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Je reviens brièvement sur Saint-Saëns, car j'ai récemment découvert que son fameux poème symphonique « Danse macabre » était à l'origine une mélodie pour orchestre mettant en musique le poème « Égalité-Fraternité » d'Henri Cazalis, tiré de son recueil L'Illusion.
On trouve ici un bel enregistrement de la mélodie en question. Je dois dire que la première audition est très surprenante quand on ne connaît que la version instrumentale. Le texte complet du poème figure là (texte qui aurait sans doute scandalisé Tolkien, soit dit en passant).
E.
(EDIT : Lien corrigé.)
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Sauf erreur de ma part, Elendil, les deux liens hypertextes figurant dans ton message renvoient à la même source, mais sans l'enregistrement audio dont tu parles. Ceci dit, je connais cette version chantée d'après le poème de Henri Cazalis (aussi connu sous le pseudonyme de Jean Lahor), pour l'avoir entendu quelques fois à la radio par le passé. Effectivement, la thématique à la fois macabre et satanique, mêlé à un ton ironique, aurait eu de quoi fortement déplaire à Tolkien. Dans certains passages de la Symphonie fantastique de Berlioz, on retrouve assez semblablement cette évocation d'une « ironie affreuse », pour reprendre les mots du compositeur apparaissant dans la partie textuelle de l'Épisode de la vie d'un Artiste auquel appartient la symphonie en question.
Décidément, il faudra que je revienne parler ici d'Hector Berlioz... que je continue d'écouter très régulièrement, avec notamment Richard Wagner qui fut au fond son seul rival, et dont il faudra que je reparle également. Berlioz et Wagner pour accompagner les travaux domestiques du dimanche ou les heures passées sur la route, c'est excellent, comme Mozart dont nous avons déjà parlé ici, mais c'est là de la grande musique qui, me concernant, peut s'écouter n'importe quand, aussi bien pour elle-même que pour se donner du courage...
Merci d'avoir évoqué à nouveau Saint-Saëns, que j'ai rajouté à mon programme ces jours-ci, avec notamment la fameuse Bacchanale dont j'avais déjà parlé dans le présent fuseau en 2021, et que je me permets de recommander à nouveau :
Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila, op. 47 - « Bacchanale », Philadelphia Orchestra, dir. Eugene Ormandy :
- https://www.youtube.com/watch?v=I3suYWgGtfg
Encore de la musique qui peut apporter de la motivation, y compris s'agissant d'éviter de s'endormir au volant !
Amicalement,
B.
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L'erreur vient en effet de moi. J'ai corrigé le premier lien.
Je reviendrai d'ici quelques temps sur Saint-Saëns, que je suis venu à considérer comme le plus grand musicien classique français, à l'égal de Berlioz, précisément, mais dans un registre complètement différent. J'ai découvert la richesse de l'œuvre de Saint-Saëns beaucoup plus récemment que celle de Berlioz, car Saint-Saëns a longtemps été négligé par la critique et par les grands interprètes, je trouve. A tel point qu'une grande partie de ses mélodies n'ont encore jamais été enregistrées au disque, bien qu'il soit à mon sens le plus grand mélodiste français, presque l'égal d'un Schubert, pour le peu que j'ai pu entendre (j'ai entre autres découvert il y a peu le recueil La Cendre rouge, Op. 146, sur des poèmes de Georges Docquois).
Sur Berlioz en revanche, j'aurais beaucoup à dire dès à présent, si j'avais le temps. Je considère sa Symphonie fantastique (Op. 14) comme l'un des sommets absolus du genre. Sur mon podium personnel, elle viendrait juste derrière l'indépassable neuvième de Beethoven (pour la troisième place, j'aurais plus de mal à me prononcer : la cinquième du même Beethoven ? la troisième de Mendelssohn ? la deuxième de Mahler ? sans doute plutôt la onzième de Chostakovitch, à bien y réfléchir). Et que dire de Harold en Italie (Op. 16), de Roméo et Juliette (Op. 17), de la Messe solennelle, du Te Deum (Op. 22), voire de la Grande Symphonie funèbre et triomphale (Op. 15) ?
E.
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L'écoute de Mozart et les commentaires que j'ai pu en faire m'ont donné envie de compléter ma collection classique avec les morceaux indispensables d'autres compositeurs qui me faisaient encore défaut. J'ai donc fait une pause dans mon écoute mozartienne pour faire de la place à quelques autres. Je commencerais par Brahms, autre compositeur que j'ai longtemps considéré surévalué et dont j'avais assez peu d'enregistrements. Force m'est de reconnaître qu'Un requiem allemand (Op. 45) est un des sommets de la musique sacrée européenne, surtout dans son interprétation par Nikolaus Harnoncourt avec l'Orchestre philharmonique de Vienne. et le chœur Arnold Schoenberg (chez Sony Music, label RCA Red Seal).
Par contre, le Double concerto pour violon, violoncelle et orchestre en La mineur (Op. 102) ne me convainc pas beaucoup plus aujourd'hui qu'hier, à l'exception du troisième mouvement, absolument décoiffant. C'est un beau morceau dans l'ensemble, mais je trouve qu'il lui manque cette touche de génie qui fait la marque des meilleurs concertos. L'interprétation des frères Renaud et Gautier Capuçon, accompagnés par l'Orchestre Gustav Mahler des Jeunes sous la direction de Myung-Whun Chung (chez Warner Classics, label Erato), me semble pourtant irréprochable. Chez Brahms, je préfère nettement le Concerto pour violon et orchestre en Ré majeur (Op. 77), dont j'ai depuis longtemps un superbe enregistrement en direct réalisé par Anne-Sophie Mutter, accompagnée par l'Orchestre philharmonique de New-York, sous la baguette de Kurt Masur (chez PolyGram, label Deutsche Grammophon).
Le CD où figure le Double concerto comporte aussi le Quintette pour clarinette en si mineur (Op. 115), que je ne connaissais pas, et que je n'hésiterai pas à qualifier de belle découverte. Je m'intéresse dans l'ensemble nettement moins à la musique de chambre qu'aux sonates pour instruments seuls et aux grands morceaux orchestraux, mais c'est probablement un des plus beaux quintettes qu'il m'ait été donné d'entendre. Il est d'une grande sensibilité, loin des compositions virtuoses du jeune Brahms, mais on ne s'ennuie pas un seul instant à l'écoute. L'interprétation est là aussi excellente, avec le Quatuor Capuçon et Paul Meyer à la clarinette.
Le dernier (double) CD que j'ai reçu contient l'intégrale des quatre symphonies de Brahms, dans l'interprétation classique d'Herbert von Karajan avec l'Orchestre philharmonique de Berlin (chez PolyGram, label Deutsche Grammophon à nouveau). Comme cela a fréquemment été observé, la première doit beaucoup à Beethoven, surtout son mouvement final, fortement inspiré par le mouvement équivalent de la neuvième de son illustre prédécesseur. Inutile de dire que je l'aime beaucoup. Je trouve la deuxième symphonie réussie aussi, mais moins marquante, quoique le solo de hautbois du troisième mouvement soit d'une grande beauté.
Il paraît que l'interprétation que Karajan fait de la troisième est assez idiosyncratique, car il aurait systématiquement refusé de faire jouer une réexposition du thème initial du premier mouvement, arguant que cela coupait le flot de la musique. Je ne suis pas assez expert pour juger de la pertinence ou de la légitimité de son choix, mais cela reste un très beau morceau, servi par un excellent orchestre que dirige de main de maître un excellent chef. J'apprécie particulièrement le troisième mouvement Poco allegretto, poétique à souhait. La quatrième symphonie est incontestablement la plus réussie, avec un équilibre remarquable entre les moments intenses et ceux d'un caractère plus méditatif. L'interprétation de Karajan est tout simplement superbe. Pour moi, s'il ne fallait retenir qu'une œuvre de Brahms, ce serait celle-là.
Pour la prochaine fois, devrais-je vous parler de Stravinsky ou de Mahler ?
E.
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Tu n'as pas essayé les deux concertos pour piano ?
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J'avoue que non. N'étant (hélas) pas musicien, ce n'est d'ailleurs qu'en regardant dernièrement une liste des œuvres de Brahms que j'ai réalisé qu'il avait aussi composé ces deux concertos pour piano. Le fait est que je n'ai strictement aucun souvenir de les avoir entendu à la radio ou d'avoir lu une référence à ceux-ci lorsque je me penchais sur les notices des concertos pour piano d'autres compositeurs, alors que c'est un genre que j'apprécie beaucoup. Je les écouterai à l'occasion et si je suis vraiment convaincu, je les achèterai. S'il y a une ou deux interprétations qui te paraissent sortir du lot, j'avoue que je serai intéressé de savoir desquelles il s'agit.
Du coup, pour aujourd'hui, ce sera Stravinsky, car cela sera assez rapide. En parcourant les rayons de ma discothèque, je me suis rendu compte que je n'avais aucun CD dédié à ce compositeur. J'ai donc opté pour un achat a minima, avec un double CD contenant le Sacre du Printemps (version de 1913), Pétrouchka (version de 1947), la suite de l'Oiseau de feu (version de 1919), la Symphonie en trois mouvements et les Scènes de ballet, tous interprétés en direct par l'Orchestre philharmonique d'Israël dirigé par Leonard Bernstein (PolyGram, label Deutsche Grammophon, encore une fois). Difficile d'avoir un avis arrêté sur un compositeur qui a littéralement révolutionné la musique de son temps avec les trois ballets qu'il a composé pour les Ballets russes de Diaghilev, mais dont les compositions ultérieures (si l'on excepte les refontes et les suites qui en sont dérivées) sont presque entièrement négligées. Je note d'ailleurs que ce mini-coffret ne contient aucune des compositions sacrées de Stravinsky, que, là encore, je n'ai aucun souvenir d'avoir jamais entendues. Il faudra que je me penche sur la question un jour...
Bref, le Sacre du Printemps est pour moi un des sommets de la musique de ballet, que je mettrais volontiers au niveau des grands ballets de Tchaïkovski, mais évidemment dans un style entièrement différent. L'interprétation de Bernstein est remarquable, comme pour tous les autres morceaux. L'apprécie également beaucoup cette suite de l'Oiseau de feu, tout en regrettant qu'on rencontre plus souvent des enregistrements ou des rediffusions de cette suite plutôt que du ballet complet, qui le mérite pourtant amplement. Comme d'habitude, c'est la « Danse infernale du roi Katscheï » que je trouve être le morceau le plus mémorable de cette suite, bien que j'aime aussi beaucoup les « Variations de l'Oiseau de feu ». Je suis nettement moins convaincu par Pétrouchka, dont la musique verse plus volontiers dans le burlesque et dont les épisodes sont de caractères trop différents pour bien se prêter à la simple écoute. (Je n'ai jamais eu l'occasion de voir de représentation du ballet lui-même, peut-être mon opinion serait-elle différente si cela avait été le cas.)
Reste les deux morceaux plus tardifs, la Symphonie en trois mouvements, datée de 1946, et les Scènes de ballet, de 1944, le moins connu des morceaux de cette compilation. Je n'avais encore jamais écouté l'un ou l'autre. J'ai trouvé la première très intéressante, avec un premier mouvement qui évoque les symphonies contemporaines de Chostakovitch, mais avec un piano fondu au sein de l'orchestre. Le troisième mouvement rappelle quant à lui certaines harmonies du Sacre. Un morceau à réécouter, donc. Quant aux Scènes de ballet, initialement destinées à un spectacle de danse de Broadway, elles versent nettement plus dans le néoclassique que les autres morceaux des deux CD. Faute de fil conducteur, elles donnent l'impression d'être une sorte de pot-pourri destinées à montrer les différentes facettes du talent de compositeur de Stravinsky. Sympathique, mais sans plus.
E.
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Tu n'as pas essayé les deux concertos pour piano ?
J'avoue que non. N'étant (hélas) pas musicien, ce n'est d'ailleurs qu'en regardant dernièrement une liste des œuvres de Brahms que j'ai réalisé qu'il avait aussi composé ces deux concertos pour piano. Le fait est que je n'ai strictement aucun souvenir de les avoir entendu à la radio ou d'avoir lu une référence à ceux-ci lorsque je me penchais sur les notices des concertos pour piano d'autres compositeurs, alors que c'est un genre que j'apprécie beaucoup. Je les écouterai à l'occasion et si je suis vraiment convaincu, je les achèterai. S'il y a une ou deux interprétations qui te paraissent sortir du lot, j'avoue que je serai intéressé de savoir desquelles il s'agit.
J'avoue que quand j'entends parler des deux concertos pour piano d'un compositeur, je pense plus spontanément à ceux de Chopin qu'à ceux de Brahms. S'agissant de ces derniers, qui sont des œuvres importantes, il m'est cependant arrivé, pour ma part, de les entendre à la radio, Brahms étant par ailleurs peu représenté dans ma discothèque (au sens « collection de disques » du terme). C'est très personnel, mais j'ai vraiment un problème avec le côté « prussien » de l'homme Brahms, même si je reconnais la haute qualité de sa musique, qu'il m'est arrivé d'écouter en concert, encore tout récemment du reste, ainsi que j'en ai fait état ici dans un précédent message.
Concernant Igor Stravinsky, j'aime surtout l'Oiseau de feu, en particulier la suite de 1919 tirée du ballet, et surtout le final lumineux de cette suite. Seiji Ozawa, grand chef d'orchestre japonais récemment décédé, en a proposé une belle version avec l'Orchestre symphonique de Boston. Merci cependant d'avoir évoqué celle de Bernstein, qui est aussi un chef dont la sensibilité va bien, à mon avis, avec cette musique.
Concernant Gustav Mahler, tu en parleras sûrement mieux que moi, Elendil, mais je peux toujours dire que j'aime particulièrement sa Symphonie n°5 en do dièse mineur, surtout son merveilleux quatrième mouvement, le très célèbre et très émouvant Adagietto. J'ai eu la chance de pouvoir entendre cette œuvre en concert à la Halle aux Grains, le 10 juin de l'année dernière, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev. Au disque, je recommande la version du Berliner Philharmoniker sous la direction de Sir Simon Rattle, enregistrée en public en 2002 (CD chez EMI Classics). Parmi les autres symphonies de Mahler, j'apprécie aussi en particulier la Symphonie n°1 en ré majeur « Titan », notamment les 2e et 3e mouvements, et la Symphonie n°4 en sol majeur, avec soprano... mais comme je l'ai dit, tu parleras sans doute mieux que moi de ce compositeur.
Ce soir, cette nuit, encore de la route en voiture... Si la programme à la radio ne suffit pas, j'espère que ma sélection personnelle – avec toujours le « tandem » Berlioz / Wagner (dont je ne finirai bien par trouver le temps de reparler ici en détail) –, me tiendra, une fois de plus, éveillé jusqu'à destination...
Amicalement,
B.
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Pour Brahms, moi, c'est l'inverse : sans connaitre à fond son répertoire, ses œuvres majeures font partie de mes préférées de la musique classique, notamment le 2e concerto pour piano. Le 1er, je l'aime bien, mais pas autant. Il a d'ailleurs mis du temps à rencontrer le succès (contrairement au 2e), le public ayant été visiblement déconcerté par sa structure plus proche de la symphonie que du concerto.
En revanche, je serais bien incapable de te conseiller une version plutôt qu'une autre. Celle que je possède du 2e ne possède aucun nom connu, je doute qu'on puisse la trouver sur Spotify ou autres...
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J'ai écouté le premier des deux concertos en question sur YouTube, et je dois corriger mes propos : si les deux premiers mouvements ne me disent rien, j'ai reconnu le troisième pour l'avoir entendu à plusieurs reprises. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que je n'avais jamais entendu les deux autres, juste qu'ils ne m'avaient pas spécialement marqué. De fait, à l'écoute, c'est le dernier mouvement que je trouve de loin le plus intéressant. Dans l'ensemble, ce concerto est une belle pièce de musique, mais encore assez loin de ce que je considérerais comme les sommets atteints par les maîtres du genre, Rachmaninov, Beethoven, Tchaïkovski, Chopin, Liszt, Saint-Saëns, Grieg ou Ravel (et j'en oublie, notamment les grands compositeurs baroques ou du début de la période classique, qui ont plutôt composé pour le clavecin ou le pianoforte que pour le piano au sens moderne du terme).
Il va donc falloir que j'écoute le second aussi, surtout qu'il semble en effet plus apprécié que son prédécesseur. Je pense même que je vais me procurer un CD de ces concertos (d'occasion, on en trouve désormais pour des prix dérisoires, tant qu'on reste dans le répertoire standard, qui a fait l'objet d'enregistrements innombrables par les plus grands pianistes des cinquante dernières années). Rien de mieux qu'une audition à tête reposée avec une qualité sonore décente pour mieux apprécier les grandes compositions orchestrales.
Pour en venir à Mahler maintenant, il me faut sans doute préciser que j'avais déjà en CD les symphonies n° 1, 4 et 5, mais qu'avec la mode des coffrets contenant l'œuvre intégrale d'un compositeur, il revenait moins cher d'en acheter un que d'acquérir le reste des symphonies à l'unité. Il s'agit en l'occurrence du coffret « Mahler : The Complete Works », en 16 CD, chez Warner Classics. Les interprètes varient d'un morceau à l'autre.
Saurais-je vous en parler, comme le suppose Hyarion ? Je n'en suis pas sûr du tout. Je ne suis ni spécialiste de la musique classique, ni musicien. J'ose à peine me dire mélomane, tant il est évident que mes connaissances sont limitées. Tout au plus puis-je partager avec vous quelques impressions et préférences. Je me hâte d'ailleurs de dire que pour cette intégrale, il n'est guère question que je commente chaque morceau. Je m'arrêterai uniquement sur ceux qui m'ont particulièrement marqué à un titre ou un autre.
Commençons donc par un étonnement : les œuvres de jeunesse sont loin d'être secondaires. Le style mahlérien est déjà pleinement reconnaissable dans Das klagende Lied (le chant de lamentation), une cantate dont le thème médiévalisant aurait pu plaire à Tolkien. Elle est ici donnée dans sa version en trois parties (Mahler révisa ultérieurement son œuvre et en ôta la première partie, qui ne fut retrouvée qu'en 1969), par l'Orchestre symphonique de la Cité de Birmingham, sous la direction de Simon Rattle. De même, le morceau de quatuor pour piano en la mineur, ici joué par le quatuor Domus, possède des échos sombres qui en font une vraie réussite. Il est regrettable que Mahler n'ait pas jugé bon de l'achever, mais ce n'est guère surprenant, quand on connaît sa propension à écrire ses partitions pour des orchestres pléthoriques.
L'essentiel du deuxième CD est consacré à la Symphonie n° 1 Titan, qui reste indiscutablement la plus proche du goût classique, tout en ayant déjà l'ampleur et la richesse harmonique propres à Mahler (mais non la longueur de ses symphonies ultérieures, puisqu'elle ne fait « que »57 minutes). Elle est ici proposée dans une excellente interprétation de l'Orchestre symphonique de Chicago, sous la baguette de Carlo Maria Giulini. Le phrasé est net, la mélodie se déploie avec précision et légèreté, tous les pupitres sont à leur place, il n'y a aucune lourdeur, c'est un vrai bonheur. Sans doute la meilleure des trois ou quatre versions que je connaisse.
Je l'ai laissé entendre, la Symphonie n° 2 Résurrection fait partie de mes œuvres préférées. Disons-le tout de suite, elle est d'une toute autre ampleur, puisque cet enregistrement de l'Orchestre Philharmonia dirigé par Otto Klemperer ne dure pas moins de 79 minutes (ce qui n'est pas le record de longueur : dans le même coffret, l'immense Symphonie n° 3 dure 96 minutes et les Symphonies n° 6 et 8 dépassent toutes deux les 80 minutes, ce qui nécessite que toutes trois soient partagées sur deux CD, malheureusement). Puisque j'ai parlé plus haut de qualité sonore, je dois dire que j'ai été surpris par les premières mesures de cette œuvre, qui représentent pour moi une des meilleures ouvertures de symphonies du répertoire, avec celle de la cinquième de Beethoven. Faute d'avoir un caisson de basse, je n'avais jusqu'à présent jamais entendu correctement les harmoniques graves du début. Elles changent assez significativement la perception que j'avais de ce passage. D'un côté, cela donne une profondeur supplémentaire à l'orchestre, de l'autre, j'ai l'impression qu'on y perd un peu en intensité dramatique, à moins que ce ne soit dû à la direction de Klemperer, bien que celui-ci n'ait pas adopté des tempi particulièrement lents. Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'une très belle version de cette symphonie, dont les passages vocaux me semblent particulièrement bien rendus. Quant au dernier mouvement, il gagne beaucoup à être écouté dans ces conditions.
Voilà déjà pour les trois premiers CD de ce coffret. La suite... quand j'aurai le temps.
E.
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Avant de revenir à Mahler et à Mozart, un détour en compagnie de César Franck, compositeur franco-belge qui n'a malheureusement pas laissé une production abondante derrière lui. A l'instar de Tolkien, il écrivait l'essentiel de ses œuvres pendant les vacances scolaires, car l'enseignement qu'il donnait l'accaparait le reste du temps. Franck est surtout connu pour sa musique d'orgue et sa musique de chambre, mais il a également composé une unique symphonie, qui vaut amplement d'être écoutée.
Afin de compléter à peu près ma collection de ses grands morceaux, j'ai trouvé un CD (Praga / Le Chant du Monde) qui combine sa sonate pour violon et piano en La majeur FWV 8, un des sommets du répertoire, et son quatuor à cordes en Ré majeur FWV 9, le dernier grand morceau qu'il ait composé. La première est jouée avec une virtuosité pleine de sensibilité par Gidon Kremer au violon et Oleg Maisenberg au piano ; le second est interprété par le Quatuor de Prague, lequel restitue avec talent les subtilités de cette partition. Le premier morceau a été enregistré en concert, le second apparemment en studio, mais le rendu audio est tout à fait similaire.
E.
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Franck est surtout connu pour sa musique d'orgue et sa musique de chambre, mais il a également composé une unique symphonie, qui vaut amplement d'être écoutée.
Outre sa Symphonie en ré mineur, César Franck est également l'auteur de poèmes symphoniques, les plus connus étant Les Éolides et Le Chasseur maudit – j'apprécie particulièrement Les Éolides. Ces trois œuvres symphoniques ont notamment fait l'objet d'un CD assez régulièrement réédité chez Decca, réunissant des enregistrement faits dans les années 1960 avec l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet.
Je me rends compte en passant qu'a priori je ne connais pas (encore) un autre des poèmes symphoniques de Franck, Psyché, composé en 1887 sur un texte de Sicard et Louis de Fourcaud d'après les Métamorphoses d'Apulée... mais on verra plus tard pour les découvertes...
En sus de la radio, priorité à Berlioz, Wagner, Debussy et Ravel (et Mozart aussi), me concernant, pour essayer de continuer à garder le moral... Je reviendrai en parler... dès que possible (pour Mozart, au moins, c'est déjà fait...).
Amicalement,
B.
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Je prends bonne note de cette référence. Un CD de poèmes symphoniques de Franck, pourquoi pas ? ça manque encore à ma collection.
Pour l'heure, je vous propose un détour de plus avec un autre compositeur français méconnu, j'ai nommé Édouard Lalo. Celui-ci est surtout renommé pour sa Symphonie espagnole en Ré mineur (Op. 21), qui est en fait un concerto pour violon et orchestre en cinq mouvements. Cela faisait donc partie des morceaux indispensables qu'il fallait que je me procure. J'ai trouvé (avec quelques difficultés) un coffret particulièrement intéressant, qui regroupait l'ensemble des œuvres concertantes de Lalo, avec une belle phalange de jeunes musiciens comme solistes, accompagnés par l'Orchestre philharmonique royal de Liège sous la direction de Jean-Jacques Kantorow (chez Alpha Classics).
De fait, pour la Symphonie espagnole, le violoniste Lorenzo Gatto déploie une technique et une expressivité remarquables, ce qui porte cette pièce au niveau des plus intéressants concertos pour violon de Paganini (dont je vous parlerai bientôt, je pense). Dans le même coffret, la courte pièce Guitare pour violon et orchestre en Si mineur (Op. 28) partage avec le morceau précédent son inspiration ibérique et son inventivité. Elle est fort bien interprétée par le soliste Woo Hyung Kim. La Fantaisie norvégienne pour violon et orchestre, qui lui est étroitement contemporaine, fait preuve d'une belle inventivité dans l'adaptation d'airs traditionnels scandinaves. Son final d'une virtuosité redoutable est maîtrisé avec aisance par la violoniste Vladyslava Luchenko. Je mentionnerais encore le Concerto pour violoncelle et orchestre en Ré mineur, qui fait dialoguer un instrument lyrique avec un orchestre plein de feu. Le violoncelliste Ori Epstein défend avec talent et sensibilité cette belle partition, dont l'Intermezzo central fait alterner avec bonheur gravité méditative et joie bucolique.
Le Concerto russe pour violon et orchestre en Sol mineur (Op. 29) possède une toute autre ambiance, puisqu'il s'inspire de deux mélodies populaires de Russie, « Les Cloches de Novgorod » et « Les Cloches sonnaient au village d'Evlachévo », qui faisaient partie d'un recueil de chants folkloriques publié par Rimski-Korsakov peu de temps auparavant (tous mes remerciements à Nicolas Southon, l'auteur du livret, pour ces informations). Sous l'archet plein de sensibilité d'Elina Buksha, le style de ce concerto rappelle volontiers les partitions de Tchaïkovski ou de Borodine. C'est là une pièce qui mérite amplement d'être redécouverte. Le dernier morceau n'est autre que le Concerto pour piano et orchestre en Fa mineur, ici interprété par Nathanaël Gouin. Par l'équilibre entre le soliste et l'orchestre, il me fait précisément penser à Brahms, même s'il est beaucoup plus bref que les deux concertos pour piano de ce compositeur. J'apprécie en particulier le troisième mouvement Allegro, d'une grande expressivité. Bref, c'est là un coffret idéal pour qui souhaite découvrir ce compositeur.
E.
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Merci d'évoquer ainsi Édouard Lalo, compositeur français effectivement méconnu et dont moi-même je ne connais pas très bien l'œuvre.
D'un point de vue générationnel, né en 1823, il était nettement plus jeune qu'Hector Berlioz, et a contrario plus âgé que Georges Bizet, Gabriel Fauré, Emmanuel Chabrier, et a fortiori que Marie Jaëll, Vincent d'Indy, Cécile Chaminade, Claude Debussy, Paul Dukas, Florent Schmitt, Déodat de Séverac ou Maurice Ravel, pour ne citer que quelques musiciens compatriotes nés avant sa mort (en 1892) et dont les noms me viennent à l'esprit.
Violoniste et altiste, Lalo a eu une carrière difficile et une reconnaissance tardive de son vivant comme compositeur. La musique instrumentale est très importante dans son œuvre, et originale pour un musicien de son époque en France, plutôt tournée vers l'art lyrique.
J'ai parfois entendu certaines des œuvres de Lalo à la radio, mais il faudra que je m'y intéresse davantage, plus tard si je peux.
Amicalement,
B.
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Je dois bien avouer que Jaëll, Chaminade et Schmitt ne m'évoquent à peu près rien, tandis que je connais surtout Déodat de Séverac à cause du boulevard toulousain qui porte son nom. Si tu as des suggestions, il faudra que je m'y intéresse.
Pour l'heure, je poursuivrai mon escapade franco-belge avec un compositeur aussi peu connu que ceux-là, Henri Vieuxtemps, qui fut approximativement contemporain de Lalo. Il était violoniste prodige et est surtout reconnu pour les pièces qu'il a consacrées à son instrument. Comme je ne vise pas l'exhaustivité (mon budget et la place disponible pour les disques sont tous deux limités), je n'ai pris qu'un seul CD, qui contient ses deux morceaux les plus célèbres, le Concerto pour violon et orchestre n° 4 en Ré mineur (Op. 31) et le Concerto pour violon et orchestre n° 5 en La mineur, dit « Grétry » (Op. 37). Ils sont interprétés ici par le génial Itzhak Perlman, accompagné par l'Orchestre de Paris que dirige Daniel Barenboim. Nous sont proposés en complément la Rhapsodie de concert Tzigane de Ravel et la Havanaise (Op. 83) de Saint-Saëns, avec le même soliste et le même orchestre, mais dirigé cette fois par Jean Martinon.
Le Concerto n° 4 est renommé à juste titre, car c'est une pièce à la fois virtuose et poétique, qui mériterait d'être donnée plus souvent en concert. Le Concerto n° 5 est de la même eau, si ce n'est qu'il donne un rôle plus important à l'orchestre, notamment dans le premier mouvement. Les passages de violon en solo sont absolument remarquables. C'était là ma première écoute et ce morceau s'est tout de suite imposé à mes oreilles comme un des chefs d'œuvres du genre. Avec Tzigane, on aborde un morceau bien plus tardif, mais qui s'inspire des mélodies traditionnelles du répertoire tzigane. Cette œuvre d'une dizaine de minutes comporte une première partie pour violon seul et une seconde où l'orchestre dialogue avec le violon. Sous la plume de Ravel, virtuosité et poésie se combinent à merveille et rarement mieux que dans ce morceau, je trouve. Quant à la Havanaise de Saint-Saëns, c'est un véritable tube, dont la mélodie tour à tour nostalgique et enlevée dévoile sans cesse de nouvelles couleurs. Bref, voilà un disque incontournable pour les amoureux du violon.
Revenons maintenant à Brahms, car j'ai suivi le conseil de Gawain et je ne le regrette pas. J'ai trouvé un sympathique double CD avec les deux concertos pour piano interprétés par Daniel Barenboim, accompagné par le New Philharmonia Orchestra (nom temporaire de l'Orchestre Philharmonia, déjà évoqué ici, entre 1964 et 1977, pour des raisons de droits), sous la direction de Sir John Barbirolli. Les compléments sont particulièrement intéressants, puisqu'il s'agit des Variations sur un thème de Haydn (Op. 56a), de l'Ouverture tragique (Op. 81) et de l'Ouverture d'un festival académique, qui sont toutes trois jouées par l'Orchestre philharmonique de Vienne, à nouveau sous la baguette de Barbirolli.
