Vous n'êtes pas identifié(e).
Pages : 1 bas de page
Chers tous,
Pouvez-vous me confirmer qu'il n'existe que deux traductions du poème Mythopoeia en français ?
À savoir :
in Tolkien. Faërie & Christianisme, éd. Ad Solem, 2002, par Gérard Joulié (p.21-22, 51-52,75-76)
in Faërie & autres textes, éd. CBE, 2003, par Elen Riot (p.302-312)
La première est défectueuse par endroits.
Elle a pour mérite de s'être s'émancipée du schéma rimé du poème pour en privilégier le sens, extrêmement subtil. Ce que de toute évidence il fallait faire (et c'est quelqu'un qui prend souvent le parti inverse qui le dit ici, et pour cause : la poésie de Tolkien est chantante ; mais, précisément, le but de ce poème-ci n''était pas de chanter mais de débattre philosophiquement et philologiquement avec son interlocuteur — C.S.L.).
Ceci sans pour autant négliger la beauté du style à la fin.
Elle a pourtant des passages manqués, parfois même extravagants.
La seconde est un désastre.
En tenant à faire rimer la traduction vers à vers, le poème ne dit souvent plus rien de l'original, et lui fait parfois même dire le contraire.
Pour, en plus, à l'arrivée, une esthétique moche (à mon goût).
Hors ligne
Je ne saurais me prononcer, bien incapable sur cela mais cher Yyr, qui propose, dispose...
Ta traduction sera bienvenue et appréciée.
Hors ligne
Pouvez-vous me confirmer qu'il n'existe que deux traductions du poème Mythopoeia en français ?
À ma connaissance, il n'y en a pas d'autre, cher Jérôme.
La première est défectueuse par endroits.
Elle a pour mérite de s'être émancipée du schéma rimé du poème pour en privilégier le sens, extrêmement subtil.
Extrêmement subtil ?
Je dirais que cela dépend de quel point de vue on se place, en matière de croyances, d'imagination, de créativité, de mythographie...
http://www.jrrvf.com/fluxbb/img/725/176 … olkien.png
Amicalement, ;-)
B.
Hors ligne
Bon sang Benjamin.
C'est vraiment « amical » ?!
Et intelligent ?
Incidemment, si la subtilité à laquelle je fais allusion se résumait à ta blague grossière, le poème ne poserait pas de problème de traduction.
Hors ligne
les images signarures, bof. Sur JRRVF, on reste simple
Hors ligne
Ce qui n'est pas intelligent, ni amical, ce sont vos réactions.
Tant pis, je suis trop fatigué...
Adieu.
P.S. : j'ai remplacé l'affichage de l'image par un lien hypertexte, avec l'insupportable impression d'être revenu au moins deux ans en arrière. Très mauvaise surprise. C'est assez.
Hors ligne
Non Benjamin, tes méls sont précieux. désolé de t'avoir heurté pour si peu, les tags images on s'en fiche, tes idées et commentaires sont biens plus, ne dit pas adieu, un coup de sang mais stay by us.
Vraiment et en amitié.
François
Hors ligne
Et cher ami Jérôme, quelle autre version proposes-tu puisque c'était la question initiale ??
Je sais, te connaissant, que tu auras une idée subtile et élégante.
Hyarion aussi, tes idées sont bienvenues.
Silmo
Hors ligne
Je réagis car cela me fait peine, vraiment, on ne saurait jamais se fâcher pour si peu (cf. Astérix, qu'on aime tellement et le Bouclier Arverne, Album 11, page 35)
https://www.letournepage.com/wp-content … 273_pg.jpg
Je n'ose pas citer Brel, 'Ne me quitte pas". tu sais les paroles... malentendus et Cie.
Bref, pas de sottises Benjamin, sans toi ce Forum ne vivrait guère, je ne sais le dire autrement. Ah, si, je sais, There and back again.
Silmo - François
Hors ligne
Quant aux images signatures, c'est juste mon côté old style, vieux jeu, dont on se moque.
