour un autre, et elle cherche à découvrir le mot mystérieux qui se cache derrière le substantif de paille qu'est "tabac". Comme, plus loin dans la scène, Sganarelle critique vertement le libertinage de son maître, Isabelle Smadja déduit que par "sans tabac", il faut comprendre "sans morale". L'immoralité de Don Juan relevant essentiellement de son goût pour le beau sexe, notre distinguée philosophe finit par émettre l'hypothèse que l'éloge du tabac vante un mode de vie coupé du monde féminin. D'où la conclusion partielle :

"Faire, au XVII° siècle, l'éloge du tabac, puis, durant la moitié du XX° siècle, celui de la pipe, c'est faire l'éloge d'une coutume qui n'appartient qu'aux hommes ; bref, c'est, pour Sganarelle, exprimer inconsciemment son souhait de ne plus voir aucune femme auprès de son maître ; et c'est, pour Tolkien, constituer d'entrée de jeu son roman comme un roman d'hommes et pour hommes."

Le raisonnement est acrobatique, et il suffit d'un brin de jugeote et de quelques connaissances en histoire littéraire pour mesurer toute son inanité.

1. Sur le plan méthodologique, ce raisonnement est complètement farfelu. Quand on fait de la littérature comparée, il s'agit de ne comparer que ce qui est comparable, sous peine d'accoucher des chimères les plus extravagantes. Exemple : si je compare l'Enéide de Virgile et la poésie d'Apollinaire, je constate que leurs œuvres sont également dépourvues de tout signe de ponctuation. Pour peu que j'omette de préciser que le latin classique ignore la ponctuation, je peux proclamer que Virgile est un précurseur génial de la poésie moderne.
Là où le comparatisme de Mme Smadja est époustouflant de rigueur, c'est lorsqu'elle se lance dans l'étude comparée de l'étude psychologique d'un personnage fictif (Sganarelle) avec celle des objectifs d'un auteur (Tolkien). Le summum du n'importe quoi analytique.

2. Quand Mme Smadja évoque Sganarelle, elle cite en exergue du chapitre la tirade du tabac, mais... elle oublie un détail capital. Elle omet la didascalie : "Sganarelle, tenant une tabatière". Or la tabatière, sous l'ancien régime, est le récipient où l'on range le tabac à priser ; et tout le monde prise, sans distinction de sexe. Voilà qui invalide la thèse selon laquelle "c'est, pour Sganarelle, exprimer inconsciemment son souhait de ne plus voir aucune femme auprès de son maître ". Bien au contraire ! Car Sganarelle précise, à propos du tabac : "Ne voyez-vous pas, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend même pas qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens...." Bref, la tabatière, loin de couper du commerce avec ces dames, pourrait fort bienservir à les aborder, un peu comme la cigarette contemporaine...

3. En fait, le sens de la tirade du tabac est tout autre, et n'a strictement rien à voir avec l'interprétation psychanalytique de Mme Smadja. Quelques informations d'histoire littéraire, livrées par Francis Baumal dans "Tartuffe et ses avatars", suffisent à le démontrer. En 1665 (année de création de "Dom Juan"), Molière est empêtré dans l'affaire "Tartuffe". Cette pièce, à laquelle Molière accorde une importance capitale, est violemment attaquée par le parti des dévots, qui se sentent brocardés par le personnage principal. Louis XIV, dont la légitimité politique repose sur le droit divin, interdit donc à plusieurs reprises "Tartuffe". Au début de 1665, Molière se retrouve sans répertoire, et sa troupe est confrontée à des problèmes financiers. Il écrit donc "Dom Juan" en quelques semaines (raison pour laquelle la pièce est en prose, non en vers), afin de donner un texte à ses comédiens. Toutefois, il conserve une rancœur tenace contre les dévots, et tout particulièrement contre un groupe de lobbying, la Compagnie du Saint-Sacrement. Or la Compagnie du Saint-Sacrement a mené, à plusieurs reprises, des campagnes anti-tabac (elle était même parvenue à en interdire la vente sous Louis XIII). Dès lors, la signification du "qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre" devient limpide : Molière se sert de l'audience que lui donne le théâtre pour provoquer la Compagnie du Saint-Sacrement. L'allusion, qui nous paraît obscure au XXI° siècle, est transparente pour le public des années 1660 : et ses contemporains rient alors du culot de notre auteur qui, parce qu'une de ses comédies a été interdite par la Compagnie, commence la pièce suivante par une attaque à peine voilée contre celle-ci.
En tout cas, rien à voir avec "le souhait de ne plus voir aucune femme" auprès de Dom Juan.

