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#1 30-07-2022 05:58

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 290

Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

En passant rapidement, et puisque personne ne l'a encore fait semble-t-il, je signale ici la parution, depuis mardi dernier, d'un hors-série de Philosophie Magazine intitulé « Le Seigneur des Anneaux. Tolkien et son mythe » (Hors-série N°54 - Été-Automne 2022).

En voici le sommaire, plus ou moins détaillé :

  • « Comment garder espoir dans un monde qui s'effondre », éditorial par Sven Ortoli (p. 03)

  • « Une brève histoire de la Terre du Milieu », par Octave Larmagnac-Matheron et Sven Ortoli (p. 06-11)

  • « Philosopher chez les Elfes », entretien avec Marylin Maeso (p. 12-17)

  • « Le seigneur des mots », chronologie et biographie par Helena Schäfer et Octave Larmagnac-Matheron + article « Le Seigneur des Anneaux : la réception des intellectuels » (p. 18-23)

  • « Dans la bibliothèque philosophique de Tolkien », par Octave Larmagnac-Matheron (p. 24-25)

I. « La fabrique du mythe » (p. 26-27)

  • « Races et histoires », par Octave Larmagnac-Matheron et Sven Ortoli + petit article « Tolkien est-il raciste ? » (p. 28-31)

  • « L'écho d'un monde perdu », entretien avec Isabelle Pantin + deux petits articles en parallèle sur Beowulf et sur l'escapisme (p. 32-39)

  • « Qu'est-ce qu'un conte de fées ? » : extrait d'un passage de Du conte de fées de Tolkien (p. 35)

  • « La grande famille de l'Anneau » (à propos de Frodo, Samwise, Bilbo, Gandalf, Gollum, Galadriel, Aragorn, Saruman et Sauron), par Octave Larmagnac-Matheron (p. 42-47)

  • « La magie des mots », entretien avec Verlyn Flieger + petit article « Tolkien et le modernisme littéraire » (p. 48-52)

  • « Tolkien et Barfield, les profondeurs du langage » : lecture croisée (p. 53)

II. « La tentation du refuge et comment y résister » (p. 54-55)

  • « Le mythe du désenchantement », par Tristan Garcia (p. 56-59)

  • « Le héros jardinier », par Vincent Ferré (propos recueillis par Sven Ortoli) + « Sagesses enracinées », quelques courtes citations de Tolkien [tirées de LotR:RotK et de PE 22] (p. 62-63)

  • « La guerre contre les machines », entretien avec Enrico Spadaro (p. 64-66)

  • « Tolkien et Chesterton, la beauté du monde » : lecture croisée (p. 67) [>>> j'en connais ici qui vont adorer...]

III. « L'histoire du monde est l'histoire du mal » (p. 68-69)

  • « Tenir à l'Œil » (Tolkien et la société de surveillance), par Octave Larmagnac-Matheron et Sven Ortoli (p. 70-71)

  • « La tentation du roi-dieu », entretien avec Michaël Devaux + petit article « Être et temps », d'après le « Fragment sur la réincarnation elfique » de Tolkien (p. 72-77)

  • « L'énigme Tom Bombadil » : extraits de la Lettre 153 de Tolkien (p. 75)

  • « Un anneau néolibéral ? » : extrait de l'ouvrage Ecology without Nature, de Timothy Morton, évoquant l'univers de Tolkien (p. 81)

  • « Tolkien et Boèce, le néant du mal » : lecture croisée (p. 83)

IV. « Comment l'espoir fait tenir le monde » (p. 84-85)

  • « L'épreuve du choix », entretien avec Irène Fernandez + petit article « L'Estel et l'Amdir », d'après l'Athrabeth Finrod ah Andreth de Tolkien (p. 86-91)

  • « Petits et grand écrits » : extrait de LotR:TT de Tolkien (p. 89)

  • « Le rêve du paganisme » : extrait de l'ouvrage God in Pain, de Slavoj Žižek, évoquant Tolkien (p. 91)

  • « Il était une foi... » entretien avec Leo Carruthers (p. 94-97)

  • « Tolkien et C. S. Lewis, la consolation de la joie » : lecture croisée (p. 98)

À noter que Vincent (F.), comme il l'a indiqué lui-même sur Twitter il y a quelques jours, avait proposé d'expliquer pourquoi on doit être prudent lorsque l'on prétend tirer « de la philosophie » d'une fiction, mais que ce n'est pas cet angle qui a été retenu. Il est permis de le regretter, car la prudence à adopter face à la prétention à tirer « de la philosophie » (y compris politique, religieuse...) d'une fiction est assurément un bon sujet, particulièrement s'agissant de l'œuvre de Tolkien.

Sauf erreur de ma part, en ce qui concerne l'article « Dans la bibliothèque philosophique de Tolkien », si l'auteur y mentionne Michaël Devaux et « le tolkiénologue » Damien Bador, Oronzo Cilli n'est cité nulle part, alors que son travail de compilation de références a dû tout de même aider, du moins à ce qu'il me semble.

À noter, enfin, pour l'anecdote, la mention (p. 4 et 75) du recueil Tolkien, L'effigie des Elfes (Feuille de la Compagnie N°3) comme ayant été publié chez Bragelonne en... 2005 (?!) au lieu de 2014, le recueil étant par ailleurs présenté comme étant le livre d'un seul auteur (?). Je n'ai pas d'intérêt particulier dans l'affaire (et heureusement !), mais connaissant par ailleurs le manque de scrupules de certains éditeurs (professionnels, ou du moins réputés tels) en matière de respect de la dimension collective d'un ouvrage (Elendil saura de quoi je parle), j'estime que, tout de même, en ces temps où (re)commencent à paraître, par ailleurs encore, des bouquins-arnaques de prétendus « grands spécialistes », mi-opportunistes mi-fumistes, à l'approche de l'« évènement » audiovisuel « tolkienien » du moment (cf. ce bouquin-là, par exemple), si l'on pouvait faire en sorte que les bouquins réputés sérieux (tels que, entre autres, Tolkien, L'effigie des Elfes) soient présentés honnêtement, et donc de façon exacte, ce serait une bonne chose.

Pour le reste, d'un point de vue plus général, il y a des choses intéressantes dans ce hors-série de Philosophie Magazine, et d'autres qui le sont peut-être un peu moins, notamment selon les penchants philosophiques de chacun... mais vous n'aurez qu'à juger par vous-mêmes.

Bonne lecture... et bonnes vacances pour celles et ceux qui en prennent (ce qui n'est pas mon cas, et ce depuis des années... et même si je devrais !).

B., fatigué, mais qui a toujours un bouquin sur la planche...

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#2 30-07-2022 08:56

rintrah
Inscription : 2022
Messages : 6

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Bonjour,
Ayant contribué directement à la préparation du numéro, je me permets de réagir en quelques mots :
- en ce qui concerne la remarque de Vincent Ferré, elle est parfaitement juste. Mais précisément : l'horizon du numéro n'était pas de "tirer "de la philosophie" d'une fiction", hormis sur les points que Tolkien analyse lui-même, mais de prendre au sérieux Tolkien comme un penseur, et donc de se concentrer sur ses textes théoriques, ses apports conceptuels, etc. sans plaquer sur la fiction des réflexions qui lui sont étrangères (le titre retenu pour le hors série, j'en conviens volontiers, ne rend pas justice à cette ambition). C'était aussi le parti pris, par exemple, de notre numéro sur Orwell
- en effet, Oronzo Cilli a été une source précieuse pour ce petit texte, j'ai d'ailleurs correspondu avec lui pour savoir si l'édition revue et augmentée à paraître contenait de nouveaux contenus qui auraient pu être d'intérêt (mais rien de nouveau). Une note était prévue pour préciser la dette de ce papier à l'égard du travail de Cilli, mais elle a sauté lors du passage en maquette, et nous nous en sommes rendus compte trop tard pour corriger la situation
- quant à la Feuille de la Compagnie : vous avez parfaitement raison, et j'ignore à vrai dire à quelle étape du processus s'est insérée l'erreur. Merci de l'avoir souligné ! (J'ajoute que le Fragment sur la réincarnation des Elfes, qui est ici indirectement concerné, devait faire l'objet d'un commentaires beaucoup plus long, mais faute de place..)
En espérant qu'en dépit de ces imperfections (dont nous savions bien que quelques unes se glisseraient inévitablement entre les mailles de la vigilance d'une équipe fort restreinte sur un temps court, deux mois environ), le numéro vous intéressera ! Un numéro qui, je me permets de le préciser, du point de vue de la rédaction, n'a rien d'opportuniste : Tolkien est une passion commune depuis de longues années, et ce fut d'ailleurs mon sujet de mémoire. Au plaisir, en tout cas, d'en discuter !
Octave

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#3 30-07-2022 09:12

Yyr
Lieu : Reims
Inscription : 2001
Messages : 2 846
Site Web

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Merci beaucoup Hyarion pour cette présentation de grande qualité !
Est-ce que ça te gêne si nous ouvrons un fuseau dédié ? Ton post à lui seul mérite plus qu'un entrefilet de revue presse, et il pourrait donner suite si certains répondaient au plaisir d'en discuter, comme le suggère Octave. [édit : fait]

& Bienvenue à Octave.
Le plaisir de la discussion sera partagé le cas échéant :).

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#4 31-07-2022 14:22

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
Inscription : 2001
Messages : 4 900

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Bonjour rintrah-Octave et bienvenue sur JRRVF

Tout d'abord, bravo pour ce numéro hors-série de PM dont le résultat final montre tout le sérieux du travail fourni en équipe.
Je suis en pleine lecture du magazine et c'est très enrichissant, y compris sur des détails avec lesquels je ne suis pas en harmonie (mais dont je ne soupçonnais même pas l'existence avant le hors-série smile (cf les extraits du livre de Timothy Morton, cité p. 81).