Hors ligne
Même s'il ne s'agissait pas de jouer les divas, l'adieu était sincère, quitte à laisser tomber toutes les choses encore en chantier. Mais je ne voudrais pas non plus te causer une insomnie, cher François, alors je reviens au moins essayer d'expliquer, sinon de rassurer : me concernant, depuis un certain temps, il y a des hauts et des bas, et ces jours-ci, disons qu'il y aura surtout eu des bas, tout simplement, comme c'est le cas régulièrement depuis au moins deux ans. Par là-dessus, il me semble que nous vivons, en matière de « débat public », des temps de plus en plus étouffants, où entre autres les replis identitaires, les jugements à l'emporte-pièce, la moraline sentencieuse, les accusations de « blasphème » et autres déplorables manifestations de pharisaïsme sont redevenus « à la mode ». Où aller pour l'esprit qui veut encore souffler ? Ce n'est pas là un monde dans lequel j'ai envie d'échanger, ni de vivre, quoique cela ne soit pas nouveau. Je ne me pose pas en victime (laissant cela à d'autres), sachant bien que chacun sera toujours l'imbécile de quelqu'un, mais qu'on me laisse en paix, s'il vous plaît, au moins en ces lieux, face à cet océan contemporain de bêtise et d'absurdité, dont la fameuse Modernité, si honnie par Tolkien et certains de ses commentateurs, ne saurait pourtant être seule responsable.
Bonne nuit, autant que possible.
B.
Hors ligne
Qu'importe une nuit blanche, une de plus pour un noctambule, il est 6h00, Paris s'éveille comme chantait presque Dutronc.
Flûte (Diaule) JRRVF ne serait pas sans toi.
Les hauts et bas, je connais aussi, j'en souffre hélas, mais n'as-tu pas toujours fini tes messages par Carpe Diem. Fais donc honneur aux épicuriens et Stand By Us, on serait malheureux que tu nous quittes.
Et préviens moi quand tu viens à Paname, j'ai mes entrées dans les musées :-)
Old Silmo
Hors ligne
Allons bon.
Admettons que j'ai tapé fort sur la table.
Admets toi aussi, Benjamin, que tu n'es pas seul à pouvoir être fatigué et à avoir des hauts et des bas.
Pensées sincères pour toi en attendant.
& François a dit le reste.
Hors ligne
Pour revenir à la question initiale, je ne connais effectivement pas d'autre traduction du poème.
Sur le fond, la réponse que Tolkien propose est certainement simple (trop simple, peut-être, pour certains), mais il est certain que l'argumentaire qu'il déploie est à la fois subtil et original, ce qui ne facilite pas sa traduction.
E. (qui prône le droit de chacun à faire preuve de bêtise, tant que cela reste occasionnel).
Hors ligne
Allons, allons, nous savons que les mots (même écrits) peuvent dépasser nos pensées.
Et qu'au travers de messages saisis d'un bout à l'autre des claviers, il est difficile de mesurer comment notre correspondant se porte et pourrait interpréter ces mêmes mots.
Alors, parfois, certains mots n'auraient pas du être écrits à un certain moment et qu'ils peuvent éventuellement blesser. Mais cela n'est pas fait à dessin.
Nous sommes ici dans un endroit spécial où le tumulte du monde est exclu. S'il parvient à franchir l'enceinte qu'est JRRVF, c'est que nous l'y avons amené.
Vous en êtes les gardiens et promoteurs, et pour cela vous avez toute ma gratitude.
Peace & Love,
Cédric.
Hors ligne
Admettons que j'ai tapé fort sur la table.
Admets toi aussi, Benjamin, que tu n'es pas seul à pouvoir être fatigué et à avoir des hauts et des bas.
Je m'efforce d'éviter de me plaindre, Jérôme, et suis bien conscient que les non-dits d'autrui ne sont pas forcément un signe de bonne humeur ou de bonne forme. Comme l'a rappelé sagement Cédric, « au travers de messages saisis d'un bout à l'autre des claviers, il est difficile de mesurer comment notre correspondant se porte et pourrait interpréter ces [...] mots. »
Si, parmi vous tous, certains traversent aussi une mauvaise passe, prenez soin de vous autant que possible, surtout si vous avez des responsabilités qui dépassent votre sort : on ne s'occupe pas bien des autres en ne s'occupant pas, d'abord, bien de soi...