Pour toutes ces raisons, tout le raisonnement défendu dans le chapitre 9 du livre de Mme Smadja s'effondre.

Si j'ai soulevé les exemples du vers de Virgile et de la tabatière de Sganarelle, c'est pour montrer que le raisonnement de Mme Smadja, même quand elle ne traite pas de Tolkien (qu'elle connaît fort mal, comme tous ici ont pu le mesurer), reste entaché d'erreurs, de surinterprétations ou de déformations. Une analyse littéraire sérieuse, cela ne repose pas sur du comparatisme sans méthode, et sur des syllogismes dont le caractère boiteux se voile de respectabilité derrière des autorités critiques ou philosophiques.

Usher

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#87 27-09-2003 18:48

Sylvae
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Messages : 684

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

PITIE !!!

Ne peut-on continuer ce passionnant fuseau dans Interview d'Isabelle Smadja -2- ?

Celui-ci est si lourd qu'il faut un temps infini pour l'ouvrir (pour ceux qui rament encore avec un modem classique !)

Merci !!!

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#88 27-09-2003 22:51

Cedric
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Allez, soyez sympa avec Sylvae ;-)Rendez-vous sur le fuseau "Interview 2"


Cédric.

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#89 28-09-2003 00:58

Mj du Gondor
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Messages : 574

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Cedric/sylvae: un dernier message sur ce fuseau ! Pour Isabelle Smadja qui n'ira peut-être pas lire ailleurs !

A Isabelle Smadja:
Vous avez décidé de ne plus intervenir sur ce forum; c’est évidemment votre droit. Mais j’imagine que votre curiosité(elle aussi légitime) vous poussera encore à lui jeter encore quelquefois  un coup d’œil.
Alors pour satisfaire quelques frustrations provoquées par votre abandon trop rapide, j’aimerais encore vous dire ce qui m’a choquée dans votre livre et que nous n’avons pas eu le loisir d’évoquer ; mais avant je voudrais aussi vous faire part de quelques unes de mes conclusions sur cet entretien qui ne sont pas toutes aussi foncièrement négatives que vous pourriez le croire.

Sur l’objectif de votre livre et surtout sur vos motivations, je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dites qu’un tel engouement pour le SDA méritait qu’on y recherche des explications sociologiques. Mais je pense que cet engouement s’est surtout révélé, au moins en France, par le film plutôt que par l’ouvrage. Je crois pouvoir dire qu’avant la fin des années 1990, l’influence du SDA, n’avaient pas traversé de nombreuses couches de notre société et que certains secteurs de la population n’en soupçonnaient même pas l’existence. Comme l’a fait remarqué je crois, Semprini, les milieux académiques et les instances littéraires révérées, avaient pris soin de laisser dans l’obscurité un auteur qui ne se réclamait ni de Shakespeare, ni des belles lettres françaises et qui avait eu le malheur de clamer un jour sa gallophobie.
Je pense aussi que son talent inclassable, supportant mal une identification chère à nos bureaucrates de la littérature, nécessitait pour sa reconnaissance une longue période de purgatoire où partisans et opposants feraient par leurs querelles, peu à peu émerger la réalité  de sa qualité d’auteur.

La sortie du film (je dirais même dés son annonce) qu’il soit vilipendé par certains ou adulé par d’autres, (le problème n’est pas là), a précipité les évènements et provoqué cette nouvelle bataille d’Ernani.
C’est peut-être là un des phénomènes de société que l’on pourrait attribuer au SDA : amener des gens à prendre position de façon durable et réfléchie pour quelque chose dont l’intérêt immédiat n’est ni économique ni politique et qui dépasse (je me répète ) les frontières de notre hexagone.