J'apprécie particulièrement ces deux ouvertures, dont je n'avais jusqu'à présent aucun enregistrement. La première porte particulièrement bien son nom, tandis que la seconde possède un caractère joyeusement roboratif qui traduit à merveille les circonstances pour lesquelles elle a été composée. Atout supplémentaire, l'interprétation de Barbirolli est ici dénuée de toute l'emphase un peu pompière de l'interprétation avec laquelle j'étais familier, aussi s'agit-il pour moi d'une redécouverte tout à fait agréable. Je trouve les Variations nettement moins intéressantes, même si elles restent sympathiques à écouter.
Cette réécoute ne me fait pas vraiment changer d'avis sur le premier concerto, même si j'ai trouvé les passages orchestraux plus intéressants que la première fois, sans doute parce que mes conditions d'écoute étaient meilleures. Sans surprise, l'interprétation de Barenboim est remarquable, particulièrement dans le dernier mouvement. Quant au deuxième concerto, je pense finalement en reconnaître aussi des passages. Je soupçonne que la masse orchestrale qui s'oppose au piano n'avait pas forcément dû me convaincre lorsque je l'avais entendu à la radio, mais au calme, avec une barre de son de bonne qualité, cela rend incontestablement mieux. Quant à Barenboim, il est tout simplement royal dans cette pièce, tour à tour majestueux, délicat, virtuose... Cela ne deviendra pas mon concerto favori, mais si l'occasion se présente d'aller l'entendre en concert, je pense que je me laisserai tenter.
E.
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Content que le deuxième concerto t'ait plu. Je crois qu'il s'agit de mon concerto pour piano préféré, tous compositeurs confondus. Quant à l'ouverture tragique, je valide aussi ! :) Je ne connais pas la deuxième en revanche.
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Je dois bien avouer que Jaëll, Chaminade et Schmitt ne m'évoquent à peu près rien, tandis que je connais surtout Déodat de Séverac à cause du boulevard toulousain qui porte son nom. Si tu as des suggestions, il faudra que je m'y intéresse.
Avant d'en revenir notamment à Berlioz et Wagner (oui, j'y tiens), j'essaierai de trouver un peu de temps pour évoquer succinctement ces figures importantes de la musique française au sein du répertoire classique. Cependant, pour au moins l'une d'entre-elles, je peux d'ors et déjà renvoyer à ce que j'avais écrit et partagé à propos de Déodat de Séverac, dans le présent fuseau en 2021, à l'occasion du centenaire de la disparition de ce compositeur :
https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 451#p90451
Amicalement,
B.
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Or donc, aussi succinctement que possible et un peu en vrac...
Cécile Chaminade est une compositrice française qui a beaucoup écrit pour le piano (plutôt dans le style de musique de salon du XIXe siècle), et qui a elle-même été une concertiste célèbre à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, ayant connu la popularité en France et également en Angleterre, où elle était notamment très appréciée par la reine Victoria. Talent précoce, initiée par sa mère pianiste, elle fut encouragée à faire des études musicales par Georges Bizet, qui était un ami de sa famille et qui la surnommait « mon petit Mozart ». Les œuvres qu'elle a composé, pas seulement pour le piano, se comptent par centaines. Sa carrière de compositrice et de pianiste pris plus ou moins fin avec la Première Guerre mondiale. Quelques œuvres pour piano de Chaminade, dont notamment ses 6 Études de concert (Op. 35) de 1886, interprétées par Mark Viner, ont notamment fait l'objet d'un CD en 2018 chez l'éditeur néérlandais Brilliant Classics (label Piano Classics), un deuxième CD ayant suivi en 2022 chez le même éditeur ai-je appris récemment.
Cécile Chaminade (1857-1944), 6 Études de concert, Op. 35 : II. « Automne », Mark Viner (piano) : - https://www.youtube.com/watch?v=DeuAw6-9TJE
Je ne connaissais guère la musique de Florent Schmitt (qui fut l'élève de Massenet et de Fauré au Conservatoire de Paris) jusqu'à ce qu'une de ses œuvres soit annoncée comme devant être jouée en concert par l'Orchestre national du Capitole de Toulouse (ONCT), à La Halle aux Grains un soir d'octobre 2021, sous la direction du chef d'orchestre invité Fabien Gabel. Le programme de ce concert, auquel j'ai assisté, était original : l'ouverture de l'opéra Königskinder d'Engelberg Humperdinck, la version pour orgue et orchestre de la Fantaisie et Fugue sur « Ad nos, ad salutarem undam » de Franz Liszt (avec l'organiste Henri-Franck Beaupérin en soliste), la célèbre « Danse des sept voiles » de l'opéra Salomé de Richard Strauss (d'après la pièce d'Oscar Wilde), et enfin la suite pour grand orchestre ou poème symphonique La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt.
Vis-à-vis de ce programme, j'avais surtout été attiré par la « Danse des sept voiles » de Salomé de Richard Strauss – que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer précédemment dans le présent fuseau en 2021 –, et Franz Liszt faisant partie par ailleurs de mes compositeurs favoris, mais cela avait aussi été l'occasion de notamment me renseigner davantage, en amont du concert, sur la musique de Florent Schmitt, ce que j'ai notamment fait avec un CD édité chez Naxos en 2020 et contenant des enregistrements de plusieurs œuvres pour orchestre interprétés en 2019 et 2020 par le Buffalo Philharmonic Orchestra, sous la direction de JoAnn Falletta : le poème symphonique La Tragédie de Salomé (Op. 50), Musique sur l'eau (Op. 33) d'après un poème symboliste d'Albert Samain et dans une version pour voix et orchestre, la suite pour orchestre Oriane et le Prince d'Amour (Op. 83bis), et enfin Légende (Op. 66) pour saxophone alto et orchestre (ici dans une version pour violon et orchestre). Le temps me manque pour développer, mais le disque vaut la peine d'être écouté.
Florent Schmitt (1870-1958), La Tragédie de Salomé, Op. 50 (1910) - 1re partie : Prélude et Danse des Perles, Buffalo Philharmonic Orchestra, dir. JoAnn Falletta :
- https://www.youtube.com/watch?v=TSmM-1G1tG8
La Tragédie de Salomé op. 50 était initialement la musique d'un ballet en deux actes d'après un poème de Robert d'Humières (1907), musique dont Schmitt fit un poème symphonique en 1910. D'Humières se distingue d'Oscar Wilde dans sa vision de la figure de Salomé, dont il propose une version plus innocente, tandis que Schmitt puise dans un certain orientalisme pour sa musique chatoyante. Florent Schmitt a dédié La Tragédie de Salomé à son ami Igor Stravinsky, qui était fier de cette dédicace et appréciait beaucoup l'œuvre. Cette suite pour grand orchestre est joué en sus, pour sa deuxième partie, avec un choeur féminin et une soliste mezzo-soprano (Susan Platts, dans la version du disque de chez Naxos), mais c'est une version seulement pour orchestre que j'avais entendue lors du concert de l'ONCT à La Halle aux Grains, le 8 octobre 2021.
À noter que La Tragédie de Salomé de Schmitt a fait l'objet d'un épisode de la fameuse émission de radio dominicale « La Tribune des critiques de disques » sur France Musique en 2017, et que c'est alors une version au disque de 1958 par l'Orchestre symphonique de Detroit, dirigé par Paul Paray, qui avait été placée en tête du palmarès :
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … tt-5430122
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … tt-9518000
Je suis au courant que Florent Schmitt a vécu suffisemment longtemps pour avoir ce que l'on pourra appeler un « passé controversé », s'agissant des années 1930 et 1940. C'est évidemment très regrettable, mais faudrait-il pour autant s'interdire d'écouter sa musique, comme certains s'interdisent d'écouter celle de Richard Wagner, certes antisémite lui aussi, mais mort du reste bien avant sa récupération par un certain régime totalitaire allemand dans les mêmes années 1930 et 1940 ? Je laisse à d'autres le soin, suivant la mode actuelle, de surjouer une posture morale autour de la fameuse question de la distinction (à faire ou ne pas faire) entre l'œuvre et l'artiste...
Marie Jaëll, née Trautmann, pianiste virtuose française mariée (à 20 ans) en 1866 à un pianiste autrichien (Alfred Jaëll) lui aussi virtuose et qu'elle accompagnait dans ses tournées internationales, a étudié la composition avec Camille Saint-Saëns à partir de 1871, et est devenue plus tard autrice de plusieurs ouvrages sur la technique pianistique. Elle fut influencée par le style de Franz Liszt, qui fut son ami, et dont elle interpréta (après la mort de celui-ci en 1886) l'intégrale des œuvres pour piano lors de séries de concerts parisiens en 1891 et 1892. Johannes Brahms, dans une lettre à Richard Heuberger en 1888, écrira à ce propos : « Comme elles sont insipides ces jeunes pianistes qui jouent toujours les mêmes pièces de Liszt. Mais parlez-moi de la Jaëll ! Voilà une personne intelligente et spirituelle : elle se fabrique elle-même des choses pour le piano, qui sont aussi mauvaises que celles de Liszt » (cité par la musicologue Florence Launay dans le livret de l'album CD dont je donne les références ci-après).
Marie Jaëll a notamment composé, en 1893, un cycle de 18 pièces pour piano d'après une lecture de Dante, cycle formant un triptyque : I - Ce qu'on entend dans l'Enfer, II - Ce qu'on entend dans le Purgatoire, III - Ce qu'on entend dans le Paradis. C'est une œuvre ambitieuse, profonde, techniquement difficile, et originale même si l'on sent clairement l'influence de Liszt au moins par endroits, ce qui n'est certes pas du tout un défaut de mon point de vue, Franz Liszt faisant partie de mes compositeurs préférés, comme je l'ai déjà dit (il faudrait que j'en reparle, de lui aussi, du reste). La pianiste Célia Oneto Bensaid a brillamment interprété ces 18 pièces de Jaëll pour piano d'après la lecture de Dante en 2021, pour un CD édité en 2022 par le label Présence Compositrices.
Marie Jaëll (1846-1925), Pièces pour piano d'après une lecture de Dante, III - Ce qu'on entend dans le Paradis : No. 6, « Contemplation » (18e pièce de l'ensemble du cycle), Célia Oneto Bensaid (piano) :
- https://www.youtube.com/watch?v=uFj6vxH-Ypo
La prochaine fois, dans la mesure de mon possible, ce sera enfin au tour de Berlioz, de Wagner... et peut-être aussi de Liszt, donc, qui fait à maints égards le lien entre les deux...
Amicalement,
B.
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Content que le deuxième concerto t'ait plu. Je crois qu'il s'agit de mon concerto pour piano préféré, tous compositeurs confondus. Quant à l'ouverture tragique, je valide aussi ! Je ne connais pas la deuxième en revanche.
Pour ma part, c'est indiscutablement à Rachmaninov que va ma préférence. Longtemps, son Concerto pour piano et orchestre n° 2 a été mon favori, avant que je ne finisse par pencher pour son troisième. J'ai d'ailleurs eu la chance d'écouter ce dernier en concert à La Roque d'Anthéron l'été dernier, interprété par Nelson Goerner et le Sinfonia Varsovia, qui en ont donné une interprétation splendide. L'autre morceau de la soirée était le quatrième et dernier concerto pour piano de Rachmaninov, une belle pièce, mais malgré tout en retrait des trois autres.
Or donc, aussi succinctement que possible et un peu en vrac...
Merci beaucoup pour tous ces conseils. Je constate que j'avais déjà repéré une partie des enregistrements dont tu nous parles, mais pas ceux de Mark Viner. Cela dit, je ne crois pas que mon budget me permettra de suivre toutes les recommandations qui me seront adressées.
Tout de même, ces poèmes symphoniques de Franck m'intriguaient. J'ai donc trouvé deux disques éminemment complémentaires. Le premier contient Le Chasseur maudit (1882), la version complète, rarement enregistrée, de Psyché (1887) et Les Éolides (1875), dirigés par Jean-Luc Tingaud, avec l'Orchestre national royal d'Écosse et les Voix du Conservatoire royal d'Écosse (chez Naxos). Je dois dire que Le Chasseur maudit est une superbe partition, ici très bien rendue par le chef et l'orchestre, mais malheureusement l'enregistrement n'est pas tout à fait à la hauteur : on a l'impression que les parties hautes et basses du spectre sonore ont été amputées, ce qui est bien dommage. Ce problème technique n'affecte pas les deux autres morceaux. Psyché fait alterner chœurs et passages orchestraux, dans une ambiance globalement éthérée, à l'exception de la section « Souffrances et plaintes de Psyché ». Une belle pièce, d'une grande subtilité d'orchestration, mais qui manque peut-être un peu de vie. Quant aux Éolides, c'est un morceau où l'usage des leitmotivs rappelle Wagner, tandis que l'aspect léger et féerique se compare volontiers à certains passages du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn.
Le second CD comprend d'une part les Variations symphoniques (1885) et Les Djinns (1884), tous deux interprétés par François-Joël Thiollier, accompagné par l'Orchestre philharmonique d'Arnhem, sous la direction de Roberto Benzi, et de l'autre le Concerto pour piano n° 2 en si mineur (vers 1835), avec le même chef et le même orchestre, mais Martijn van den Hoek au piano (aussi chez Naxos, label qui semble avoir le bon goût d'enregistrer la musique française méconnue).
Je ne connaissais pas les Variations symphoniques et il s'agit d'une de mes meilleures découvertes récentes. Le talent de Franck comme orchestrateur éclate dans ces variations qui déclinent le thème sous toutes ses formes, tantôt au piano, tantôt à l'orchestre. Je ne vois tout simplement aucune œuvre du même type qui arrive à la cheville de celle-là. Par contre, j'avais récemment entendu Les Djinns sur Radio Classique, apparemment dans cette interprétation. C'est avec Le Chasseur maudit celui des poèmes symphoniques de Franck que je préfère. Cela ne gâche rien à mes yeux que le poème de Hugo dont il s'inspire ait de fortes résonances mythopoétiques. Quant au Concerto n° 2, composé alors que Franck n'avait que treize ans (c'était lui aussi un enfant prodige), il semblerait que les musicologues lui reprochent une certaine conventionnalité. S'il faut que je passe moi-même pour conventionnel en disant que je l'ai bien apprécié, qu'il en soit ainsi. Il y a des échos beethovéniens dans les premier et troisième mouvements, mais ce n'est pas du tout pour me déplaire. L'Adagio médian manque peut-être de cette grâce indéfinissable qui fait le génie d'une œuvre, mais dans l'ensemble, ce morceau n'a rien à envier à ce que Mozart composait au même âge. Bref, plus je me penche sur son œuvre, plus j'ai l'impression de devenir un inconditionnel de Franck...
En complément de ces découvertes, je vous toucherai un mot de Sibelius, l'un des compositeurs favoris de Tolkien, dont j'avais déjà une grande partie de l'œuvre sur mes étagères. Il me manquait surtout son Concerto pour violon et orchestre en Ré mineur (Op. 47). J'ai donc trouvé une fort belle interprétation d'Itzhak Perlman avec l'Orchestre symphonique de Pittsburgh, sous la direction d'André Prévin (cher Warner Classics). Splendide de bout en bout, c'est un des sommets du répertoire selon moi. Le troisième mouvement est une pure merveille. Sibelius a composé là certaines de ses plus belles pages orchestrales.
S'il y a une déception à mentionner, elle vient de la maigreur des compléments proposés, qui se limitent ici à la Suite en La mineur, dite « Suite dans le style ancien » (Op. 10) de Christian Sinding, compositeur scandinave qui mériterait assurément d'être plus connu. Sur le plan de la qualité et de la cohérence artistique, il n'y a rien à reprocher à ce choix, mais sur celui de la quantité, je trouve quand même honteux de proposer aujourd'hui un CD qui dure à peine plus de 45 minutes. Ce n'est quand même pas comme si Warner n'était pas en mesure de piocher dans son gigantesque catalogue pour trouver un troisième morceau qui s'accorderait bien avec ces deux là...
E.
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Quelques mots rapides, dans une période très (très) chargée en matière d'emploi du temps...
J'ai appris ces derniers jours, les disparitions du très grand pianiste italien Maurizio Pollini, décédé ce 23 mars à 82 ans, et du compositeur hongrois Péter Eötvös, décédé le lendemain à 80 ans.
Cela m'a rappelé quelques souvenirs, parfois récents.
Concernant Péter Eötvös (prononcer « Eutveuch »), j'avais eu l'occasion d'entendre certaines de ces œuvres à la radio, lors d'un concert diffusé sur France Musique et donné le soir du 18 janvier dernier, en direct depuis l'Auditorium de Radio France, pour célébrer les 80 ans du compositeur (qui fut aussi chef d'orchestre) :
https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … rf-7201043
Parmi les œuvres d'Eötvös au programme ce soir-là, il y avait Halleluja - Oratorium Balbulum - quatre fragments pour mezzo-soprano, ténor, récitant, chœur et orchestre, avec notamment Lambert Wilson en récitant. Les œuvres de musique dite savante contemporaines ne sont pas toujours faciles d'accès, mais j'avais apprécié la présence d'un humour à la fois loufoque et ironique rendant l'interprétation de cette œuvre amusante :
https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … um-3087799
Lambert Wilson est excellent en récitant, et ce n'était pas la première fois, ce soir-là, que je l'ai constaté... mais j'espère avoir l'occasion d'en reparler lorsque j'aurai enfin le temps de reparler aussi de Berlioz...
Concernant Maurizio Pollini, la radio France Musique lui a naturellement rendu hommage, il y a quelques jours, notamment en évoquant le très grand interprète qu'il fut des œuvres de Frédéric Chopin :
https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … in-6587954
En me penchant sur le modeste contenu de ma discothèque (collection de disques CD), c'est l'interprétation par Pollini des grands concertos pour piano de Beethoven (chez Deutsche Grammophon) dont je me souviens également :
Ludwig van Beethoven (1770-1827), Concerto pour piano et orchestre n° 5 en mi bémol majeur, « L'Empereur », op. 73, I. Allegro, Maurizio Pollini (piano), Orchestre Philharmonique de Vienne (Wiener Philharmoniker), dir. Karl Böhm : - https://www.youtube.com/watch?v=UpW5UP8d510
Hyarion a écrit :Or donc, aussi succinctement que possible et un peu en vrac...
Merci beaucoup pour tous ces conseils. Je constate que j'avais déjà repéré une partie des enregistrements dont tu nous parles, mais pas ceux de Mark Viner. Cela dit, je ne crois pas que mon budget me permettra de suivre toutes les recommandations qui me seront adressées.
Je comprends, étant moi-même dans une période pas du tout propice à d'éventuelles nouvelles acquisitions. Rappelons toutefois que beaucoup des enregistrements dont nous parlons peuvent au moins facilement être découverts sur YouTube, même si je reste personnellement par ailleurs attaché au support CD.
En complément de ces découvertes, je vous toucherai un mot de Sibelius, l'un des compositeurs favoris de Tolkien, dont j'avais déjà une grande partie de l'œuvre sur mes étagères.
Il y aurait bien de choses à dire sur la musique de Jean Sibelius, dont il a du reste déjà été question en diverses occasions sur le présent forum par le passé... Je me contenterai, pour l'heure, de signaler un tout récent épisode de l'émission « La Tribune des critiques de disques », consacrée à la Symphonie n°2 de Sibelius :
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … ne-8514440
La prochaine fois, dans la mesure de mon possible, ce sera enfin au tour de Berlioz, de Wagner... et peut-être aussi de Liszt, donc, qui fait à maints égards le lien entre les deux...
Je vais essayer de m'y tenir pour de bon, dès que possible... Cette nuit, je suis encore en voiture, avec « mon » Berlioz à fond, « mon » Wagner à fond, « mon » Liszt à fond en bonus, avec parfois aussi un peu de Mozart et de Beethoven, et la radio en sus... Il faut bien se motiver, rester éveillé... et être aussi prudent (au volant et aussi au niveau du son musical : « à fond » signifie pour moi « bien fort » mais sans excès et pas tout le temps). J'expédie le présent message depuis une aire de repos d'autoroute... et ne puis écrire davantage pour l'heure... mais c'est déjà pas mal, non ? De toute façon, l'ambiance nocturne sur cette aire d'autoroute est... comment dire... un peu spéciale, du moins cette fois-ci... Raison de plus pour ne pas s'attarder. ^^'
Allez, un dernier signalement... pour la route : l'épisode de « La Tribune des critiques de disques » consacré à la Symphonie Fantastique de Berlioz en 2017.
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … oz-6752299
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … oz-3586506
Cela n'arrive pas forcément très souvent, mais cette fois-là, ma version de référence de l'œuvre était arrivée dans le trio de tête...
To be continued... (?)
Amicalement,
B.
(EDIT [30/03/2024]: correction de fautes, et mention de Deutsche Grammophon pour la référence beethovenienne avec Pollini)
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J'ai appris ces derniers jours, les disparitions du très grand pianiste italien Maurizio Pollini, décédé ce 23 mars à 82 ans, et du compositeur hongrois Péter Eötvös, décédé le lendemain à 80 ans.
[...]
Lambert Wilson est excellent en récitant, et ce n'était la première fois, ce soir-là, que je l'ai constaté... mais j'espère avoir l'occasion d'en reparler lorsque j'aurai enfin le temps de reparler aussi de Berlioz...
Eötvös, je connais très mal, mais Pollini, quel pianiste ! Pour moi, il représente Chopin avant tout, mais son répertoire était effectivement beaucoup plus large. Quant à Lambert Wilson, ne serait-il pas le récitant de Lélio dans l'enregistrement de Dutoit ? Il se pourrait que j'en parle bientôt moi aussi.
Je comprends, étant moi-même dans une période pas du tout propice à d'éventuelles nouvelles acquisitions. Rappelons toutefois que beaucoup des enregistrements dont nous parlons peuvent au moins facilement découverts sur YouTube, même si je reste personnellement par ailleurs attaché au support CD.
Je passe pas mal de chose en revue sur YouTube, c'est bien pratique lorsqu'on est au travail. Toutefois, côté qualité sonore, le CD est irremplaçable si l'on a un système HiFi décent (le mien n'est pas haut de gamme, mais largement suffisant pour que la différence soit audible... et que les éventuels défauts de la prise de son deviennent repérables).
Pour l'heure, place à un compositeur qui s'est agenouillé devant Berlioz (à l'issue de la première représentation de la Symphonie fantastique, dirigée par le compositeur lui-même) : Paganini. Je dois dire que je nourris un amour particulier pour le violon et que Paganini est à cet instrument ce que Liszt est au piano ; le second a d'ailleurs travaillé d'arrache-pied à améliorer sa technique de jeu après avoir vu le premier en concert. Toutefois, je n'avais de Paganini que ses célébrissimes 24 Caprices (Op. 1) interprétés par Itzhak Perlman, car je n'avais pas encore entamé de démarche raisonnée destinée à compléter ma collection. J'ai donc opté pour la solution la plus évidente, une intégrale des pièces de Paganini enregistrés par le grand violoniste Salvatore Accardo pour Deutsche Grammophon en 6 CD (on ne dira sans doute jamais assez de bien de la "Collectors Edition" de DG). Il y a là la totalité des Concertos pour violon et orchestre, y compris le sixième (chronologiquement le premier, mais dont une partition n'a été retrouvée qu'en 1972), ainsi que les Sonates pour violon et orchestre accompagnés par l'Orchestre philharmonique de Londres, dirigé par Charles Dutoit. On y trouve aussi les 24 Caprices, bien sûr. L'interprétation est exceptionnelle de bout en bout.
Que vous en dirais-je ? Le Concerto n° 1 (Op. 6, en Ré majeur) : très bon, mais plus axé sur le jeu du violon que sur l'orchestre, réduit à un simple rôle d'accompagnateur. Le Concerto n° 2 « La campanella » (Op. 7, en Si mineur) : même concept, mais mené avec un talent remarquable, mêlant autant de poésie que de virtuosité au violon. Le Concerto n° 3 (en Mi majeur) : encore meilleur, avec une orchestration plus riche et plus variée ; on atteint là le stade du chef d'œuvre. Le Concerto n° 4 (en Ré mineur) : un monument de l'histoire du violon, pas moins ; sans doute le seul concerto dédié à cet instrument que je mettrais peut-être au-dessus du Concerto n° 2 de Mendelssohn. Le Concerto n° 5 (en La mineur) : seule la partie pour violon a été complétée par Paganini, l'orchestration a été posthumément réalisée par Giusto Dacci et Federico Mompellio ; on sent que le style diffère ; un cran au-dessous de son prédécesseur, mais à écouter absolument quand même. Je ne connaissais pas le Concerto n° 6. Il est de facture plus classique et moins axé sur les prodiges de virtuosité, ce qui explique certainement pourquoi Paganini l'a renié plus tard. Cela reste toutefois une œuvre attachante, qui mérite amplement le détour.
Les Sonates avec orchestre semblent avoir pour seul but de mettre en valeur la virtuosité extraordinaire de Paganini au violon. Se détachent toutefois les sonates La primavera, en La majeur, et la Maestosa sonata sentimentale, pleines de contrastes et de couleurs, qui sont tout à fait mémorables. L'Introduction et Variations sur « Di tanti palpiti » dans « Tancredi » de Gioacchino Rossini, connue sous le titre I palpiti (Op. 13) vaut d'abord pour l'incroyable série d'acrobaties techniques conçues par Paganini, ici exécutées à la perfection par Accardo. Enfin la courte pièce Perpetuela, aussi nommée Sonata movimento perpetuo a ceci d'extraordinaire que l'orchestre joue la mélodie, tandis que le violon assure l'accompagnement orchestral à lui seul, sur un rythme proprement effréné : en 1832, Paganini en joua les 2 242 notes en 3 minutes et 3 secondes ; Accardo met 9 secondes de plus...
Pour conclure avec les 24 Caprices, je dirais qu'ils sont au violon ce que les Études d'exécution transcendante sont pour le piano, à moins bien sûr que ce soit l'inverse. Ils ne se prêtent donc guère à une écoute en fond sonore. Parmi ceux-ci, je préfère les n° 2 Moderato en Si mineur, 5 Agitato en La mineur, 9 Allegretto en Mi majeur, 10 Vivace en Sol mineur, 15 Posato en Mi mineur, 16 Presto en Sol mineur, 19 Lento -- Allegro assai en Mi bémol majeur et 24, courte suite de variations en La mineur pour violon seul. Le deuxième caprice parvient à faire croire à l'auditeur qu'il écoute un duo de violons, ce qui est assez bluffant. Les autres combinent idéalement difficultés techniques et beauté sonore.
E.
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Hyarion a écrit :Lambert Wilson est excellent en récitant, et ce n'était pas la première fois, ce soir-là, que je l'ai constaté... mais j'espère avoir l'occasion d'en reparler lorsque j'aurai enfin le temps de reparler aussi de Berlioz...
Quant à Lambert Wilson, ne serait-il pas le récitant de Lélio dans l'enregistrement de Dutoit ?
Oui, en effet, c'est bien lui.
Il se pourrait que j'en parle bientôt moi aussi. ;)
Tu me mets la pression, là... ^^'
Les facilités éditoriales proposées par Yyr font maintenant gagner du temps, pour concevoir des messages (encore merci, Jérôme, si tu nous lis), mais il m'est cependant très difficile, ces jours-ci, de terminer mon « condensé » d'informations et de souvenirs berlioziens (de même que de m'occuper de mon travail post-colloque : ma bibliographie est, pour le moment, dans des cartons...)... Trop de changements à gérer autour de mon quotidien en transition, dans l'immédiat... Peut-être aurai-je un peu de répit la semaine prochaine...
Mais je peux toujours confirmer, pour l'heure, que l'enregistrement berliozien de Dutoit dont tu parles fait, en tout cas, partie de mon actuelle sélection de musique pour les heures de route (et pour d'autres occasions).
Hyarion a écrit :Je comprends, étant moi-même dans une période pas du tout propice à d'éventuelles nouvelles acquisitions. Rappelons toutefois que beaucoup des enregistrements dont nous parlons peuvent au moins facilement être découverts sur YouTube, même si je reste personnellement par ailleurs attaché au support CD.
Je passe pas mal de chose en revue sur YouTube, c'est bien pratique lorsqu'on est au travail. Toutefois, côté qualité sonore, le CD est irremplaçable si l'on a un système HiFi décent (le mien n'est pas haut de gamme, mais largement suffisant pour que la différence soit audible... et que les éventuels défauts de la prise de son deviennent repérables).
Oui, bien sûr, je suis d'accord, et c'est notamment pour cela que je reste attaché au support CD, qui reste la ressource de base pour la qualité du son, pour peu qu'il reste disponible.
Pour l'heure, place à un compositeur qui s'est agenouillé devant Berlioz (à l'issue de la première représentation de la Symphonie fantastique, dirigée par le compositeur lui-même) : Paganini. Je dois dire que je nourris un amour particulier pour le violon et que Paganini est à cet instrument ce que Liszt est au piano ; le second a d'ailleurs travaillé d'arrache-pied à améliorer sa technique de jeu après avoir vu le premier en concert.
Ma mère aimait beaucoup le violon... Elle m'a transmis ce goût, quand j'étais petit, notamment avec un enregistrement de concertos de Vivaldi sur un disque vinyle que j'ai retrouvé récemment...
Merci pour les références concernant Paganini, au-delà des célèbres Caprices. S'agissant de son estime profonde pour Berlioz, il se pourrait que j'en parle également... si tu me laisses encore un peu de temps ! ^^'
Amicalement,
B.