Bien entendu, je n'ai voulu blesser personne, et pour ma part, je ne veux plus des prises de tête du passé, avec les jugements plus ou moins condescendants qui allaient trop souvent avec. J'en ai vraiment assez d'avoir à me méfier d'éventuelles réactions désagréables : il y a les rézosocios pour ça. Tu as évoqué ailleurs, cher Jérôme, il y a deux mois, un « échange entre nous tous d'un meilleur ton qu'autrefois » : souhaitons donc tous que ce ton reste d'actualité. Sinon, à quoi bon continuer à essayer de partager ?
Sur le fond, la réponse que Tolkien propose est certainement simple (trop simple, peut-être, pour certains), mais il est certain que l'argumentaire qu'il déploie est à la fois subtil et original, ce qui ne facilite pas sa traduction.
En fait de simplicité, la religion est soumise au principe de parcimonie : peu d'hypothèses pour expliquer (et justifier) beaucoup de choses. C'est évidemment le manque de subtilité (à mes yeux) du sens du propos de Tolkien que j'ai voulu rappeler (même si un tel constat peut être désagréable à certains, au-delà même de la façon de l'exprimer), la sophistication de l'argumentaire étant à mon sens une autre question, plus formelle, d'où sans doute des difficultés en matière de traduction. Mais que l'on ne parte pas (ou plus) du principe que Tolkien serait un génie littéraire catholique incompris... Son horizon était clair, et largement compatible avec cette note de Joseph de Maistre que j'ai déjà citée ailleurs en ces lieux : « Tout se ramène au grand axiome : catholique ou rien ».
Il y a d'ailleurs du Maistre chez Tolkien jusque dans la forme, ici de Mythopoeia, puisque tous deux sont prêts à faire usage des moyens d'expression de « l'ennemi moderne » pour prétendre triompher de lui.
Même s'il n'y est pas directement question de poésie, mais cependant toujours de création littéraire en lien avec telle ou telle croyance, je repense tout-à-coup à un propos de George Orwell, sur lequel je suis tombé tout récemment : “The novel is a Protestant art form, requiring the free play of mind. There are few Catholic novelists who are any good, and most of them are bad Catholics” (« Le roman est une forme d'art protestante, qui exige la liberté de l'esprit. Il y a peu de romanciers catholiques de qualité, et la plupart sont de mauvais catholiques. »). Je pense aussi, dans la foulée, à François Mauriac qui écrivait que « le romancier est, de tous les hommes, celui qui ressemble le plus à Dieu : il est le singe de Dieu », ce à quoi Jean-Paul Sartre, de culture à la fois protestante et catholique, répliqua, en critiquant formellement le catholicisme de Mauriac, avec sans doute un regard protestant en faveur du sujet, de l'individu : « Monsieur Mauriac [...] a choisi la toute-connaissance et la toute-puissance divines. Mais un roman est écrit par un homme pour des hommes. Dieu n'est pas un artiste, M. Mauriac non plus. » Ces citations livrées ici en vrac valent ce qu'elles valent, même si la mention méliorative d'un « singe de Dieu » par Mauriac peut d'ors et déjà interpeller en la comparant à la mention péjorative de « singes progressistes » (“progressive apes”) condamnés par Tolkien dans Mythopoeia. Si quelqu'un a déjà travaillé là-dessus en lien avec Tolkien et C. S. Lewis, tant mieux. Sinon, cela resterait sans doute à faire.
Peace and Love,
B.
Hors ligne
J'aurais tendance à être d'accord, il y a certainement du Maistre chez Tolkien, en tout cas dès que l'on sort des récits de la Terre du Milieu (par contre, je ne verrais pas trop de Tolkien chez Maistre
).
Par contre, je ne crois pas avoir déjà lu une réflexion aussi aberrante de la part d'Orwell, qui est généralement un critique littéraire perceptif. Faut croire qu'il ne devait pas trop connaître les romanciers continentaux (ni Tolkien). C'est tellement gros que je ne vois même pas l'intérêt d'argumenter ou de citer des contre-exemples... Quant à la réplique de Sartre, elle est à la hauteur de l'homme : mesquine, sectaire, obtuse (nonobstant ses réelles qualités de dramaturge).