Alors la volonté d’étudier le phénomène ne peut être pour moi que positif et je pense que si votre analyse ne s’était pas faite dans le souci exclusif d’en montrer les éventuels « dangers », l’accueil de votre livre aurait été totalement différent  Mais voilà, vous avez fait ce choix critiquable d’extraire de cet ouvrage tout ce qui pouvait heurter un esprit progressiste.
Et quelles que soient aujourd’hui vos démonstrations pour tempérer vos jugements, il n’en demeure pas moins que vos conclusions qui apparaissent toujours sous la forme interrogative, laissent le lecteur sur sa conviction d’un jugement négatif.

C’est dommage car même votre superbe analyse poétique en souffre. Par celle-ci vous auriez pu convaincre de votre adhésion même partielle à l’œuvre mais vous n’avez pas su changé suffisamment le ton de votre commentaire, permettant ainsi les contre-sens que vous nous (me) reprochez.

Un autre point que je vous accorderai, c’est la faiblesse de nos réactions. Effectivement votre livre appelait une réponse beaucoup plus incisive. Je ne l’ai pour ma part jamais sous-estimé et j’ai ardemment regretté de n’être pas qualifiée pour le faire ; il méritait à mon avis une condamnation élaborée point par point, chapitre par chapitre, autant sur le fond que sur la forme, sur le dit autant que le non-dit. Regretterez--vous aujourd’hui d’avoir bénéficié de cette tolérance, qui vous a laissé croire que vos arguments étaient courtoisement discutables sur un site dédié à Tolkien ?
Je crois que chacun ici, espérait quelques concessions de votre part, une manière d’admettre que vos propos n’étaient pas totalement rédhibitoires mais vous ne réitérez en fait que quelques interrogations, quelques doutes déjà disséminés  dans votre livre, sans aucune efficacité parce que vous ne leur accordés aucun développement.

Les messages des uns et des autres devraient vous avoir montré que la plupart d’entre nous au moins n’idolâtre pas Tolkien, son livre n’est pas Le Livre , mais nous( je ) défendons la perception que nous pouvons en avoir.

Vous l’avez admis, je crois et nous aussi,  plusieurs lectures sont autorisées (les pires également,  pourquoi pas, une œuvre publiée n’appartient plus à son auteur et la mauvaise foi ne peut se controler) mais j’ose espérer que la majorité voit dans le SDA une œuvre exaltant le meilleur de nous-mêmes (je ne vais pas repartir sur mes valeurs universelles issues ou à l’origine des valeurs chrétiennes), mais je déplore que vous ayez voulu tourner en pessimisme  ce qui me semble au contraire plein d’espoir, une alliance basée sur l’amitié et la générosité pour s’opposer au pouvoir et à l’asservissement.

Comme je vous reproche également d’avoir par je ne sais quelle (étourderie, légèreté, audace? Pardonnez-moi les mots sont forts mais je ne trouve pas mieux) d’avoir voulu faire de Gollum le représentant du peuple en lutte, des masses laborieuses, des minorités affamées, cet être sans conscience, criminel, traître en permanence, si peu digne de notre pitié ou de notre compassion !
Je regrette et je suis convaincue que vos intentions étaient louables, mais vous n’auriez pas dû céder à la facilité. L’auriez-vous utiliser pour le droit au pardon ou pour un plaidoyer contre la peine capitale, je vous aurais suivie. Mais jamais dans son image de leader révolutionnaire ! J’ai trop de considération pour ceux qui se battent pour un monde meilleur !