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Les facilités éditoriales proposées par Yyr font maintenant gagner du temps, pour concevoir des messages (encore merci, Jérôme, si tu nous lis)
Je vous lis, mais je suis largué depuis longtemps ;)
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Puisqu'il m'a été demandé que je sursoie à parler de Berlioz, profitons en pour quelques remerciements. Il faut assurément se réjouir que les interprètes et musicologues modernes se penchent désormais sur le répertoire injustement oublié de la seconde moitié du XIXe et de la première moitié du XXe, période de foisonnement absolument extraordinaire de la musique classique. Malheureusement, le nombre encore restreint d'enregistrements et leur date récente fait que se les procurer est bien plus onéreux que pour le répertoire reconnu depuis longtemps. Je n'ai donc pour l'heure suivi qu'une seule des suggestions de Hyarion en matière de compositrices, en la personne de la pianiste virtuose Marie Jaëll, car j'étais intrigué par ses Pièces pour piano intitulées Ce qu'on entend dans l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis et sous-titrées « D'après une lecture de Dante », publiées en 1897.
Il s'agit de morceaux pour piano dont beaucoup sont d'une extrême difficulté, ce qui n'empêche pas qu'ils soient aussi d'une grande poésie, à l'instar des bien nommées « Voix célestes » et « Contemplation » (au Paradis, évidemment). J'ai par contre été surpris par l'extrême modernité de l'ensemble, qui donne l'impression d'avoir été composé par un Liszt qui aurait entreprit d'inaugurer le style minimaliste 70 ans avant son apparition officielle. La pièce « Appel » (dans l'Enfer) se fonde ainsi sur un ostinato rythmique inlassablement répété, tandis que « Remords » (au Purgatoire, bien sûr) semble anticiper Scriabine. Peu surprenant que Jaëll n'ait pas fait école et qu'elle ait même rencontré l'incompréhension d'une partie des compositeurs qui lui étaient contemporains. Reste que ce cycle devrait être considéré comme un monument de l'histoire pianistique, pas moins. Merci donc de m'avoir incité à découvrir cette compositrice, qui se trouve être la première à rejoindre ma collection (je connaissais bon nombre d'excellentes interprètes, mais il faut bien admettre que les compositrices sont globalement négligées dans l'histoire de la musique classique).
Continuons avec un autre compositeur français négligé, Emmanuel Chabrier (1841-1894). Je ne dirais pas « ignoré », car sa courte Rapsodie pour orchestre España est un véritable tube reconnaissable entre tous, que tout amateur de musique classique a dû entendre au moins une fois. Chabrier a malheureusement assez peu composé, car il n'était nullement un professionnel de la musique, mais un fonctionnaire du Ministère de l'Intérieur. J'ai donc facilement trouvé deux CD qui permettent d'avoir un panorama de l'essentiel de son œuvre, à l'exception des opéras.
En premier lieu, les Œuvres pour piano, interprétées par Alain Planès (dans la collection « Musique d'abord » chez Harmonia Mundi), qui comprennent le petit chef d'œuvre Dix pièces pittoresques, la Bourrée fantasque, l'Impromptu en Ut majeur, la version pour piano de sa Habanera et quatre des Cinq pièces posthumes, ensemble complété par le court morceau de Maurice Ravel, A la manière de... Chabrier. Toutes valent amplement l'écoute, mais ce sont les Dix pièces pittoresques qui ont attiré les louanges de Franck et ont fait connaître Chabrier, à juste titre. Elles oscillent en effet entre pyrotechnie pianistique et cheminement poétique où chaque note est pesée et essentielle. Je pourrais toutes les citer, mais si je n'en retenais qu'une, ce serait la quatrième, « Sous-bois ».
Du côté de la musique symphonique, un disque de l'Orchestre philharmonique de Vienne, dirigé par John Eliot Gardiner propose la Suite pastorale, orchestration de quatre des Dix pièces pittoresques, la version orchestrale de la Habanera, la fameuse España, un intéressant Larghetto pour cor et orchestre, l'Ouverture de son opéra Gwendoline, le très beau Prélude pastoral, une Marche française malheureusement trop pompeuse et la « Fête polonaise », véritable bacchanale extraite de son opéra Le Roi malgré lui, qui prend pour sujet Henri III. A part la Rapsodie susmentionnée, c'est incontestablement la Suite pastorale qui constitue l'intérêt premier de cet enregistrement. A la beauté des mélodies vient s'ajouter une science des couleurs orchestrales d'une grande subtilité, à tel point qu'on se serait cru par endroits dans un des grands ballets de Tchaïkovski. Encore une belle découverte de ma part.
E.
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Puisqu'il m'a été demandé que je sursoie à parler de Berlioz, profitons en pour quelques remerciements. [...] Je n'ai donc pour l'heure suivi qu'une seule des suggestions de Hyarion en matière de compositrices, en la personne de la pianiste virtuose Marie Jaëll, car j'étais intrigué par ses Pièces pour piano intitulées Ce qu'on entend dans l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis et sous-titrées « D'après une lecture de Dante », publiées en 1897. [...] ce cycle devrait être considéré comme un monument de l'histoire pianistique, pas moins. Merci donc de m'avoir incité à découvrir cette compositrice, qui se trouve être la première à rejoindre ma collection [...].
You're welcome, Elendil. Je suis ravi que cette découverte te plaise.
Il faut assurément se réjouir que les interprètes et musicologues modernes se penchent désormais sur le répertoire injustement oublié de la seconde moitié du XIXe et de la première moitié du XXe, période de foisonnement absolument extraordinaire de la musique classique.
Je suis bien d'accord.
Continuons avec un autre compositeur français négligé, Emmanuel Chabrier (1841-1894). [...]
Merci pour ton partage concernant ce compositeur, dont il se trouve que j'entends assez régulièrement des œuvres (España et d'autres) ces temps-ci, dans diverses émissions sur France Musique.
Pour une raison qui m'échappe, peut-être tout bêtement parce que leurs noms commencent par les mêmes lettres, mais aussi sans doute parce que je suis moins familier de leurs créations que de celles d'autres compositeurs, il m'est arrivé de parfois confondre Emmanuel Chabrier avec son confrère compositeur et compatriote Ernest Chausson (1855-1899). Leurs œuvres respectives sont pourtant bien spécifiques, de même que leurs visages, quoiqu'ils soient tous deux barbus, et j'identifie notamment bien la figure de Chabrier, immortalisé en train de jouer du piano dans un tableau conservé au musée d'Orsay : Autour du piano d'Henri Fantin-Latour (grand peintre mélomane qui, par ailleurs, fut notamment un grand admirateur des œuvres de Berlioz, Wagner et Schumann, comme l'avait du reste bien rappelé une belle exposition parisienne consacrée à ce peintre, « Fantin-Latour. À fleur de peau », au Musée du Luxembourg en 2016-2017).
Chausson est, du reste, d'une génération différente de celle de Chabrier, même si finalement les deux compositeurs sont globalement contemporains.
D'Ernest Chausson, pour dire dès lors spécifiquement quelques mots aussi sur lui, j'apprécie sa musique symphonique, dont une sélection – la Symphonie en si bémol majeur (Op. 20), les poèmes symphoniques Viviane (Op. 5) et Soir de fête (Op. 32), ainsi que La Tempête (Op. 18), musique de scène shakespearienne – a fait l'objet d'un CD édité chez Chandos en 1999, contenant des enregistrements par l'Orchestre philharmonique de la BBC dirigé par Yan Pascal Tortelier. J'aime beaucoup, en particulier, le magnifique poème symphonique Viviane, d'inspiration arthurienne (l'œuvre évoquant les relations entre la fée Viviane et Merlin l'enchanteur) et aussi en partie wagnérienne (l'influence de César Franck étant aussi présente) :
Ernest Chausson (1855-1899), Viviane, op. 5, Orchestre philharmonique de la BBC (BBC Philharmonic), dir. Yan Pascal Tortelier :
- https://www.youtube.com/watch?v=Uj2TByDV-F8
Les facilités éditoriales proposées par Yyr font maintenant gagner du temps, pour concevoir des messages (encore merci, Jérôme, si tu nous lis), mais il m'est cependant très difficile, ces jours-ci, de terminer mon « condensé » d'informations et de souvenirs berlioziens (de même que de m'occuper de mon travail post-colloque : ma bibliographie est, pour le moment, dans des cartons...)... Trop de changements à gérer autour de mon quotidien en transition, dans l'immédiat... Peut-être aurai-je un peu de répit la semaine prochaine...
Cette semaine se révèle finalement aussi chargée et peut-être même plus intense encore que la précédente... En toute franchise, heureusement que la musique est là, en voiture ou ailleurs, pour m'aider à tenir, dans une période de très grande pression... Je vais finir par connaître des chants de Lélio par chœur...
Bref, si Elendil veut bien continuer à sursoir encore un peu à parler de Berlioz, j'espère que je pourrai enfin y revenir moi-même soit à la fin de cette semaine, soit à défaut au début de la semaine prochaine (je vais tâcher de faire au mieux...).
En attendant, dans l'espoir notamment que Yyr se sente peut-être un peu moins largué – ;-) –, voici un lien vers un épisode de « Musicopolis », l'émission d'Anne-Charlotte Rémond sur France Musique, entendue à la radio cet après-midi, épisode dans lequel sont évoquées les années parisiennes du grand Quincy Jones, élève de Nadia Boulanger et familier des œuvres d'Igor Stravinsky et de Maurice Ravel : https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … er-1192593
Amicalement,
B.
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Voilà que je cherche à faire plaisir en évitant de parler trop tôt de Berlioz, et que se passe-t-il ? Je me fais couper l'herbe sous le pied avec Chausson, que je comptais précisément évoquer après Chabrier. Toujours est-il que les deux compositeurs ont au moins le point commun d'avoir assez peu laissé d'œuvres, bien que ce soit pour des raisons différentes. Dans le cas de Chausson, il faut sans doute en partie l'imputer à une certaine forme de perfectionnisme, mais surtout à un décès prématuré dans un accident de bicyclette. Je ne connaissais pas les poèmes symphoniques, et je remercie donc Hyarion de me les avoir fait découvrir, d'autant que j'apprécie tout à fait les pièces symphoniques de Chausson, à commencer par sa Symphonie en si bémol, qui mériterait d'être plus souvent jouée.
Elle figure dans un double CD de Decca, dont le premier contient en outre le Poème pour violon et orchestre (Op. 25), avec Chantal Juillet en soliste, et le fameux Poème de l'amour et de la mer (Op. 19), chanté par le baryton François Le Roux sur des textes de Maurice Bouchor. Ces trois morceaux sont superbement interprétés par l'Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Charles Dutoit. Le Poème est beau, quoique un peu trop doux-amer à mon goût. En revanche, le Poème de l'amour et de la mer mérite assurément d'être comparé aux grands cycles de lieder de Schubert, mais avec un accompagnement orchestral plutôt que pianistique. Je regrette toutefois la maigreur du livret, qui s'abstient de fournir les paroles de ce morceau.$
Le second CD contient les deux principales pièces de musique de chambre de Chausson : son Quatuor pour piano en La majeur (Op. 20), ici interprété par le Quatuor Richards et le Concert pour violon, piano et quatuor à cordes (Op. 21), avec Pierre Amoyal au violon, Pascal Rogé au piano et le Quatuor Ysaÿe. Le Quatuor est superbe, tour à tour poétique et plein de verve, mais le Concert est franchement exceptionnel : c'est un véritable double concerto où l'accompagnement orchestral est assuré par le quatuor à cordes. Je ne connais aucune autre pièce du même type et je comprends fort bien pourquoi personne ne s'y est risqué après Chausson. Si j'ai là un regret, c'est que le CD est affecté d'un bruit parasite des dernières minutes du quatrième mouvement du Quatuor jusqu'au début du dernier mouvement du Concert. Pas rédhibitoire, mais gênant : je pense demander un échange, en espérant qu'il s'agit d'un défaut ponctuel et non d'un souci de production généralisé pour ce CD.
Comme je souhaitais avoir un échantillon un peu plus vaste de la production vocale de Chausson, je me suis tourné vers un disque enregistré par la grande soprano Jessye Norman (chez Apex), où l'on retrouve le Poème de l'amour et de la mer, mais aussi la Chanson perpétuelle (Op. 37) et cinq des sept pièces des Mélodies (Op. 2) : « Le Colibri », de Leconte de Lisle, la « Sérénade italienne », de Paul Bourget, « La dernière feuille » et « Les papillons », de Théophile Gautier, ainsi que « Le Charme », d'Armand Silvestre. Si la couleur de la voix de Norman est remarquable, on sent toutefois que le français n'est pas sa langue maternelle. Toutefois, je trouve son interprétation du Poème de l'amour et de la mer encore supérieure à celle de Le Roux. Il est de toute façon difficile de comparer les deux, tant l'impression d'ensemble tend à changer selon que cette pièce est chantée par un homme ou une femme. Les Mélodies sont tout à fait réussies, tandis que la Chanson perpétuelle mérite amplement le détour.
Terminons sur les suites d'une autre recommandation. Bien que je n'ai pas été pleinement convaincu par les morceaux de Déodat de Séverac qu'avait proposé Hyarion, j'ai quand même voulu m'intéresser un peu à ce compositeur qui semble avoir été véritablement enraciné dans ce qui est aujourd'hui l'Occitanie. Aussi, j'ai saisi un CD d'occasion apparemment difficile à trouver, qui contenait certaines de ses œuvres les plus célèbres : les Suites pour piano Cerdaña (1908-1911) et En Languedoc (1903-1904), ainsi que les Baigneuses au soleil, interprétées par Jean-Joël Barbier (chez Accord, collection Musique française). Rien de désagréable là-dedans, mais même si les commentaires de Barbier cherchent à dissocier le style « impressionniste » de Séverac de celui de Debussy, je trouve tout de même qu'ils se ressemblent beaucoup, notamment du fait qu'ils tendent à ne pas avoir de ligne mélodique claire. Cela reste donc pour moi plutôt du piano que j'aurais tendance à vouloir en musique d'ambiance plutôt que celui que j'irais écouter en concert*. Le morceau que j'ai préféré est le deuxième volet de En Languedoc, intitulé « Coin de cimetière au printemps », qui donne vraiment l'impression d'une méditation paisible sur la vie, tandis que le soleil joue avec l'ombre des cyprès sur les tombes.
Bon, la prochaine fois, je crois que je vous parle de Liszt, ou tout du moins d'une partie de son œuvre...
E.
*A contrario, hier, j'ai eu la chance de pouvoir aller à un splendide concert donné par la pianiste Elisabeth Leonskaïa au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, avec les Sonates D.850 et D.960 de Schubert. Au piano, Leonskaïa ne donne franchement pas l'impression d'avoir 80 ans...
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Voilà que je cherche à faire plaisir en évitant de parler trop tôt de Berlioz, et que se passe-t-il ? Je me fais couper l'herbe sous le pied avec Chausson, que je comptais précisément évoquer après Chabrier. ;)
Ce n'était nullement volontaire ! ^^'
Mais aussi bien, je constate un certain caractère complémentaire dans nos interventions respectives. ;-)
Merci pour ton partage concernant Chausson, et pour ton témoignage d'approfondissement de découverte concernant Déodat de Séverac.
hier [3 avril], j'ai eu la chance de pouvoir aller à un splendide concert donné par la pianiste Elisabeth Leonskaïa au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, avec les Sonates D.850 et D.960 de Schubert. Au piano, Leonskaïa ne donne franchement pas l'impression d'avoir 80 ans...
J'ai eu la même impression en voyant jouer au piano Maria João Pires, l'année dernière à la Halle aux Grains, dans le cadre de la précédente saison des Grands Interprètes à Toulouse. C'était le soir du 17 avril 2023, et cette très grande pianiste portugaise – dont j'ai déjà parlé précédemment à propos de Mozart, et qui allait alors avoir 79 ans en juillet (elle est née en 1944, et a donné son premier concert public à l'âge de quatre ans) – avait brillamment interprétée la Sonate pour piano en la majeur (D.664) de Schubert, la Suite bergamasque de Debussy (dont le célèbre « Clair de lune », magnifique), et la Sonate pour piano n°32 en ut mineur (Op. 11) de Beethoven, avec une vigueur particulière s'agissant de cette dernière œuvre au programme (avec deux bis en complément : les deuxièmes mouvements respectifs de la Sonate n°8 « Pathétique » de Beethoven et des Deux arabesques de Debussy) : ce fut un très beau concert et Pires ne faisait pas du tout son âge en jouant du piano.
Elle devait revenir à la Halle aux Grains en décembre dernier, pour interpréter le Concerto pour piano n°4 (Op. 58) de Beethoven, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse (ONCT) dirigé par Tugan Sokhiev... mais hélas, elle a dû finalement annuler sa venue pour raison de santé, de même que Sokhiev du reste. Leurs jeunes remplaçants, Mao Fujita au piano et Elias Grandy à la direction d'orchestre, ont été à la hauteur lors du concert auquel j'ai assisté (il y avait deux concerts prévus, les 7 et 8 décembre derniers, et je suis allé au second), qui plus est en maintenant le programme prévu (le concerto de Beethoven et la 4e symphonie de Brahms) en ayant eu peu de temps pour se préparer... mais je crains qu'il soit désormais de moins en moins possible de revoir Maria João Pires en concert, elle qui avait déclarée en juin de l'année dernière, sur France Musique, s'agissant de la perspective de la retraite, que « ce serait sage de finir » (« peut-être dans un an et demi, dans deux ans » avait-elle ajoutée) :
https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … no-4206647
(photo : 17 avril 2023 [Halle aux Grains, Toulouse])
Bon, la prochaine fois, je crois que je vous parle de Liszt, ou tout du moins d'une partie de son œuvre...
Il se trouve qu'avant-hier, au soir de ce vendredi 5 avril, j'ai moi aussi eu la chance de pouvoir aller à un concert, toujours à la Halle aux Grains. Je pensais que le précédent concert auquel j'avais assisté, en février dernier, et dont j'ai parlé précédemment, serait mon dernier concert symphonique avant longtemps, et du moins avec l'ONTC, mais une nouvelle opportunité s'étant finalement présentée in extremis, j'en ai profité... Avant-hier au soir, l'ONTC était dirigé par le chef invité Robert Treviño, et a interprété l'intéressante Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartók, pour commencer, la célébrissime Symphonie n°5 en ut mineur (Op. 67) de Beethoven, pour terminer... et entre les deux, le Concerto pour piano et orchestre n°2 en la majeur (S. 125) de Franz Liszt, avec en soliste le pianiste britannique Benjamin Grosvenor (qui est un spécialiste de Liszt, même s'il est aussi à l'aise avec Chopin, dont il a joué, en bis, ce que j'ai reconnu comme étant le Nocturne n°20 en do dièse mineur, opus posthume). Des deux Concertos pour piano et orchestre de Liszt, j'ai tendance à avoir une légère préférence pour le n°1 en mi bémol majeur, créé à Weimar en 1855 sous la direction de Berlioz et avec Liszt au piano, mais le Concerto n°2 en la majeur au programme du concert d'avant-hier soir est en fait une œuvre tout aussi importante et intéressante, un « Concerto symphonique » selon le terme qu'a pu employer Liszt lui-même, tant avec ce compositeur, dans ce genre d'œuvre concertante, piano et orchestre peuvent se voir attribuer une importance égale, même si la virtuosité pianistique est bien présente. Bien que la salle se soit trouvée sans doute un peu trop chauffée (certains spectateurs se sont volontiers servi de leurs livrets de programme comme éventail), ce fut un bon concert... le dernier me concernant, donc, avant un moment...
(photo : 5 avril 2024 [Halle aux Grains, Toulouse])
De Liszt, j'aime aussi, entre autres, ses Années de pèlerinage, sa Dante-Symphonie... et tout particulièrement son poème symphonique Les Préludes, qui fait partie de la sélection que j'écoute et réécoute principalement en complément de la radio, lors de mes nombreux trajets nocturnes (et parfois aussi diurnes) en voiture, ces temps-ci et depuis déjà plusieurs semaines, avec Berlioz (Symphonie fantastique [Op. 14], Lélio ou le Retour à la vie [Op. 14b], Harold en Italie [Op. 16], Marche hongroise de La Damnation de Faust [Op. 24]) et Wagner (ouvertures de Rienzi, de Der fliegende Holländer et de Tannhäuser, Prélude du premier acte de Tristan und Isolde, Prélude de Das Rheingold, Marche funèbre de Siegfried du Götterdämmerung)...
Ma version de référence des Préludes de Liszt est celle du Berliner Philharmoniker dirigé par Karajan en 1967 (éditée en CD chez Deutsche Grammophon).
Franz Liszt (1811-1886), Les Préludes, poème symphonique n°3, S. 97, Orchestre Philharmonique de Berlin (Berliner Philharmoniker), dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=yTrNjVFYGU8
Il y a tant à évoquer, avec ce compositeur... Mais je n'en dirais pas plus cette nuit... pour ne pas couper l'herbe sous le pied d'Elendil ! ^^'
Je fais mon maximum, malgré toutes mes contraintes actuelles, pour boucler mon « condensé » à propos de Berlioz... et c'est presque terminé, mais je vais avoir, entre autres, une période de relative instabilité en matière d'accès à Internet ces tout prochains jours... J'espère avoir (enfin !) un peu de répit, au début la semaine prochaine, pour aboutir à une mise en ligne en bonne et due forme (et pour me reposer peut-être enfin un peu, par ailleurs...)...
Amicalement,
B.
[EDIT: correction de fautes]
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Elendil a écrit :Voilà que je cherche à faire plaisir en évitant de parler trop tôt de Berlioz, et que se passe-t-il ? Je me fais couper l'herbe sous le pied avec Chausson, que je comptais précisément évoquer après Chabrier.
Ce n'était nullement volontaire ! ^^'
Mais aussi bien, je constate un certain caractère complémentaire dans nos interventions respectives. ;-)
Force est en effet de l'admettre.
Du coup, puisque tu as fini par évoquer Liszt, je me sens libre d'en toucher quelques mots aussi. J'avoue ne pas être particulièrement amateur des morceaux les plus virtuoses de ce compositeur, qui me semblent surtout faits pour impressionner la galerie. Je n'ai donc pas particulièrement cherché à les collectionner, ce qui ne m'empêche pas d'en avoir une belle sélection tout de même, notamment au travers de mes coffrets consacrés à certains grands pianistes du XXe siècle, comme Sviatoslav Richter ou Georges Cziffra. Toutefois, s'il y a bien une œuvre que j'apprécie chez Liszt, ce sont précisément les trois volumes des Années de pèlerinage. Or il s'avère que je n'en avais pas d'enregistrement. C'est chose faite avec un petit coffret de 3 CD par Lazar Berman (encore et toujours chez DG... cela dit je comprends mieux quand je regarde les petits caractères : DG appartient désormais à Universal Music).
Je ne connaissais pas Berman, mais je me suis laissé séduire par les nombreux commentaires laudatifs. Je ne le regrette pas : il excelle dans les pièces les plus animées, mais il possède surtout une délicatesse de touche extraordinaire pour les plus méditatives. Splendide contraste entre « Au bord d'une source » et « Orage » (1re année : Suisse), merveilleux kaléidoscope dans « Après une lecture du Dante » (2e année : Italie), prémisses de l'impressionnisme dans « Les Jeux d'eaux à la Villa d'Este » (3e année).
Par ailleurs, j'avais certes un enregistrement de son premier Concerto pour piano et orchestre en mi bémol majeur, mais je n'en avais pas du deuxième, en la majeur, et cela manquait, tant ce sont des pièces majeures du répertoire, même si le premier est incontestablement plus célèbre que le second. Omission réparée très récemment, avec l'acquisition d'un CD de London Digital (division de Decca, donc de PolyGram, donc d'Universal Music), où ils côtoient la Fantaisie hongroise et la Totentanz, le tout étant joué par Jean-Yves Thibaudet, accompagné par l'Orchestre symphonique de Montréal et son inoxydable chef Charles Dutoit (qui va finir par dépasser Karajan dans ma discothèque, si cela continue). Thibaudet se montre parfaitement à son aise pour déjouer les nombreux pièges que Liszt avait tendu à l'intention des pianistes dans ces pages.
La Fantaisie hongroise est un morceau très intéressant, dans le style virtuose, mais qui pâlit lorsque le Concerto n° 1 lui succède, avec sa débauche d'acrobaties pianistique, son orchestration brillante et l'originalité du thème qui la parcourt de bout en bout, lui donnant une forme anti-conventionnelle, mais d'une exceptionnelle force mélodique. Le Concerto n° 2 fait quant à lui alterner passages rêveurs et conflits rageurs entre le piano et l'orchestre. Ce n'est pas un morceau dont on saisit toute la profondeur à la première écoute, mais plus je lui consacre mon attention, plus je l'apprécie. Ce CD se conclut sur une note plus sombre avec la Totentanz, inspirée par la fresque Le Triomphe de la mort, attribuée à Orcagna et hélas terriblement endommagée par les combats qui ravagèrent l'Italie centrale en 1944 (par contre, je laisse à Silmo, dont je salue le retour, le soin de parler de la question picturale, il le fera infiniment mieux que je ne le pourrais). Cette Totentanz consiste en une suite de variations sur le Dies Irae, où la poésie la plus noire se conjugue avec les difficultés techniques pour donner forme à l'une des pièces pour piano les plus mémorables qui soient.
Cela dit, Liszt n'est assurément pas le compositeur classique que je connaisse le mieux. J'ai bien une gravure des Préludes par Erich Kleiber et une de la Wanderer-Fantasie (Op. 15) par Henry Wood, mais le fait qu'il s'agisse d'enregistrements historiques datant tous deux de 1936, avec tous les limites techniques afférentes, ne m'a sans doute pas aidé à les apprécier à leur juste valeur. Il faudrait que je regarde cela de plus près à l'occasion. J'avoue que les commentaires assez récurrents sur les limites du talent d'orchestrateur de Liszt m'ont conduit à négliger ces pièces (peut-être à tort) comme étant d'intérêt secondaire.
E.
P.S. : Si j'avais un souhait relatif à la mise en forme, ce serait d'avoir un bouton qui permette d'écrire en exposant. Ce serait plus élégant pour les abréviations.
Edit : Quelques reformulations et corrections de coquilles.
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Je voulais répondre la nuit dernière, après avoir posté un court message ailleurs, mais je me suis finalement endormi, avec les Années de pèlerinage en fond sonore... Au moins était-ce à domicile, car la nuit précédente, c'était au volant sur la route, ou plus exactement (et plus surement) à l'arrêt sur une aire d'autoroute que je m'étais endormi (lors de ce qui fut le dernier trajet d'une série épuisante)... Et voila que cela me reprend cette nuit, sur le canapé... Bon, trop de fatigue accumulée fait qu'il me faut écouter mon corps, alors je serais bref...
Du coup, puisque tu as fini par évoquer Liszt, je me sens libre d'en toucher quelques mots aussi. :-)
Merci pour ton partage, qui m'a donné envie de réécouter les Années de pèlerinage, avec l'intégrale de cet ensemble de recueils de pièces pour piano de Liszt dont je dispose depuis déjà quelques années (j'étais tombé dessus en marge d'une exposition parisienne en 2016) : un enregistrement réparti en deux CDs avec le pianiste canadien francophone Louis Lortie, publié chez Chandos en 2011.
Lortie a une réputation de pianiste « tout terrain » qui ne semble pas être surfaite quand on voit sa discographie : Mozart, Beethoven, Chopin, Liszt, Saint-Saëns, Franck, Fauré, Debussy, Ravel, Rachmaninov, Stravinsky, Prokofiev, Gershwin... il peut tout jouer. S'agissant de son interprétation des Années de pèlerinage, j'y retrouve ce que tu dis de Lazar Berman, excellence dans les pièces les plus énergiques, délicatesse de touche pour les pièces les plus contemplatives.
Ce que j'aime dans ces pièces, c'est qu'elles peuvent s'apprécier aussi bien pour elles-mêmes qu'à travers les diverses inspirations littéraires à l'origine d'un grand nombre d'entre-elles.
Franz Liszt (1811-1886), Années de pèlerinage, Deuxième Année : Italie, S. 161 – VI. Sonetto 123 del Petrarca. Lento placido – Sempre lento – Più lento, Louis Lortie (piano) :
https://www.youtube.com/watch?v=vjp1Fs1hu4E
Concernant la musique concertante pour piano et orchestre de Liszt, Concertos pour piano et autres pièces que tu as cité, je la connais essentiellement par des enregistrements avec en soliste Georges Cziffra (que tu as cité), pianiste grand spécialiste de Liszt qui a aussi enregistré pour le disque, entre autres, ses Rhapsodies hongroises.
Je parlerai bien aussi de la Dante-Symphonie (Symphonie pour la « Divine Comédie » de Dante, S. 109), découverte en CD il y a longtemps, dans une version historique de l'Orchestre Philharmonique Tchèque dirigé par Gerd Albrecht avec la soprano Dagmar Masková et le Chœur Philharmonique de Prague, version enregistrée en public en 1986 et éditée chez Praga (avec en bonus deux pièces des Années de pèlerinage par le pianiste Miroslav Langer)... et je pourrai parler d'autres pièces pour le piano (Rhapsodie espagnole, Mazeppa, Nuages Gris...) et aussi un peu de la musique sacrée de Liszt, messes et Requiem... mais voila que je pique du nez devant mon écran pour au moins la deuxième fois (j'ai dû m'endormir un moment au moins une fois durant la rédaction de ce message)... et puis, il serait temps de parler de Berlioz... la prochaine fois si possible (maintenant que ma connexion Internet se stabilise à nouveau, et quoique je doive compléter encore mon « concentré » avec quelques petites choses)...
Bonne nuit !
B.