Celle de Mauriac est d'une autre veine. Pour le coup, la comparaison avec Mythopoeia est intéressante. De quelle œuvre est-ce tiré ?
E.
Hors ligne
Elendil a écrit :Sur le fond, la réponse que Tolkien propose est certainement simple (trop simple, peut-être, pour certains), mais il est certain que l'argumentaire qu'il déploie est à la fois subtil et original, ce qui ne facilite pas sa traduction.
En fait de simplicité, la religion est soumise au principe de parcimonie : peu d'hypothèses pour expliquer (et justifier) beaucoup de choses. C'est évidemment le manque de subtilité (à mes yeux) du sens du propos de Tolkien que j'ai voulu rappeler (même si un tel constat peut être désagréable à certains, au-delà même de la façon de l'exprimer), la sophistication de l'argumentaire étant à mon sens une autre question, plus formelle, d'où sans doute des difficultés en matière de traduction. Mais que l'on ne parte pas (ou plus) du principe que Tolkien serait un génie littéraire catholique incompris... Son horizon était clair, et largement compatible avec cette note de Joseph de Maistre que j'ai déjà citée ailleurs en ces lieux : « Tout se ramène au grand axiome : catholique ou rien ».
Il y a d'ailleurs du Maistre chez Tolkien jusque dans la forme, ici de Mythopoeia, puisque tous deux sont prêts à faire usage des moyens d'expression de « l'ennemi moderne » pour prétendre triompher de lui.
Si l'on regarde les choses d'un point de vue ou d'un horizon disons “politique” ok avec vous deux pour cette simplicité.
Du reste, à ce niveau, je suis 100% d'accord avec toi Benjamin, et ça me dépasse quand on essaie de faire passer Tolkien pour un démocrate ou que sais-je ...
Si l'on regarde les choses d'un point de vue philosophique, la subtilité, pour moi, ne se situe pas que dans l'argumentaire, comme si la finalité était entendue d'avance.
Je pense que toute la pensée de Tolkien dans ce poème est subtile (et je pense aussi que c'est un génie ;)).
Il reprend les questionnements de tous les hommes depuis la nuit des temps sur ce qu'est le réel, ce qu'est le vivant, ce qu'est le langage.
Par exemple : la formule des « singes progressistes » n'a pas d'intérêt polémique pour moi, mais derrière cette formulation cinglante, il y a un débat philosophique sur ce qu'est le vivant, ce qu'est l'homme, ce qu'est son évolution : simple résultat de causes antérieures sans finalité (i.e. la perspective évolutionniste matérialiste) ou ce qui doit nécessairement (pour être intelligible) être l'effet d'une raison au minimum immatérielle ? le syntagme de « singe progressiste » est une formule ramassée pour résumer (dans le second point de vue) la contradiction matérialiste à prétendre signifier une réalité (ici par le progrès) qui n'en aurait pas par principe (cf. les autres passages précédents sur ce que sont les étoiles, les arbres, etc.).
Bon, tout cela ne fait pas avancer la traduction du poème ;)
En attendant merci pour ton dernier message Benjamin, très riche.
Je découvre pour Orwell, mais même les meilleurs sont faillibles !
— Même Tolkien qui, tout génie qu'il fut, n'aimait pas la cuisine française ;)
Hors ligne
Très rapidement, car j'ai un train à prendre demain matin...
[La citation] de Mauriac est d'une autre veine. Pour le coup, la comparaison avec Mythopoeia est intéressante. De quelle œuvre est-ce tiré ?
Il s'agit d'un extrait d'un texte intitulé Le Roman, publié chez L'Artisan du Livre en 1928. Je n'ai pas accès au texte complet, mais voici la citation un peu plus développée : « Le romancier est, de tous les hommes, celui qui ressemble le plus à Dieu : il est le singe de Dieu. Il crée des êtres vivants, il invente des destinées, les tisse d'événements et de catastrophes, les entrecroise, les conduit à leur terme. »
On pourra compléter, en ligne, avec l'entretien que Mauriac a accordé, quelques années plus tard, dans le cadre d'une « Enquête sur le problème du romancier catholique » parue dans la revue La Vie intellectuelle du 25 mars 1935 (p. 478-481), entretien dans lequel ledit Mauriac rappelle sa formule « le singe de Dieu » puis réagit notamment à « la condamnation portée un jour par [Jacques] Maritain contre l'audace du romancier » :
https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/121
Peace and Love,
B.