Je ne regrette pas vraiment que vous ayez abandonné ce débat, il ne pouvait en être autrement. Les concessions étaient impossibles de votre part, sans porter sur vous-mêmes un total désaveu.
Mais ce que je regrette par contre,  ayant l’intuition très ferme que nos conceptions de la vie ne sont pas très éloignées, c’est que vous vous êtes malheureusement enfermée dans une sphère d’incompréhension qui nous oppose radicalement alors que l’objectif que vous poursuiviez aurait dû nous rapprocher.
Marie Jeanne
(si j'osais je vous ferais une proposition: revenez de temps en temps, le débat sera peut-être plus ouvert !)

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#90 01-10-2003 23:52

vincent
Inscription : 2000
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Isabelle Smadja, je me demandais sur quoi vous fondiez vos calomnies à mon égard.

"Il s’agissait donc pour Vincent Ferré de dire que tout, dans le compte-rendu de Semprini, était juste, y compris cette phrase, y compris également le titre, y compris les erreurs présentes dans son compte-rendu [...]".

rien que cela ?

on a une fois de plus la preuve que lorsqu'une personne écrit "bleu" et veut dire "bleu", vous lisez "noir", c'est-à-dire n'importe quoi, mais rien qui ait le moindre rapport avec la réalité, et êtes persuadée de pouvoir lire dans sa pensée mieux qu'elle-même.

franchement...

Vincent Ferré
(oui, Cédric, j'ai demandé un autre fuseau, et je m'y tiendrai :-)

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#91 26-08-2008 19:23

titounette
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Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Bonjour à tous,

J’ai lu avec très grands intérêts tout ce qui concerne le livre d’Isabelle SMADJA, les critiques, les interviews ainsi que toutes les pages de ce thread. Ça en fait du boulot lol.

Il y a quelques années, quand j’ai débutais dans ma passion pour Tolkien, j’avais acheté son livre et je l’avais trouvé très intéressant.
Je ne connaissais à l’époque que le SDA, CLI et le Silmarillon, j’avais donc très peu de connaissances sur l’univers de Tolkien. J’avoue qu’aujourd’hui, je n’en ai pas nécessairement plus, mais une deuxième lecture, précédée d’une « croissance » à la fois intellectuelle et physique (j’avais 16/17 ans à l’époque) m’a permis de voir le livre de Madame SMADJA différemment.

Cependant, j’aimerais juste revenir sur un point précis. Je suis en train de lire les Lettres et un passage m’a sauté aux yeux, j’aimerais votre avis, en prolongement du livre d’Isabelle SMADJA.


Les passages que je cite sont des lettres que Tolkien a envoyées à son fils Christopher, qui était dans l’armée lors de la WW2.

Lettre 61, je cite (en français) :
« Car nous essayons de vaincre Sauron avec l’Anneau. Et nous réussirons (semble-t-il). Mais le prix à payer est, comme tu le sais, de faire de nouveaux Sauron, et de lentement transformer en Orques les Hommes et les Elfes. Non pas que dans la réalité, les choses soient aussi nettes que dans une histoire, et nous avons pris le départ avec de nombreux Orques à nos côtés […] Et voilà où tu en es : un Orque parmi les Ourouk-Hai »

Lettre 71, je cite (en français) :
« Oui, je considère les Orques comme une création aussi réelle que n’importe quelle autre dans la fiction « réaliste » : la vigueur de tes mots décrit bien cette tribu ; ce n’est que dans la réalité qu’ils se trouvent bien entendu des deux côtés.
Car le « romance » est né de « l’allégorie » et ses guerres sont toujours dérivées de « la guerre intérieure » de l’allégorie dans laquelle le Bien est d’un côté et les divers modes du mal dans l’autre.
Dans la réalité (extérieure), les hommes se trouvent des deux côtés- ce qui entraîne une alliance hétéroclite d’Orques, de bêtes, de démons, d’hommes ordinaires honnêtes par nature, et d’anges. »

Pouvez vous m’aider à y voir plus clair dans ces citations.

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#92 26-08-2008 21:08

jean
Inscription : 2002
Messages : 893

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Bonjour,

soit la bienvenue sur ce forum et puissions nous échanger souvent!

Pour ta question, pourrais tu préciser un peu ta demande, en quoi souhaites tu être éclairée

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#93 26-08-2008 21:34

titounette
Inscription : 2008
Messages : 4

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Oui pardon j'ai pas assez précisé.