En revanche, quel dommage et quelle tristesse de voir surgir dans la lecture au milieu des illustrations, souvent de grande qualité (voir les photos de Cobb, de Babarikin ou de Schoenberger) une iconographie tirée des films.
Dans l'édito, pourquoi cette photo d'Azog-the-Defiler ? et p.16, quel rapport entre cette photo tirée du scénario du film (scène inexistante dans l'oeuvre de Tolkien) et le sujet ? Et ça continue p.28... puis p.43... puis ça se calme enfin.
Il y a tant d'illustrations de qualité de l'oeuvre de Tolkien, quelle dommage d'avoir puisé chez Jackson cette imagerie dont on se serait bien passé dans un magazine de cette qualité.

Je continue ma lecture wink

I.

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#5 31-07-2022 16:17

rintrah
Inscription : 2022
Messages : 6

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Bonjour ISENGARD,
Merci pour ton retour, et très heureux que le numéro t'intéresse !
Quant à l'iconographie : il va sans dire que, c'eût été ma décision, nous aurions fait d'autres choix. Mais, pour résumer rapidement : avoir de l'iconographie issue du film, donc très identifiable, rassurait une partie de la rédaction qui n'est pas du tout familière de l'œuvre de Tolkien et craignait, je pense, que le numéro soit trop pour "spécialistes". Par ailleurs, même si ce n'est pas le critère déterminant, c'est une iconographie très facile à obtenir, et très peu onéreuse (contrairement, par exemple, à un dessin de la main de Tolkien : la croix et la bannière en termes de droits) Bref, c'est une solution de compromis
Bonne lecture!
Octave.

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#6 31-07-2022 16:48

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
Inscription : 2001
Messages : 4 900

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

rintrah a écrit :

avoir de l'iconographie issue du film, donc très identifiable, rassurait une partie de la rédaction (...) c'est une iconographie très facile à obtenir, et très peu onéreuse (...) Bref, c'est une solution de compromis

Merci pour ces précisions. J'y avais en effet pensé après-coup (c'est à dire après avoir publié mon habituel post de rageux, dès qu'il s'agit d'un amalgame Tolkien/ Jackson  wink )

I.

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#7 01-08-2022 11:06

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 011

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Excellent
Merci Hyarion  smile

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#8 09-08-2022 11:00

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 290

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Yyr a écrit :

Merci beaucoup Hyarion pour cette présentation de grande qualité !
Est-ce que ça te gêne si nous ouvrons un fuseau dédié ? Ton post à lui seul mérite plus qu'un entrefilet de revue presse, et il pourrait donner suite si certains répondaient au plaisir d'en discuter, comme le suggère Octave. [édit : fait]

Je n'avais pas donné mon avis avant que cela soit fait, mais cela ne me dérange pas d'être à l'origine d'un fuseau. :-)

rintrah a écrit :

Bonjour,
Ayant contribué directement à la préparation du numéro, je me permets de réagir en quelques mots

Merci d'avoir pris le temps de le faire.

rintrah a écrit :

...quant à la Feuille de la Compagnie : vous avez parfaitement raison, et j'ignore à vrai dire à quelle étape du processus s'est insérée l'erreur. Merci de l'avoir souligné !

Notez (je le dis en plaisantant) que si cela se trouve, en ce qui concerne la date, Mickaël D. a pu commettre lui-même un lapsus calami s'il vous a communiqué les informations en question : 2005 correspond, en fait, plus ou moins à l'époque où avait été initialement envisagée la parution de ce recueil, finalement longtemps reportée, jusqu'en 2014. L'inconscient aurait-il donc parlé à travers cet éventuel lapsus ? Je ne saurais dire : je ne suis pas psychanalyste. ^^'

rintrah a écrit :

Un numéro qui, je me permets de le préciser, du point de vue de la rédaction, n'a rien d'opportuniste : Tolkien est une passion commune depuis de longues années, et ce fut d'ailleurs mon sujet de mémoire.

Merci pour ces précisions. Quel était exactement le sujet de votre mémoire, si cela n'est pas indiscret ?

ISENGAR a écrit :

Je suis en pleine lecture du magazine et c'est très enrichissant, y compris sur des détails avec lesquels je ne suis pas en harmonie (mais dont je ne soupçonnais même pas l'existence avant le hors-série :) (cf les extraits du livre de Timothy Morton, cité p. 81).

Cher JR, si tu as le temps, ce serait intéressant d'éventuellement en savoir plus sur ce que tu n'aimes pas dans les propos de Morton (je donnerai mon avis, si tu donnes le tien). :-)

ISENGAR a écrit :

Il y a tant d'illustrations de qualité de l'oeuvre de Tolkien, quel dommage d'avoir puisé chez Jackson cette imagerie dont on se serait bien passé dans un magazine de cette qualité.

rintrah a écrit :

Quant à l'iconographie : il va sans dire que, c'eût été ma décision, nous aurions fait d'autres choix. Mais, pour résumer rapidement : avoir de l'iconographie issue du film, donc très identifiable, rassurait une partie de la rédaction qui n'est pas du tout familière de l'œuvre de Tolkien et craignait, je pense, que le numéro soit trop pour "spécialistes". Par ailleurs, même si ce n'est pas le critère déterminant, c'est une iconographie très facile à obtenir, et très peu onéreuse (contrairement, par exemple, à un dessin de la main de Tolkien : la croix et la bannière en termes de droits) Bref, c'est une solution de compromis.

J'aurai pu souligner moi aussi ce point, mais je me suis dit que JR (Isengar) ferait ça comme il se doit. ;-)
Je ne suis pas étonné qu'il soit plus abordable financièrement d'illustrer une publication telle que celle-ci avec des images jacksoniennes : elles sont si souvent utilisées dans la presse, depuis des années, qu'on peut aisément deviner qu'elles soient tout simplement bon marché, tout en étant par ailleurs, assurément, très identifiables. On peut toujours supposer que cela risque d'être pire, à l'avenir, avec la série Amazon (du moins si elle rencontre un succès commercial comparable)...
Cependant, on en revient au sempiternel problème d'une œuvre littéraire encore relativement récente : faute d'entrée dans le domaine public pour le moment, que ce soit pour l'auteur ou pour les illustrateurs, on ne peut avoir les facilités que l'on pourrait avoir en travaillant, par exemple, sur Dante, Rabelais, Cervantès, La Fontaine, Voltaire, Balzac ou Flaubert (ce dernier avait ainsi fait l'objet d'un numéro hors-série intéressant du Figaro en décembre 2020, en ayant eu le luxe de s'offrir des illustrations originales inédites de personnages flaubertiens, en sus des reproductions d'illustrations d'époque et de peintures relevant souvent du domaine public ; la presse "de droite" n'est pas ma tasse de thé, même si, sur la forme, on a tendance à y écrire plutôt mieux que dans la presse "de gauche", mais je suis tombé sur ce hors-série du Figaro en visitant l'expo « Salammbô. Fureur ! Passion ! Éléphants ! » au Mucem, il y a maintenant quelques mois).

Si je prends le temps de donner ici mon avis sur une partie du contenu du magazine dont il est ici question, cela intéressera-t-il quelqu'un ? Parce que sinon, inutile de me fatiguer, vu que j'ai encore d'autres choses à écrire par ailleurs...

B.

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#9 10-08-2022 12:24

rintrah
Inscription : 2022
Messages : 6

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Bonjour !

Hyarion a écrit :

Notez (je le dis en plaisantant) que si cela se trouve, en ce qui concerne la date, Mickaël D. a pu commettre lui-même un lapsus calami s'il vous a communiqué les informations en question

L'erreur est nôtre, malheureusement. Les précisions éditoriales sont précisées après coup dans le circuit de la copie.

Hyarion a écrit :

Quel était exactement le sujet de votre mémoire, si cela n'est pas indiscret ?

Il s'agissait, pour le dire en quelques mots, de brosser le portrait de Tolkien en penseur : d'essayer de voir ce qu'il a lu, comment il raisonne, à partir de quels présupposés, ce qu'il apporte conceptuellement, etc. Bref, de se concentrer sur les moments théoriques de son oeuvre - plutôt que d'essayer, comme c'est souvent le cas, d'éclairer le pan littéraire de son oeuvre à partir de références philosophiques extrinsèques un peu plaquées. C'est d'ailleurs plus ou moins le parti pris du hors-série (qui traite beaucoup plus de Tolkien que du Seigneur des anneaux - mais là encore, le second a été jugé un titre plus accessible).

Hyarion a écrit :

Cher JR, si tu as le temps, ce serait intéressant d'éventuellement en savoir plus sur ce que tu n'aimes pas dans les propos de Morton (je donnerai mon avis, si tu donnes le tien)

Si je peux prendre part à la discussion : j'ai beau trouvé intéressant le travail de Morton en général, je trouve qu'il se trompe foncièrement dans sa manière d'aborder Tolkien.  Le passage est succinct, et son armature logique est à mon avis un peu flottante. Mais surtout, l'idée que le monde façonné par Tolkien est "planifié à l'avance, cartographié, comptabilisé", et qu'il est ce faisant "toujours familier", sorte de totalité close sur elle-même - cette idée est je crois à côté de la plaque. Il y a, précisément, une forme d'incomplétude radicale de la Terre du Milieu, qui est indissociable du statut des textes, censément transmis au fil d'un tradition qui implique déperdition, dégradation, etc. L'univers imaginé par Tolkien se tient sans doute dans l'horizon d'une totalité, mais c'est une totalité qui ne se referme pas, grevée de trous, de vides, d'incertitudes, de mystères irrésolus, de points d'interrogations. Morton manque, en gros, à mes yeux, la distance irrémissible à l'égard d'un monde passé qui se trouvé déposé  dans des récits toujours partiaux, et érodés par le temps. La Terre du Milieu n'est pas une "marchandise" présente, disponible, dont on pourrait jouir, mais une sorte de spectre qui ne cesse de se dérober à l'emprise (y compris de son subcréateur). L'extrait aurait mérité un commentaire, à mon avis, mais impossible faute de place (peut-être pour l'éventuelle version livre !)