Hors ligne
Un peu plus tard...
Si l'on regarde les choses d'un point de vue philosophique, la subtilité, pour moi, ne se situe pas que dans l'argumentaire, comme si la finalité était entendue d'avance.
Je pense que toute la pensée de Tolkien dans ce poème est subtile (et je pense aussi que c'est un génie ;)).
Il reprend les questionnements de tous les hommes depuis la nuit des temps sur ce qu'est le réel, ce qu'est le vivant, ce qu'est le langage.
À mes yeux, ce n'est pas parce que Tolkien reprend des questionnements à portée universelle que sa réponse a une portée équivalente. Le considérer, à cette aune, comme subtil et génial me parait relever, pour être franc, d'un positionnement particulier, celui entre autres de coreligionnaires aimant détester la Modernité ou, à la rigueur, d'admirateurs naïfs se voulant humanistes, et en tout cas d'un positionnement qui, par nature semble-t-il (nature fanique ?), ne peut que très difficilement se remettre lui-même en cause (je respecte les passions des uns et des autres, mais cela ne devrait pas, idéalement, conditionner la connaissance). Le fait que Tolkien soit associé à une œuvre-monde participe sans doute à l'illusion d'une portée universelle de sa pensée et de l'adhésion admirative à celle-ci. Mais, de mon point de vue, cela ne change rien à la dimension limitée de la pensée tolkienienne, qui est une pensée essentialiste n'accordant d'importance qu'à un paradigme à prétention universelle, celui de l'Église catholique, laquelle affirme que tout doit être régi selon les lois de son ciel (présentées évidemment comme celles du Ciel, avec un grand « C », donc prétendument universelles). Une telle pensée essentialiste, affirmant par exemple une « altérité et complémentarité de l'homme et de la femme », qui est une forme de sexisme se réclamant (à mon sens faussement ou au moins hypocritement) de constatations « naturelles » ou de « bon sens » sous la houlette de Dieu (j'ai déjà écrit ailleurs ce que je pense d'une certaine « incompatibilité » chestertonienne), ne peut pas avoir de portée aussi universelle que les questionnements auxquels elle prétend répondre. Reconnaître une telle pensée chez Tolkien a certes une utilité, car cela permet d'établir une base de connaissances, permettant de mettre en évidence certains excès d'interprétations de l'œuvre de fiction de l'écrivain par rapport aux idées de celui-ci, comme par exemple certaines tendances à vouloir faire d'Eowyn, de Lúthien ou de Galadriel, des icônes féministes pour public « progressiste ». Mais delà à trouver cela subtil et relevant du génie, non à mon sens, pas sur le fond en tout cas.
Qu'est-ce que le réel ? Qu'est-ce le vivant ? Qu'est-ce que le langage ? Les arguments des essentialistes à ces questions sont généralement limités par leur essence-même, si j'ose dire. Ils n'ouvrent pas de perspectives, mais en ferment au contraire beaucoup. Derrière la poésie, derrière tous les textes fictionnels de l'intéressé (y compris en langues inventées), l'argumentaire tolkienien ne saurait faire exception. Pour autant, je ne ferme pas la porte vis-à-vis de l'intérêt d'une nouvelle traduction de Mythopoeia, notamment si cela peut permettre de clarifier certaines choses, fut-ce seulement formellement à mes yeux. :-)
Par exemple : la formule des « singes progressistes » n'a pas d'intérêt polémique pour moi, mais derrière cette formulation cinglante, il y a un débat philosophique sur ce qu'est le vivant, ce qu'est l'homme, ce qu'est son évolution : simple résultat de causes antérieures sans finalité (i.e. la perspective évolutionniste matérialiste) ou ce qui doit nécessairement (pour être intelligible) être l'effet d'une raison au minimum immatérielle ? le syntagme de « singe progressiste » est une formule ramassée pour résumer (dans le second point de vue) la contradiction matérialiste à prétendre signifier une réalité (ici par le progrès) qui n'en aurait pas par principe (cf. les autres passages précédents sur ce que sont les étoiles, les arbres, etc.).