(EDIT: ajout d'illustration)
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Merci à toi, Hyarion, pour ces compléments sur Liszt. Du côté de Cziffra, je dispose surtout d'un intéressant coffret EMI intitulé Les Rendez-vous de Senlis (1980-1986), regroupant les dernières années d'enregistrement de Cziffra, effectués à la Chapelle Saint-Frambourg de Senlis, qu'il avait achetée et restaurée et qui est devenue depuis le siège de la Fondation Cziffra. Il s'agit d'enregistrements pour piano seul qui couvrent un répertoire vaste et parfois inattendu, de Couperin à Saint-Saëns. Liszt représente une partie significative des quatre CD, avec la Polonaise n° 2, l'Etude d'exécution transcendante n° 10, plusieurs valses, les « Jeux d'eaux à la Villa d'Este » et quelques autres pièces, comme « Saint François de Paule marchant sur les flots » (tiré de Deux légendes).
Puisque je dois encore réfréner mes envies de parler de Berlioz, je vous invite à passer temporairement de l'autre côté des Pyrénées, car si je connais raisonnablement bien la musique française d'inspiration espagnole, celle de Lalo, de Bizet ou de Ravel (liste non exhaustive), j'avoue que j'ai longtemps été assez ignorant de la musique proprement espagnole. Toutefois, ayant eu la chance d'en écouter une jolie sélection à la radio à l'époque où je me rendais régulièrement en Espagne pour le travail, je me suis au moins familiarisé avec les principaux compositeurs ibériques, à commencer par Isaac Albéniz (1860-1909) et Enrique Granados (1867-1916). Deux de leurs œuvres les plus fameuses figurent dans un double CD de Decca : les suites pour piano seul Ibéria (pour Albéniz) et Goyescas (pour Granados), toutes deux interprétées par la grande pianiste espagnole Alicia de Larrocha.
A l'exception du neuvième mouvement, qui fait allusion à un faubourg de Madrid, tous les morceaux qui composent Ibéria se réfèrent à l'Andalousie, bien qu'ils soient de styles très différents les uns des autres. Ma prédilection va au troisième, « El Corpus Christi en Sevilla », belle évocation d'une procession religieuse à travers la ville, au cinquième « Almería », qui fait évidemment allusion à la ville éponyme, et au septième « El Albaicín », qui s'inspire du quartier gitan de Grenade, sur une colline faisant face à l'Alhambra. J'apprécie également la pièce indépendante Navarra, qui devait initialement faire partie de la suite Ibéria, mais qu'Albéniz choisit de remplacer par le mouvement intitulé « Jerez ». Albéniz étant décédé avant d'avoir achevé les dernières mesures de Navarra, c'est un de ses amis qui les compléta, un certain... Déodat de Séverac (incidemment, si les vingt-six mesures écrites par Séverac sont globalement aussi réussies que le reste, je trouve les deux accords conclusifs assez décevants : Albéniz parvient presque toujours à conclure ses morceaux avec autant de poésie que de subtilité).
Les Goyescas font évidemment référence au peintre Goya, dont Granados était apparemment grand admirateur. Elles se divisent en deux parties sous-titrées de manière identique Los majos enamorados « Les jeunes gens amoureux ». Difficile d'exprimer une préférence parmi ces morceaux qui sont tous des réussites. Le plus fameux d'entre eux, Quejas, o la maja y el ruiseñor « Complainte, ou la jeune fille et le rossignol » est à écouter absolument. Toutefois, j'éprouve un certain penchant pour les deux pièces de la seconde partie, plus noires et dramatiques que celles qui précèdent : El Amor Y La Muerte (Balada) « Ballade de l'amour et de la mort » et Epilogo: Serenata del espectro « Epilogue : sérénade du spectre ».
La chance veut qu'il existe un second double CD d'Alicia de Larrocha (toujours chez Decca, collection Musica española) qui contient les autres œuvres pour piano les plus célèbres d'Albéniz et Granados : pour le premier, la Suite española et les Cantos de España, et pour le second, les 12 Danzas españolas et El Pelele, auxquels a été joint l'Allegro de concierto.
Niché dans la Suite española se trouve un véritable tube, qu'on entend fréquemment seul : le mouvement n° 5 « Asturias (Leyenda) ». Toutefois, tous les mouvements de cette suite valent l'écoute. Outre le n° 5, j'apprécie particulièrement les n° 1 « Granada (Serenata) » et n° 2 « Cataluña (Corranda) ». Notez au passage que cette suite est aujourd'hui plus connue par le biais des nombreuses transcriptions pour guitare dont elle a fait l'objet, mais qu'elle est bien destinée au piano à l'origine, Albéniz n'ayant en fait jamais composé de pièce pour guitare. Les Cantos de España se composent normalement de cinq mouvements, mais les numéros 1 et 5 sont identiques aux mouvements 5 et 8 de la Suite española. Restent donc trois mouvements originaux, que je ne connaissais pas jusqu'alors, mais qui méritent eux aussi qu'on s'y intéressent, particulièrement les n° 2 « Oriental » et n° 4 « Córdoba ».
Du côté de Granados, les 12 Danzas españolas sont d'intéressantes alternatives pour qui apprécie les nombreuses danses pour piano du répertoire romantique, polonaises, valses, etc. Quant à l'Allegro de concierto, il s'agit d'un beau morceau, mais que je ne compterais pas forcément au rang des chefs d'œuvre. Par contre, El Pelele est d'une virtuosité redoutable, très différente de celle qu'on peut trouver chez Chopin ou Liszt, ce qui en fait une pièce tout à fait intéressante. Il s'agit du dernier morceau pour piano composé par Granados, un an environ avant sa mort lors du torpillage du ferry Sussex par un sous-marin allemand, qui s'inspire là encore d'un tableau peint par Goya, El Pelele « Le pantin » (représenté sur la pochette du disque). Il est d'ailleurs souvent interprété comme le septième morceau des Goyescas, bien qu'il ait été indépendamment composé.
E.
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Bon, comme dirait Louis Jouvet : « C'est le moment, c'est l'instant ! »
Place à Hector Berlioz (1803-1869).
Les grands compositeurs et leurs œuvres ont commencé à faire partie de mes centres d'intérêts lorsque j'étais en âge d'être au collège, dans le courant des années 1990, sachant que je fréquentai à l'époque (déjà avant le collège) une école départementale de musique qui m'avait mis le pied à l'étrier en matière d'initiation sur le sujet, quoique je fus promptement amené à développer mes connaissances en autodidacte. Quand j'ai voulu, assez rapidement, trouver des compositeurs majeurs qui ne soient pas forcément d'expression allemande comme J.-S. Bach, Mozart et Beethoven, et qui soient français et francophones, Hector Berlioz s'était vite imposé comme une évidence : il reste aujourd'hui un de mes préférés, considéré à égalité avec notamment Mozart et Beethoven.
Berlioz est un des quelques compositeurs français, avec notamment Ravel et Debussy, à avoir acquis une véritable reconnaissance internationale, de telle manière que sa musique soit régulièrement jouée par des orchestres un peu partout dans le monde.
Mal reconnu dans son pays de son vivant, Berlioz connut le succès à l'étranger, en diffusant lui-même sa musique en Europe à travers des tournées de concerts comme chef d'orchestre, s'étant ainsi directement fait connaître en séjournant en Angleterre, particulièrement en Allemagne, et jusqu'en Russie. De ce fait notamment, et après avoir lui-même été profondément marqué dans sa jeunesse par la découverte des œuvres de Gluck, de Carl Maria von Weber et bien sûr de Beethoven, Berlioz fut clairement influent sur ses contemporains musiciens, sur son grand ami Franz Liszt (qui lui dédia sa Faust-Symphonie, comme Berlioz a dédié à Liszt sa Damnation de Faust), sur Richard Wagner (qui rencontra Berlioz plusieurs fois, même s'ils eurent toujours du mal à se comprendre, faisant mutuellement preuve à la fois d'admiration et de critique), sur les compositeurs russes tels que Mili Balakirev, César Cui et Nikolaï Rimski-Korsakov. Brahms lui-même, francophobe notoire (j'en avais succinctement parlé précédemment), mais qui dans sa jeunesse avait rencontré Berlioz, ne pouvait que reconnaître la valeur du travail de ce dernier et son caractère pionnier dans l'histoire de la musique « savante » (« classique ») de son siècle. Si la notoriété posthume de l'œuvre de Berlioz a mis du temps à se développer pleinement, elle est désormais acquise notamment grâce au travail de promotion internationale de ladite œuvre effectuée, via concerts et enregistrements, notamment depuis les années 1960, par plusieurs grands chefs d'orchestre, comme les Britanniques Colin Davis et John Eliot Gardiner, les Américains Leonard Bernstein et John Nelson, ou le Suisse Charles Dutoit, pour ne citer qu'eux, et sachant que d'autres chefs pionniers avaient ouvert la voie auparavant comme les Britanniques Adrian Boult et Thomas Beecham, ou le Français Charles Munch. La passion de Berlioz pour le théâtre de Shakespeare, explicite à travers plusieurs de ses compositions, aura vraisemblablement, entre autres causes, favorisé une bonne réception de son œuvre au Royaume-Uni et favorisé la notoriété de celle-ci au-delà du monde francophone.
De Berlioz, j'ai toujours aimé et j'aime surtout sa musique instrumentale, qui est principalement symphonique, mais il est aussi un compositeur majeur en matière de musique vocale, lyrique ou sacrée. J'apprécie aussi ses textes, car Berlioz ne fut pas seulement un compositeur génial : il était aussi un grand écrivain, même en ayant avant tout dédié sa vie à la musique. Je recommande la lecture de ses Mémoires, publiés de façon posthume en 1870 (à partir d'une édition à compte d'auteur dont Berlioz surveilla la réalisation en 1865). C'est un témoignage littéraire majeur du romantisme français, agréable à lire, et comme l'écrit Alban Ramaut en introduction de l'édition de l'ouvrage paru chez Symétrie, maison d'édition lyonnaise, en 2010 (rééditée en 2014) :
C'est parce que les Mémoires savent formuler une réponse à la fragilité humaine et à l'inspiration vibrante qu'ils demeurent, au-delà de leur ton aisé, un texte encore aujourd'hui captivant. [...] Le texte suscite l'attachement, car il parle de l'homme à l'homme avec une acuité déroutante de saillies et de chutes, jusqu'à se faire déjà l'impression d'un refrain ou d'un chant intérieur, d'une voix murmurante et de cadences, mais il reste le texte parlé et écrit d'un autre projet, la musique.
Alban Ramaut, in Hector Berlioz, Mémoires : comprenant ses voyages en Italie, en Allemagne, en Russie et en Angleterre, Lyon, Symétrie, 2e éd. 2014, Introduction, p. 18-19.
Dans ses Mémoires, composés de pages dont la rédaction s'est étalée sur plus de trente ans, on trouve Berlioz tel qu'il fut : un esprit cultivé, une âme très sensible, nostalgique d'une enfance associée à une nature pastorale apaisante, rêveuse d'aventures, un homme au tempérament énergique et passionné, un prosateur lettré ayant le sens de l'humour comme du rythme, un créateur capable de réunir des écrits d'une grande variété mais unis par une très forte personnalité, une des plus remarquables du XIXe siècle. Il arrive parfois que Berlioz passe sous silence tel ou tel épisode intime de sa vie, ne mentionne pas tel ou tel détail, ou commette une erreur de date, mais globalement ses Mémoires me paraissent respirer la sincérité et rester proches des faits tels qu'ils ont eu lieu, contrairement à ce que certains commentateurs ont pu dire en allant parfois jusqu'à le traiter de mythomane.
En parcourant, il y a quelques jours – lors d'un de ces « moments perdus » devenus ces temps-ci plutôt rares –, quelques chapitres de ces Mémoires de Berlioz, je suis (re)tombé sur un passage, au chapitre LIX (p. 575 et suivantes de mon édition, mais le texte est aussi accessible en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Mémoires … Berlioz/59 ), où le compositeur évoque, en 1854, la mort de sa sœur aînée Anne-Marguerite, dite Nanci ou Nancy, et celle de sa première épouse, l'actrice irlandaise Henrietta Constance Smithson, dite Harriet ou Henriette Smithson, qui lui inspira sa Symphonie fantastique. Ses pages, écrites dans la douleur, ne sont pas sans rappeler nos débats actuels sur ce que l'on appelle la fin de vie et le droit à mourir dans la dignité. Berlioz exprime sans fard son scepticisme vis-à-vis de ce que l'on appelait alors et que l'on appelle encore parfois la volonté de Dieu : « Quels non-sens que ces questions de fatalité, de divinité, de libre arbitre, etc. ! ! c'est l'absurde infini ; l'entendement humain y tournoie et ne peut que s’y perdre. / En tout cas, la plus horrible chose de ce monde, pour nous, êtres vivants et sensibles, c’est la souffrance inexorable, ce sont les douleurs sans compensation possible arrivées à ce degré d’intensité [...]. » (p. 576)
Son scepticisme en matière de religion n'a pas empêché Berlioz d'assumer pleinement sa culture chrétienne catholique en créant des œuvres parmi les plus importantes et les plus belles en matière de musique sacrée occidentale : je pense en particulier à son monumental Requiem (ou Grande Messe des morts), composé en 1837, et à son tout aussi impressionnant Te Deum, composé en 1848-1849, puis révisé en 1852 et 1855. « La musique du Requiem est majoritairement solennelle et austère, voire ascétique. On y trouve peu d'échos des brillants coloris des ouvertures de Berlioz, peu de réminiscences de l'intimité de ses mélodies, mais une sévère écriture contrapuntique et un occasionnel parfum modal. C'est là l'œuvre non pas d'un croyant orthodoxe mais d'un visionnaire inspiré par les dramatiques implications de la mort et du jugement », ainsi que l'a écrit Hugh MacDonald (dans un texte figurant dans le livret du double album CD dont je donne les références ci-après). Le Requiem de Berlioz compte, à mes yeux, comme un des meilleurs du genre avec ceux de Mozart, Verdi, Fauré et Dvořák, parmi tous les Requiems du répertoire que j'ai pu écouter. Quant au Te Deum, que j'apprécie en particulier, il est majestueux à souhait sans pour autant nécessiter un effectif d'interprètes aussi important que le Requiem. C'est une œuvre singulière, à laquelle je ne pourrais guère comparer, à l'aune de mes modestes connaissances, que le Te Deum d'Anton Bruckner, composé une trentaine d'années plus tard et qui est nettement plus court. Berlioz fait usage de l'orgue comme un instrument dialoguant avec l'orchestre. Selon David Cairns (dans un texte figurant également dans le livret du même double album CD référencé infra), « on sent à travers tout le Te Deum l'expression toujours présente mais indéfinissable d'un passé immense qui remonte au Moyen Âge et avant, d'un passé immense “aussi vieux que la fatigue de l'homme” et c'est cela même qui met le Te Deum dans la lignée de la tradition occidentale de la musique liturgique. » Ma version de référence des deux œuvres est celle enregistrée en 1969-1970 par le London Symphony Orchestra (LSO) et son chœur sous la direction de Colin Davis, et éditée en double album CD chez Philips en 2001 (il existe d'autres éditions en CD, distinctes, des deux œuvres).
Hector Berlioz (1803-1869), Requiem (Grande Messe des Morts), op. 5 (H.75), Wandsworth School Boys Choir, London Symphony Chorus, Orchestre symphonique de Londres (London Symphony Orchestra), dir. Sir Colin Davis :
- IV. « Rex tremendae » :
https://www.youtube.com/watch?v=cV5gmnYj75Q
- VIII. « Hostias » :
https://www.youtube.com/watch?v=-RSSjmgU6_Q
Hector Berlioz, Te Deum, op. 22 (H.118), Nicolas Kynaston (orgue), Wandsworth School Boys Choir, London Symphony Chorus, Orchestre symphonique de Londres (London Symphony Orchestra), dir. Sir Colin Davis :
- I. « Te Deum » :
https://www.youtube.com/watch?v=6h4VSmO5lJ8
Cependant, comme je l'ai écrit, j'ai toujours aimé et j'aime surtout la musique instrumentale de Berlioz, appréciant aussi que les voix humaine viennent s'y mêler dans le contexte de certaines œuvres. Il faut donc en venir, sans plus tarder, au chef d'œuvre incontournable de Berlioz, sa géniale Symphonie fantastique (Op. 14), qu'il a composée à l'âge de vingt-sept ans et seulement six ans après la 9e symphonie de Beethoven. Cette œuvre est divisée en cinq mouvements désignés par des titres, lesquels correspondent à autant de scènes descriptives, caractéristiques de ce que l'on appelle la musique à programme, un genre musical dont Berlioz s'illustre dans le registre symphonique, transcendant l'héritage beethovenien et ouvrant la voie au poème symphonique que développeront particulièrement son ami Franz Liszt, et plus tard notamment Nikolaï Rimski-Korsakov et Richard Strauss. Précisons que si, lors de création de la Fantastique, le 5 décembre 1830, le public dans la salle du Conservatoire de Paris trouve un texte écrit par Berlioz à son attention, détaillant la dimension narrative de l'œuvre et présenté comme « indispensable à l'intelligence complète du plan dramatique de l'ouvrage », ce programme, qui a connu plusieurs versions (les deux principales datant de 1845 et 1855), sera le seul que le compositeur développera à ce point pour ses œuvres orchestrales, qu'il s'agisse de ses trois autres symphonies — dont Harold en Italie, symphonie avec alto principal que j'évoquerai plus loin — ou de ses sept ouvertures, les programmes de toutes ces œuvres apparaissant seulement dans leurs titres (ceux des mouvements, pour ce qui est des symphonies). Berlioz, qui à l'origine était très attaché à l'idée de ce programme détaillé, conviendra par la suite que les titres des mouvements peuvent être suffisants comme indications, « la symphonie (l'auteur l’espère) pouvant offrir en soi un intérêt musical indépendant de toute intention dramatique ». Rappelons cependant, succinctement, le sujet de l'œuvre tel que présenté dans la version de 1855 du programme accompagnant l'écoute de la Symphonie fantastique : « Un jeune musicien d'une sensibilité maladive et d'une imagination ardente, s'empoisonne avec de l'opium dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un lourd sommeil accompagné des plus étranges visions, pendant lequel ses sensations, ses sentiments, ses souvenirs se traduisent dans son cerveau malade en pensées et en images musicales. La femme aimée elle-même est devenue pour lui une mélodie et comme une idée fixe qu'il retrouve et qu'il entend partout. »
Henri Fantin-Latour (1836-1904).
« Symphonie Fantastique. Un Bal », lithographie.
Illustration originale hors texte (n°3) pour Hector Berlioz : sa vie et ses œuvres d'Adolphe Jullien (Paris, 1888).
Dès le soir de la création de la Fantastique à Paris, Franz Liszt, qui assistait au concert, manifesta auprès de Berlioz, selon les mots de ce dernier, « tout ce que l'enthousiasme a de plus énergique ». Ce fut le début entre eux deux d'une de ces grandes amitiés entre artistes comme en compte le XIXe siècle. Plus tard, Claude Debussy, qui fut loin d'être un fervent berliozien, écrivit en novembre 1912, après un concert de l'Orchestre Colonne où l'œuvre avait été jouée : « la Symphonie fantastique de Berlioz est toujours ce fiévreux chef d'œuvre d'ardeur romantique, où l'on s'étonne que la musique puisse traduire des situations aussi excessives sans s'essouffler. C'est d'ailleurs émouvant comme une lutte d'éléments ».
Si j'en crois les billets d'entrée que j'ai pu garder dans mes archives au fil des ans et que j'ai pu retrouver ces temps-ci en faisant des cartons, la Symphonie fantastique de Berlioz est sans doute une des grandes œuvres du répertoire de la musique dite classique que j'ai eu le plus l'occasion d'écouter en concert. La première fois, c'était il y a vingt ans, le 30 mars 2004 à l'Amphithéâtre de Rodez, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse (ONCT) encore dirigé alors par Michel Plasson (démissionnaire de la direction de l'orchestre en 2003 après 35 ans de service à ce poste, il dirigeait toutefois encore alors quelques concerts en région, en dehors de Toulouse, en attendant un successeur définitif), et avec la Symphonie n°1 en ut majeur de Bizet en première partie du concert (Plasson ayant toujours eu à cœur de promouvoir les compositeurs français). La deuxième fois, ce fut le 16 mars 2006, à la Halle aux Grains à Toulouse, avec cette fois, l'ONCT dirigé par Tugan Sokhiev, qui avait été nommé l'année précédente pour succéder à Plasson, et avec en première partie le Concerto pour violon et orchestre n°2 (Op. 64) de Mendelssohn (avec Renaud Capuçon en soliste). La troisième fois, ce fut plus récemment, le 4 décembre 2021, lors d'un concert 100 % Berlioz (appelé « Révolution Berlioz »), toujours à la Halle aux Grains, toujours avec l'ONCT dirigé par Sokhiev, mais avec la particularité que la Symphonie fantastique fut jouée cette fois-là avec sa suite, ce qui se fait rarement : j'y reviendrai plus loin.
En matière de discographie, Christian Wasselin notait il y a plus de trente ans – dans son excellent ouvrage Hector Berlioz : les deux ailes de l'âme (Gallimard, 1989) –, que la Symphonie fantastique avait alors déjà été enregistrée plus de cent fois depuis l'invention du disque. Je ne saurai dire à combien d'enregistrements nous en sommes désormais. Difficile de choisir en tout cas, à cette aune, une version en particulier (j'en ai plusieurs dans ma collection), mais s'il me faut désigner un enregistrement de référence, ce sera la version de Charles Munch dirigeant l'Orchestre symphonique de Boston en novembre 1954, rééditée en SACD sous le label RCA Red Seal (chez Sony Music) en 2006 (et en CD en 2012) avec un extrait de la symphonie dramatique Roméo et Juliette, Op. 17 (Scène d'amour), enregistré en avril 1961. J'aime l'ensemble de la Symphonie fantastique et sa merveilleuse orchestration, avec toutefois une préférence particulière pour le premier mouvement « Rêveries, Passions » et surtout pour le deuxième, « Un bal ».
Hector Berlioz, Symphonie fantastique, Op. 14, H.48 (« Première partie de l'Épisode de la vie d'un artiste »), Boston Symphony Orchestra, dir. Charles Munch (enregistrement de 1954) :
- I. Rêveries, Passions (Allegro agitato e appassionato assai) :
https://www.youtube.com/watch?v=beIAHcoToKY
- II. Un bal (Allegro non troppo) :
https://www.youtube.com/watch?v=FdDrRjnLTgw
- III. Scène aux champs (Adagio) :
https://www.youtube.com/watch?v=OqRwdorijOE
- IV. Marche au supplice (Allegretto non troppo) :
https://www.youtube.com/watch?v=Tyrw6BSMIQY
- V. Songe d'une nuit de sabbat (Larghetto – Allegro) :
https://www.youtube.com/watch?v=4H0-V8x-KmI
Le manuscrit autographe de la Symphonie fantastique est consultable en ligne sur le site de Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b … r/f19.item
J'ai fait allusion à une suite de la Fantastique, d'une durée d'exécution égale, et constituant avec cette symphonie ce que le compositeur désigne comme étant « l'Épisode de la vie d'un artiste », d'inspiration très personnelle : il s'agit du monodrame lyrique Lélio ou le Retour à la vie (Op. 14b), œuvre semi-théâtrale mêlant musique, chant et texte parlé, en six parties pour récitant, ténor(s), baryton, chœur mixte (soprani, tenori et bassi), piano et orchestre.
Le 21 février 1855, à Weimar où il bénéficie du soutien de son ami Franz Liszt (alors Kapellmeister de cette ville allemande de Thuringe, où le pianiste et compositeur hongrois organise quantité de concerts et représentations d'opéras), Berlioz dirige une exécution de la Symphonie fantastique suivie d'une version modifiée d'une autre composition, conçue comme la fin et le complément de la Fantastique : le « mélologue » (selon un terme emprunté au poète irlandais Thomas Moore) pour orchestre et chœurs le Retour à la vie, composé en 1831 lorsque Berlioz était à la Villa Médicis après avoir gagné le prestigieux Prix de Rome, et rebaptisé Lélio ou le Retour à la vie dans cette forme révisée pour ce concert à Weimar et qui sera ainsi publiée ensuite. À l'égarement de l'esprit et des sens aux portes de la mort qu'évoque la Fantastique, succède avec Lélio un retour parmi les vivants, le héros, nommé Lélio, se relevant de sa nuit hallucinée et exprimant librement, comme alter ego de Berlioz, des réflexions sur la vie, l'amour, l'amitié, Shakespeare et la passion créative de l'artiste, tandis que réapparait par moments la mélodie-idée fixe entendue dans la Fantastique : « La mort ne veut pas de moi... je me suis jeté dans ses bras, elle m'en repousse avec indifférence. Vivons donc, et que l'art sublime auquel je dois les rares éclairs de bonheur qui ont brillé sur ma sombre existence, me console et me guide dans le triste désert qui me reste à parcourir ! »
Dans le Guide de la musique symphonique (Fayard, 1986) qu'il a dirigé, François-René Tranchefort écrit, à propos de Lélio (p. 91) : « Rarement donné au concert, cet étrange habit d'Arlequin musical qu'est Lelio — « partition invraisemblable, véritable happening futuriste » ([selon] Claude Ballif) — reste une œuvre hors de toute convention. Le ressort dramatique en est malheureusement inconsistant, et l'intérêt musical trop dispersé : Lelio ne s'impose à l'attention que de l'amateur de « curiosités ». » Je ne suis pas d'accord avec Tranchefort concernant l'inconsistance qu'aurait le ressort dramatique : celui-ci me parait au contraire consistant grâce à la personnalité du créateur et à la part d'inspiration autobiographique, déjà présente dans la Fantastique, qui unifie un ensemble de pièces en apparence disparate pour ce Lélio, seconde partie de « l'Épisode de la vie d’un artiste » comme on l'a dit. La dimension narrative de l'œuvre est indispensable à sa compréhension et à son appréciation. Pendant longtemps, je n'ai connu Lélio qu'à travers un enregistrement de 1982 édité chez Philips — inclus dans le riche coffret berliozien de 6 CDs “Complete Orchestral Works” paru en 1997 —, par le LSO avec le John Alldis Choir, sous la direction de Colin Davis, enregistrement qui ne comporte pas de narration, mais seulement les pièces musicales, ce qui n'aidait clairement pas à la compréhension de l'ensemble, même si les pièces sont bien jouées et toutes intéressantes...
Et puis j'ai assisté à ce concert berliozien du 4 décembre 2021 à la Halle aux Grains, concert dont j'ai parlé plus haut, avec une programmation proposant la Symphonie fantastique et Lélio, ou le Retour à la vie, soit l'intégralité de « l'Épisode de la vie d'un artiste » — véritable manifeste du romantisme musical —, et avec comme interprètes l'ONCT dirigé par Tugan Sokhiev, le chœur mixte basque Orfeón Donostiarra dirigé par José Antonio Sainz Alfaro, le ténor Mathias Vidal, le baryton basse Vincent Le Texier... et Lambert Wilson en récitant. Il y a quelques mois, vers la fin de l'automne dernier, j'ai trouvé en ligne une photographie prise durant ce concert, et parmi le public, à l'arrière-plan, j'ai eu la surprise de reconnaître, même masquée, une figure que j'ai l'habitude de voir tous les jours dans la glace : un peu au dessus et à gauche du visage de Wilson, comme planant plus ou moins devant ledit visage du comédien, ce spectateur assis avec ce crâne au front dégarni, ces sourcils, ces oreilles... j'ai vérifié l'emplacement dans la salle de concert indiqué sur mon billet d'entrée, que j'ai conservé... 1re galerie E, place B-15... pas de doute, cela correspond bien à la place où j'étais assis ce soir-là. Voila au moins une preuve visuelle que je n'affabule pas en disant que j'y étais ! ^^'
(photo : Romain Alcaraz ; 4 décembre 2021 [Halle aux Grains, Toulouse])
Ce fut une magnifique concert, qui me permit, dans sa deuxième partie, de découvrir enfin Lélio dans toute sa dimension narrative. Lambert Wilson, comme je l'ai déjà écrit précédemment, est excellent en récitant. Les autres interprètes furent aussi brillants. Tous, après ce concert à Toulouse, se produisirent également le surlendemain, avec le même programme berliozien, à la Philharmonie de Paris, le concert parisien ayant été diffusé sur Radio Classique, ce que je n'ai appris que bien plus tard. La radio publique France Musique propose les concerts qu'elle diffuse à la réécoute en ligne au moins durant un certain temps, mais ce n'est pas le cas de la radio privée Radio Classique en dehors des rediffusions éventuellement prévues dans leur grille de programme. Faute d'enregistrement facilement accessible, j'avais un temps fini par me résigner à ce que tout cela ne soit qu'un souvenir qui s'estompe peu à peu... jusqu'à ce que je m'aperçoive que Lambert Wilson avait déjà enregistré au disque une interprétation de Lélio, les 17 et 18 octobre 1996 avec l'Orchestre Symphonique de Montréal dirigé par Charles Dutoit, cette version ayant été éditée en CD chez Decca en 2001 — dans un album double CD berliozien contenant aussi un enregistrement de la Symphonie fantastique et de Tristia (Op. 18). Lambert Wilson en récitant est le seul point commun entre la version avec Dutoit et celle avec Sokhiev, mais c'est là un élément essentiel pour entretenir le souvenir : même si Wilson n'avait évidemment pas le même âge, ni forcément exactement la même façon d'interpréter le rôle d'une version à l'autre, sa voix et sa diction n'ont, elles, pratiquement pas changées de mon point de vue, ce que j'ai encore pu vérifier en janvier dernier en écoutant Wilson à nouveau en récitant, sur France Musique, lors d'un concert dédié à Péter Eötvös dont j'ai parlé précédemment.