Hyarion a écrit :

On peut toujours supposer que cela risque d'être pire, à l'avenir, avec la série Amazon (du moins si elle rencontre un succès commercial comparable)...

C'est à craindre, en effet.

Hyarion a écrit :

"en visitant l'expo « Salammbô. Fureur ! Passion ! Éléphants ! » au Mucem"

(Belle expo, autour d'un texte que j'aime tout particulièrement)

Hyarion a écrit :

"Si je prends le temps de donner ici mon avis sur une partie du contenu du magazine dont il est ici question, cela intéressera-t-il quelqu'un ? Parce que sinon, inutile de me fatiguer, vu que j'ai encore d'autres choses à écrire par ailleurs..."

Un avis éclairé m'intéresserait bien entendu beaucoup ! Mais si je suis seul, je ne voudrais surtout pas abuser de ce temps précieux !

Octave.

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#10 10-08-2022 13:25

Yyr
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Je ne suis sans doute pas doué : je ne vois pas comment commander un exemplaire ... :)

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#11 10-08-2022 13:49

rintrah
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Ce n'est pas de ton fait : la boutique n'a toujours pas été mise à jour pour une raison qui m'échappe (et me désole)
Octave

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#12 11-08-2022 17:36

ISENGAR
Lieu : Tuckborough près de Chartres
Inscription : 2001
Messages : 4 900

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Hyarion a écrit :

Cher JR, si tu as le temps, ce serait intéressant d'éventuellement en savoir plus sur ce que tu n'aimes pas dans les propos de Morton (je donnerai mon avis, si tu donnes le tien)


C'est donnant-donnant Clarisse wink

Je n'ai toujours pas pris le temps de chercher à explorer le travail de Morton dans Ecology Without Nature, mais rintrah/Octave résume assez bien mon sentiment, dans son message d'hier midi.

Par ailleurs, un article de Becca Tarnas, une tolkiendil californienne, dit sensiblement la même chose (si mon anglais ne me trahit pas) dans un article qui date de 2013 : Crossing the Threshold: The Ecological Road into Mordor

I.

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#13 12-08-2022 11:46

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 011

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Isengar a écrit :

C'est donnant-donnant Clarisse

Hi, hi, hi  lol (en plus, le jour de la sainte Clarisse, trop fort !)

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#14 15-08-2022 10:12

Hyarion
Inscription : 2004
Messages : 2 290

Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

Quel était exactement le sujet de votre mémoire, si cela n'est pas indiscret ?

Il s'agissait, pour le dire en quelques mots, de brosser le portrait de Tolkien en penseur : d'essayer de voir ce qu'il a lu, comment il raisonne, à partir de quels présupposés, ce qu'il apporte conceptuellement, etc. Bref, de se concentrer sur les moments théoriques de son oeuvre - plutôt que d'essayer, comme c'est souvent le cas, d'éclairer le pan littéraire de son oeuvre à partir de références philosophiques extrinsèques un peu plaquées. C'est d'ailleurs plus ou moins le parti pris du hors-série (qui traite beaucoup plus de Tolkien que du Seigneur des anneaux - mais là encore, le second a été jugé un titre plus accessible).

Merci beaucoup pour ces précisions.

Tolkien considéré comme un penseur... J'avoue que cela me rappelle un échange (houleux, et même pénible, disons-le, même si c'est heureusement du passé) dans un autre fuseau du présent forum, il y a quelques années : de mémoire, mon interlocuteur (qui se reconnaîtra peut-être... ;-)...) m'avait signifié sa préférence philosophique pour Tolkien plutôt que pour Montaigne, David Hume ou Nietzsche (des penseurs dont j'apprécie la lecture pour ma part) sous prétexte que Tolkien l'avait ému et touché au cœur, alors que ce n'était pas le cas pour les autres en évoquant notamment le destin où les philosophies de Hume et de Nietzsche les auraient mené à titre personnel (désespoir et solitude pour l'un, folie pour l'autre...), à la différence supposée d'un Tolkien à la fois philologue mythographe, (bonus) pater familias et fervent catholique (donc supposément plus vertueux et « aimable » ?), ce à quoi j'avais répondu que, au-delà de questions de personnes dont les parcours de vie seraient jugées enviables ou pas, l'intérêt de la lecture des philosophes me paraissait (et me paraît toujours) résider dans leur capacité à stimuler l'esprit plutôt qu'à émouvoir (même si on peut aussi être ému, parfois, en lisant un philosophe : c'est quelquefois mon cas lorsque, par exemple, je relis certains passages des Essais de Montaigne...), et que je n'étais pas sûr dès lors que l'on puisse comparer un écrivain (catholique auteur plutôt qu'auteur catholique, du reste, selon l'heureuse formule de Leo Carruthers) avec des philosophes, indépendamment de l'éloignement de leur pensée avec celle d'un Tolkien.
Bref, Tolkien considéré comme un penseur... Pourquoi pas ? Mais donc à condition, à mon humble avis, de ne pas tomber dans un excès de personnalisation, ce qui n'est toutefois pas forcément simple quand on songe, par exemple, à la dimension idiosyncrasique de son essai Du Conte de fée, si souvent convoqué comme référence, et à raison sans doute, mais pas forcément toujours avec beaucoup d'esprit critique. Prendre au sérieux Tolkien, à mon sens, y compris sur un plan conceptuel, ne doit pas signifier « boire ses paroles » théoriques parce qu'on admire son œuvre, voire sa personne, ce qui ne sera certes pas forcément le cas en lisant Montaigne, David Hume ou Nietzsche... mais eux n'ont pas écrit de romans, ni inventé des univers fictifs.

S'agissant de ce hors-série sur Tolkien, j'approuve naturellement le parti pris de ne pas plaquer de références philosophiques sur l'œuvre de l'écrivain, en évitant ainsi le risque de trop la « faire parler ». À cette aune, entre autres choses, les lectures croisées proposées avec Barfield, G. K. Chesterton, Boèce et C. S. Lewis me paraissent en soi pertinentes, quoi que l'on puisse penser en général par ailleurs des penseurs en question (pour ma part, je déteste la rhétorique péremptoire de Chesterton et le désespérant prosélytisme de Lewis), et je salue l'effort de traduction des textes qui a été fait quand cela s'est avéré nécessaire. De mon point de vue, et en tenant compte des inévitables contraintes propres à ce genre d'exercice de publication destiné à un assez large public, c'est du travail sérieux.

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

Cher JR, si tu as le temps, ce serait intéressant d'éventuellement en savoir plus sur ce que tu n'aimes pas dans les propos de Morton (je donnerai mon avis, si tu donnes le tien)

Si je peux prendre part à la discussion : j'ai beau trouvé intéressant le travail de Morton en général, je trouve qu'il se trompe foncièrement dans sa manière d'aborder Tolkien.  Le passage est succinct, et son armature logique est à mon avis un peu flottante. Mais surtout, l'idée que le monde façonné par Tolkien est "planifié à l'avance, cartographié, comptabilisé", et qu'il est ce faisant "toujours familier", sorte de totalité close sur elle-même - cette idée est je crois à côté de la plaque. Il y a, précisément, une forme d'incomplétude radicale de la Terre du Milieu, qui est indissociable du statut des textes, censément transmis au fil d'un tradition qui implique déperdition, dégradation, etc. L'univers imaginé par Tolkien se tient sans doute dans l'horizon d'une totalité, mais c'est une totalité qui ne se referme pas, grevée de trous, de vides, d'incertitudes, de mystères irrésolus, de points d'interrogations. Morton manque, en gros, à mes yeux, la distance irrémissible à l'égard d'un monde passé qui se trouvé déposé  dans des récits toujours partiaux, et érodés par le temps. La Terre du Milieu n'est pas une "marchandise" présente, disponible, dont on pourrait jouir, mais une sorte de spectre qui ne cesse de se dérober à l'emprise (y compris de son subcréateur). L'extrait aurait mérité un commentaire, à mon avis, mais impossible faute de place (peut-être pour l'éventuelle version livre !)

ISENGAR a écrit :
Hyarion a écrit :

Cher JR, si tu as le temps, ce serait intéressant d'éventuellement en savoir plus sur ce que tu n'aimes pas dans les propos de Morton (je donnerai mon avis, si tu donnes le tien)


C'est donnant-donnant Clarisse ;)

Je n'ai toujours pas pris le temps de chercher à explorer le travail de Morton dans Ecology Without Nature, mais rintrah/Octave résume assez bien mon sentiment, dans son message d'hier midi.

Par ailleurs, un article de Becca Tarnas, une tolkiendil californienne, dit sensiblement la même chose (si mon anglais ne me trahit pas) dans un article qui date de 2013 : Crossing the Threshold: The Ecological Road into Mordor

Donnant-donnant, donc... mais sans tomber dans la perversité du Silence des agneaux, j'espère. ^^'

Concernant la critique de Morton, voici quelques réflexions un peu en vrac...