On peut voir les choses ainsi, mais la distinction entre forme et fond ici ne me parait pas dépasser un fort biais pour évoquer un débat d'idées sans doute légitime par ailleurs. Au-delà de cela, pourquoi l'intelligibilité de ce que sont le vivant et l'être humain devrait-elle « nécessairement » dépendre « d'une raison au minimum immatérielle » ? Les grilles de lecture systémiques prétendant soit signifier rationnellement une réalité, soit affirmer une réalité par principe – et donc par essence – au-delà de la rationalité, ont toutes des limites et toutes leurs contradictions... Nous évoluons au sein de toutes sortes de postulats auxquels on accorde diversement de l'importance : importance définitive (pour un certain esprit religieux, dogmatique), importance provisoire (pour un esprit scientifique), importance rituelle, etc. On pourrait ici reparler de tous ces différents niveaux ou régimes de croyances, évoqués notamment par Henri Atlan dans un livre (Croyances. Comment expliquer le monde ?) dont j'ai déjà parlé ailleurs en ces lieux par le passé... C'est à cette aune qu'il serait intéressant d'analyser la pensée de Tolkien, notamment sa part exacte de rationalité appliquée à son art, idéalement sans excessive complaisance tolkienophile (fanique, universitaire ou religieuse) : là, et là seulement, on pourrait peut-être éventuellement toucher à l'universel. Mais bien sûr, ce n'est que mon point de vue.
En attendant merci pour ton dernier message Benjamin, très riche.
Je découvre pour Orwell, mais même les meilleurs sont faillibles !
— Même Tolkien qui, tout génie qu'il fut, n'aimait pas la cuisine française ;)
You're welcome. En ce qui concerne Orwell, il serait intéressant de connaître le contexte de la citation pour peut-être mieux la comprendre, mais j'avoue que je n'en ai trouvé, jusqu'ici et de mémoire, qu'une mention dans un article du New York Times paru en... 1984 (année sans doute très riche en citations orwelliennes dans les médias...). ^^'
Amicalement,
B.
Hors ligne
Ta réponse fait elle-même partie du débat en question Benjamin je suppose que tu t'en doutes.
Pour la première partie de ta réponse, le fait de qualifier d'« essentialiste » la position tolkienienne part elle-même d'un postulat (très humien, à ce que je peux deviner).
Pour la seconde partie, vis-à-vis de l'immatérialité de l'intelligibilité, Aristote l'a montrée et ceci non pas en partant d'un postulat, mais de l'expérience.
Tout cela se ramène au difficile problème de la connaissance rationnelle ...
Hors ligne
Allez, je vais me lancer.
You look at trees and label them just so,
(for trees are ‘trees’, and growing is ‘to grow’);
you walk the arth and tread with solemn pace
one of the many minor globes of Space:
a satr's a star, some matter in a ball
compelled to courses mathematical
amid the regimented, cold, Inane,
where destined atoms are each moment slain.
Tu regardes les arbres et tu les appelles bien ainsi
(on les appelle « arbres » tout comme on désigne par « pousser » ce qui pousse) ;
tu marches sur la terre et foules d'un pas solennel
l'un de ces nombreux petits globes disséminés dans l'Espace.
Pour toi, une étoile est une étoile : rien de plus qu'une boule de matière
aux courses mathématiquement contraintes,
inscrites dans l'Absurdité glaciale et inexorable,
pour chaque atome à tout instant le destin mortel.
Mythopoeia, §1
On voit déjà ici l'enjeu premier du débat, son point de départ : non pas croire ou ne pas croire en Dieu (cela viendra peut-être après) mais celui du matérialisme. Pour Philomythus, la question du langage et celle de la poésie sont nécessairement liées à la prise de position (philosophique) pour ou contre le matérialisme. Les « arbres » ne sont-ils qu'un mot pour désigner une réalité sans signification autre que matérielle (sans « essence ») ? Idem pour les étoiles : ne sont-elles rien de plus que leurs causes matérielle (boule de matière) et efficiente (leurs courses mathématiquement contraintes) — causes antérieures privées de sens et de finalité objectifs ?