En ce qui concerne le monodrame lyrique lui-même, à force de l'avoir réécouté ces derniers temps, au volant sur la route ou encore maintenant, à domicile, à l'heure où j'écris, il m'est devenu particulièrement familier. Mais je me souviens encore du plaisir de la découverte, en concert, de l'œuvre avec sa narration et en ayant une partie du contenu du livret original sous les yeux. Outre la musique, Berlioz a écrit la totalité des textes de Lélio, à l'exception de celui du Pêcheur, ballade librement adaptée en français par son ami Albert Du Boys (1804-1889) de celle de Goethe intitulée Der Fischer. Cette ballade mise en musique pour ténor et piano par Berlioz, en concert m'avait fait aussitôt penser à un tableau exposé à Paris au Salon de 1839, vu lors d'une visite au musée des Beaux-Arts de Carcassonne : Le pêcheur et la nymphe, par le peintre français d'origine allemande Henri Lehmann, un des meilleurs élèves du maître Ingres, connu pour son célèbre portrait de Franz Liszt conservé au musée Carnavalet. C'est Liszt, du reste, qui jouait au piano pour accompagner cette ballade lors du concert de Berlioz à Weimar en février 1855.
Henri Lehmann (1814-1882).
Le pêcheur et la nymphe, 1836.
Huile sur toile, 202,5 x 197 cm.
Carcassonne, musée des Beaux-Arts.
L'onde frémit, l'onde s'agite;
Au bord est un jeune pêcheur.
De ce beau lac le charme excite
Dans l'âme une molle langueur.
À peine il voit, à peine il guide
Sa ligne errante sur les flots.
Tout à coup sur le lac limpide
S'élève la nymphe des eaux.
[...]
Elle disait d'une voix tendre,
D'une voix tendre elle chantait;
Sans le vouloir, sans se défendre,
Il suit la nymphe, il disparaît.
Le Pêcheur (ballade imitée de Goethe), texte d'Albert Du Boys mis en musique par Hector Berlioz et intégré par ce dernier à son monodrame lyrique Lélio, ou le Retour à la vie, Op. 14b, H.55.
Il m'est arrivé bien des fois, ces derniers temps, de chanter cette ballade en voiture, pour rester éveillé en conduisant la nuit, et bien que ma voix, supposée être de basse profonde selon ce que m'avait dit un de mes anciens professeurs de musique, soit loin d'égaler celle d'un ténor...
La conclusion de la ballade, au ton légèrement insouciant dans l'expression pianistique, ainsi que le thème de la femme surnaturelle qui attire dans l'eau une proie masculine m'avait fait aussi penser à Goldberry, certes tireuse de barbe plutôt que chanteuse...
L'un des passages les plus savoureux de la narration de Lélio est, à mes yeux, celui situé entre le « Chœur d'Ombres » et la « Chanson de Brigands », quand le personnage de Lélio, qui est (on l'aura compris) le narrateur joué par la récitant, déclare ce qui suit :
LÉLIO (assis sur un lit de repos, tenant un livre à la main)
Ô Shakespeare ! Shakespeare ! toi dont les premières années passèrent inaperçues, dont l'histoire est presque aussi incertaine que celle d'Ossian et d'Homère, quelles traces éblouissantes a laissées ton génie ! Et pourtant que tu es peu compris ! De grands peuples t'adorent, il est vrai ; mais tant d'autres te blasphèment ! Sans te connaître, sur la foi d'écrivains sans âme, qui ont pillé tes trésors en te dénigrant, on osait naguère encore dans la moitié de l'Europe t'accuser de barbarie !...
Mais les plus cruels ennemis du génie ne sont pas ceux auxquels la nature a refusé le sentiment du vrai et du beau ; pour ceux-là même, avec le temps, la lumière se fait quelquefois ! Non, ce sont ces tristes habitants du temple de la routine, prêtres fanatiques, qui sacrifieraient à leur stupide déesse les plus sublimes idées neuves, s'il leur était donné d'en avoir jamais ; ces jeunes théoriciens de quatre-vingts ans, vivant au milieu d'un océan de préjugés et persuadés que le monde finit avec les rivages de leur île ; ces vieux libertins de tout âge qui ordonnent à la musique de les caresser, de les divertir, n'admettant point que la chaste muse puisse avoir une plus noble mission ; et surtout ces profanateurs qui osent porter la main sur les ouvrages originaux, leur font subir d'horribles mutilations qu'ils appellent Corrections et perfectionnements, pour lesquels, disent-ils, il faut beaucoup de goût. Malédiction sur eux ! ils font à l'art un ridicule outrage ! Tels sont ces vulgaires oiseaux qui peuplent nos jardins publics, se perchent avec arrogance sur les plus belles statues, et, quand ils ont sali le front de Jupiter, le bras d'Hercule ou le sein de Vénus, se pavanent fiers et satisfaits comme s'ils venaient de pondre un œuf d'or.
(Il se lève, et frappe la table avec son livre en l'y déposant.)
Oh ! une pareille société, pour un artiste, est pire que l'enfer !
(Avec une exaltation sombre et toujours croissante.)
J'ai envie d’aller dans le Royaume de Naples ou dans la Calabre demander du service à quelque chef de Bravi, dussé-je n’être que simple brigand... J'y ai souvent songé... Oui ! de poétiques superstitions, une madone protectrice, de riches dépouilles amoncelées dans les cavernes, des femmes échevelées, palpitantes d'effroi, un concert de cris d'horreur accompagné d'un orchestre de carabines, sabres et poignards, du sang et du lacryma-christi, un lit de lave bercé par les tremblements de terre, allons donc, voilà la vie !...
Hector Berlioz, Lélio, ou le Retour à la vie, Op. 14b, H.55, narration de Lélio entre le « Chœur d'Ombres » et la « Chanson de Brigands ».
Le passage de la citation que j'ai mis en évidence en caractères gras est la « tirade des arrangeurs et correcteurs », comme l'appelle lui même Berlioz dans sa correspondance, tirade qui vise en particulier, entre autres, François-Joseph Fétis (1784-1871) qui s'était permis de « corriger » les partitions des symphonies de Beethoven pour les rendre conforme à sa propre théorie en matière d'harmonie, et Henri Castil-Blaze (1784-1857), qui avait « arrangé » des œuvres lyriques d'autres compositeurs, le Freischütz de Weber et la Flûte enchantée de Mozart, en pensant qu'elles rencontreraient ainsi davantage de succès à l'Opéra – en flattant un public parisien ayant peu d'exigence et enclin à la futilité – et qu'il en tirerait lui-même profit. Mais pour ma part, quand j'ai entendu Lambert Wilson prononcer cette tirade lors du concert, en évoquant « ces vulgaires oiseaux [...] fiers et satisfaits », je n'ai pas pu m'empêcher de sourire sous le masque en pensant spontanément à un certain Lyon Sprague de Camp s'étant permis, dans la seconde moitié du XXe siècle, de « mettre au point » et « compléter » un certain nombre de récits littéraires d'un certain Robert E. Howard, avec condescendance d'un point de vue créatif et volonté d'en profiter financièrement...
Hector Berlioz, Lélio, ou le Retour à la vie, Op. 14b, H.55 (« Deuxième partie de l'Épisode de la vie d'un artiste »), Lambert Wilson (narrateur), Rolf Bertsch (piano), Richard Clement (ténor), Chœur de l'Orchestre Symphonique de Montréal, Philippe Rouillon (baryton), Gordon Gietz (ténor), Jennifer Schwartz (harpe), Orchestre Symphonique de Montréal, dir. Charles Dutoit :
[1 -] Narration (« Dieu ! je vis encore... ») :
https://www.youtube.com/watch?v=-8a-VZhEXGI
[2 -] I. Le Pêcheur (ballade imitée de Goethe) :
https://www.youtube.com/watch?v=Fxx8GNG2jTA
[3 -] Narration (« Étrange persistance d'un souvenir... ») :
https://www.youtube.com/watch?v=ZTMZd95kasE
[4 -] II. Chœur d'Ombres (ou « Chœur d'Ombres irritées ») :
https://www.youtube.com/watch?v=1q8ZrXMoK4c
[5 -] Narration (« Ô Shakespeare ! Shakespeare... ») :
https://www.youtube.com/watch?v=SoS5XQOaQT0
[6 -] III. Chanson de Brigands (ou « Scène de Brigands ») :
https://www.youtube.com/watch?v=GN_LQB1KQNc
[7 -] Narration (« Comme mon esprit flotte incertain... ») :
https://www.youtube.com/watch?v=drd6mAhRpUs
[8 -] IV. Chant De Bonheur - Hymne :
https://www.youtube.com/watch?v=DEqjbhMWiyE
[9 -] Narration (« Oh ! que ne puis-je la trouver, cette Juliette, cette Ophélie, que mon cœur appelle... ») :
https://www.youtube.com/watch?v=B1bWcbC3d5E
[10 -] V. La Harpe Éolienne - Souvenirs (ou « Les derniers Soupirs de la Harpe / Souvenirs ») :
https://www.youtube.com/watch?v=Yj3YEnkFwpI
[11 -] Narration (« Mais pourquoi m'abandonner à ces dangereuses illusions ? ») :
https://www.youtube.com/watch?v=CpWbBPAHywE
[12 -] VI. Fantaisie sur « La Tempête » de Shakespeare :
https://www.youtube.com/watch?v=99AmlOlkZsg
[13 -] Narration (« Assez pour aujourd'hui... ») et Coda :
https://www.youtube.com/watch?v=ZhCAs4KQlQk
Le manuscrit autographe des cinq premières pièces de Lélio est consultable sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b … 0c/f3.item
(À noter qu'une grande tâche rouge sang apparait sur la partition ouvrant la « Scène de Brigands » [p. 22 / f.24 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b … c/f24.item ])
Le contenu du livret de Lélio, dans sa version de 1855, est consultable sur le site de référence “The Hector Berlioz Website” : http://www.hberlioz.com/Libretti/Lelio.htm
Henri Fantin-Latour (1836-1904).
« Lélio. La Harpe éolienne », lithographie.
Illustration originale hors texte (n°4) pour Hector Berlioz : sa vie et ses œuvres d'Adolphe Jullien (Paris, 1888).
Ce message étant déjà trop long, je terminerai en évoquant très succinctement deux autres références symphoniques que j'aime également beaucoup parmi les œuvres de Berlioz : Harold en Italie, Op. 16, symphonie avec alto principal (l'alto, pour mémoire, est cet instrument à cordes que l'on appelle “viola” en anglais et en italien) composée en 1834, et la Marche hongroise extraite de l'œuvre lyrique La Damnation de Faust, Op. 24, créé en 1846.
En décembre 1838, Berlioz dirigea la Symphonie fantastique et Harold en Italie lors d'un concert parisien au Conservatoire auquel assista Niccolò Paganini, le génial violoniste qui avait été précisément à l'initiative de la composition d'Harold en Italie quelques années plus tôt. Paganini connaissait déjà la Fantastique, pour l'avoir entendu, avec sa suite le Retour à la vie (première version de Lélio), lors d'un précédent concert en décembre 1832 à la suite duquel il avait vivement félicité Berlioz. En découvrant cette fois-ci Harold en Italie – cette symphonie avec alto principal qui n'est pas un concerto pour alto, tant l'instrument de l'altiste semble commenter de façon autonome le propos de l'orchestre, avec lequel il évolue cependant harmonieusement –, Paganini fut si impressionné qu'il monta sur la scène, s'agenouilla devant Berlioz et lui baisa la main, avant d'envoyer son fils, le surlendemain, remettre à Berlioz une lettre, accompagnée de la somme de vingt mille francs et au début de laquelle on peut lire (en italien) : « Beethoven spento non c’era che Berlioz che potesse farlo rivivere » (« Beethoven mort, il n'y avait que Berlioz qui pût le faire revivre »). Grâce à l'argent donnée par Paganini, Berlioz, qui devait pratiquer le journalisme pour survivre avec son épouse Harriet et son fils, eut les moyens d'avoir du temps libre pour travailler à la composition de sa symphonie suivante, Roméo et Juliette. Berlioz raconte tout cela dans ses Mémoires...
Je connais plusieurs versions au disque de la symphonie Harold en Italie, mais celle que j'écoute le plus souvent, ces temps-ci, est sans doute celle faisant partie du coffret de chez Philips “Berlioz: Complete Orchestral Works” paru en 1997 déjà évoqué plus haut : il s'agit d'un enregistrement réalisé en mai 1975 par le LSO dirigé par Colin Davis avec l'altiste japonaise Nobuko Imai.
Hector Berlioz, Harold en Italie (Symphonie en quatre parties avec alto principal), Op. 16 (H.68), Nobuko Imai (alto), London Symphony Orchestra, dir. Sir Colin Davis :
I. Harold aux montagnes : scènes de mélancolie, de bonheur et de joie (Adagio - Allegro) :
> Adagio : https://www.youtube.com/watch?v=7-FpRSmHW4s
> Allegro : https://www.youtube.com/watch?v=Qi1_27bXFQQ
II. Marche des pèlerins chantant la prière du soir (Allegretto) :
https://www.youtube.com/watch?v=y2vsaUYHy0Q
III. Sérénade d'un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse (Allegro assai - Allegretto) :
https://www.youtube.com/watch?v=vKnT4a1eCvM
IV. Orgie de brigands. Souvenirs des scènes précédentes (Allegro frenetico - Adagio - Allegro, Tempo I) :
https://www.youtube.com/watch?v=QEmHUCFqRmY
Le manuscrit autographe d'Harold en Italie est également consultable sur Gallica : : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550065087
Et enfin, quoi de mieux pour conclure que la célèbre Marche hongroise (ou Marche de Rákóczy), extrait symphonique de La Damnation de Faust (Première partie, scène III) ? Selon Gérard Condé (in L'Avant-scène Opéra n°22, 1995, consacré à La Damnation de Faust, p. 16-18), « le thème « très ancien, d'un auteur inconnu », en avait été fourni à Berlioz non pas (ou non seulement) comme il l'écrivit dans ses Mémoires par un amateur viennois, mais par Liszt qui en connaissait le pouvoir sur les Hongrois et l'a d'ailleurs orchestré de son côté. Berlioz l'a développé pour en faire une véritable composition à quatre volets. » La meilleure version au disque que je connaisse de cette Marche, une des compositions de Berlioz les plus connues et appréciées, est celle de l'Orchestre royal du Concertgebouw dirigé par Antal Doráti en septembre 1959, version diversement rééditée en CD chez Decca.
Hector Berlioz, La Damnation de Faust, Op. 24 (H.111) - Première partie, scène III : Marche hongroise (ou Marche de Rákóczy), Orchestre royal du Concertgebouw (Koninklijk Concertgebouworkest Amsterdam), dir. Antal Doráti :
https://www.youtube.com/watch?v=zBB2O0j_QDA
Amicalement,
B.
[EDIT: corrections diverses et mise à jour de l'iconographie.]
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Après mon « condensé » sur Hector Berlioz, je reviens succinctement sur Jean Sibelius, pour signaler que l'intégrale des sept symphonies du compositeur finlandais, ainsi que son Concerto pour violon (avec Hilary Hahn en soliste) ont été jouées par l'Orchestre Philharmonique de Radio France (dirigé par le chef finlandais Mikko Franck) la semaine dernière, lors de trois concerts en soirée les 10, 11 et 12 avril, concerts diffusées en direct sur France Musique et disponibles à la réécoute sur le site de la radio (parfois jusqu'au 10 mai prochain, parfois sans limite de durée, selon les épisodes de la série d'enregistrements) :
https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … n-sibelius
Parmi toutes les symphonies de Sibelius, j'ai un faible, entre autres, pour la troisième, composée entre 1904 et 1907. Ma version de référence au disque est celle du LSO dirigée par Colin Davis, enregistrée en octobre 2003 et éditée en 2004 sous le label LSO Live (il y a évidemment d'autres versions).
Jean Sibelius (1865-1957), Symphonie n° 3 en ut majeur, op. 52, II. Andantino con moto, quasi allegretto, Orchestre Symphonique de Londres (London Symphony Orchestra), dir. Sir Colin Davis :
- https://www.youtube.com/watch?v=wvPGDUGh_p8
Et de la Finlande repassons rapidement en Espagne, dans le sillage d'Elendil :
...je vous invite à passer temporairement de l'autre côté des Pyrénées, car si je connais raisonnablement bien la musique française d'inspiration espagnole, celle de Lalo, de Bizet ou de Ravel (liste non exhaustive), j'avoue que j'ai longtemps été assez ignorant de la musique proprement espagnole. Toutefois, ayant eu la chance d'en écouter une jolie sélection à la radio à l'époque où je me rendais régulièrement en Espagne pour le travail, je me suis au moins familiarisé avec les principaux compositeurs ibériques, à commencer par Isaac Albéniz (1860-1909) et Enrique Granados (1867-1916). [...]
Merci, Elendil, pour ton partage concernant les œuvres des compositeurs espagnols, auxquelles je m'étais intéressé il y a de nombreuses années, sans toutefois beaucoup approfondir, et qu'en tout cas je n'avais pas beaucoup réécoutées depuis longtemps, ce que j'ai fait dernièrement après t'avoir lu, même si je n'ai actuellement que très peu de disques s'y rapportant : par exemple un enregistrement par Alicia de Larrocha des trois premiers livres (sur quatre, soit les neuf premières pièces pour piano sur douze) de la suite Iberia d'Isaac Albéniz, édité en 1992 sous le label Aurophon (Sony Music) avec un minutage des plages du CD qui diffère de celui de l'édition de l'intégrale de la suite, paru en 1996 chez Decca, à laquelle tu fais référence, ce qui semble indiquer qu'il est question de deux sessions d'enregistrement différentes de la même pianiste (ce qui n'est pas surprenant : Alicia de Larrocha a dû jouer ces pièces je-ne-sais combien de fois durant sa carrière). Si possible dans quelque temps, il faudra en tout cas que j'essaie de mettre ma discographie (collection de disques) à jour de ce côté-là...
Mais puisque tu as déjà bien parlé d'Albéniz et de Granados, je peux au moins compléter le tableau en évoquant Manuel de Falla (1876-1946).
J'ai assisté à La Halle aux Grains, le 26 février 2022, à un concert symphonique intitulé « Andalousie, Andalousie... », avec l'ONCT dirigé ce soir-là par Thomas Guggeis. J'avais surtout été attiré par la programmation, au début du concert, du merveilleux Prélude à l'après-midi d'un faune, une de mes œuvres préférées de Claude Debussy, mais ce fut aussi l'occasion d'écouter Khatoun Wahidoun, Concerto pour piano et orchestre de Benjamin Attahir en création mondiale (avec le pianiste Bertrand Chamayou en soliste), et ensuite donc des œuvres plus directement en rapport avec l'Espagne : Ibéria (deuxième partie des Images pour orchestre) de Debussy et la Suite pour orchestre n°2 tirée du ballet Le Tricorne (El sombrero de tres picos) de Manuel de Falla.
C'est toutefois d'une autre œuvre majeure de Falla, également une musique de ballet, que je suis le plus familier, du moins dans sa version pour orchestre symphonique avec mezzo-soprano, créé sous cette forme en 1916 et définitivement révisée en 1925 : L'Amour sorcier (El amor brujo). Ma version de référence est celle enregistrée avec la mezzo-soprano Nati Mistral et le New Philharmonia Orchestra (britannique) dirigé par le chef espagnol d'ascendance allemande Rafael Frühbeck De Burgos : cette version a été éditée sur support vinyle en 1967 et plusieurs fois rééditée en CD depuis (chez Decca), notamment en 2002 dans la collection « Les 100 Classiques » (une collection proposée par Universal Music à partir des catalogues de Decca, Deutsche Grammophon, Philips Classics...) avec en sus des pièces de Granados (l'« Intermezzo » pour orchestre extrait de son opéra Goyescas, composé après la suite pour piano du même nom) et d'Albéniz (la Suite española dans une version orchestrée par Frühbeck De Burgos). Concernant L'Amour sorcier, rappelons l'argument (en citant Marcel Clément d'après le livret de mon édition) : « ... la gitane Candelas est poursuivie par le spectre d'un amant défunt jaloux et infidèle, qui l'empêche de répondre à la flamme d'un autre jeune gitan, Carmelo. À chaque fois que les deux jeunes gens se rencontrent, le spectre apparaît et danse autour d'eux. Après un essai infructueux de purification magique par le feu avec l'aide de trois gitanes, Candelas persuade l'une de ses amies, Lucia, d'accepter la cour du spectre pour détourner son attention, ce qui permettra aux deux amants d'échanger le baiser qui rompra définitivement le sortilège. »
Ambiance espagnole garantie (quelques extraits) :
Manuel de Falla (1876-1946), L'Amour sorcier (El amor brujo), version pour orchestre symphonique avec mezzo-soprano, Nati Mistral (mezzo-soprano), New Philharmonia Orchestra, dir. Rafael Frühbeck De Burgos :
- [1.] Introducción y escena... En la cueva : https://www.youtube.com/watch?v=n_9bmJ7k79w
- [2.] Canción del amor dolido : https://www.youtube.com/watch?v=9IteQaWMuT4
- [5.] Danza ritual del fuego : https://www.youtube.com/watch?v=5V0MexWroIg
Amicalement,
B.
[EDIT: Correction de fautes]
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Enfin ! A la lecture du message de vendredi, je comprends pourquoi la rédaction de celui-ci a pris tant de temps à Hyarion. De ce fait, j'aurais assez peu de choses à rajouter à propos de Berlioz, car je me retrouve en très grande partie dans ce qu'il en dit.
Sur le chemin qui mène des rives du Guadalquivir à celles de la Seine, je m'attarderai toutefois un instant au bord de la mer des Baléares, comme Hyarion semble lui-même m'y inviter. Je souhaite en effet évoquer brièvement une figure plus récente, celle de Joaquín Rodrigo (1901-1999), devenu aveugle à l'âge de trois ans des suites d'une épidémie de diphtérie, ce qui ne l'empêcha pas de devenir l'un des compositeurs espagnols les plus célèbres du XXe siècle. Son chef d'œuvre est incontestablement le Concerto d'Aranjuez pour guitare et orchestre (1939). On le retrouve notamment dans un disque Erato avec le soliste Turibio Santos, accompagné par l'Orchestre national de l'Opéra de Monte-Carlo, dirigé par Claudio Scimone, où il précède une autre pièce orchestrale majeure de Rodrigo, la Fantaisie pour un gentilhomme (1954). Viennent en complément la Tonadilla pour deux guitares (1959), avec Oscar Cáceres comme second guitariste, ainsi que deux morceaux pour guitare seule, « Zapateado » et « Fandango », tirés de Tres piezas españolas (1954).
Si le Concerto est magnifique de virtuosité, je pense préférer encore la Fantaisie, plus méditative et poétique. L'un comme l'autre font partie des chefs d'œuvre de la musique classique écrite pour guitare ; il faut sans doute remonter à l'époque baroque pour trouver des pièces d'un intérêt équivalent (hors transcriptions, dont certaines sont effectivement superbes). Les pièces pour une ou deux guitares méritent elles aussi qu'on s'y arrête et incitent à découvrir des pans supplémentaires de l'œuvre de Rodrigo.
Une fois de retour sur le sol français, il me semble adéquat de parler en premier lieu l'un des professeurs de Rodrigo : Paul Dukas (1865-1935), qui n'a semble-t-il pas été mentionné jusqu'à présent. Celui-ci tient une place à part dans le répertoire français : perfectionniste en diable, il détruisit la plupart de ses œuvres et n'en publia qu'une poignée, ce qui explique pourquoi il est assez peu connu. Toutefois, il est fort probable que la plupart des lecteurs de ce forum connaissent au moins une de ses pièces, même si le nom de Dukas ne leur parle pas : il est en effet le compositeur du poème symphonique L'Apprenti sorcier, qui figure en très bonne place dans le génial (et controversé) Fantasia de Walt Disney. Outre ce morceau, les deux autres incontournables sont le « poème dansé » La Péri, que Dukas faisait précéder d'une courte fanfare, ainsi que sa Symphonie en ut. Il s'avère que le tout est réuni sur un CD de l'Orchestre national de France, sous la baguette de Leonard Slatkin (chez RCA Red Seal).
Si la fanfare précédant La Péri est sympathique, mais sans plus, je trouve que ce poème symphonique est d'une qualité guère inférieure à L'Apprenti sorcier. Il pourrait par moment évoquer l'Ouverture Les Hébrides (La Grotte de Fingal) de Mendelssohn, mais La Péri regarde aussi du côté d'un Orient fantasmagorique, ce qui n'est pas surprenant, puisqu'elle a pour thème la quête de la fleur d'immortalité par Iskender (nom persan d'Alexandre le Grand), laquelle se trouve en la possession d'une péri, génie féminin de la mythologie iranienne. Inutile, en revanche, de présenter L'Apprenti sorcier, me semble-t-il, si ce n'est pour dire tout le bien que je pense de cette interprétation, où se détachent avec une parfaite netteté tous les instruments de son orchestration chatoyante. Quant à la symphonie, plus que celle de Franck, plus que celle de Chausson, c'est un des très grands morceaux de musique symphonique française, à écouter absolument.
Pour revenir enfin à Berlioz (qui fut un des prédécesseurs de Dukas au fauteuil n° 4 de la section de composition musicale de l'Académie des beaux-arts), j'ai déjà dit ici que c'est l'un des compositeurs français que je préfère. J'avais donc déjà une collection assez bien remplie de ses œuvres (y compris l'enregistrement de la Symphonie fantastique par Munch en 1954, mentionné plus haut par Hyarion). Cependant, comme je n'ai rien d'un musicologue, je m'étais uniquement laissé guidé par mes goûts musicaux et par les recommandations que j'avais pu glaner ici ou là. Cela explique donc que j'ai été surpris par la mention de Lélio, ou Le Retour à la vie , ouvrage effectivement assez peu joué et dont j'ignorais complètement qu'il faisait suite à la Symphonie fantastique, bien qu'ils aient été composés à un an d'intervalle. Difficile pour moi d'ignorer cet appel, mais difficile aussi de trouver un enregistrement qui ne fasse pas doublon avec ceux que j'avais déjà. J'ai fini par me résoudre à prendre le double CD comprenant la Symphonie fantastique, Lélio et Tristia, interprétés par le Chœur et l'Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Charles Dutoit, celui-là même qu'a mentionné Hyarion.
La Symphonie fantastique est probablement la pièce qui figure le plus grand nombre de fois dans ma discothèque, souvent dans des gravures historiques des grands chefs du milieu du XXe siècle, ce qui témoigne de sa popularité jamais démentie. L'interprétation de Dutoit est plus lente que la majorité. Elle évoque plus l'implacabilité du destin que le tourbillon de visions enfiévrées qu'évoque le livret d'origine. En revanche, le son de cet enregistrement est d'une remarquable clarté, ce qui permet d'apprécier la subtilité de l'orchestration de Berlioz. J'ai particulièrement goûté la manière dont le motif de l'idée fixe est transformé dans le dernier mouvement pour lui donner un caractère grotesque et grinçant. Quant à Lélio , il s'agit assurément d'une œuvre inclassable, ce qui explique aussi bien l'incompréhension des critiques musicaux que la rareté de ses représentations. La narration est effectivement essentielle pour donner de l'unité à ses différentes facettes musicales et je trouve que dans cet enregistrement Lambert Wilson sait trouver le ton juste (au passage, j'apprécie tout autant que Hyarion la fameuse « tirade des arrangeurs et correcteurs », qui m'a notamment fait pensé à une représentation de Carmen créée il y a quelques années, où le metteur en scène Leo Muscato s'était permis de modifier la fin de l'opéra, ce qui donnait pour moi un résultat entièrement absurde). J'avoue rester partagé à propos de Lélio, mais c'est sans doute une des pièces qui en disent le plus long sur le caractère de leur compositeur.
Enfin, je ne connaissais pas non plus le triptyque pour chœur et orchestre Tristia, dont le titre est une allusion aux Tristes d'Ovide, mais que Berlioz associait à Hamlet. Le premier morceau, « Méditation religieuse », est une mise en musique d'une traduction d'un poème de l'Irlandais Thomas Moore (à ne pas confondre avec le théologien catholique saint Thomas More !), traduit par Louise Swanton Belloc (grand-mère de l'écrivain franco-britannique Hilaire Belloc, ce qui nous ramènerait en terre tolkienienne si nous suivions ce chemin ). Le deuxième, intitulé « La Mort d'Ophélie » est une ballade sur un poème d'Ernest Legouvé s'inspirant de Shakespeare, tandis que le troisième, parfois donné séparément, est la « Marche funèbre pour la dernière scène d'Hamlet ». Par son style, « La Mort d'Ophélie » m'a fait penser à certaines pièces des Nuits d'été (Op. 7), tandis que le troisième morceau n'est pas sans réminiscences de la Grande Symphonie funèbre et triomphale (Op. 15). Là encore, la variété des répertoires explorés illustre à merveille les différentes facettes d'un compositeur décidément inclassable.
E.
P.S. : La prochaine fois, je vous parlerai d'un autre titulaire du fauteuil n° 4, qui s'intercale entre Berlioz et Dukas : Gabriel Fauré.
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Merci à Elendil d'avoir évoqué Joaquín Rodrigo, et à travers lui le répertoire pour guitare au sein de la musique dite classique, répertoire souvent méconnu. C'est l'occasion de rappeler que Berlioz jouait de la guitare, quand la plupart de ses confrères compositeurs, en son temps, étaient pianistes.
Merci également d'avoir évoqué Paul Dukas, que j'avais seulement très brièvement mentionné précédemment.