En fait, si je ne me trompe pas, ici, vous avez tous démontrer que le SDA n'était pas une allégorie.

Moi aussi je le pensais, de ce que j'ai lu au sujet de Tolkien.

Mais, j'ai l'impression, peut être à tord, que dans ces propos, cela pourrait montrer le contraire et donc donner raison à certains propos d'I. SMADJA.
Pas en ce qui concerne le racisme mais l'allégorie, le sujet des Orques en quelque sorte (race inférieure, perfide).

Merci

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#94 26-08-2008 23:28

jean
Inscription : 2002
Messages : 893

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Je ne pense pas que ces citations puissent suffire à taxer le SdA d’allégorie. Je pense qu’il faut plutôt utiliser le concept d’applicabilité. Je m’explique rapidement.

L’essentiel de l’œuvre de Tolkien a été écrite plus ou au moins avant la seconde guerre mondiale. C’est vrai pour le Silmarilion où l’on retrouve les grands thèmes du SdA (chute et corruption, inanité de la guerre ouverte contre le mal etc). Le SdA a été achevé pendant la guerre mais l’essentiel du plan et des principaux ressorts de l’action datent d’avant guerre. Il semble dans ces conditions difficile de parler du SdA comme une allégorie de la seconde guerre mondiale. CS Lewis, celui qui a le plus échangé avec Tolkien durant la rédaction du SdA, s’est d’ailleurs expliqué sur ce point : « this things were not devised to reflect any particular situation in the real world. It was the other way round. Real events began horribly, to conform to the pattern he had freely invented »

De son côté, John Garth a montré de manière convaincante dans son livre “Tokien and the great war” que Tolkien avait essentiellement été influencé par son expérience dans les tranchées de la Première guerre mondiale et non par ce qu’il lisait sur la seconde.

Je crois que Tolkien pensait qu’il avait décrit dans ses livres une forme imagée de la lutte immémoriale entre le bien et le mal dans les institutions humaines et aussi au sein du cœur de chaque homme (Cf le duo Smeagol-Golum). Ainsi la comparaison entre ses personnages fictif et la réalité reste pertinente chaque fois que des hommes sont confrontés à des choix cruciaux sur le plan moral, ce qui pourrait expliquer ces lettres à son fils.

C’est ce que j’appelle l’applicabilité du SdA au monde réel.

J’espère avoir pu t’aider mais le temps me manque pour développer plus


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#95 27-08-2008 00:38

Dragon Sacquet
Lieu : Angers
Inscription : 2002
Messages : 227

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Je vois les choses dans le même sens que Jean, et j'ajouterai ceci :

Tolkien utilise ici le terme "orque" pour désigner des soldats, des personnes qui n'ont pas forcément choisi de faire la guerre, mais qui se retrouvent entraînés par elle et finissent par être irrémédiablement transformés, à des degrés divers. Ce que sont les orques dans le légendaire. Il applique même cela à son propre fils : "Et voilà où tu en es : un Orque parmi les Ourouk-Hai"
Il est aussi à remarquer qu'il ajoute que dans la réalité, on trouve des orques dans tous les camps. Car dans ce monde, il n'existe pas de lutte absolue entre le Bien et le Mal. N'en déplaise aux idéologues de tous bords...

P.
Chacun de nous porte en lui une balance entre la bonté et la méchanceté, et les plateaux sont plus ou moins chargés...

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#96 27-08-2008 11:49

titounette
Inscription : 2008
Messages : 4

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Merci pour cette réponse.

Je pense en effet que je n'avais pas saisi la diffèrence entre applicabilité et allégorie.
N'en étant qu'à la lettre 76 (c'est qu'il y a en a beaucoup à lire dit donc), je n'ai pas encore pu vraiment tout saisir de Tolkien, qui je trouve est vraiment un personnage complexe, à l'image de ses oeuvres.

J'ai trouvé ceci:

Je suis d'accord en ce qui concerne le racisme et n'ai jamais trouvé quelconque trace de cela dans les oeuvres de Tolkien.