Pour ce que j'ai pu en lire à travers les extraits cités dans le hors-série de Philosophie magazine (p. 81) et dans l'article en ligne de Becca Tarnas, le principal mérite de Morton me parait être sans doute... de proposer un discours critique, c'est-à-dire a priori dépourvu de cette dimension systématiquement méliorative que l'on retrouve encore bien souvent dans tant de discours faniques ou même universitaires. Sur la planète Tolkien, tout discours sur le « Professeur » et son œuvre se doit d'être plus ou moins mélioratif : du moins est-ce l'impression que j'ai souvent eu depuis le temps (conséquent) que je fréquente ladite planète. C'est sans doute une des raisons qui font que j'ai toujours eu un problème avec la notion de « fan », dans laquelle je n'ai jamais reconnu la nature de ma propre appréciation de l'œuvre de Tolkien. À cela s'ajoute en particulier le relatif désenchantement vis-à-vis de cette œuvre qui m'a, peu à peu, il faut bien le dire, saisi au fur et à mesure que je voyais certains spécialistes tolkienophiles (fussent-ils ou non minoritaires) travailler à ce que l'œuvre soit appréhendée le plus possible dans certaines directions, principalement vers les domaines religieux (avec une connotation antimoderne) et linguistiques, au risque notamment de « lewissiser » l'œuvre (c'est-à-dire de la rendre aussi religieusement explicite et prosélyte que la « théologie-fiction » de C. S. Lewis), voire d'en faire une sorte de bréviaire antimoderne ou d'« écologie intégrale » pour chrétiens conservateurs, ou bien, plus généralement, d'en faire un objet d'ultra-spécialisation sophistiquée dont la compréhension et la juste appréciation serait réservées à une poignée d'initiés, au nom d'une conception hiérarchique non seulement de la connaissance mais aussi de la sensibilité. Mais de tout cela, il aura été question en ces lieux et ailleurs maintes fois, et je ne le rappelle ici que pour donner quelques repères à Octave pour avoir un peu une idée de « qui parle ». Bref, quand je vois passer un discours critique sur Tolkien, disons que je me dis toujours que, au moins sur le principe, « ça change un peu » de ce que j'ai plutôt l'habitude de lire sur cet écrivain depuis de longues années, même si la portée dudit discours critique est malheureusement souvent limitée, comme si les détracteurs de Tolkien n'avaient jamais d'autant de patience à construire leur critique que les thuriféraires de Tolkien à soigner la promotion de l'écrivain qu'ils adorent... et adorent défendre (je dis cela évidemment avec bienveillance).

Pour en revenir à Morton, d'après ce que j'ai compris, il critique le confort « familier » qu'impliquerait un univers incarné selon lui par la métaphore de « la route [qui] se poursuit sans fin », parce qu'elle « arrive jusqu'à votre porte d'entrée » et vous entrainerait ainsi ad libitum dans le confort d'une alternative fictive au monde moderne, Morton décrivant ainsi notamment le travail de Tolkien comme une « tentative sophistiquée de façonner une scène kitsch qui pourrait apaiser les ravages de l'industrialisme ». Passons sur le terme « kitsch » : il est très subjectif, et s'applique souvent, à mes yeux, à des représentations que je ne trouve pas « kitsch » pour ma part, quelle que soit la personne qui l'emploie, même quand elle est par ailleurs tolkienophile. Pour le reste, Morton me parait mettre le doigt sur une dimension de l'œuvre qui est son côté « rassurant », « réconfortant », « consolant », sur le fond et même sur la forme, puisque ce n'est pas par le côté formellement inachevée de l'œuvre (son côté « fuyant », sur le fond) que celle-ci est prioritairement appréhendée généralement, et qui plus est dans un contexte où la fantasy (avec Tolkien toujours en « tête de gondole ») apparaît désormais bien plus légitimée et diffusée aujourd'hui qu'elle ne l'a longtemps été par le passé. L'auteur de Ecology without Nature ironise aussi sur le fait que la familiarité qu'impliquerait la déambulation dans l'univers de Tolkien s'apparenterait à la familiarité de la déambulation consumériste autour d'un fétiche que serait la marchandise, symbolisée selon lui par l'Anneau, et ce faisant, il tend sans doute, à mon sens, à beaucoup trop confondre les intentions de Tolkien et ce que la société de consommation a pu faire de son œuvre dans le contexte marchand. Cependant, Morton semble en tout cas donc tenir compte de l'œuvre à la fois pour elle-même mais aussi de sa réception, laquelle est loin, il est vrai, de n'être qu'une affaire de fans spécialistes ultra-érudits.

Les lecteurs de Tolkien parlent souvent de l'univers de fiction de cet écrivain de façon paradoxale : d'un côté, c'est un vaste univers dont la charme résiderait dans ce qu'il laisse deviner de lui sans être excessivement défini, à l'image de paysages vus à l'horizon, qui font rêver mais qui resteront lointains ou des « montagnes vues au loin, que l'on n'escaladera jamais » pour reprendre une formule de Tolkien, et d'un autre côté, c'est un univers très construit, très sophistiqué dans sa conception et dès lors à l'exploration « sans fin » et minutieuse duquel on ne pourrait pas résister (les lecteurs comme l'auteur lui-même)... C'est dans ce contexte paradoxal de perception que peut se développer une certaine familiarité, oscillant entre suggestion (séduisante) de confins non explorés et exposition poussée de détails diégétiques (géographiques, linguistiques, chronologiques, sociaux, mythographiques...) pour le développement desquels une « planification » a bien été nécessaire, par souci de cette « cohérence » de la (sub)création que les tolkienologues aiment tant traquer...

La métaphore tolkienienne de « la route [qui] se poursuit sans fin » sert ainsi à Morton pour illustrer la familiarité induite selon lui par la fréquentation de l'œuvre de Tolkien, même s'il généralise sans doute un peu trop la lecture qui peut en être faite. Morton minimise sans doute la dimension intrinsèquement inachevée de ladite œuvre, mais il me semble que le plus important pour lui est l'impression de finitude qu'elle peut susciter par sa propre sophistication, dont on ne trouvera d'ailleurs pas (ou guère) d'équivalent dans d'autres œuvres de fantasy. Et cette impression de finitude peut passer, en effet, comme il l'écrit, par une suppression de « l'hésitation », de « l'ironie » et de « l'ambiguïté », suppression à laquelle peut participer un trop fort degré de « planification » démiurgique. De mon point de vue (en général j'apprécie notamment l'ironie, qui est du reste un art difficile), il y a certes chez Tolkien une part encore laissée à l'hésitation, à l'ironie et à l'ambiguïté (le rôle final de Gollum dans la destruction de l'Anneau est un exemple de cela parmi d'autres), mais pas forcément une part aussi forte que dans d'autres univers de fantasy, ou dans les récits fantastiques du XIXe siècle par exemple. C'est encore là un paradoxe : l'œuvre de Tolkien est à la fois très détaillée et gigantesque dans son échelle de conception. Le fait qu'il y ait des trous, des vides, de l'inachevé, participe sans doute à la crédibilité de l'œuvre comme objet fictif ayant sa propre histoire de transmission, mais ladite œuvre, par la sophistication très poussée de son développement, pourra toujours paraître plus rassurante et familière à un lecteur qui l'aura apprécié, que le monde incertain et angoissant dans lequel nous vivons et qui, au-delà de la question moderne/antimoderne, nous dépasse complètement, bien plus que ne nous dépassera sans doute jamais un univers fictif tel que celui conçu par Tolkien, c'est-à-dire par un individu, avec toutes les limites (humaines) que cela comporte.

Voila ce que m'inspire le point de vue de Morton, lequel, encore une fois, a le mérite d'être critique, même si je reconnais effectivement moi aussi une « armature logique [...] un peu flottante » dans son argumentaire, pour reprendre la formule d'Octave. Je précise toutefois que je ne me base, pour émettre un avis, que sur les extraits de Morton précédemment mentionnées ; j'ignore donc si l'intéressé a écrit davantage sur Tolkien, n'ayant pas lu non plus son livre.

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

"Si je prends le temps de donner ici mon avis sur une partie du contenu du magazine dont il est ici question, cela intéressera-t-il quelqu'un ? Parce que sinon, inutile de me fatiguer, vu que j'ai encore d'autres choses à écrire par ailleurs..."

Un avis éclairé m'intéresserait bien entendu beaucoup ! Mais si je suis seul, je ne voudrais surtout pas abuser de ce temps précieux !

Oh vous savez, du temps, j'en perd tout le temps, en particulier vis-à-vis de mes travaux d'écriture... mais bon, je vais donc essayer de partager ici prochainement quelques modestes remarques, sur certains articles seulement toutefois, en particulier ceux concernant Marylin Maeso et Tristan Garcia, qui constituent, du moins à mon sens, les deux principales nouveautés en matière de contributions (externes) pour ce magazine (les autres intervenants sont des spécialistes connus sur la planète Tolkien, y compris Enrico Spadaro, dont je connais le livre tiré de sa thèse en tout cas).

Sans développer pour le moment, je salue en tout cas l'initiative de l'entretien avec Marylin Maeso, spécialiste d'Albert Camus, et dont l'attachement à « un universalisme critique fidèle à l'esprit républicain » me parait être, en France, la seule option équilibrée et stimulante au sein d'un « débat » public actuel en proie aux délires identitaires de tous bords (qu'ils soient supposés modernes ou antimodernes). Personnellement, j'avais ouvert en ces lieux un fuseau consacré à Albert Camus il y a quelques années, mais sans que celui-ci ne suscite beaucoup d'échanges par la suite, ce qui est peut-être assez à l'image de l'inévidence a priori d'une évocation conjointe de Camus et Tolkien (or Marylin Maeso a raison : on peut apprécier les deux, fut-ce différemment) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic.php?id=7363

Quant à Tristan Garcia, je ne développe pas non plus pour le moment, mais je note tout de suite, en passant, son affirmation sur « Lord Dunsany - le père fondateur de la fantasy moderne et inspirateur de Lovecraft » : hum, encore un qui ne connait pas ou n'a pas lu une ligne de Robert E. Howard, je suppose... ^^' Mais l'entretien avec lui est aussi intéressant par ailleurs, autour de la question du mythe du désenchantement, et j'y reviendrai donc également.