Une fois de retour sur le sol français, il me semble adéquat de parler en premier lieu l'un des professeurs de Rodrigo : Paul Dukas (1865-1935), qui n'a semble-t-il pas été mentionné jusqu'à présent. Celui-ci tient une place à part dans le répertoire français : perfectionniste en diable, il détruisit la plupart de ses œuvres et n'en publia qu'une poignée, ce qui explique pourquoi il est assez peu connu. Toutefois, il est fort probable que la plupart des lecteurs de ce forum connaissent au moins une de ses pièces, même si le nom de Dukas ne leur parle pas : il est en effet le compositeur du poème symphonique L'Apprenti sorcier, qui figure en très bonne place dans le génial (et controversé) Fantasia de Walt Disney. Outre ce morceau, les deux autres incontournables sont le « poème dansé » La Péri, que Dukas faisait précéder d'une courte fanfare, ainsi que sa Symphonie en ut. Il s'avère que le tout est réuni sur un CD de l'Orchestre national de France, sous la baguette de Leonard Slatkin (chez RCA Red Seal).
Si la fanfare précédant La Péri est sympathique, mais sans plus, je trouve que ce poème symphonique est d'une qualité guère inférieure à L'Apprenti sorcier. Il pourrait par moment évoquer l'Ouverture Les Hébrides (La Grotte de Fingal) de Mendelssohn, mais La Péri regarde aussi du côté d'un Orient fantasmagorique, ce qui n'est pas surprenant, puisqu'elle a pour thème la quête de la fleur d'immortalité par Iskender (nom persan d'Alexandre le Grand), laquelle se trouve en la possession d'une péri, génie féminin de la mythologie iranienne. Inutile, en revanche, de présenter L'Apprenti sorcier, me semble-t-il, si ce n'est pour dire tout le bien que je pense de cette interprétation, où se détachent avec une parfaite netteté tous les instruments de son orchestration chatoyante. Quant à la symphonie, plus que celle de Franck, plus que celle de Chausson, c'est un des très grands morceaux de musique symphonique française, à écouter absolument.
Bien qu'ayant plus souvent écouté cette œuvre majeure qu'est L'Apprenti sorcier, j'apprécie tout autant les deux autres grandes compositions symphoniques de Dukas que sont la Symphonie en ut majeur (à écouter absolument, en effet) et surtout La Péri, ce « poème dansé » (ou ballet) qui est peut-être mon œuvre préférée de Dukas et qui me parait même être, par son raffinement, d'une qualité au moins égale sinon supérieure à L'Apprenti sorcier. La Fanfare pour précéder La Péri a été composée (en 1912) après la musique du « poème dansé » proprement dit (composé en 1909-1910), pour l'introduire avec éclat tandis que La Péri commence ensuite, par contraste, tout en douceur et délicatesse. Il y avait longtemps que je n'avais pas réécouté ces trois œuvres symphoniques, souvent réunis en CD, ce que j'ai finalement fait le week-end dernier suivant l'inspiration d'Elendil, ma version de référence au disque (parmi d'autres) étant celle du chef espagnol Jesús López-Cobos dirigeant le Cincinnati Symphony Orchestra, dans un enregistrement de 1999 plusieurs fois édité en CD et SACD chez Telarc.
Paul Dukas (1865-1935), La Péri, poème dansé, Orchestre symphonique de Cincinnati (Cincinnati Symphony Orchestra), dir. Jesús López-Cobos :
- I. Fanfare pour précéder La Péri : https://www.youtube.com/watch?v=TGy3ZW31prY
- II. La Péri : https://www.youtube.com/watch?v=_BxFQsGEvp0
L'évocation des œuvres symphoniques de Franck, Dukas et Chausson, m'a amené à réécouter, également le week-end dernier, quelques-unes de celles conçues par un autre compositeur français majeur de la deuxième moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui fut l'élève de César Franck : Vincent d'Indy (1851-1931), auteur notamment du poème symphonique Istar (Op. 42), composé en 1896, et d'inspiration orientaliste comme La Péri de Dukas, même si, de Dukas à D'Indy, on passe de la mythologie iranienne à la mythologie mésopotamienne, avec la déesse Ishtar (ou Inanna) telle qu'elle apparaît dans le mythe de la Descente d'Ishtar aux Enfers, ladite déesse, associée à l'amour et à la guerre, se dépouillant de ses attributs et parures lors de son parcours à travers les sept portes des Enfers, pour délivrer son amant, jusqu'à être toute nue pour pénétrer au « Pays immuable ». D'Indy, de manière un peu contre-intuitive sur le plan musical pour l'auditeur, commence sa composition par des variations sur un thème pour évoquer Istar parée, avant de révéler le thème lui-même joué par l'orchestre à l'unisson et correspondant à la déesse nue, le poème symphonique s'achevant par une évocation lumineuse des amants réunis. Cette œuvre a fait l'objet d'un enregistrement en 2015, réalisé avec le Royal Scottish National Orchestra dirigé par Jean-Luc Tingaud, et édité au disque chez Naxos, avec d'autres compositions remarquables de D'Indy : sa Symphonie n° 2 en si bémol majeur (Op. 57) qu'il dédia à Paul Dukas, son poème symphonique Souvenirs (Op. 62) et le prélude au premier acte de son opéra Fervaal (Op. 40) d'inspiration wagnérienne. Souvenirs, « poème pour orchestre » en la mineur composé en 1906, est dédié « à la mémoire de la bien-aimée », c'est-à-dire à l'épouse du compositeur, Isabelle de Pampelonne, décédée dans la nuit du 29 au 30 décembre 1905 : de fait, de vrais moments d'émotion se font sentir, à travers cette fresque musicale évoquant l'histoire d'amour de l'auteur avec la disparue...
Vincent d'Indy (1851-1931), Istar – Variations Symphoniques, op. 42, Orchestre national royal d'Écosse (Royal Scottish National Orchestra), dir. Jean-Luc Tingaud :
- https://www.youtube.com/watch?v=SThTSPSWYzE
Vincent d'Indy, Souvenirs – Poème Symphonique, op. 62, Orchestre national royal d'Écosse (Royal Scottish National Orchestra), dir. Jean-Luc Tingaud :
- https://www.youtube.com/watch?v=OixPXnKp51w
Il faudra que je reparle, plus tard si je peux, de Richard Wagner (que j'ai encore réécouté en voiture de nuit récemment, toujours avec Berlioz)... et de Debussy aussi, et aussi de Ravel...
Quant à Gabriel Fauré, j'aurai bien aussi des choses à partager, mais... pas question de couper l'herbe sous le pied d'Elendil. ^^
Amicalement,
B.
[EDIT: Correction de fautes]
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S'agissant d'Indy, j'avoue connaître surtout sa symphonie dite « cévenole » (Op. 25) et son poème symphonique Jour d'été à la montagne (Op. 61), de belles pièces que j'écoute périodiquement avec plaisir. Il faudra que je m'intéresse au reste de sa production lorsque j'en aurai l'occasion, car ce que Hyarion en dit m'intéresse grandement.
Cela dit, j'avais promis de parler de Gabriel Fauré (1845-1924), alors restons-en là pour l'heure. Celui-ci n'est assurément pas un compositeur oublié, mais on réduit un peu trop souvent son rôle à son activité de pédagogue. Il est vrai qu'il fut professeur de composition, puis directeur du Conservatoire de Paris pendant quinze ans, et qu'il fut à ce titre l'un des maîtres de Ravel et de Koechlin. Toutefois, ce serait une erreur de ne retenir de ses compositions que son chef d'œuvre, le Requiem Op. 48, dont la forme, empreinte de douceur et de lumière, est effectivement étonnante pour un musicien qui se déclarait agnostique. C'est longtemps le seul morceau que j'ai connu de lui, mais vu que j'ai récemment découvert ses très belles Sonates pour violon et piano (Op. 13 & 108) et pour violoncelle et piano (Op. 109 & 117), j'ai eu l'envie de poursuivre l'exploration. Comme souvent maintenant, je suis tombé sur un coffret très complet (chez Erato), qui coûtait moins cher que d'acheter à l'unité les trois ou quatre CD sur lesquels mon intérêt se portait principalement.
Encore une fois, je ne le regrette pas du tout, parce que les autres compositions qui complètent le coffret valent amplement la peine qu'on s'y arrête. Par exemple, je ne connaissais pas Fauré comme compositeur de Nocturnes, mais ceux qu'il a écrits sont aussi intéressants que la majorité de ceux de Chopin, même si, ayant été composés bien plus tard, ils ne peuvent sans doute pas se prévaloir de la même originalité. Les treize Barcarolles sont vives et animées, de même que les quatres Valses-caprices, loin de l'image un peu introvertie qu'on projette habituellement sur Fauré. Les Préludes Op. 103 et les cinq Impromptus méritent aussi d'être écoutés, de même que le Thème & Variations en Ut dièse mineur Op. 73. Toutes les pièces pour piano sont ici jouées par Jean-Philippe Collard, qui se révèle fin connaisseur de la musique de Fauré.
Toutefois, je préfère encore les pièces pour violon et piano, où le violoniste Augustin Dumay se joint à lui. Je mentionnerais particulièrement les morceaux brefs, souvent négligés : Berceuse en Ré majeur Op. 16, Romance en Si bémol majeur Op. 28 et surtout Andante en Si bémol majeur Op. 75. J'apprécie tout autant leurs équivalents pour violoncelle et piano, où cette fois Jean-Philippe Collard accompagne le violoncelliste Frédéric Lodéon : Élégie en Ut mineur Op. 24, Romance en La majeur Op. 69, Sicilienne en Sol mineur Op. 78 et Sérénade en Si mineur Op. 98. L'humour n'est pas absent non plus, notamment dans le court morceau Papillon pour violoncelle et piano en La majeur Op. 77, qui fait irrésistiblement penser au Bourdon de Rimsky-Korsakov. L'interprétation des deux sonates est d'excellente tenue, mais j'avoue préférer la version de Paul Tortelier et Jean Hubeau (aussi chez Erato), que je connaissais déjà.
Je pourrais encore mentionner la brève Fantaisie pour flûte et piano en Ut majeur (Op. 79), avec Jean-Philippe Collard au piano et Michel Debost à la flûte. Il s'agit à nouveau d'une découverte pour moi, de même que la suite pour piano à quatre mains Dolly (Op. 56), très primesautière, qui fut composée en l'honneur de la jeune Hélène Bardac, fille d'Emma Bardac, laquelle fut d'abord l'amante de Fauré avant de devenir l'amante, puis l'épouse (en secondes noces) de Debussy. Cette suite est ici interprétée par Jean-Philippe Collard et Bruno Rigutto. Toujours au piano à quatre mains, avec les mêmes interprètes, n'oublions pas un court morceau écrit en collaboration avec André Messager (Fauré et lui furent tous deux élèves de Saint-Saëns) : Souvenir de Bayreuth, une « Fantaisie en forme de quadrille sur les thèmes favoris de L'Anneau du Nibelung de Richard Wagner », dont l'entrain laisse penser qu'il a été écrit dans une intention humoristique, même si Fauré était très admiratif des œuvres de Wagner.
Il faut que je m'arrête ici, mais j'espère avoir l'occasion de vous parler encore des quatuors, des quintettes, ainsi que des œuvres orchestrales et vocales qui figurent dans ce coffret, lesquels sont tout aussi intéressants, sinon plus.
E.
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Cela dit, j'avais promis de parler de Gabriel Fauré (1845-1924), alors restons-en là pour l'heure. [...] Les treize Barcarolles sont vives et animées [...]
Merci à Elendil pour cette (première) évocation de la musique de Fauré, et notamment de ses pièces pour piano, lesquelles figurent parmi mes œuvres préférées de ce compositeur – ariégeois de naissance et décédé il y aura 100 ans cette année –, tout particulièrement ses Barcarolles (la première des treize, Op. 26, est sans doute ma favorite) et la version originale pour piano seul de sa Ballade en fa dièse majeur, Op. 19, soit quatorze pièces dont ma version de référence au disque est celle enregistrée, en 1995, par le pianiste Pierre-Alain Volondat et éditée chez Naxos.
Gabriel Fauré (1845-1924), Barcarolle n°1 en la mineur, op. 26, Pierre-Alain Volondat (piano) :
- https://www.youtube.com/watch?v=TrYyQ-vkji0
Gabriel Fauré, Ballade en fa dièse majeur, op. 19 (version originale pour piano seul ; 1879), Pierre-Alain Volondat (piano) :
- https://www.youtube.com/watch?v=rszRiJI38DY
Il faudra que je reparle, plus tard si je peux, de Richard Wagner (que j'ai encore réécouté en voiture de nuit récemment, toujours avec Berlioz)... et de Debussy aussi, et aussi de Ravel...
En attendant, et dans l'espoir de peut-être reparler, parmi d'autres œuvres wagnériennes, de Tannhäuser que j'avais déjà succinctement évoqué précédemment au lendemain d'un concert en février dernier à La Halle aux Grains, je signale qu'outre Berlioz, Fauré, Debussy et Ravel, je réécoute ces temps-ci de la musique instrumentale, retrouvée dans ma discothèque, de deux autres compositeurs français : Léo Delibes (1836-1891) et Charles Gounod (1818-1893). J'essaierai d'en parler également dès que possible... Un indice : on pourra éventuellement faire, au moins sur le principe, un lien avec Snoopy...
... et j'aurai alors même peut-être un peu matière à partager, à la suite de notre ami Silmo, dans le fuseau sur les expositions et expositions. ^^
Amicalement,
B.
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Concernant Delibes, je garde un excellent souvenir du ballet Coppélia que j'avais vu il y a une douzaine d'années au Théâtre du Capitole, mais je te laisse bien volontiers la parole à son sujet. J'avais moins aimé la mise en scène du Faust de Gounod quelques années plus tard, mais quelle splendeur musicale ! Toutefois, c'est de Fauré que je voulais à nouveau vous parler un peu.
Du côté de la musique de chambre, Fauré a composé, outre les sonates précédemment évoquées, un Trio pour piano, violon et violoncelle en Ré mineur (Op. 20), deux Quatuors pour piano, l'un en Ut mineur (Op. 15), le second en Sol mineur (Op. 45). Plus tardivement, il a encore composé deux Quintettes pour piano, le premier en Ut mineur (Op. 89), le suivant en Ré mineur (Op. 115), et il a achevé cette série avec un unique Quatuor pour cordes en Mi mineur (Op. 121). Toutes les œuvres avec piano sont jouées par Jean-Philippe Collard, qui est accompagné pour les deux premiers morceaux par Frédéric Lodéon au violoncelle et Augustin Dumay au violon ; ils sont rejoints par Bruno Pasquier à l'alto pour le Quatuor Op. 15. Pour les quatre autres pièces, c'est le quatuor Parrenin qui officie, avec Jacques Ghestem et Jacques Parrenin au violon (ce dernier n'étant pas présent pour le Quatuor Op. 45, qui ne requiert qu'un violon), Gérard Caussé à l'alto et Pierre Pénassou au violoncelle.
Le Trio est un morceau subtil et mystérieux, dont j'apprécie en particulier le deuxième mouvement « Andantino ». Le quatuor à cordes, qui lui est étroitement contemporain, possède un côté hypnotique fait d'harmonies étranges qui engendrent une mélodie d'ombre et de lumière, dont j'apprécie particulièrement le mouvement final « Allegro ». Le quatuor pour piano n° 1 a quant à lui été composé près de 45 ans auparavant ; il n'est donc pas surprenant qu'il soit dans un tout autre style. Il s'agit toutefois d'une très belle pièce où les instruments dialoguent à merveille. Malheureusement, les interprétations du Trio et de ce Quatuor pour piano semblent pâtir d'une prise de son sèche et lointaine, qui écrase les harmoniques graves et lointaines, un souci franchement regrettable, surtout quand on les compare à d'autres enregistrements plus récents. Ce problème affecte beaucoup moins les enregistrements avec le quatuor Parrenin, ce qui est une excellente chose, car le Quatuor pour piano n° 2 est assurément celui que je préfère et que je considère comme une réussite de bout en bout, au même titre que le Quintette pour piano n° 1. Malgré les années qui séparent leurs créations respectives, je trouve qu'il existe une parenté assez nette entre ces deux morceaux, chose peu surprenante si l'on considère que Fauré commença à travailler au quintette en 1887, l'année de la création du quatuor, lequel avait été composé l'année précédente. Il semble toutefois que la composition du quintette lui ait demandé beaucoup plus d'efforts, puisqu'il ne fut achevé qu'en 1905 et créé en mars de l'année suivante. C'est pour moi une très belle synthèse de l'art de Fauré, entre le classicisme des premières décennies et la subtilité de ses compositions tardives. Le Quintette pour piano n° 2 possède l'élégance, la complexité mélodique et la retenue des pièces tardives de Fauré, mais me parle un petit peu moins.
La musique orchestrale comprend d'abord des orchestrations de morceaux de musique de chambre, à commencer par la Ballade Op. 19 évoquée par Hyarion, dont la poésie et la délicatesse montrent à merveille les talents d'orchestrateur et de mélodiste de Fauré, ce qui explique pourquoi j'ai tendance à la préférer à sa version chambriste. Quant à l'Élégie Op. 24, sa version pour violoncelle et orchestre est en tout point splendide ; c'est un des morceaux de Fauré que je réécoute avec le plus de plaisir. Le coffret comprend aussi un arrangement pour violon et orchestre de la Berceuse Op. 16, ainsi qu'une Fantaisie pour piano et orchestre en Sol majeur (Op. 111). J'ai bien apprécié la pièce pour chœur et orchestre intitulée Les Djinns (Op. 12), d'après le poème de Victor Hugo qui avait déjà inspiré Franck, et le Prélude de Pénélope (1913), l'unique opéra de Fauré. Ce dernier est un morceau très profond, évoquant de loin Wagner, mais infusé du style propre à Fauré, ce qui me donne très envie de découvrir l'opéra entier.
Enfin viennent quatre musiques de scène, dont deux sont assez peu connues, celle de la tragédie Caligula d'Alexandre Dumas (Op. 52) et celle de la comédie Shylock d'Edmond Haraucourt (Op. 57). Cela s'explique sans doute par le fait que ce type de composition s'apprécie surtout lors d'une représentation de la pièce de théâtre à laquelle elle se rattache. Les morceaux qui les composent manquent sans doute un peu de cohérence lorsqu'on les écoute les uns à la suite des autres, mais tous méritent une écoute attentive. A titre personnel, c'est sans doute le chœur « De roses merveilles » de Caligula que je préfère. Fauré a aussi composé une musique de scène pour Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck (Op. 80), dont l'atmosphère éthérée semble se marier à merveille à l'esthétique fauréenne. Le coffret nous propose la suite pour orchestre que Fauré en a tiré, une vraie merveille à mes yeux. A noter que la seule partie vocale, la chanson de Mélisande, est en anglais, car cette musique avait à l'origine été conçue pour une représentation donnée à Londres en 1898. Enfin, la musique du ballet Masques et Bergamasques de René Fauchois (Op. 112), donné pour la première fois à Monaco en 1919, est une excellente illustration de l'esthétique fauréenne. Bien que sept des huit tableaux soient des réutilisations de projets antérieurs composés entre 1869 et 1904, la cohérence d'ensemble n'en est en rien affectée.
Toutes ces œuvres orchestrale sont jouées par l'Orchestre du Capitole de Toulouse sous la direction de Michel Plasson. Jean-Philippe Collard est le soliste de la Ballade et de la Fantaisie, Paul Tortelier celui de l'Élégie et Yan-Pascal Tortelier (fils du précédent) celui de la Berceuse, tandis que les pièces vocales font appel à l'Ensemble vocal Alix Bourbon, avec des interventions de la mezzo-soprano Frederica von Stade dans Pelléas et Mélisande et du ténor Nicolai Gedda dans Masques et Bergamasques et dans Shylock.
Le dernier CD de ce coffret est consacré à la musique sacrée, le Requiem (Op. 48) dont j'ai déjà parlé et le Cantique de Jean Racine (Op. 11), autre œuvre extrêmement célèbre de Fauré, écrite quand il n'avait que dix-neuf ans. Tous deux sont interprétés par Michel Plasson et son orchestre fétiche du Capitole de Toulouse, accompagné par le choeur Orfeón Donostiarra, la soprano Barbara Hendricks et le baryton José van Dam. Le Cantique est une paraphrase de Racine sur l'hymne paléochrétien Consors paterni luminis. La musique de Fauré rend à merveille la ferveur et l'espérance qui s'en dégagent. Il est juste regrettable que le livret qui accompagne ces enregistrements ne propose pas le texte de ce morceau (ni d'aucune autre œuvre vocale, ce qui est assez frustrant).
Notez qu'on peut écouter gratuitement (mais avec de la publicité) l'intégralité de ce coffret sur YouTube.
E.
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Si nous reprenons maintenant le fil de notre exploration mahlérienne, il faudra nous tourner vers une série de lieder, en particulier les trois volumes des Lieder und Gesänge, dont la majorité est tirée de chants traditionnels, parfois retouchés par Mahler. Contrairement aux lieder de Schubert, j'ai un peu plus de mal à les apprécier sans comprendre les textes chantés, ce qui rend d'autant plus irritant leur absence dans le livret. Il semblerait que ce soit une constante dans les coffrets à petit prix de Warner... J'imagine qu'on ne peut pas tout avoir. Toujours est-il que je ne connaissais pas ce recueil, mais que j'y reviendrai avec plaisir. J'ai particulièrement apprécié la « Phantasie aus Don Juan », sur un texte de Ludwig Braunfels, d'après Tirso de Molina (NB : on trouvera sur ce site toutes les traductions françaises, mais celles-ci ne sont pas libres de droits) :
Das Mägdlein trat aus dem Fischerhaus,
Die Netze warf sie ins Meer hinaus !
Und wenn kein Fisch in das Netz ihr ging,
Die Fischerin doch die Herzen fing !
Die Winde streifen so kühl umher,
Erzählen leis' eine alte Mär !
Die See erglühet im Abendrot,
Die Fischerin fühlt nicht Liebesnot
Im Herzen! Im Herzen !
Phantasie aus Don Juan, Lieder und Gesänge, vol. I n° 5
Les deux autres lieder que je préfère sont les chants traditionnels « Zu Straßburg auf der Schanz » et « Nicht Vierdersehen ! » :
Zu Straßburg auf der Schanz,
Da ging mein Trauern an,
Das Alphorn hört' ich drüben wohl anstimmen,
Ins Vaterland mußt ich hinüber schwimmen,
Das ging ja nicht an.
Ein Stund in der Nacht
Sie haben mich gebracht ;
Sie führten mich gleich vor des Hauptmanns Haus,
Ach Gott, sie fischten mich im Strome auf,
Mit mir ist es aus.
Früh Morgens um zehn Uhr
Stellt man mich vor's Regiment ;
Ich soll da bitten um Pardon,
Und ich bekomm doch meinen Lohn,
Das weiß ich schon.
Ihr Brüder allzumal,
Heut' seht ihr mich zum letztenmal ;
Der Hirtenbub ist nur Schuld daran,
Das Alphorn hat mir's angetan,
Das klag ich an.
Ihr Brüder alle drei,
Was ich euch bitt, erschießt mich gleich ;
Verschont mein junges Leben nicht,
Schießt zu, daß das Blut 'raus spritzt,
Das bitt ich Euch.
O Himmelskönig Herr !
Nimm du meine arme Seele dahin,
Nimm sie zu dir in den Himmel ein,
Laß sie ewig bei dir sein,
Und vergiß nicht mein.
Zu Straßburg auf der Schanz, Lieder und Gesänge, vol. III n° 1
« Und nun ade, mein herzallerliebster Schatz,
Jetzt muß ich wohl scheiden von dir,
Bis auf den andern Sommer,
Dann komm' ich wieder zu dir. »
Und als der junge Knab heimkam,
Von seiner Liebsten fing er an:
« Wo ist meine Herzallerliebste,
Die ich verlassen hab' ? »
Auf dem Kirchhof liegt sie begraben,
Heut ist's der dritte Tag,
Das Trauern und das Weinen
Hat sie zum Tod gebracht.
« Jetzt will ich auf den Kirchhof gehen,
Will suchen meiner Liebsten Grab,
Will ihr allweil rufen,
Bis daß sie mir Antwort gibt.
Ei, du mein herzallerliebster Schatz,
Mach' auf dein tiefes Grab,
Du hörst kein Glöcklein läuten,
Du hörst kein Vöglein pfeifen,
Du siehst weder Sonne noch Mond ! »
Nicht Vierdersehen !, Lieder und Gesänge, vol. III n° 4
Pour une raison que j'ignore, ces trois volumes de chants pour voix et piano sont enregistrés par différents interprètes. Les trois que j'ai cités sont respectivement enregistrés par la mezzo-soprano Katarina Karnéus, le baryton Dietrich Fischer-Dieskau et la mezzo-soprano Alice Coote, successivement accompagnés par Roger Vignoles, Daniel Barenboim et Julius Drake.
L'une des raisons qui m'ont fait retarder mon retour à Mahler est sa troisième symphonie. Ce n'est pas qu'elle me déplaise, mais trouver le temps d'écouter avec l'attention voulue une œuvre qui fait 1h45 environ n'est pas facile pour moi. C'est une belle interprétation de l'Orchestre symphonique de la Cité de Birmingham dirigé par Sir Simon Rattle qui figure dans ce coffret. Des six mouvements, j'ai toujours préféré le cinquième « Lustig im Tempo und keck im Ausdruck », de loin le plus court, car c'est une mise en musique absolument géniale du chant traditionnel « Armer Kinder Bettlerlied ». Si nous poursuivons dans le registre symphonique, la quatrième est ici jouée par l'Orchestre philharmonique de Londres, sous la direction de Jascha Horenstein, avec Dame Margaret Price en soprano dans le quatrième mouvement. C'est une des symphonies de Mahler que j'écoute le plus fréquemment et j'ai trouvé cette version tout aussi agréable à écouter que celle dont j'ai l'habitude, bien qu'elle adopte des tempi assez différents. Son caractère gai et enjoué, assez rare chez Mahler, transparaît de bout en bout et culmine avec le chant « Wir geniessen die himmlischen Freuden », superbement interprété. La cinquième symphonie fait aussi partie de celles que j'apprécie le plus. Elle figure ici dans une interprétation de Klaus Tennstedt avec le Philharmonique de Londres, très soignée, mais qui manque peut-être du surcroît de tension qu'un chef comme Sir Georg Solti sait mettre dans le deuxième mouvement « Stürmisch bewegt, mit größter Vehemenz ».
Je saute au dernier CD de ce coffret, car je n'ai pas le temps ce soir de réécouter la symphonie n° 6. Il s'agit clairement là d'un CD bonus : on y trouve une version pour voix et piano du cycle des Rückert-Lieder, dont la version orchestrale figure dans le CD 8 (j'aurai donc l'occasion de vous en parler plus tard), interprété par le baryton Thomas Hampson accompagné par le pianiste Wolfram Rieger. Viennent ensuite sept interprétations différentes du lied « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (trois orchestrales, quatre avec piano), le quatrième morceau des Rückert-Lieder, ce qui constitue une merveilleuse occasion de comparer les différences d'approches entre des chefs d'orchestre aussi célèbres que Sir John Barbirolli et Otto Klemperer ou des chanteurs aussi talentueux que Dietrich Fischer-Dieskau et Janet Baker. Il y a même deux versions chantées par la mezzo-soprano Christa Ludwig, l'une au piano et l'autre orchestrale, aussi avons-nous là une parfaite opportunité de s'intéresser à la façon dont Mahler orchestre un lied. Je noterais enfin que le tandem formé par Janet Baker et Sir John Barbirolli est aussi celui du cycle complet (lequel figure aussi dans le CD 8 ), mais le présent enregistrement a été effectué deux ans plus tôt que celui du cycle, et avec l'orchestre de Hallé plutôt qu'avec le New Philharmonia Orchestra. Ce CD se conclut par une version pour voix et piano de « Urlicht », l'avant-dernier lied du cycle Des Knaben Wunderhorn, ici chantée par Alice Coote, accompagnée par Julius Drake.
Et je m'arrête à nouveau, en attendant d'avoir le temps de vous parler de la suite.
E.
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Merci à Elendil pour cette suite d'une évocation mahlérienne commencée ici il y a déjà deux mois. De mon côté, avec Wagner, Debussy, Ravel, Delibes, Gounod, et en sus maintenant Bizet, Offenbach et Johann Strauss fils, me voilà avec beaucoup de réécoutes accumulées ces derniers jours, et dont le compte-rendu ne peut que prendre du temps, petit à petit...
En attendant, concernant Gustav Mahler, je ne peux que rappeler les goûts qui sont les miens, déjà précédemment signalés, s'agissant de ses symphonies, en m'appuyant sur les quelques références mahlériennes de ma discothèque (presque toutes chez Deutsche Grammophon) que j'ai aussi réécoutées dernièrement.
Concernant Gustav Mahler, tu en parleras sûrement mieux que moi, Elendil, mais je peux toujours dire que j'aime particulièrement sa Symphonie n°5 en do dièse mineur, surtout son merveilleux quatrième mouvement, le très célèbre et très émouvant Adagietto. J'ai eu la chance de pouvoir entendre cette œuvre en concert à la Halle aux Grains, le 10 juin de l'année dernière, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev. Au disque, je recommande la version du Berliner Philharmoniker sous la direction de Sir Simon Rattle, enregistrée en public en 2002 (CD chez EMI Classics). Parmi les autres symphonies de Mahler, j'apprécie aussi en particulier la Symphonie n°1 en ré majeur « Titan », notamment les 2e et 3e mouvements, et la Symphonie n°4 en sol majeur, avec soprano... mais comme je l'ai dit, tu parleras sans doute mieux que moi de ce compositeur.