Par contre, en ce qui concerne la misogynie, j'aimerais apporter quelque chose, je ne sais pas ce que cela vaut, à vrai dire c'est plutôt mon ressenti.
Oui, il y a peu de femmes dans le SDA, ça, on l'as tous remarqué. Seulement, quand ces dernières interviennent, elles sont bien souvent en retrait, mais très nobles, de part leur sagesse, leur grandeur.
Je pense que cela est plus ou moins lié à la vie qu'a mené Tolkien. Quand il était à l'école et tout au long de son parcours, il n'a toujours été entouré que d'hommes (TCBS, Inklings etc.). Ses réunions ne se faisaient toujours qu'en présence d'homme, ses amis étaient des hommes etc.
Seulement, dire pour cette raison qu'il était misogyne me semble tiré par les cheveux. Je pencherais plutôt pour dire qu'il a vécu dans un monde d'homme, ce qui a du influencer sa perception des choses, mais pour autant, sa femme tenait une très grande place dans sa vie, même si elle était en retrait de ses activités. Elle était son pilier, sa famille, son seul amour. Et c'est quelque chose que l'on retrouve dans le SDA: les femmes sont là pour porter l'espoir, pousser les personnages à se mettre en avant. Je pense que c'est justement tout le contraire de la misogynie.
C'est pas très bien formulé mais j'espère que vous comprennez ce que je souhaite dire.

Je sais qu'Isabelle SMADJA ne vient plus lire mais comme c'est quelque chose qu'elle a mis en avant dans son livre, je souhaitais juste apporter ma petite contribution.

En tout cas, j'ai lu toutes les interventions de ce thread et je dois dire que l'érudition de certains me fascinent.

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#97 27-08-2008 13:11

jean
Inscription : 2002
Messages : 893

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Concernant le rôle des femmes dans les livres de Tolkien, il ne faut pas oublier que tous ces livres décrivent des guerres, la guerre des Silmarils, la guerre contre Smaug, la guerre de l’Anneau. Pour quelqu’un né au XIX° siècle envoyer des femmes se faire tuer au combat aurait été considéré comme une barbarie. C’est pourquoi fort logiquement on trouve peu de femmes dans les aventures du SdA ou du Silmarilion. Cela ne signifie pas forcément que Tolkien étai misogyne.

J’ai écrit un article sur le sujet, si tu me pardonnes un peu d’auto publicité, tu le trouveras sur ce cite à l’adresse suivante :

http://www.jrrvf.com/essais/feminin/feminin.html

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#98 27-08-2008 02:19

titounette
Inscription : 2008
Messages : 4

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Merci pour ces précisions et ce lien, je vais voir ça prochainement.

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#99 28-08-2008 12:40

Tharkun
Inscription : 2003
Messages : 108

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

Tiens, puisqu'on reparle d'Isabelle Smadja, je me posais la question l'autre jour de savoir si celle dont on parle ici est la même que le premier adjoint et épouse du maire de Levallois Perret, ou bien s'il s'agit d'une simple homonymie.

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#100 29-08-2008 21:00

Aglarond
Inscription : 2005
Messages : 257

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

C'est une homonymie amusante, et j'ai un témoin qui peut le prouver ! (Oui, moi, Patrick Balkany, ma femme est innocente, le jour du vol nous déjeunions avec Nicolas...)
Plus sérieusement, j'ai trouvé une biographie d'Isabelle Smadja/Balkany mais pas de l'autre, cependant la deuxième est présentée comme philosophe (?) mais surtout sociologue et a écrit de nombreux ouvrages, ce qui n'est pas le cas de madame la première adjointe !

Aglarond

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#101 30-08-2008 19:13

vincent
Inscription : 2000
Messages : 1 426

Re : Mise à jour : Interview d'Isabelle Smadja

hum, a-t-on vraiment besoin d'exhumer ce fuseau et de revenir sur des choses mille fois dites ?
vincent
ps : "philosophe" et "sociologue"... non, pas vraiment !

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