Je reviendrai peut-être aussi sur l'entretien avec Leo Carruthers : son point de vue, toujours aussi pertinemment nuancé, au sujet de la part religieuse de l'œuvre de Tolkien, est connu, mais il y a des éléments qui mériteraient que l'on y revienne si possible plus en détail.

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

"en visitant l'expo « Salammbô. Fureur ! Passion ! Éléphants ! » au Mucem, il y a maintenant quelques mois"

(Belle expo, autour d'un texte que j'aime tout particulièrement)

Oui, c'était une exposition très réussie.
Merci pour la référence de votre article. Jean-Paul Sartre qui considérait que Salammbô était « une merde » (!!!), tout en consacrant à ce grand roman de Flaubert des dizaines de pages d'analyse passionnée dans L'Idiot de la famille : le jugement de Sartre est vraiment très injuste, mais voila toujours là une preuve que l'on peut étudier l'œuvre d'un écrivain sans pour autant l'idolâtrer ! Dans le champ de ce que j'appelle le fanariat, j'avoue que je ne sais pas s'il est possible de bien concevoir cela... Toujours est-il que pour ma part, si je ne me reconnais pas moi-même dans la notion de « fan » (tout en respectant celles et ceux qui se réclament de cette notion), j'assume par contre d'avoir des amitiés littéraires, qui concernent les œuvres et non leurs auteurs en tant que personnes... y compris dans le cas de Tolkien et de Robert E. Howard, pour citer les deux auteurs que j'étudie principalement, mais il y en a d'autres, comme William Morris ou Pierre Louÿs, qui avaient tous leurs défauts mais dont j'apprécie cependant les œuvres à des degrés divers. « Qui aime bien, critique bien », oserai-je peut-être dire, en sus de ma devise « Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux »...

Désolé pour la longueur de ce message... Il n'est pas bon que je reprenne mes mauvaises habitudes en matière d'écriture de pavés postés en ligne, a fortiori en ayant toujours d'autres choses encore à écrire ailleurs... Je tâcherai d'être plus concis la prochaine fois (sinon Silmo va encore me citer Boileau...). ^^'

Amicalement,

Benjamin.

Hors ligne

#15 20-08-2022 02:37

rintrah
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Cher Hyarion,

Merci beaucoup pour cette longue et riche réponse.

Hyarion a écrit :

l'intérêt de la lecture des philosophes me paraissait (et me paraît toujours) résider dans leur capacité à stimuler l'esprit plutôt qu'à émouvoir (même si on peut aussi être ému, parfois, en lisant un philosophe : c'est quelquefois mon cas lorsque, par exemple, je relis certains passages des Essais de Montaigne...), et que je n'étais pas sûr dès lors que l'on puisse comparer un écrivain (catholique auteur plutôt qu'auteur catholique, du reste, selon l'heureuse formule de Leo Carruthers) avec des philosophes, indépendamment de l'éloignement de leur pensée avec celle d'un Tolkien.

Je ne reviens pas plus avant sur cette précédente discussion si ce n'est pour dire 1. qu'il n'y a pas, à mon sens, de philosophie aboutie qui n'émeuve, en quelques points au moins, et très profondément, celui qui s'y confronte - y compris, peut-être même prioritairement, les métaphysiques les plus techniques, qui touchent nécessairement aux sphères les plus fondamentales de notre présence au monde ; 2. qu'en matière d'espoir, il y a bien des choses à puiser chez Tolkien, y compris je crois pour un athée.

Hyarion a écrit :

Prendre au sérieux Tolkien, à mon sens, y compris sur un plan conceptuel, ne doit pas signifier « boire ses paroles » théoriques parce qu'on admire son œuvre, voire sa personne, ce qui ne sera certes pas forcément le cas en lisant Montaigne, David Hume ou Nietzsche... mais eux n'ont pas écrit de romans, ni inventé des univers fictifs.

L'écueil est sans doute particulièrement marqué en ce qui concerne quelqu'un comme Tolkien, et le pouvoir de fascination qu'il peut exercer (sur moi par exemple). Cela dit, c'est un problème qui se pose à mon avis pour tout penseurs sous une forme ou une autre : pour prendre au sérieux un auteur, pour tenter de le comprendre de l'intérieur, il faut dans une certaine mesure s'efforcer de penser comme lui, avec ses associations d'idées, ses références, ses concepts, etc. Peut-être plus fondamentalement encore : essayer de parler comme lui, plutôt que de le réabsorber dans notre langage, avec nos critères d'évaluation. Ca n'exclut pas la critique, mais le travail d'incorporation la désamorce en grande partie dans un premier temps. Il y a quelque chose d'un peu aveugle, parfois même mécanique, dans ce travail de lecture extensive, répétée - un peu comme un danseur qui réeffectue le même mouvement jusqu'à ce que celui-ci acquière l'allure du naturel.

Hyarion a écrit :

pour ma part, je déteste la rhétorique péremptoire de Chesterton et le désespérant prosélytisme de Lewis

Absolument d'accord sur Lewis. Un peu plus nuancé sur Chesterton, dont le style est à mon sens trop varié pour mériter une intégrale hostilité. J'aime assez, entre autres, Tremendous Trifles.

Hyarion a écrit :

Mais de tout cela, il aura été question en ces lieux et ailleurs maintes fois, et je ne le rappelle ici que pour donner quelques repères à Octave pour avoir un peu une idée de « qui parle ». Bref, quand je vois passer un discours critique sur Tolkien, disons que je me dis toujours que, au moins sur le principe, « ça change un peu » de ce que j'ai plutôt l'habitude de lire sur cet écrivain depuis de longues années, même si la portée dudit discours critique est malheureusement souvent limitée, comme si les détracteurs de Tolkien n'avaient jamais d'autant de patience à construire leur critique que les thuriféraires de Tolkien à soigner la promotion de l'écrivain qu'ils adorent... et adorent défendre (je dis cela évidemment avec bienveillance).

Merci pour ces précisions. Je partage assez - de plus en plus du mois - cet intérêt pour les perspectives critiques.

Hyarion a écrit :

Je précise toutefois que je ne me base, pour émettre un avis, que sur les extraits de Morton précédemment mentionnées ; j'ignore donc si l'intéressé a écrit davantage sur Tolkien, n'ayant pas lu non plus son livre.

C'est à ma connaissance à peu près le seul endroit où il se réfère à Tolkien un peu longuement (sur plusieurs paragraphes, en tous cas). Le passage en question est un peu plus long, mais pas énormément. Je ne sais plus si ce passage a été coupé ou non dans l'extrait republié, mais il y a, outre la mise en parallèle avec l'Umwelt heideggerien, un lien établi avec l' "oeuvre d''art totale" de Wagner (ce qui va assez dans le sens d'une "sophistication très poussée", d'un "fort degré de "planification" démiurgique", d'une "impression de finitude" ou du moins de clôture circulaire et rassurante).

Hyarion a écrit :

Personnellement, j'avais ouvert en ces lieux un fuseau consacré à Albert Camus il y a quelques années, mais sans que celui-ci ne suscite beaucoup d'échanges par la suite, ce qui est peut-être assez à l'image de l'inévidence a priori d'une évocation conjointe de Camus et Tolkien (or Marylin Maeso a raison : on peut apprécier les deux, fut-ce différemment) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic.php?id=7363

Très intéressante discussion ! Merci pour le lien. Un peu tard, peut-être, pour déterrer le sujet, mais il y a bien quelques points sur lesquels je réagirais volontiers (sans être aucunement grand connaisseur de Camus).

Hyarion a écrit :

le jugement de Sartre est vraiment très injuste, mais voila toujours là une preuve que l'on peut étudier l'œuvre d'un écrivain sans pour autant l'idolâtrer !

Les jugements injustes sont assez courants chez Sartre (Camus, pour revenir à lui, en a bien entendu fait les frais). C'est presque une figure de style, ou un tic un peu hégélien : tel auteur est dans l'erreur, mais il s'est enfoncé à tel point dans son égarement que sa divagation, poussant jusqu'à la limite certaines possibilités existentielles, acquiert une grandeur exceptionnelle. Il y a une certaine vérité du négatif. Salammbô, pour le dire en deux mots, c'est le fantasme d'un monde d'en soi sans pour soi, un monde plein entièrement minéral, sans l'écart et le vide creusé par la conscience. C'est comme ça que Sartre lit le récit, en tout cas : comme une sorte de délire qui dit tout de même quelque chose de cette fuite à laquelle rêve secrètement la conscience, condamnée à se porter elle-même.

Octave.