Gustav Mahler (1860-1911), Symphonie n°1 en ré majeur « Titan », Orchestre Symphonique de Chicago, dir. Claudio Abbado :
- II. Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell — Trio. Recht gemächlich :
https://www.youtube.com/watch?v=p7ZLv9h19VY
- III. Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen :
https://www.youtube.com/watch?v=dFdpTaoFW1Y
Gustav Mahler, Symphonie n° 4 en sol majeur, Elsie Morison (soprano), Symphonie-Orchester Des Bayerischen Rundfunks (Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise), dir. Rafael Kubelik :
- III. Ruhevoll (Poco adagio) :
https://www.youtube.com/watch?v=tv45ZHLtRV0
- IV. Sehr behaglich (“Wir genießen die himmlischen Freuden”) :
https://www.youtube.com/watch?v=uuUe1paQON0
Gustav Mahler, Symphonie n° 5 en do dièse mineur, Berliner Philharmoniker, dir. Simon Rattle :
- IV. Adagietto (Sehr langsam) :
https://www.youtube.com/watch?v=DwSd2jKEEQo
Le quatrième mouvement de la cinquième symphonie touche toujours au cœur, à chaque écoute...
Ma version de référence au disque de cette Symphonie n°5, par le Berliner Philharmoniker dirigé par Simon Rattle, a été éditée chez EMI Classics avant de l'être à nouveau plus tard chez Warner Classics. Précisons au passage que pour tous les extraits de CD partagés ici, la totalité du contenu des albums est en fait accessible sur YouTube, un lien général vers chaque album étant proposé en bas de la présentation de chaque extrait de CD.
Concernant les lieder de Mahler, qui me sont nettement moins familiers, je connais surtout ses Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) pour baryton et orchestre, un cycle de chants dont certains passages sont réemployés dans la Symphonie n°1 « Titan », et dont un enregistrement, avec le chant de Dietrich Fischer-Dieskau, figure dans une des références au disque que je me permets de signaler ici, à savoir celle avec l'Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise dirigé par Rafael Kubelik qui contient aussi l'enregistrement de la Symphonie n°4 précédemment mentionné. Bien qu'étant tout-à-fait intéressant pour appréhender le romantisme allemand, le registre des lieder m'attire moins que les symphonies, mais c'est un registre vis-à-vis duquel il est en tout cas très utile d'avoir accès à des traductions des textes chantés en allemand, traductions qui effectivement peuvent être manquantes dans les livrets des CDs : merci donc à Elendil pour le lien vers le site mentionné dans son dernier message.
Je profite de l'occasion pour réparer un oubli remontant à 2021, à propos de l'opéra Salomé de Richard Strauss dont j'avais parlé alors, dans un précédent message. J'avais notamment évoqué le chant final de Salomé, dans une version, éditée chez Deutsche Grammophon (DG), enregistrée avec l'Orchestre National de France (ONF) dirigé par Leonard Bernstein, lequel accompagne la cantatrice Montserrat Caballé avec sa voix de soprano exceptionnelle, parfaite pour le rôle si ambiguë de Salomé. Les liens que j'avais indiqués alors renvoyaient à un simple extrait dudit chant final, et à une version complète mais diffusée au milieu d'une émission radiophonique de France Musique... or la version intégrale de ma référence au disque figurait alors pourtant bien aussi sur YouTube, et je viens enfin de la trouver. Le CD contient également, entre autres, un autre passage très connu du même opéra Salomé, la célèbre « Danse des sept voiles », toujours interprété par l'ONF sous la baguette de Bernstein, dans une version au moins aussi animée que celle du Berliner Philharmoniker dirigé par Karl Böhm (aussi éditée chez DG) que j'avais mentionné en 2021. À noter que sont également présents, sur le même disque, cinq lieder de Strauss en version avec orchestre (Op. 10 n°1, Op. 27 n°2 et 4, Op. 37 n° 2, Op. 41 n° 1), chantés par Caballé toujours accompagnée de l'ONF dirigé par Bernstein, lieder certes moins connus que les Quatre derniers Lieder (Vier letzte Lieder, Op. posthume) mais représentatifs de la vaste production de Richard Strauss en la matière.
Richard Strauss (1864-1949), Salomé, op. 54 - Scène 4 - « Es Ist Kein Laut Zu Vernehmen » (Chant final de Salomé), Montserrat Caballé (soprano), Orchestre National de France, dir. Leonard Bernstein :
- https://www.youtube.com/watch?v=knS0AMCApjs
Richard Strauss, Salomé, op. 54 - Scène 4 - « Danse des sept voiles » (« Tanz der sieben Schleier »), Orchestre National de France, dir. Leonard Bernstein :
- https://www.youtube.com/watch?v=QlDOM3wMmM0
Amicalement,
B.
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Merci à toi pour ces compléments mahlériens, qui confirment que nous avons des goûts relativement similaires à propos de ce compositeur. Quant à Richard Strauss, je ne connais que trop mal son œuvre, mais j'ai vu il y a six ou huit mois de cela une mise en scène très réussie de Salomé en DVD, dirigée par Götz Friedrich, avec Teresa Stratas dans le rôle-titre, accompagnée par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la baguette de Karl Böhm. C'était une vraie splendeur visuelle et musicale, magnifiée par une prise de vue très réussie et un son idéalement capté par les techniciens de DG.
Pour revenir à Mozart, que je n'ai pas tout à fait négligé malgré mes autres écoutes, j'ai fini il y a quelque temps le chapitre consacré à la musique de chambre, aux sonates pour violon et piano et aux sonates d'église. Là encore, j'ai fait des découvertes très agréables dans un répertoire dont je ne suis pas précisément familier. Je retiens particulièrement quatre sonates, ici jouées par Salvatore Accardo au violon et Bruno Canino au piano. Trois font partie des sonates palatines, que Mozart commença à Mannheim et acheva et publia à Paris : la Sonate pour violon et piano n° 18 en Sol majeur (KV 301), ainsi que les Sonates pour violon et piano n° 20 et 21, respectivement en Ut majeur et en Mi mineur (KV 303-304). Cela dit, celle que j'ai préférée reste la Sonate pour violon et piano n° 32 en Si bémol majeur (KV 454). Du côté des œuvres chambristes, je citerais volontiers le quintette pour piano, clarinette, hautbois, cor et basson en Mi bémol majeur (KV 452), avec K. Würtz au piano, H. de Graaf à la clarinette, H. Meijer au hautbois, M. van de Merwe au cor, et P. Gaasterland au basson. J'ai aussi apprécié le quatuor pour hautbois, violon, alto et violoncelle en Fa majeur (KV 370), interprété par le Quatuor Brandis, avec Lothar Koch au hautbois, et le quatuor avec piano en Sol mineur (KV 478), avec B. van Oort au pianoforte, T. Roelofs au violon, B. Verhagen à l'alto et J. ter Linden au violoncelle.
Enfin, puisqu'à part Mozart, je crois avoir uniquement parlé ici de compositeurs du XIXe et du XXe siècle, je ne voudrais pas qu'on croit que je n'aime pas la musique des périodes antérieures. En réalité, ma collection baroque était déjà plutôt bien fournie (même si elle est loin d'être complète), aussi n'ai-je guère fait de nouvelles acquisitions récentes dans ce domaine. Une des exceptions est l'enregistrement des mélodies tirées du Llibre vermell (comprendre, « Livre Rouge » ;-)) de Montserrat, un manuscrit collectant divers écrits du XIVe siècle provenant de l'abbaye bénédictine de Montserrat, en Catalogne, édifiée sur le site d'un sanctuaire marial de l'époque médiévale.
Parmi ces écrits figurent dix compositions musicales destinées à être chantées par les pèlerins dans l'église ou sur le parvis de celle-ci. La première, O Virgo splendens, est écrite à la manière du plain-chant, mais toutes les autres adoptent une notation caractéristique de l'Ars nova français, en vogue en Aragon à cette époque. Cas assez unique, trois de ces morceaux (Stella splendens, Los set goyts et Polorum regina) sont des danses à exécuter a ball redon, soit sous forme de ronde. L'interprétation de ces morceaux a été dirigée par Jordi Savall avec son épouse la soprano Montserrat Figeras, qui est accompagnée par l'ensemble Hespèrion XX, les Ateliers vocaux et instrumentaux du Centre d'Abbaye aux Dames, Dulcis Harmonia, Coral Carmina, les Niños Cantores de Navarra et l'Escolania San Ignacio. Les reconstitutions de la musique médiévale ou baroque espagnole de Savall sont invariablement des réussites et celui-ci ne fait pas exception à la règle. Je le trouve toutefois particulièrement réussi et je serais tenté de suggérer à quiconque souhaite s'initier à cette période artistique de commencer avec ce CD.
E.
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Quant à Richard Strauss, je ne connais que trop mal son œuvre, mais j'ai vu il y a six ou huit mois de cela une mise en scène très réussie de Salomé en DVD, dirigée par Götz Friedrich, avec Teresa Stratas dans le rôle-titre, accompagnée par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la baguette de Karl Böhm. C'était une vraie splendeur visuelle et musicale, magnifiée par une prise de vue très réussie et un son idéalement capté par les techniciens de DG.
La mise en scène filmée que tu évoques, et que je n'ai pas (encore) vu pour ma part, date de 1974. La prestation de Teresa Stratas en Salomé, à cette occasion, est réputée excellente. Il faudra que j'essaie de voir cette version. Le rôle de Salomé, tel que conçu originellement (et en français) par Oscar Wilde puis mis en musique par Richard Strauss, est un des plus difficiles à interpréter pour une soprano, car il demande des qualités vocales et scéniques très particulières et un engagement à toute épreuve de la part de la chanteuse. Catherine Naglestad (ou Nagelstad), dans la mise en scène de Lev Dodin proposée à l'Opéra Bastille en 2006, était allé jusqu'à notamment interpréter littéralement jusqu'au bout la « Danse des Sept Voiles », mais au-delà de la nudité de la chanteuse à laquelle aboutissait ce passage, son interprétation de Salomé avait été saluée dans son ensemble, si j'en crois les avis encore lisibles en ligne aujourd'hui, le spectacle n'ayant pas fait l'objet, semble-t-il, d'une édition enregistrée. Au disque, la version intégrale de l'opéra que je connais, éditée en album double SACD chez RCO en 2018, et que j'ai en partie réécouté récemment, date de juin 2017, avec l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam dirigé par Daniele Gatti, et la soprano Malin Byström dont la voix très expressive sert bien le rôle de Salomé.
Richard Strauss (1864-1949), Salomé, op. 54 - Scène 4 (final) - « Ah! Ich habe deinen Mund geküsst, Jochanaan » (Salomé, Hérode), Malin Byström (soprano), Lance Ryan (ténor), Orchestre royal du Concertgebouw, dir. Daniele Gatti :
https://www.youtube.com/watch?v=s_f__p2MlXk
De mon côté, avec Wagner, Debussy, Ravel, Delibes, Gounod, et en sus maintenant Bizet, Offenbach et Johann Strauss fils, me voilà avec beaucoup de réécoutes accumulées ces derniers jours, et dont le compte-rendu ne peut que prendre du temps, petit à petit...
De fait, du temps, il m'en faut encore un peu... Et si vous ajoutez à cela de la musique des périodes antérieures au XIXe siècle, comme suggéré par Elendil, le programme ne peut que s'en trouver prolongé... mais je vais m'efforcer de continuer à procéder par étapes. ^^'
Concernant Delibes, je garde un excellent souvenir du ballet Coppélia que j'avais vu il y a une douzaine d'années au Théâtre du Capitole, mais je te laisse bien volontiers la parole à son sujet. J'avais moins aimé la mise en scène du Faust de Gounod quelques années plus tard, mais quelle splendeur musicale !
Je n'ai pas eu la chance d'assister à des représentations de ces deux œuvres françaises du XIXe siècle, mais c'est bien à elles deux que je pensais. J'ai eu l'occasion de réécouter ces temps-ci une compilation sous forme d'album double CD, éditée chez Philips en 1993, proposant des interprétations, par l'Orchestre philharmonique de Rotterdam sous la baguette de David Zinman, de la totalité de la musique du ballet Coppélia de Delibes, ainsi que de la musique du ballet figurant dans l'opéra Faust de Gounod, sans doute un des opéras français les plus célèbres dans le monde (avec la Carmen de Bizet) et que l'on connait souvent par ailleurs, aujourd'hui encore, pour son célèbre Air des bijoux chanté au troisième acte par Marguerite (« Ah ! je ris de me voir si belle ») et associé au XXe siècle, par Hergé, à la cantatrice Bianca Castafiore dans l'univers de Tintin.
Concernant la compilation de chez Philips, si l'on met à part la présence en son sein de la musique du ballet Les Sylphides – orchestrée d'après des pièces pour piano de Chopin par différents arrangeurs (Alexandre Glazounov, Maurice Keller, et plus tard Roy Douglas, dont la version est celle proposée dans cette compilation) depuis la création dudit ballet à Paris pour les Ballets russes en 1909 –, les musiques de Coppélia et du ballet de Faust nous plongent toutes deux, historiquement, dans la même période des derniers temps du Second Empire de Napoléon III (1852-1870), régime dont j'ai déjà plusieurs fois parlé en ces lieux. Coppélia fut triomphalement créé en effet le 25 mai 1870 à Paris, au Théâtre Impérial de l'Opéra, soit quelques jours après le plébiscite ayant validé l'évolution constitutionnelle libérale de l'Empire et quelques semaines avant le début, en juillet, de la guerre franco-prussienne qui allait provoquer la chute du régime impérial en septembre. L'opéra Faust avait, quant à lui, été créé à Paris plus tôt sous l'Empire, dès 1859 au Théâtre-Lyrique, avant de connaître rapidement un succès international puis d'entrer au répertoire de l'Opéra de Paris en 1869, une adoption par le Théatre Impérial qui nécessita l'ajout par Gounod d'un ballet au sein de son œuvre, conformément aux usages en vigueur sur la scène de cette institution (usages auxquels Richard Wagner avait lui aussi dû se conformer, en 1861, pour les représentations parisiennes de Tannhäuser, de même que Verdi avec son opéra Don Carlos en 1867). Gounod composa donc la musique du ballet de son Faust plus ou moins à la même époque et pour les mêmes interprètes que ceux du ballet Coppélia de Delibes, la création de la version dudit Faust ainsi augmenté dudit ballet ayant eu lieu à l'Opéra le 3 mars 1869.
S'agissant de Léo Delibes, ce compositeur est resté célèbre pour ses ballets La Source (1866), Coppélia (1870) et Sylvia (1876), ainsi que pour son opéra Lakmé (1880). Tchaïkovski, qui admirait le travail de Delibes, a pu aller jusqu'à considérer la musique de Sylvia comme étant plus belle que celle de son Lac des cygnes. Coppélia, ou la Fille aux yeux d'émail est un ballet en trois actes, dont l'histoire, écrite par Charles Nuitter et librement inspirée du conte d'Hoffmann L'Homme au sable, raconte les amours de Franz et Swanilda dans un village de Galicie, amours un temps contrariées par la belle Coppélia, qui se révèle n'être qu'un automate conçu par le mystérieux Docteur Coppélius. Le récit se termine bien, avec le mariage de Franz et Swanilda. Les meilleures pages orchestrales du ballet, à mes yeux, sans doute aussi les plus connues, sont notamment le très beau Prélude, la Valse lente et la Mazurka du premier acte.
Léo Delibes (1836-1891), Coppélia ou la Fille aux yeux d'émail, ballet, Orchestre philharmonique de Rotterdam, dir. David Zinman :
- Premier acte - Prélude – Mazurka :
https://www.youtube.com/watch?v=SVCRLhyImLo
- Premier acte - 1. Valse lente :
https://www.youtube.com/watch?v=Nx8EJdFsC-4
- Premier acte - 2. Scène (Swanilda et Frantz) :
https://www.youtube.com/watch?v=nBao3EygtVA
- Premier acte - 3. Mazurka :
https://www.youtube.com/watch?v=5gVOFIuRbec
En ce qui concerne Charles Gounod et son Faust, le ballet rajouté à l'opéra en 1869 se situe dans le premier tableau du cinquième acte, plaçant l'action dans les montagnes du Harz, alors que Méphistophélès fait visiter son empire au docteur Faust et lui fait apparaître, dans une montagne entrouverte, « un vaste palais resplendissant d'or, au milieu duquel se dresse une table richement servie et entourée de reines et de courtisanes de l'antiquité ». Méphisto espère bien que Faust sera séduit par ces reines et ces courtisanes... Le ballet, conçu avant tout comme un divertissement, met ainsi en scène « Aspasie, Laïs et Phryné avec les courtisanes, Cléopâtre avec les esclaves nubiennes, Hélène avec les filles de Troie, [qui] viennent tour à tour enivrer Faust de leurs séductions. » Il comporte sept numéros : 1. Les Nubiennes, 2. Adagio, 3. Danse antique, 4. Variations de Cléopâtre, 5. Les Troyennes, 6. Variations du miroir, 7. Danse de Phryné.
Sans référence visuelle, il n'est pas forcément toujours évident de se faire une idée de ce à quoi peut correspondre exactement l'action dansée sur scène par rapport à la musique composée par Gounod. À partir de quelques sources distinctes (dont les indications d'origine ajoutées en supplément au livret de l'opéra) qui ne semblent pas se recouper parfaitement (notamment vis-à-vis des titres donnés aux numéros), voici les informations que j'ai pu trouver, au-delà donc des seuls titres attribués aux sept numéros du ballet :
I. Allegretto, Tempo di valse
([Mesure 10 :] Aspasie et Laïs, à la tête des courtisanes, se lèvent et viennent inviter Faust et Méphistophélès à prendre part au festin.)
II. Adagio
([Mesure 1 :] Après elles, Cléopâtre et les Nubiennes viennent entourer Faust de leurs séductions.)
III. Allegretto
([Mesure 1 :] Les esclaves nubiennes boivent dans des coupes d'or les poisons de Cléopâtre, qui trempe elle-même ses lèvres dans la coupe où elle a fait dissoudre la plus précieuse de ses perles.)
IV. Moderato maestoso
([Mesure 1 :] À Cléopâtre succèdent les Troyennes et Hélène, rivale de Vénus.)
V. Moderato con moto
(Toilette d'Astarté.)
VI. Allegretto
([Mesure 1 :] Cette lutte de séduction est interrompue par l'apparition de Phryné entièrement voilée. Moment de curiosité.)
VII. Allegro vivo
([Mesure 1 :] D'un signe, elle ordonne à ses rivales de reprendre les danses un instant suspendues.
[Mesure 34 :] Elle s'y mêle elle-même, laissant peu à peu tomber ses voiles...
[Mesure 84 :] Entrée de Phryné apparaissant enfin dans tout l'éclat d'une radieuse beauté.
[Mesure 124 :] Son triomphe éveille autour d'elle des jalousies et des colères qui font dégénérer la fête en une bacchanale effrénée.
[Mesure 169 :] Les courtisanes vont retomber sur leurs coussins, épuisées et haletantes. Faust subjugué tend sa coupe à Phryné.)
Dans le septième et dernier numéro (Allegro vivo), aux accents frénétiques de bacchanale finale, l'entrée de la courtisane Phryné dévoilée « dans tout l'éclat d'une radieuse beauté » est censé avoir lieu après que l'on ait entendu la trompette résonner (si j'ai bien suivi). Il faudrait sans doute idéalement pouvoir voir une mise en scène respectueuse des indications, avec éventuellement également la partition sous les yeux, pour se représenter aux mieux les choses... mais la musique de Gounod n'en est pas moins agréable et évocatrice, même si l'on reste dans le cadre conventionnel d'une expression de ballet classique.
Charles Gounod (1818-1893), Ballet de Faust, Rotterdam Philharmonic Orchestra, dir. David Zinman :
- 1. « Les Nubiennes » (Allegretto [Tempo di valse]) :
https://www.youtube.com/watch?v=AmiQJMoPwLc
- 2. Adagio :
https://www.youtube.com/watch?v=e8xZq9c-kOI
- 3. « Danse antique » (Allegretto) :
https://www.youtube.com/watch?v=yUNRl6H_1Ec
- 4. « Variations de Cléopâtre » (Moderato maestoso) :
https://www.youtube.com/watch?v=kabpkAxu1w0
- 5. « Les Troyennes » (Moderato con moto) :
https://www.youtube.com/watch?v=2VK7-bm46CM
- 6. « Variations du miroir » (Allegretto) :
https://www.youtube.com/watch?v=DUOzESlfaWE
- 7. « Danse de Phryné » (Allegro vivo) :
https://www.youtube.com/watch?v=gB8-tQXpZZ4
Pour « le reste » (façon de parler...), Bizet, Offenbach et Johann Strauss fils, sans oublier Wagner, Debussy et Ravel, il faudra encore attendre un peu... de même que (si ça intéresse quelqu'un) pour la musique de la Renaissance ou celle du règne de Louis XIV, dont j'ai réécouté aussi parfois un peu quelques œuvres représentatives ces temps-ci (j'aime notamment, entre autres, les répertoires anciens pour luth et pour clavecin).
Quelques mots encore cependant, faisant à nouveau écho à des échanges précédents : puisqu'il faut bien recommencer, peu à peu, à « aller de l'avant », je me suis décidé, ces jours-ci, à faire une nouvelle acquisition, pour quelques euros, au hasard d'une déambulation dans un de ces rares disquaires vendant toujours du CD d'occasion sans forcément passer par la Toile... Il s'agit d'une édition d'un album de chez Deutsche Grammophon, peut-être la première édition allemande en CD, d'un enregistrement édité originellement en 1981, proposant la célèbre Symphonie espagnole pour violon et orchestre d'Édouard Lalo, créé en février 1875 (un mois avant la Carmen de Bizet) et dont Elendil a déjà parlé en ces lieux il y a déjà quelque temps, suivie de ce qui est peut-être la seule œuvre véritablement concertante d'Hector Berlioz, à savoir sa composition Rêverie et Caprice pour violon et orchestre (Op. 8) écrite en 1841 pour le violoniste belge Alexandre Artot (ou Artôt). Les interprètes sont le violoniste virtuose Itzhak Perlman, qu'Elendil a déjà pu mentionner précédemment, et l'Orchestre de Paris (successeur de l'Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire) dirigé par Daniel Barenboim. L'album a plus tard été réédité en y ajoutant le Concerto pour violon n°3 de Saint-Saëns, mais le modeste CD d'origine, avec son programme Lalo + Berlioz s'est révélé en soi, et sans surprise, tout-à-fait à mon goût. L'interprétation de Perlman en soliste est de très haute qualité, au service d'œuvres du répertoire français ne souffrant assurément pas de la comparaison avec le grand répertoire austro-allemand, réputé dominant dans les domaines symphonique et concertant.
Édouard Lalo (1823-1892), Symphonie espagnole en ré mineur, op. 21, Itzhak Perlman (violon), Orchestre de Paris, dir. Daniel Barenboim :
- I. Allegro non troppo :
https://www.youtube.com/watch?v=NJMxCmHjsn4
- V. Rondo (Allegro) :
https://www.youtube.com/watch?v=-8Fka-LYkYQ
Hector Berlioz (1803-1869), Rêverie et Caprice pour violon et orchestre, op. 8, Itzhak Perlman (violon), Orchestre de Paris, dir. Daniel Barenboim :
https://www.youtube.com/watch?v=qPjGh8HrH8E
Amicalement,
B.
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Je peux te confirmer que la Danse des sept voiles de Stratas en Salomé est d'un engagement absolu, dans une mise en scène remarquable, filmée avec l'exact degré de suggestion et de pudeur qui convenait. Je ne doute pas que tu l'apprécierais si tu avais l'occasion de la voir. Je suis par ailleurs très heureux que nos discussions t'aient amené à t'intéresser de plus près à Lalo, car en effet, ses œuvres concertantes ne souffrent guère de la comparaison avec le répertoire germanique autrement plus connu. Je trouve d'ailleurs franchement amusant que l'enregistrement que tu as trouvé soit celui de Perlman sous la direction de Barenboim, car justement je compte bien conclure ma déambulation d'aujourd'hui avec les deux complices.
Toutefois, avant de traverser l'Atlantique, contentons-nous de franchir la Manche. Il pourrait sembler étrange que nous n'ayons guère parlé de compositeurs anglais alors que nous sommes sur un forum consacré à Tolkien (je n'ai souvenir que de deux brèves allusions aux Planètes de Holst, en 2021 et en 2023), mais il est vrai qu'après Henry Purcell (1659-1695), l'Angleterre n'a guère compté de compositeurs de renom pendant longtemps, à moins de compter parmi eux Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Saxon naturalisé Anglais à l'âge de quarante-deux ans. Toutefois, s'il en est un que Tolkien ne pouvait manquer de connaître, c'est assurément Sir Edward Elgar (1857-1934), le plus fameux des compositeurs anglais de sa jeunesse, par ailleurs catholique et originaire des West Midlands, la région d'élection de Tolkien. En outre, une des pièces les plus célèbres d'Elgar est sa mise en musique du Songe de Gérontius, célèbre poème de John Henry Newman (pas encore cardinal à cette époque), sous forme d'un oratorio joué pour la première fois en octobre 1900 à Birmingham, soit l'année de la conversion de la mère de Tolkien et la première année que celui-ci a passé à la King Edward's School. Si Tolkien n'a pas assisté à cette représentation (par ailleurs désastreuse), il semble improbable qu'il n'en ait pas entendu parler. Au demeurant, il est manifeste que lui et sa famille connaissaient Elgar, au moins de réputation, puisque Tolkien l'évoque de manière allusive dans une lettre à son fils Michael (Let., n° 249, datée d’octobre 1963), à propos de tout autre chose que la musique.
Je suis moi-même très loin d'être bon connaisseur de ce compositeur, assez peu donnée à la radio, à l'exception des fameuses marches militaires Pomp and Circumstance. Fort heureusement, Warner a eu l'excellente idée de regrouper dans un coffret à petit prix toutes les œuvres d'Elgar dirigées par le grand chef d'orchestre anglais Sir John Barbirolli, qui était un de ses plus fervents défenseurs. L'une des pièces que je connaissais et appréciais déjà n'est autre que son Concerto pour violoncelle en Mi mineur Op. 85, sans doute un des plus beaux concertos écrits pour cet instrument, qui plus est interprété par une des plus grandes violoncellistes du siècle dernier, Jacqueline du Pré, accompagnée par l'Orchestre symphonique de Londres, lors d'une séance à juste titre qualifiée de légendaire. Du Pré n'avait alors que vingt ans et n'avait pas encore rencontré Barenboim, qui devait devenir son mari deux ans plus tard. Pour en rester à Elgar, les cinq marches militaires Pomp and Circumstance Op. 39 sont des morceaux dynamiques, et même rutilants, bénéficiant d'une riche orchestration, dont certaines sont ici jouées par l'Orchestre Philharmonia et d'autres par le New Philharmonia Orchestra (en fait la même phalange, comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer). Leur titre est tiré d'un monologue d'Othello dans la pièce éponyme de Shakespeare. La première de ces marches, en Ré majeur, est de loin la plus célèbre, mais les autres méritent amplement l'écoute, à commencer par la troisième, en Ut mineur.
Du côté de mes découvertes, j'ai trouvé que l'ouverture de concert Froissart (Op. 19), inspirée par les chroniques de Jean Froissart sur la guerre de Cent ans, était encore assez manifestement une œuvre de jeunesse, dont le développement traîne un peu en longueur, bien qu'il n'y ait rien à reprocher à l'interprétation du New Philharmonia Orchestra. La Symphonie n° 1 en La bémol majeur Op. 55 bénéficie elle aussi d'une exécution soignée par l'Orchestre Philharmonia, mais c'est une pièce qui ne m'a pas particulièrement convaincu. Elle permet de passer un bon moment, assurément, mais ne comporte aucun passage qui m'ait paru particulièrement mémorable. Toutefois, j'ai vraiment apprécié l'autre ouverture de concert figurant dans ce coffret, l'Ouverture Cokaigne « In London Town » Op. 40. Elle dépeint avec vivacité et intelligence la vie quotidienne de Londres à l'époque d'Elgar. L'Introduction et Allegro pour cordes Op. 47, joué par le Quatuor Allegri et le Sinfonia de Londres est aussi un morceau intéressant où Elgar déploie tout son talent. Parmi les pièces brèves, il faut aussi que je cite Sospiri (Op. 70) et Elegy (Op. 58), elles aussi interprétées par le New Philharmonia, qui sont de petits joyaux de sensibilité et de finesse. Du côté des œuvres vocales, je recommanderais volontiers d'écouter Sea Pictures (Op. 37), dont l'inspiration et l'esprit typiquement britanniques sont particulièrement bien servis par la mezzo-soprano Janet Baker et l'Orchestre symphonique de Londres. L'évocation musicale de la nature laisse fréquemment transparaître la féerie, notamment dans la première pièce « Slumber Song », de Roden Noel. J'ai aussi été touché par le romantisme de la deuxième « In Haven (Capri) », dont le texte a été écrit par C. Alice Elgar, la femme du compositeur. Je l'ai trouvé d'autant plus émouvante qu'Elgar et sa femme durent surmonter d'assez grandes difficultés avant de se marier, du fait des conventions sociales de l'époque. Toutefois, ce sont les morceaux n° 4 « Where corals lie », de Richard Garnett et n° 5 « The Swimmer », d'A. Lindsay Gordon que j'ai préférés sur le plan musical.
Je suis plus ambivalent à propos de l'œuvre la plus connue d'Elgar, les Variations sur un thème original « Enigma » Op. 36. J'avoue n'avoir pas vraiment perçu la raison de l'engouement qu'elles ont suscité, même s'il s'agit assurément de morceaux de belle facture, très agréables à écouter. Cela dit, certains mélomanes reprochent à Barbirolli une interprétation trop monotone, aussi faudrait-il sans doute que j'écoute des versions moins célèbres, mais apparemment plus réussies, comme celle de Pierre Monteux. A ce stade, j'ai préféré me tourner vers le poème symphonique Falstaff (Op. 68), qui retrace l'histoire du chevalier éponyme dans les pièces Henry IV, première et seconde parties, de Shakespeare. Elgar la considérait comme son chef d'œuvre orchestral et je ne suis pas loin d'être du même avis. L'enregistrement de l'Orchestre de Hallé a beau avoir soixante ans, il n'a pas pris une ride. Barbirolli et son Orchestre de Hallé ont enregistré la même année la Symphonie n° 2 en Mi bémol majeur Op. 63, de caractère particulièrement romantique, que j'ai beaucoup appréciée aussi.