Hors ligne
Sans doute mieux pour le dernier vers :
where destined atoms are each moment slain.
où chaque atome à tout instant est voué à périr.
Hors ligne
pourquoi voué plutôt que destiné?
La vocation plutôt que le destin?
Je pinaille mais le sens est un peu différent :-)
Hors ligne
C'est plus joli.
& vouer a bien, entre autres significations, celle d'« amener à un état, une situation; destiner à quelque chose de manière impérative, inexorablement » (CNRTL).
Mais remplacer par « destiné à périr » ne me gênerait aucunement.
J'admets qu'il y a aussi un second degré de ma part.
Vouer connote une intention, et telle est bien l'aporie matérialiste (si on lit quelqu'un comme Dawkins par exemple) que de ne pouvoir finalement faire autrement que prêter comme une intention à la matière (pour Dawkins : le but du gène égoïste est de persister dans l'être).
Soit dit en passant, il n'y a que chez Nietzsche que je n'ai pas trouvé de contradictions mais c'est une autre histoire ...
Hors ligne
Si c'est plus joli, ok ?
Hors ligne
Ta réponse fait elle-même partie du débat en question Benjamin je suppose que tu t'en doutes.
Bien sûr, qui pourrait prétendre ne considérer un tel débat qu'en surplomb ? Nous ne sommes pas des dieux (et quand bien même...).
... vis-à-vis de l'immatérialité de l'intelligibilité, Aristote l'a montrée et ceci non pas en partant d'un postulat, mais de l'expérience.
Certes, sauf erreur de ma part, de l'expérience (cognitive) en son temps, Aristote a déduit que si l'intellect peut connaître toutes les formes intelligibles, il doit être immatériel, parce que nécessairement non limité matériellement lui-même. Mais dès qu'il est question d'immatérialité, on peut comprendre l'utilité d'une telle conclusion, sur le terrain rationnel supposé commun... pour mieux orienter ensuite vers un débat apologétique, notamment en glissant de l'intellect à l'âme dans un sens chrétien : c'est la stratégie rhétorique des praembula fidei, chère aux admirateurs de Thomas d'Aquin. Or un matérialiste contemporain pourrait répondre, en s'appuyant sur l'état de la recherche scientifique, que l'intelligibilité chez l'être humain peut s'expliquer par les capacités d'abstraction de notre cerveau et en particulier sa plasticité neuronale, sans dès lors rien postuler d'immatériel...
Pour ma part, très modestement, je ne crois pas que matérialité et immatérialité s'opposent forcément... mais sans forcément que cela aille dans le sens d'engagements métaphysiques particuliers (d'où ma définition de l'âme, par exemple, déjà évoquée ailleurs et ne prétendant pas innover : un monde de représentations intimes, non matériel, fait d'images et de mots, propre à chacun, monde intime d'idées, d'émotions, de perceptions, dont l'existence ne peut être prouvée).
J'ai déjà eu l'occasion d'écrire, il y a déjà plusieurs années, que la créativité est la seule chose qui me donne encore un certain sentiment d'éternité, voire même un certain sens du sacré. Cela a sans doute quelque-chose à voir avec la beauté dont parle Albert Camus dans « L'Exil d'Hélène » que j'ai cité ailleurs récemment. Et cela a sans doute aussi un rapport avec une certaine recherche de la Vérité, non orientée dans tel ou tel sens religieux ou idéologique (même sous couvert de se situer sur un terrain philosophique supposé commun). Autant dire qu'à mes yeux, a fortiori dans le domaine de la création artistique, ici mythographique, si Tolkien veut que l'on parte d'un choix à faire entre pour ou contre le matérialisme, il oriente mal le débat dès le départ, surtout s'il a déjà sa réponse (« LA » réponse) et ne compte pas en changer. Peut-on, du reste, alors parler vraiment de débat ?
Mais, pour l'heure, je te laisse poursuivre ta traduction, Jérôme : à ce stade, elle me parait bonne... avec une réserve pour « voué » dans le dernier vers, si l'idée au fond, à travers ce choix, est d'être plus royaliste que le roi (dans ce cas, « destiné » conviendrait mieux). :-)
Amicalement,
B.