Hors ligne

#16 20-08-2022 17:26

vincent
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Bonjour à tous,
Puisque vous êtes ici, Octave, je me permets une question : je viens de commencer à regarder le numéro et j'ai l'impression qu'il n'y a pas de bibliographie ; est ce le cas ? Si oui, pourquoi ? Les références aux oeuvres de JRRT & CRT sont données de manière non unifiée (pocket / bourgois pr le même livre ; rare mention des traducteurs) dans les encarts ; et surtout, la moitié des textes étant (y compris l'interview liminaire) des synthèses de propos et analyses parus depuis une vingtaine d'années, n'est il pas indispensable de donner une section "bibliographie critique sélective" ?
merci d'avance de votre réponse
cordialement
vf

Hors ligne

#17 21-08-2022 14:28

rintrah
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Cher Vincent,
Merci pour vos questions ! Quelques éléments, partiels, de réponse :
- sur la non unification des références : je ne peux rien affirmer avec certitude (il me faudrait sans doute interroger notre secrétaire de rédaction sur ce sujet précis), mais je suppose que la situation est en partie liée à la dispersion de nos différents exemplaires (en Pocket, en Bourgois) qui n'étaient pas dans les mêmes mains aux différentes étapes de la préparation du numéro. (Entre le Covid et le début de l'été, le télétravail plus fréquent n'a surement rien arrangé)
- sur l'absence de bibliographie : en effet, il n'y en a pas. A titre personnel, je le regrette. Mais je comprends aussi les diverses raisons qui motivent ce choix. 96 pages se remplissent très rapidement, d'autant plus lorsqu'il faut composer avec de l'illustration. Par ailleurs, même si nous essayons de nous tenir à un certain niveau d'exigence, le magazine reste... un magazine, pas un livre, et moins encore un ouvrage universitaire. Les contraintes ne sont pas les mêmes. J'espère, cela étant, que si une seconde version enrichie du numéro est un jour édité, il sera possible d'y insérer une bibliographie critique (mais également d'unifier les références et de corriger les quelques erreurs relevées ça et là par les lecteurs attentifs)
J'espère, par ailleurs, que le numéro vous intéressera dans sa globalité, même si, comme vous le souligner justement, "la moitié des textes [sont] (y compris l'interview liminaire) des synthèses de propos et analyses parus depuis une vingtaine d'années". C'était, dans une certaine mesure, l'ambition modeste de ce hors-série : donner, y compris au lecteur peu familier de l'oeuvre, une vision synthétique d'ensemble des différents aspects de la réflexion de Tolkien.
Amicalement,
Octave.

Hors ligne

#18 24-08-2022 06:48

Hyarion
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Je reviens assez rapidement, le temps me manquant pour aborder ce dont j'avais parlé plus haut concernant le contenu de ce magazine...

Comme je l'ai déjà laissé entendre, l'entretien avec Marylin Maeso est intéressant, même si j'ai vu, ailleurs, que l'on commençait déjà à traquer les "jacksonneries" dans ses propos, ce qui me semble tout de même un peu regrettable, vu que l'intéressée, sans être du "sérail" me parait tout de même bien connaître l'œuvre de Tolkien. J'ai lu qu'on lui reprochait une interprétation du personnage d'Aragorn apparemment, pour partie, influencée par les films de Jackson : s'il est naturellement juste et nécessaire de distinguer ce qui relève des livres de ce qui relève des films de PJ, ce n'est pas une raison pour prendre une posture de gardiens du Temple que je connais fort bien, au risque d'invalider pour quelques mots l'ensemble de l'entretien, qui peut certes être discuté, mais pas en réduisant le propos à l'habituel "confusionisme" entre livres et films que les experts aiment tant reprocher à tous ceux qui... ne sont pas des experts comme eux. Et je dis cela amicalement, évidemment, mais avec une pointe de perplexité, a fortiori alors que la vague de "confusionisme" générée par la série d'Amazon est sur le point de provoquer des effets qui rendront, peut-être, bien dérisoires la chasse aux "jacksonneries" des décennies passées... Marylin Maeso a lu Tolkien, et dans le contexte de plus en plus transmédiatique dans lequel nous vivons, c'est déjà une bonne chose, non ? Mais aussi bien les réponses d'Octave sur Tolkiendil, ici et , ont apporté les précisions et nuances qui me paraissaient s'imposer, en réponse à des remarques par ailleurs légitimes sur le principe, et je n'en dirais donc pas plus sur ce point.

Aussi rapidement que possible, je reviens donc sur quelques passages :

Ce qui est propre à l'écriture de Tolkien, et qui, aujourd'hui encore, explique, à mon sens, son succès généralisé, c'est qu'elle n'est pas apologétique. Tout y est suggéré, y compris le travail de la providence, et l'auteur laisse au lecteur le soin d'en tirer les leçons qui se présentent à lui. Ainsi, s'il s'agit de comprendre pourquoi ni Bilbo ni Frodo n'ont tué Gollum quand ils en avaient l'occasion, en dépit de la nature perfide et de la dangerosité de ce dernier, le non-croyant dira que c'est la pitié ou la grandeur d'âme des Hobbits qui retiennent leur main, là où le croyant verra la marque d'une providence préservant la vie d'une créature. Celle-ci en dépit de sa déchéance irrémédiable, possède encore un rôle à jouer dans le salut du monde - rappelons que c'est Gollum qui, à la fin, fera tomber, malgré lui, l'Anneau dans les flammes du mont Destin. Contrairement à son ami C. S. Lewis, l'auteur du Monde de Narnia qui confère une tonalité religieuse très marquée à son oeuvre, Tolkien considère que ce n'est pas son rôle d'édifier ou de convertir les autres. Le divin est partout, mais comme infusé dans le texte, ce qui laisse une grande liberté d'interprétation, y compris a-religieuse.

Marylin Maeso, in Philosophie Magazine « Le Seigneur des Anneaux. Tolkien et son mythe » (Hors-série N°54 - Été-Automne 2022), p. 17.

Ce sont là des paroles très justes, et qui correspondent à l'impression que j'ai toujours eu pour ma part depuis que je connais l'œuvre de Tolkien (découverte quelques années avant la sortie de la première trilogie jacksonienne, sortie qui m'a cependant fait revenir à Tolkien, ce pourquoi notamment je ne la voue pas aux gémonies même si elle a vieillie (surtout les deuxième et troisième films), à l'inverse de la deuxième trilogie qui, elle, à quelques détails près, est un désastre total). Si Tolkien avait "fait du Lewis" avec son œuvre de fantasy, le succès de cette œuvre n'aurait sans doute pas été aussi large qu'il l'a été, notamment à partir des années 1960. Du reste, on oublie parfois que Tolkien a été publié par Allen & Unwin, comme Bertrand Russell : de facto son œuvre, dès le départ, n'était pas particulièrement destinée à une audience confessionnelle.

J'approuve également la spécialiste de Camus lorsqu'elle a ensuite recours à Lévi-Strauss pour relativiser la portée "mythique" ou "mythologique" des écrits de Tolkien, et mettre en évidence le fait que ses histoires tirent d'elles-mêmes leur propre valeur, sans besoin d'une justification qui serait censée être "plus noble".

Lorsque Marylin Maeso conteste, plus loin dans l'entretien, la notion d'"antimoderne" attribué à Tolkien, elle exprime un sentiment personnel que l'on retrouve souvent chez certains lecteurs de Tolkien, fortement tentés de minimiser une conception conservatrice (au sens politico-religieux du terme) des choses que contiendrait l'œuvre dudit Tolkien. Pourtant, me semble-t-il, cette œuvre est bel et bien l'objet d'interprétations reflétant une lutte d'influence, un Kulturkampf même, dans le cadre de la réception des textes de l'écrivain comme au-delà. Et à cette aune, je ne suis pas sûr que l'on puisse évacuer aussi facilement cette notion d'"antimoderne" concernant Tolkien, même si l'antimodernité – au sens politique comme religieux (cf. notamment Pie IX et Pie X, ce dernier pape ayant d'ailleurs apparemment été le préféré de Tolkien quant à son action) – n'est pas du tout ma tasse de thé.

On m'a déjà fait la remarque : comment puis-je me retrouver à la fois chez celui qui déclare, dans Noces, que "le monde est beau, et hors de lui, point de salut", et chez l'auteur chrétien qui considère au contraire que le monde est brisé, qu'il n'est "pas assez" et a, pour cette raison, besoin de la providence ? Je répondrais que, à mes yeux, les questions que l'on se pose comptent plus que les réponses que l'on se donne, et que si Camus et Tolkien diffèrent radicalement sur ce dernier point, les interrogations qui les animent, sur le sens de la vie, sur notre place dans l'univers, les rapprochent fondamentalement.

Marylin Maeso, in Philosophie Magazine « Le Seigneur des Anneaux. Tolkien et son mythe », op. cit., p. 17.

Je suis bien d'accord avec le fait que les questions que l'on se pose valent plus que les réponses particulières des uns et des autres. Mais recherchons-nous tous la vérité ensemble ? J'aurai tendance à penser que non, malheureusement. Nous sommes dès lors obligés de faire des choix, et à cette aune, des auteurs aux postulats très différents peuvent nous influencer chacun à des degrés divers suivant quelque équilibre à notre convenance. Mais si les questions existentielles rejoignent des auteurs différents, il est difficile d'évoquer des réponses "synthétiques" autrement qu'en son nom propre, si jamais on parvient à les formuler, face à un réel complexe et aux contradictions qui accompagnent sa difficile perception.

J'irais même jusqu'à dire que tous deux [Albert Camus et J. R. R. Tolkien] incarnent, chacun à sa manière, deux façons de réenchanter le monde. L'une passe, chez Camus, par un réenchantement du regard, qui s'exprime dans le bouleversement affectif que lui procure la vue des paysages algériens et italiens. Cette capacité à se dire que le monde est tel que je le vois, qu'il n'y a rien au-delà mais que c'est suffisant et digne de célébration. C'est un travail sur soi. Une éthique "immanentiste" du rapport au réel, d'influence à la fois épicurienne et stoïcienne, qui consiste à se changer soi plutôt que l'ordre du monde, à éduquer le regard qu'on porte sur lui. Tolkien esquisse, lui, le cheminement inverse : chez lui, le réenchantement passe par l'instillation de la magie dans le monde pour nous amener à le voir différemment - et à deviner un au-delà à travers lui, ce qui n'est évidemment pas le cas chez Camus.