P.S. : la question des causes finales et la mention critique par Jérôme d'un « but égoïste de persistance dans l'être », qui serait attribué au gène par les matérialistes contemporains, me rappellent cette réflexion de Remy de Gourmont, désormais enfouie dans les anciens messages du fuseau « In Memoriam » et que je permets de partager à nouveau ici :
Quel est le but de la vie ? Le maintien de la vie.
Mais l'idée même de but est une illusion humaine. Il n'y a ni commencement, ni milieu, ni fin dans la série des causes. Ce qui est a été causé par ce qui fut, et ce qui sera a pour cause ce qui est. On ne peut concevoir ni un point de repos, ni un point de début. Née de la vie, la vie engendrera éternellement la vie. Elle le doit et elle le veut. Or, la vie est caractérisée sur la terre par l'existence d'individus groupés en espèces, c'est-à-dire ayant le pouvoir, un mâle s'étant uni à une femelle, de reproduire leur semblable. Qu'il s'agisse de la conjugaison interne des protozoaires, de la fécondation hermaphrodite, de la copulation des insectes ou des mammifères, l'acte est le même : il est commun à tout ce qui vit, et non pas seulement à l'animal, mais à la plante [...]. Entre tous les actes possibles, dans la possibilité que nous pouvons connaître ou imaginer, l'acte sexuel est donc le plus important de tous les actes. Sans lui, la vie s'arrêterait : mais il est absurde de supposer son absence puisque, dans ce cas, c'est la pensée même qui disparaît.
[...]
Les moralistes aiment les abeilles, dont ils tirent des exemples et des aphorismes. Elles nous conseillent le travail, l'ordre, l'économie, la prévoyance, l'obéissance et plusieurs autres vertus. Adonnez-vous au labeur, courageusement : la nature le veut. La nature veut tout. Elle est complaisante à toutes les activités et ne refuse aucune analogie à aucune de nos imaginations. Elle veut les constructions sociales de l'abeille : elle veut aussi la vie toute d'amour du grand paon, de l'osmie et du sitaris. Elle veut que les formes qu'elle a créées se conservent indéfiniment et pour cela tous les moyens lui sont bons. Mais si elle nous donne l'exemple laborieux de l'abeille, elle ne nous cache pas l'exemple polyandrique de la mante et de ses cruelles amours. Il n'y a pas dans la volonté de vivre la moindre trace de notre pauvre petite morale humaine. Si l'on veut une morale unique, c'est-à-dire un commandement universel, tel que toutes les espèces le puissent écouter, tel que, en fait, elles le suivent selon l'esprit et selon la lettre, si l'on veut, en d'autres termes, déterminer quel est le but de la vie et le devoir des êtres vivants, il faut évidemment trouver une formule qui totalise les contradictions, les brise et les transforme en une affirmation. Il n'y en a qu'une et on la répétera, sans craindre et sans permettre aucune objection : le but de la vie est le maintien de la vie.
Remy de Gourmont (1858-1915), Physique de l'Amour. Essai sur l'instinct sexuel, 1903, Chapitre II « But de la vie ».
Hors ligne
il y aurait aussi l'ancienne traduction qui serait bienvenue:
"les hommes destinés au trépas" (qui n'y étaient pas voués, le destin n'étant pas une vocation) sans aller chercher Thomas d'Acquin, Nietsche ou autres, Tolkien suffit.
Sinon, si on cherche d'autres artistes, la chanson "Destinée" de Guy Marchand dans "Le Père Noël est une ordure" et dans "Les Sous-doués en vacances".
Quelques lecteurs de ce site vont aimer.
Mais au départ, ce n'était que la traduction d'un adjectif, rien de plus ;)
Silmo
Hors ligne
Sinon, si on cherche d'autres artistes, la chanson "Destinée" de Guy Marchand...
Un succès populaire que l'intéressé n'a jamais assumé... et franchement, je le comprends.
Ceci dit, bravo François : en me faisant imaginer cette chanson résonnant en fond sonore dans la forêt entique de JRRVF, tu as réussi à me faire rire. ;-)
Amicalement,
B.
Hors ligne
Pages : 1 haut de page