Marylin Maeso, Ibid.

Je peux toujours me tromper, mais il me semble qu'ici Marylin Maeso résume assez bien ce qui différencie Camus et Tolkien en matière d'appréhension du monde.

Étrangement, j'ai tendance à considérer - c'est mon côté camusien - que "rééchanter le monde" n'implique pas forcément de lui découvrir une dimension cachée. Mais je dois à Tolkien mes plus beaux voyages imaginaires. Que m'importe si, à la manière d'Aristote et de Platon dans le tableau de Raphaël L'École d'Athènes, l'Algérois pointe la terre tandis que le Britannique regarde vers le ciel ! Pourvu qu'on chemine ensemble, et que "la route se poursui[ve] sans fin".

Ibid.

Je trouve cette conclusion intéressante, quoique discutable, même si, moi aussi, je suis sans doute plus réceptif à Camus qu'à Tolkien sur le plan philosophique. D'abord, il y a cette formule familière, presque une sorte de truisme sur la planète Tolkien, “The road goes ever on”, une formule à laquelle d'ailleurs Enrico Spadaro consacre aussi plus ou moins la conclusion de son livre... Je me permets de reprendre ici, par commodité et non par égocentrisme, ce que j'avais écrit à ce propos dans un long message dans un autre fuseau du présent forum :

Un jour, dans un autre fuseau, votre serviteur a écrit :

Parce qu'elle permet notamment de « conclure » commodément un propos sans vraiment le faire, citer et invoquer la formule chantée par Bilbo “The road goes ever on” est une tentation permanente, au point de devenir presque une sorte de poncif propre aux commentaires sur Tolkien et son œuvre... C'est que cette expression tolkienienne, « La route se poursuit sans fin », renvoie à une image que la plupart d'entre nous aimons beaucoup : celle du chemin que l'on parcourt, comme lecteur, à travers la Terre du Milieu. C'est une démarche qui, philosophiquement parlant, fait écho à la métaphore de la « route de la vie » ou du « chemin de la vie », que Søren Kierkegaard évoque de façon si édifiante dans ses écrits que les auteurs du livre Le Seigneur des Anneaux. Une aventure philosophique (par Mathieu Amat et Simon Merle, Paris, Ellipses Édition, 2020) ne pouvaient que s'appuyer sur cette évocation par le philosophe danois pour consacrer tout un chapitre (le troisième, p. 37-44) aux cheminements existentiels auxquels le plus célèbre roman de Tolkien peut éventuellement inviter à réfléchir. Pourtant, avec le temps, j'ai tendance à penser que si la notion de cheminement reste belle et pertinente, les métaphores de la route ou du chemin me paraissent moins parlantes que celle de la ligne de crête, qui met davantage en avant le devoir d'équilibre et la difficulté du cheminement, même si celui-ci a heureusement ses agréments. Ainsi sur les routes ou les chemins de la Terre du Milieu, comme dans la vie humaine, malgré les apparences éventuellement rassurantes de la voirie, je pense qu'il faut garder à l'esprit que nous sommes toujours en fait dans une position d'équilibriste ou d'alpiniste sur sa crête, et qu'il y a toujours un risque de tomber dans quelque ravin, voire plutôt quelque gouffre selon les choix que l'on choisira de faire. À cette aune, la lecture d'une « œuvre-monde » comme celle de Tolkien peut s'apparenter à une expérience existentielle... mais qui n'est pas sans danger...

Par ailleurs, s'il faut s'en tenir à cette idée d'un cheminement « ensemble », et même si, encore une fois, je trouve notamment particulièrement louable l'attachement de Marylin Maeso à « un universalisme critique fidèle à l'esprit républicain » dans le cadre du débat public (en France), ce qui témoigne d'un véritable souci d'ouverture à un partage constructif, j'avoue que je m'interroge sur les possibilités de principe de véritables échanges, a fortiori dans le contexte actuel : il y a-t-il vraiment cheminement commun, « ensemble », sous entendu sur le même chemin, et sous entendu vers la vérité, quand il semble plutôt que l'on ait affaire à des cheminements au mieux parallèles ? Je repense à cette formule d'Albert Memmi - dont Camus a préfacé La statue de sel -, employée (d'un point de vue athée) dans un passage de son Testament insolent, à propos du caractère hélas toujours un peu biaisé des discussions philosophiques où viennent se mêler des considérations religieuses, même si on peut toujours y être ouvert sur le principe (agnosticisme et scepticisme me paraissant notamment le permettre, de mon propre point de vue) : « les croyants possèdent déjà la Vérité (avec un grand V) ; ils ne la cherchent pas avec vous, ils s'efforcent de vous y amener. » (je ne cite, pour aller vite, que cette formule, mais il faudrait idéalement mentionner tout le passage, quoiqu'il soit un peu long : possibilité de le faire sur demande, si je trouve le temps)

Bref, tout cela pour dire que je suis notamment (devenu) plutôt dubitatif quant à l'idée, tacitement assez répandue, d'une sorte d'irénisme tolkienophile qui ferait que parce qu'on aimerait tous Tolkien, nous serions capables de cheminer tous « ensemble » grâce à lui : j'ai bien peur que cela relève, hélas et au moins par certains aspects importants, de l'ordre de l'illusion, certes quelque peu cachée par le contexte de ce que j'appelle le fanariat, et la logique "communautaire" qu'il est censé encourager.

J'en termine, de manière plus anecdotique, et du moins pour cette fois-ci (peut-être aurai-je le temps de revenir plus tard, comme annoncé, sur les propos de Tristan Garcia et de Leo Carruthers : ce n'est pas sûr du tout, mais qui vivra verra) en revenant à l'image que Marylin Maeso évoque à travers la fresque l'École d'Athènes de Raphaël, que j'ai moi-même eu l'occasion de voir "en vrai" au Vatican, il y a vingt ans cette année : j'avoue que j'aurai apprécié que l'on en profite pour illustrer une page du magazine avec un détail de cette fresque, quoiqu'en ne se focalisant pas seulement sur l'endroit de l'œuvre montrant Platon et Aristote (je me souviens avoir sélectionné ce détail pour illustrer le message inaugural de mon ancien blog, il y a bien longtemps !), mais en élargissant un peu la sélection en intégrant notamment la figure de Diogène de Sinope, histoire simplement de suggérer que la philosophie n'est pas qu'une question de dichotomie physique/métaphysique vis-à-vis de laquelle il faudrait obligatoirement "choisir son camp" comme si nous étions en guerre (ainsi que certains prétendent parfois l'être, semble-t-il, fut-ce dans le seul ciel des idées).


Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520).
L'École d'Athènes, fresque, 1510-1511 (détail).
Rome, Palais du Vatican, Salle des Signatures.

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

pour ma part, je déteste la rhétorique péremptoire de Chesterton et le désespérant prosélytisme de Lewis

Absolument d'accord sur Lewis. Un peu plus nuancé sur Chesterton, dont le style est à mon sens trop varié pour mériter une intégrale hostilité. J'aime assez, entre autres, Tremendous Trifles.

Il y aurait certes beaucoup à dire sur Chesterton, en bien comme en mal, avec ce côté "franc-tireur" du personnage, et son goût certain pour l'humour qui, en des temps postérieurs à la Renaissance et au siècle des Lumières, le distingue de bien d'autres auteurs catholiques, et plus généralement chrétiens, souvent si désolés que le monde ne tourne pas (ou plus) autour de leurs propres paradigmes. Attaché personnellement à l'humour et à l'ironie, je dirais qu'en un sens, et en tenant compte du zeitgeist victorien qui fut le sien, l'humour de Chesterton peut être éventuellement plaisant à l'occasion, mais plutôt dans un contexte de relatif confort "bourgeois" avec la part de tradition plus ou moins religieuse pouvant y être associée : dans tous les cas, l'ordre et les prétendues "vraies valeurs" ne seront pas vraiment critiquées, avec toute l'ironie que tout cela mériterait pourtant (et mérite toujours, à mon sens, pour l'esprit qui veut "souffler" et ne pas tomber dans que j'ai appelé le "lithisme", la pensée si immobile qu'elle se change en pierre). C'est à cette aune que j'ai tendance à percevoir l'humour, et plus largement la pensée, de Chesterton, lequel affirmait ainsi clairement sa liberté, mais plutôt dans le conformisme et non particulièrement contre lui, du moins à ce qu'il me semble.

J'en conviens avec vous, en tout cas : Chesterton était un polygraphe, et il est donc en effet difficile de lui attribuer un style qui serait resté immuable. Pour ce qui est de la rhétorique péremptoire, je songe en fait par exemple à l'apologie du mariage chrétien par Chesterton (dont on a d'ailleurs déjà parlé en ces lieux par le passé), et dès lors je ne saurais faire mieux que de me souvenir du jour où j'ai entendu, lors d'un mariage religieux, cette citation, extraite de What's Wrong With The World où elle est précédée de banalités autour de la famille conçue comme un invariant de la condition humaine avec son inévitables lot de contraintes : “If Americans can be divorced for “incompatibility of temper” I cannot conceive why they are not all divorced. I have known many happy marriages, but never a compatible one. The whole aim of marriage is to fight through and survive the instant when incompatibility becomes unquestionable. For a man and a woman, as such, are incompatible.”
On peut toujours, bien sûr, peut-être trouver à ce genre de propos quelque-chose de "spirituel", d'une manière ou d'une autre, mais en l'occurrence ici l'expression de l'auteur se fait à mon sens sur un fond affirmé de sexisme – certes très commun pour l'époque sans doute – qui n'est pas ma tasse de thé, quand bien même des couples mariés y trouveraient, encore de nos jours, une justification à leur propres choix de vie, engagements, vécus et conceptions en matière de conjugalité. Personnellement, j'estime (à mon humble avis) qu'il y a « compatibilité » entre hommes et femmes dès lors qu'il y a reproduction sexuée, s'agissant de l'espèce humaine comme d'autres espèces (mon regard se fait ici avant tout, sans doute, quelque peu "physiologique", un peu à la manière de Remy de Gourmont, pour citer un autre grand auteur prolifique à peu près de la même époque). Le reste me parait être surtout affaire d'individualités et de contextes socio-culturels, bien au-delà de la question des seules relations hommes/femmes, le tout dans le cadre d'un réel inévitablement complexe, aujourd'hui comme hier (même si le recours à la technique en matière de reproduction bouleverse sans doute quelque peu, de nos jours, le processus biologique sexué naturel qui a longtemps été le seul existant, jusque vers la fin du XXe siècle, en matière de perpétuation de l'espèce, perpétuation autour de laquelle ce sont diversement structurées les sociétés humaines).

Désolé pour cette digression, Octave, mais je tenais à expliciter un peu mon modeste point de vue, suite à l'avis que vous avez vous-même partagé (de manière bien plus concise que moi).

À propos, entre autres, de Chesterton, il y aurait sans doute également des choses à dire s'agissant du distributisme, cette sorte d'alternative économique rejetant à la fois le capitalisme et le socialisme pour mieux mettre en avant une sorte de "bon sens (chrétien) près de chez soi"... mais aussi bien en a-t-il déjà été assez largement question, en ces lieux, dans un fuseau dédié (outre le fait que Spadaro en parle aussi dans le magazine) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic.php?id=7470

rintrah a écrit :
Hyarion a écrit :

Personnellement, j'avais ouvert en ces lieux un fuseau consacré à Albert Camus il y a quelques années, mais sans que celui-ci ne suscite beaucoup d'échanges par la suite, ce qui est peut-être assez à l'image de l'inévidence a priori d'une évocation conjointe de Camus et Tolkien (or Marylin Maeso a raison : on peut apprécier les deux, fut-ce différemment) : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic.php?id=7363

Très intéressante discussion ! Merci pour le lien. Un peu tard, peut-être, pour déterrer le sujet, mais il y a bien quelques points sur lesquels je réagirais volontiers (sans être aucunement grand connaisseur de Camus).

Je vous y invite, si vous en avez le loisir.

Amicalement,

B.

P.S. : encore un message trop long... Désolé.


[EDIT (29/08/2022): corrections d'adresses de liens vers le forum de Tolkiendil.]

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#19 30-08-2022 17:38

vincent
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

merci à vous Octva pour cette réponse franche - je crois qu'une biblio serait bienvenue, pour un  magazine tel que philosopohie magazine , en cas de réimpression
bien cordialement
vincent

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#20 12-02-2024 05:03

Yyr
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Yyr a écrit :

Je ne suis sans doute pas doué : je ne vois pas comment commander un exemplaire ... :)

rintrah a écrit :

Ce n'est pas de ton fait : la boutique n'a toujours pas été mise à jour pour une raison qui m'échappe (et me désole)
Octave

Maintenant c'est fait :).

J'ai apprécié la haute tenue d'ensemble.
Mais l'iconographie jacksonienne me paraît d'autant plus dommageable, parfois catastrophique.

Sur la forme, j'ajouterai aux critiques émises des erreurs de transcription dans plusieurs titres quenya (si le tehta du a est omis on attend alors un point souscrit pour les tengwar sans tehta et, pour le premier titre, ingolë, il manque le tehta de l'initiale), ainsi que des erreurs de grammaire elfique (un Istar, des Istari). Et aussi avoir trouvé curieux d'avoir mis dans les médaillons des photos des auteurs à des âges bien différents (ex. p.53 pourquoi n'avoir pas choisi des photos où Tolkien et Barfield ont à peu près le même âge ? idem. p.67 avec Chesterton, surtout que ce dernier précède le premier).

Sur le fond, je pinaillerai les points suivants :

  • la reprise de la thèse fliegerienne d'un ancrage néo-platonicien (« Une brève histoire ... », p.07 ; « philosopher chez les Elfes », p.14) : je renvoie à de vieux (ou très jeunes, c'est selon ;)) messages : Nommer l'ineffable ; 'Holy Ones' ; Eru, the One ... ; J Macintosh et Y Imbert ont montré que la métaphysique thomiste est de loin celle qui s'articulerait le mieux avec celle du Conte d'Arda (tout en prenant garde à ne pas pas pour autant les identifier l'une à l'autre) ; je me demande aussi si Dame Flieger, dans ce numéro, ne sur-interprète pas en disant que « pour Tolkien, le destin du langage consiste en sa fragmentation ; les mots s'isolent de plus en plus les uns des autres » (« La magie des mots », p.51) ;

  • je souscris à la critique de Hyarion faite à Marylin Maeso quant à l'« antimodernité » de Tolkien : même si le terme en lui-même est certes problématique (comme tous les piteux étiquetages anti- et -phobes qui marquent davantage l'étroitesse d'esprit du locuteur que de son objet), la critique de Tolkien n'est pas celle d'un penseur inquiet mais celle, radicale, d'un homme qui estime que nous sommes en train de poursuivre la Chute jusqu'à son terme ; cf. « les moyens deviennent une fin en eux-mêmes : tel est le vice de tous les “réformateurs”, qui veulent les moyens de leurs idéaux » (« La grande famille ... », p.47) : résumé très probable de la Modernité selon Tolkien à savoir comme une vaste réforme ; ok par ailleurs pour l'opposer à Descartes, mais le rapprochement avec Hans Jonas me paraît impossible (Hans Jonas pour qui il faut inventer une nouvelle éthique ; la critique tolkienienne n'invente rien de nouveau) ; et, à la fin, j'aurais pour ma part tendance à trouver Tolkien plus aristotélicien que platonicien (ce qui n'empêche pas des nuances platoniciennes par endroits) ;

  • « Dans la bibliothèque ... » : gêné par l'opposition entre idéalistes et réalistes, p.25 ; je suppose qu'il faut entendre par ces derniers les empiristes et non pas les réalistes au sens aristotélico-thomiste ? Dans cette dernière acceptation, il me semble que Tolkien sera d'ailleurs réaliste : toute sa philosophie de Faërie est d'amener l'homme à reprendre conscience que le réel, le vivant en particulier, est autre que nos catégories, qu'il existe en lui-même (cf. Vincent, « le héros jardinier », p.62-63) ... À ce titre il se détachera également des idéalistes il me semble, mais j'imagine que la terminologie est particulièrement fluctuante ;

  • plus qu'un pinaillage : confusion complète, dans l'encart « Tolkien est-il raciste ? », p.31, qui trouve un « relent racisant » à l'opposition entre les Elfes et les Orques (incompréhension de la nature du Conte chez Tolkien et oubli des lettres de l'auteur qui explique que, dans notre monde, les Orques sont dans les deux camps), ou au fait que les Ennemis viennent du Sud ou de l'Est (???) ;

  • désaccord partiel avec Tristan Garcia sur sa critique de l'idée de désenchantement du monde (ou de Modernité) en tant que pur mythe impossible à saisir par la raison ;

  • désaccord avec Leo (« Il était une foi ... », p.94-97) comme explicité en détail ailleurs : il faut distinguer, entre autres, entre matière et forme, et entre finalité prochaine et lointaine ; quand un auteur considère (ce qui peut très bien être contesté !) que « le conte eucatastrophique est la véritable forme du conte de fées, et sa fonction [ce qui implique une finalité] la plus élevée », et que cette eucatastrophe « dénie (en dépit de maintes preuves, si l'on veut) la défaite universelle finale et [est], dans cette mesure, un Evangelium » (p.98), on a bien affaire à un « auteur chrétien » (ainsi que le nomme d'ailleurs spontanément Marylin Maeso, p.17).

Au final, de très bons articles.
Découverte pour ma part d'Enrico Spadaro.
Mention spéciale à Michaël pour son article p.73-77, vraiment remarquable.

Jérôme

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#21 18-02-2024 23:54

Yyr
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Re : Philosophie Magazine — Le Seigneur des Anneaux : Tolkien et son mythe

Yyr a écrit :
  • la reprise de la thèse fliegerienne d'un ancrage néo-platonicien (« Une brève histoire ... », p.07 ; « philosopher chez les Elfes », p.14) : je renvoie à de vieux (ou très jeunes, c'est selon ;)) messages : Nommer l'ineffable ; 'Holy Ones' ; Eru, the One ... ; J Macintosh et Y Imbert ont montré que la métaphysique thomiste est de loin celle qui s'articulerait le mieux avec celle du Conte d'Arda (tout en prenant garde à ne pas pas pour autant les identifier l'une à l'autre) ; je me demande aussi si Dame Flieger, dans ce numéro, ne sur-interprète pas en disant que « pour Tolkien, le destin du langage consiste en sa fragmentation ; les mots s'isolent de plus en plus les uns des autres » (« La magie des mots », p.51) ;

Avec quelques éléments ad hoc.

Pour la seule question du langage, Yannick Imbert est d'accord avec Flieger pour dire que Tolkien et Barfield s'opposent toux deux radicalement à Müller. Mais, poursuit Yannick, ce n'est pas pour autant que Tolkien et Barfield auront une réponse identique. Ce destin de fragmentation, c'est la perspective de Barfield. Pour Tolkien, on est plus dans la réfraction (cf. Mythopoieia).

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