Les deux derniers CD de ce coffret sont essentiellement consacrés à l'enregistrement du Songe de Gérontius (Op. 38) par l'Orchestre de Hallé, accompagné des Chanteurs ambrosiens et du Chœur philharmonique de Sheffield, avec encore une fois Janet Baker, ainsi que le ténor Richard Lewis et la basse Kim Borg. En compléments sur le dernier CD figurent quelques raretés historiques en mono, notamment le premier des deux morceaux Enfants d'un rêve (Op. 43, titre original en français) et la deuxième des Trois danses bavaroises (Op. 27), par l'Orchestre de Hallé, dont le son reste bon malgré un léger souffle audible. Elles sont néanmoins éclipsées par le Songe de Gérontius, qui me semble être le chef d'œuvre d'Elgar. Celui-ci disait d'ailleurs à son sujet « I have allowed my heart to open once », paroles qui me font irrésistiblement penser à la tournure similaire employée par Tolkien à propos du SdA. Les chanteurs sont splendides, particulièrement Richard Lewis, qui interprète le rôle de Gerontius, tandis que les parties pour chœur sont formidables. Comment résister à l'élan qui porte le chant de Gerontius, « Sanctus fortis, Sanctus Deus, De profundis oro te... » ? Comment ne pas apprécier la manière dont la prière du Prêtre est reprise et amplifiée par le chœur des assistants, lorsque « Go, in the name of Angels and Archangels » fait écho à « Go, in the Name of the Holy Spirit » ? Comment ne pas trouver formidable (et tolkienienne) l'opposition entre la vivace cacophonie des démons aux portes du Paradis et l'harmonie des chœurs célestes ? Pour moi qui n'ai finalement qu'un goût assez modéré pour les oratorios religieux, je trouve qu'il y a là une adéquation exceptionnelle entre le thème, la mort d'un vieil homme et le trajet de son âme dans l'au-delà, le poème écrit par Newman et sa mise en musique par Elgar.
Il manquait à ce coffret le Concerto pour violon et orchestre en Si mineur Op. 61, que Barbirolli avait pourtant interprété maintes fois, mais celui-ci souhaitait absolument l'enregistrer avec son dédicataire, le grand violoniste Fritz Kreisler, ce qui n'avait pu se faire pour des raisons économiques. Barbirolli en avait été tellement affecté qu'il n'avait jamais souhaité l'enregistrer par la suite. Il en existe fort heureusement d'excellentes versions, comme celle d'Itzhak Perlman et de l'Orchestre symphonique de Chicago, avec le grand chef Daniel Barenboim. C'est une version relativement rapide de cette pièce-fleuve qui dure pas loin d'une heure, mais je trouve qu'elle en tire la quintessence, car Perlman y joue avec une sensibilité superlative. Si l'ampleur de ce concerto et le rôle majeur de l'orchestre évoquent volontiers celui de Brahms, la manière dont les thèmes et leur développement s'interpénètrent est typique d'Elgar. Il s'agit assurément d'un morceau à écouter et à réécouter. Qui plus est, ce CD propose en complément le Poème Op. 25 de Chausson, dont j'ai déjà parlé, toujours avec Perlman, cette fois accompagné par l'Orchestre philharmonique de New York dirigé par Zubin Mehta. La version de Perlman est excellente, plus sensible et nuancée encore que celle de Juillet, ce qui fait d'ailleurs ressortir les similarités entre le style de Chausson et celui d'Elgar. Ce n'est après tout pas si surprenant si l'on considère que les principales influences d'Elgar sont allemandes (Wagner et Brahms, surtout), mais aussi françaises (Berlioz, Massenet, Saint-Saëns et... Delibes ).
E.
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Triste dimanche me concernant, en ce 26 mai censé être festif... Le temps m'a par ailleurs manqué pour terminer d'écrire tout ce qui était prévu, et à quoi se sont ajoutés d'autres choses... Bref, on n'a pas fini de feuilletonner...
Merci Elendil, pour ton évocation d'Elgar : je me disais justement, ces temps-ci, qu'il allait bien falloir se décider à parler de ce compositeur, notamment en raison des nombreux points communs que l'on peut effectivement lui trouver avec Tolkien.
Personnellement, c'est sans doute dans le sillage de mon voyage à Londres en 1997 (dont j'ai parlé ailleurs en 2022), vers la fin du siècle dernier, que j'ai été curieux de connaître les œuvres d'Elgar, non sans difficultés, car elles ont longtemps été peu diffusées en France, que ce soit par la radio ou par le disque. Je me souviens que c'est lors d'un séjour à Paris en 1999, à la Fnac des Champs-Élysées (alors récemment fondée... mais qui va parait-il fermer ses portes à la fin de cette année pour cause de déficit chronique), que j'avais fini par trouver une compilation, de chez EMI Classics en un CD édité en 1997, dédiée aux Concertos pour violoncelle d'Antonín Dvořák (créé au Queen's Hall à Londres en 1896) et d'Edward Elgar (aussi créé au Queen's Hall à Londres, en 1919), regroupant des enregistrements des années 1970, issus de deux albums distincts à l'origine, du violoncelliste Paul Tortelier, accompagné par l'Orchestre symphonique de Londres (LSO) dirigé par André Previn (pour le Concerto de Dvořák) et par Adrian Boult (pour le Concerto d'Elgar, qui fut du reste créé par le LSO, sous la direction du compositeur).
...son Concerto pour violoncelle en Mi mineur Op. 85, sans doute un des plus beaux concertos écrits pour cet instrument...
... avec notamment celui de Dvořák, oui, de fait, je suis tout-à-fait d'accord.
Les deux enregistrements que je connais, via la compilation de 1997 d'EMI que j'ai évoquée (et réécoutée récemment : Elendil incite incidemment assez souvent à la réécoute des classiques de ma discothèque), sont proposés sur YouTube, quoique s'agissant du Concerto pour violoncelle d'Elgar, j'ai constaté, hélas, une mauvaise attribution de fichier audio pour les deux premiers des quatre mouvements de l'œuvre (ce sont inexplicablement d'autres extraits d'une autre œuvre musicale que l'on entend : comme quoi, il faut bien toujours vérifier, comme j'ai pris l'habitude de le faire, si le référencement du contenu des albums CD repris sur YouTube est correct).
Antonín Dvořák (1841-1904), Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur, op. 104, Paul Tortelier (violoncelle), Orchestre symphonique de Londres (London Symphony Orchestra), dir. André Previn :
- III. Finale (Allegro Moderato - Andante - Allegro Vivo) :
https://www.youtube.com/watch?v=_B_C6aC6UIA
Edward Elgar (1857-1934), Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, op. 85, Paul Tortelier (violoncelle), Orchestre symphonique de Londres (London Symphony Orchestra), dir. Sir Adrian Boult :
- IV. Allegro – Moderato – Allegro, ma non-troppo – Poco più lento – Adagio :
https://www.youtube.com/watch?v=KCWQ3tdhjXo
Je suis plus ambivalent à propos de l'oeuvre la plus connue d'Elgar, les Variations sur un thème original « Enigma » Op. 36. J'avoue n'avoir pas vraiment perçu la raison de l'engouement qu'elles ont suscité, même s'il s'agit assurément de morceaux de belle facture, très agréables à écouter. Cela dit, certains mélomanes reprochent à Barbirolli une interprétation trop monotone, aussi faudrait-il sans doute que j'écoute des versions moins célèbres, mais apparemment plus réussies, comme celle de Pierre Monteux.
S'agissant des Variations sur un thème original « Enigma », je les connais depuis très longtemps au disque par une modeste version datant de la toute fin de la guerre froide, enregistrée en 1989 par l'Orchestre symphonique de la Radio tchécoslovaque dirigé par Adrian Leaper, et éditée en CD chez Naxos, avec d'autres enregistrements de quelques autres œuvres orchestrales d'Elgar : deux des cinq marches Pomp and Circumstance (n°1 et n°4, sans doute les plus populaires), une version pour orchestre de la mélodie Salut d'Amour (Liebesgruß), Op. 12, pièce qui fut un cadeau de mariage du compositeur à sa future épouse Caroline Alice (le titre en français de cette pièce, originellement nommée en allemand, a été attribué par l'éditeur Schott & Co, le morceau ayant eu tendance à mieux se vendre ainsi en Europe), et la Sérénade en mi mineur pour cordes, Op. 20. Il est possible que l'engouement que les Variations « Enigma » ont suscité soit dû à la dimension sciemment mystérieuse de l'œuvre (évoquée par Marc Vignal dans le Guide de la musique symphonique dirigé par F.-R. Tranchefort, ouvrage déjà cité dans mon long message consacré à Berlioz), avec d'une part un thème de six mesures en sol mineur et de quatre mesures en sol majeur supposé servir possiblement de contrepoint à une mélodie très célèbre mais jamais vraiment identifiée, et quatorze variations dédiées à des amis du compositeur désignés par des initiales ou par un pseudonyme. Ces Variations, à l'instar des marches Pomp and Circumstance, toutes pièces certes agréables à écouter, ne sont pas ce que je préfère chez Elgar, même si je retiens tout de même le côté particulièrement sympathique de la variation n°11 « GRS », qui évoque G. R. Sinclair, organiste à la cathédrale de Hereford, et en particulier Dan, son chien bouledogue, tombant à l'eau dans la rivière Wye, nageant à contre-courant et aboyant joyeusement en rejoignant la terre ferme. Salut d'Amour et la Sérénade pour cordes sont aussi agréables à écouter.
Edward Elgar, Variations sur un thème original « Enigma », Op. 36, Orchestre symphonique de la Radio tchécoslovaque, dir. Adrian Leaper :
- XI. « G.R.S. » (George Robertson Sinclair) :
https://www.youtube.com/watch?v=5LDy0moufwc
La Symphonie n° 1 en La bémol majeur Op. 55 bénéficie elle aussi d'une exécution soignée par l'Orchestre Philharmonia, mais c'est une pièce qui ne m'a pas particulièrement convaincu. Elle permet de passer un bon moment, assurément, mais ne comporte aucun passage qui m'ait paru particulièrement mémorable.
Je connais cette première symphonie d'Elgar, également agréable à écouter, dans une interprétation par l'Orchestre philharmonique de Londres (London Philharmonic Orchestra) dirigé par Leonard Slatkin en 1989, parue en CD chez BMG Music en 1991, sous le label RCA Victor Red Seal. Il se trouve que cet album CD contient également une interprétation, par les mêmes exécutants lors des mêmes sessions d'enregistrements, d'une œuvre faisant partie des pages orchestrales d'Elgar qui sont, au moins à mes yeux (à mes oreilles), aussi belles et mémorables que le Concerto pour violoncelle, Op. 85, déjà évoqué : il s'agit de In the South (Alassio), Op. 50, une ouverture composée en Italie pendant l'hiver 1903-1904 durant la majeure partie duquel Elgar séjourna en famille à Alassio, sur la côte ligurienne, son titre « Dans le Sud » reflétant selon le compositeur « les pensées et sentiments tirés d'une merveilleuse après-midi dans la vallée d'Andora ». Commençant par un vigoureux premier thème Vivace en mi bémol, puis enchainant les épisodes en tons mineurs et majeurs, cette brillante ouverture peut faire penser aux poèmes symphoniques de Liszt et de Richard Strauss, mais aussi plus précisément à Harold en Italie de Berlioz, avec un solo d'alto qui apparait à peu près au début de la deuxième moitié de l'œuvre, et des références à Byron (comme chez Berlioz) figurant dans le manuscrit de la composition. Comme Elendil a pu le remarquer, Elgar connaissait et appréciait la musique de Berlioz et d'autres compositeurs français, Gounod, Saint-Saëns, Massenet, Delibes, des auteurs dont il a loué les qualités en matière d'orchestration, caractéristiques de la création musicale française du XIXe siècle.
Edward Elgar, In the South (Alassio), Op. 50 (ouverture), Norbert Blume (alto), Orchestre philharmonique de Londres (London Philharmonic Orchestra), dir. Leonard Slatkin :
https://www.youtube.com/watch?v=jzAbhOvF0AI
Il pourrait sembler étrange que nous n'ayons guère parlé de compositeurs anglais alors que nous sommes sur un forum consacré à Tolkien (je n'ai souvenir que de deux brèves allusions aux Planètes de Holst, en 2021 et en 2023), mais il est vrai qu'après Henry Purcell (1659-1695), l'Angleterre n'a guère compté de compositeurs de renom pendant longtemps, à moins de compter parmi eux Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Saxon naturalisé Anglais à l'âge de quarante-deux ans.
En ce qui concerne Gustav Holst, ces dernières années (sans compter donc les allusions antérieures plus ou moins anecdotiques dont la première sur ce forum, me concernant, remonte à... mars 2004 ! ^^'), j'avais effectivement parlé succinctement des Planètes dans les messages de 2021 et 2023 auxquels tu fait référence, ainsi que dans un autre message en 2022, dans le fuseau dédié à Robert E. Howard, où du reste, nous échangions déjà un peu autour de la musique dite classique : https://www.jrrvf.com/fluxbb/viewtopic. … 011#p91011
Et en dehors des Planètes, j'ai aussi eu l'occasion, dans un message de décembre 2016, de déjà signaler une autre œuvre pour orchestre de Holst, dont il ne me déplait pas de reparler à présent, à savoir sa Symphonie en fa majeur « Les Cotswolds » (“The Cotswolds”), Op. 8, composée en 1899 et 1900, puis créé par l'Orchestre municipal de Bournemouth (Bournemouth Municipal Orchestra) en 1902, un an après que le compositeur se soit marié. Si Tolkien s'intéressa seulement à l'esthétique médiévaliste et au style littéraire archaïsant de William Morris, Gustav Holst fut pour sa part sensible (du moins à sa façon) aux idéaux socialistes de Morris et à la personnalité de ce dernier, ce qui l'amena à adhérer au Club socialiste de la Kelmscott House à Hammersmith. Dirigeant le Chœur socialiste de Hammersmith à partir de 1897, il y rencontra sa future épouse Isobel, choriste soprano. Le principal mouvement de la Symphonie « Les Cotswolds », le deuxième sur quatre, lent et élégiaque, est dédié à la mémoire de William Morris, mort en octobre 1896 à 62 ans.
Cette symphonie a fait l'objet d'un enregistrement en octobre 2011 par l'Orchestre de l'Ulster sous la direction de Joann Falletta, édité chez Naxos en 2012 avec d'autres enregistrements, par la même formation sous la baguette de Falletta, d'œuvres symphoniques méconnues de Holst, dont l'ouverture Walt Whitman, Op. 7, inspiré par le poète américain, une Suite japonaise (Japanese Suite), Op. 33, écrite à la demande du danseur et chorégraphe nippon Michio Itō, et un poème symphonique, Indra, Op. 13, d'inspiration indienne comme son titre l'indique, composé par Holst en 1903, en pleine période d'écriture (entre 1900 et 1906) de son premier opéra Sita d'après le Râmâyana, le compositeur ayant connu, à l'instar de nombre de ses contemporains britanniques, une période d'intérêt poussé pour la culture et la spiritualité de l'Inde. Indra est une belle œuvre orchestrale, évoquant ce dieu de la mythologie védique puis de l'hindouisme, Seigneur du Ciel, dieu de la pluie et des orages, qui triomphe du démon Vritra (Vṛtra).
Gustav Holst (1874-1934), Symphonie in fa majeur « Les Cotswolds » (“The Cotswolds”), Op. 8, Orchestre de l'Ulster, dir. Joann Falletta :
- II. Élégie (à la mémoire de William Morris) [Elegy (In Memoriam William Morris)], Molto Adagio :
https://www.youtube.com/watch?v=ujy0zfxvhMc
Gustav Holst, Indra, poème symphonique, Op. 13, Orchestre de l'Ulster, dir. Joann Falletta :
https://www.youtube.com/watch?v=CsCTwXl0w4A
Pour en revenir aux Planètes, Op. 32, suite pour orchestre composée par Holst de 1914 à 1917 et dont la célébrité a largement éclipsé toutes les autres œuvres de ce compositeur, j'avais discrètement signalé, dans un précédent message de 2021, avoir pu écouter ladite suite en concert, interprétée par l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev, à la Halle aux Grains le soir du 8 novembre de cette année-là... Aurai-je prochainement l'occasion d'en dire ces temps-ci un peu plus sur l'œuvre elle-même, et en particulier sur mes deux mouvements préférés sur les sept que comporte cette suite : Vénus, celle qui apporte la paix (“Venus, the Bringer of Peace”) et Neptune, le mystique (“Neptune, the Mystic”) ? L'avenir le dira, sachant que Bizet, Offenbach, Johann Strauss fils, Wagner, Debussy et Ravel attendent encore d'être évoqués, alors que mes réécoutes de leurs œuvres sont toujours d'actualité.
S'agissant de Claude Debussy, il se trouve que son unique opéra Pelléas et Mélisande (d'après la pièce de théâtre symboliste de Maeterlinck, qui inspira aussi Fauré, Sibelius et Schönberg) était depuis le 17 mai dernier jusqu'à aujourd'hui, 26 mai, proposé pour cinq représentations au théâtre du Capitole, en tant qu'avant dernier spectacle de la saison 2023-2024 de l'Opéra national du Capitole de Toulouse. J'ai pu assister (en ayant dû prendre la voiture...), dimanche dernier dans l'après-midi (à partir de 15h et jusqu'à un peu au-delà de 18h : j'y étais donc au moment où Elendil a mis en ligne son précédent message du 19 mai) à une de ces représentations, et j'en dirais si possible également quelques mots prochainement...
Pour l'heure, vu les circonstances dominicales succinctement évoquées au début de ce message, ce sera avec Fauré que je terminerai, en ayant réécouté aujourd'hui, avec une certaine émotion je l'avoue (comme quand j'ai ensuite relu et réécouté Duke Ellington), un peu de son grand Requiem, op. 48, et notamment les passages les plus beaux à mes yeux (à mes oreilles) que sont l'Agnus Dei et la dernière partie In Paradisum. Je connais surtout le Requiem de Fauré à travers deux interprétations au disque : celle dont a déjà parlé Elendil précédemment, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Michel Plasson (avec notamment, en soliste, la soprano Barbara Hendricks et le baryton José van Dam), enregistrée en juillet 1984 à la Halle aux Grains et éditée en CD chez EMI (avec un enregistrement de la Cantate de Jean Racine pour choeur et orchestre, le tout ayant été intégré plus tard dans la compilation dont a parlé Elendil), et une interprétation plus ancienne, avec l'Orchestre de la Suisse-Romande dirigé par Ernest Ansermet, enregistrée en octobre 1955 (avec notamment la soprano Suzanne Danco et le baryton Gérard Souzay) et plusieurs fois éditée en CD chez Decca (avec des enregistrements de plusieurs œuvres orchestrales de Fauré, dont Masques et bergamasques, op. 112, œuvre déjà aussi évoquée par Elendil mais dont j'aurai peut-être l'occasion de reparler...).
Gabriel Fauré (1845-1924), Requiem, pour soli (solistes), chœur, orchestre et orgue, Op. 48 :
- V. Agnus Dei (chœur) « Agnus Dei, qui tollis » :
> https://www.youtube.com/watch?v=1JW6TaREPDU (Orfeón Donostiarra [dir. Antxon Ayestaran], Arlette Amyel [orgue], Orchestre National du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson)
> https://www.youtube.com/watch?v=GNmRic0kzLQ (Union chorale de la tour de Peilz [dir. Robert Mermoud], Eric Schmidt [orgue], Orchestre de la Suisse-Romande, dir. Ernest Ansermet)
- VII. In Paradisum (chœur) « In Paradisum deductant » :
> https://www.youtube.com/watch?v=fqeUEwK_J3M (Orfeón Donostiarra [dir. Antxon Ayestaran], Arlette Amyel [orgue], Orchestre National du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson)
> https://www.youtube.com/watch?v=SQwaPA-mWkE (Union chorale de la tour de Peilz [dir. Robert Mermoud], Eric Schmidt [orgue], Orchestre de la Suisse-Romande, dir. Ernest Ansermet)
Amicalement,
B.
(EDIT: correction de fautes)
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Je suis bien d'accord, le Concerto pour violoncelle de Dvořák fait partie des chefs-d'œuvre du genre, avec celui de Schumann et les deux composés par Saint-Saëns. Je te remercie pour les autres références relatives à Elgar. Je les ai écoutées sur YouTube, à défaut de les avoir en CD. Le Salut d'amour est romantique à souhait, comme il sied à une pièce aussi personnelle. La Sérénade pour cordes est habilement écrite, dans un style très plaisant. Quant à l'Ouverture de concert In the South, Alassio, j'en ai trouvé une autre version avec l'Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par John Eliot Gardiner. Cela dit, j'ai quand même l'impression qu'il manque à ces deux morceaux le trait de génie qui en ferait des œuvres inoubliables. S'agissant de Holst, c'est vrai, j'avais oublié que tu avais déjà mentionné sa symphonie The Cotswolds il y a quelque temps. Je l'ai écoutée dans la version que tu nous as signalée et je l'ai trouvée là aussi très sympathique, mais pas autant que sa Suite japonaise (à propos de laquelle je compte revenir d'ici peu). Je te rejoins d'ailleurs à propos du manque de temps disponible pour évoquer nos écoutes respectives. Je n'insiste guère là dessus, mais j'aurais volontiers parlé de Haendel et de Rameau, de Schubert et de Schumann, de Bruch et de Massenet, et de quelques autres encore, mais j'ignore si j'aurai la possibilité de le faire de sitôt, d'autant que d'autres écoutes plus récentes rendent floues les impressions que je ne me suis pas hâté de noter.
En parlant d'écoutes récentes, j'aimerais évoquer Henry Purcell (1659-1695), qui est un peu la figure tutélaire des compositeurs anglais, bien qu'il ne soit pas plus le premier dans ce domaine que Tolkien n'est le fondateur de la fantasy contemporaine. Purcell est surtout connu pour son opéra Didon et Enée et pour la musique qu'il composa à l'occasion des funérailles de la reine Marie II d'Angleterre. Il a toutefois composé différents hymnes, mélodies et morceaux instrumentaux, dont une belle sélection figure dans le double CD intitulé Anthems, Instrumental Music, Songs édité par Teldec dans l'excellente collection « Das Alte Werk », avec le Leonhardt-Consort et le Brüggen-Consort dirigés par leurs fondateurs respectifs, Gustav Leonhardt et Frans Brüggen.
Parmi les hymnes que j'ai le plus appréciés, je compterai l'œuvre de jeunesse Rejoice in the Lord alway (Z49), où Purcell joue sur le contraste entre une partie vocale assez traditionnelle et une mélodie instrumentale plus audacieuse. Je mentionnerai aussi O God, Thou has cast us out (Z36) et le morceau très introspectif Remember not, Lord, our offences (Z50). Le chef d'œuvre de cette série reste toutefois le grand hymne My heart is inditing (Z30). Dans ce registre, Purcell semble s'efforcer de faire la synthèse entre la tradition germanique dont Buxtehude est un des plus illustres représentants et les grands motets à la française, dans le style que Lully avait rendu célèbre. Soit dit en passant, ce n'est pas si surprenant lorsqu'on sait qu'un des maîtres de Purcell avait lui-même été élève de Lully. Du côté des morceaux instrumentaux, j'ai notamment apprécié l'Ouverture (avec Suite) en Sol majeur (Z 770) ainsi que la Sonate pour deux violons et basse continue en La mineur (Z 804). La Fantasia (Chaconne) Three Parts on a Ground en Ré majeur (Z 731) me semble à juste titre célèbre. Comme j'aime particulièrement le clavecin, j'ai été très sensible au Ground en Ré mineur (ZD 222), à la Suite en Ré majeur (Z 667) et à A New Ground en Mi mineur (ZT 682). Enfin, le second CD se clôt sur sur trois mélodies profanes pleines de vie : Fly swift, ye hours ; The Father brave ; Return, revolting rebels. Elles donnent à entendre un versant nettement moins formel, mais non moins intéressant, de l'art de Purcell.
E.
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Bonjour à tous,
Je n’ai suivi que d’assez loin cette discussion car j’écoute peu de musique classique. Pas d’initiation familiale et ce n’est pas un goût que j’ai développé par moi-même. Je peux aimer beaucoup un passage de classique mais rarement une œuvre sur la durée (mon cas est fréquent je pense). J’ai essayé d’écouter certains des morceaux que vous avez mentionnés mais je manque moi aussi de temps et je trouve que la musique classique se prête mal à une écoute en fond sonore, ce qui ne facilite pas les choses. Tout à l’heure par exemple, j’avais des impressions de documents à faire. Tâche peu exigeante intellectuellement, me suis-je dit, je vais en profiter pour écouter plus attentivement Vénus, celle qui apporte la paix. J’ai apprécié effectivement, mais je me suis rendue compte que j’avais imprimé deux fois la même chose, puis superposé deux impressions sur le même côté d’une feuille. J’ai cessé de prêter attention à la musique avant de gâcher davantage d’encre et de papier...
Bref, vous avez écrit que les Variations « Enigma » étaient connues, c’est vrai : je les connaissais ... Sans savoir de quoi il s’agissait cependant ni où je les avais entendues. Je me suis demandée si elles avaient été utilisées pour un film et c’est ainsi que j’ai découvert ce podcast de France Musique où il est aussi question des Planètes (4 minutes seulement ! ):
Gustav Holst et Edward Elgar : la matrice musicale de Matrix
Céline
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Assurément, l'écoute de la musique classique fait partie des loisirs qui demandent du temps. Impossible d'apprécier à sa juste mesure un morceau qu'on n'écoute que d'une oreille distraite. Puisque nous sommes dans le domaine anglais et que Beruthiel fait de nouveau allusion à lui, il me semble logique de revenir à Gustav Holst, dont Hyarion a déjà parlé à plusieurs reprises. J'en profite pour remercier ce dernier, car sans lui, il est probable que je serais passé entièrement à côté de l'œuvre de Holst. J'avais écouté les Planètes il y a bien des années de cela, et j'avais trouvé ce grand poème symphonique assez ennuyeux. Je serais aujourd'hui incapable de me souvenir de l'interprétation que j'avais entendue et ne peux donc dire si ce sont mes goûts qui ont évolué, mon matériel stéréophonique qui était insuffisant, ou si j'étais tout simplement tombé sur une version décevante.
Toujours est-il qu'à la suite des échanges précédents, une deuxième écoute m'a paru nécessaire, et qu'en raison de l'ampleur de l'orchestre requis par la partition, un simple passage par YouTube ne suffirait pas. J'ai donc trouvé (d'occasion, comme quasiment tous les CD que j'achète désormais) une édition qui m'a semblé intéressante, avec l'Orchestre Philharmonia dirigé par John Eliot Gardiner. Elle comporte en complément Les Guerriers, une pièce initialement conçue comme une musique de ballet par son compositeur, l'Australien Percy Grainger, membre du même cercle de musiciens que Holst. Les deux pièces furent d'ailleurs composées à la même période et constituent chacune le chef d'œuvre de leurs auteurs respectifs. Malheureusement, on comprend très vite pourquoi Grainger est resté dans l'obscurité : beaucoup d'agitation musicale, une certaine cacophonie pas illogique au vu du thème de l'œuvre, mais rien qui retienne durablement l'attention. Les Planètes sont autrement intéressantes, développant des atmosphères variées qui peuvent aussi bien évoquer les observations astronomiques que les considérations mythologiques. Il me semble clair que c'est le trait de génie du chœur féminin qui conclut le dernier mouvement « Neptune, le mystique » qui explique en bonne partie le succès de ce poème symphonique. Les autres mouvements que j'ai préférés sont « Jupiter, celui qui apporte la gaieté » et « Uranus, le magicien », où s'entremêlent tension et contemplation. Entre les deux, « Saturne, celui qui apporte la vieillesse » est sans doute le mouvement le plus étrange et le plus original, avec sa mélopée répétée qui domine l'essentiel du morceau.
Comme Hyarion était d'avis qu'il était trop réducteur de ne voir en Holst que le compositeur des Planètes, j'ai cherché un second CD qui pourrait me donner un aperçu plus large de son œuvre et je suis tombé sur une compilation enregistrée par le célèbre chef anglais Adrian Boult pour le label Lyrita, où l'on retrouve la Suite japonaise (Op. 33) jouée par l'Orchestre symphonique de Londres, ainsi que plusieurs autres morceaux enregistrés par l'Orchestre philharmonique de Londres : A Fugal Overture (Op. 40 n° 1), A Somerset Rhapsody (Op. 21 n° 2), la Suite orientale Beni Mora (Op. 29 n° 1), le Prélude et scherzo pour orchestre Hammersmith (Op. 52) et un dernier Scherzo sans numéro d'opus, composé en 1933-1934, qui était destiné à une symphonie restée inachevée du fait du décès de Holst. Cette sélection a l'intérêt de comprendre une grande partie des pièces reconnues de Holst tout en fournissant un aperçu de son évolution stylistique à partir des premières œuvres qu'il ne rejeta pas au motif qu'il s'agissait d'« horreurs de jeunesse » (catégorie qui inclut la symphonie Les Cotswolds, au passage).
J'avoue ne pas être particulièrement convaincu par A Fugal Overture, morceau plein d'entrain, mais qui me semble manquer de profondeur (surtout quand on vient de terminer l'écoute des Planètes). J'ai plus apprécié le poème symphonique A Somerset Rhapsody, qui débute dans une veine contemplative évoquant Vaughan Williams et fait se succéder des airs populaires imbriqués avec talent. La Suite orientale et la Suite japonaise ne se contentent pas de nous faire rêver aux pays lointains, mais s'inspirent directement des mélodies d'Algérie et du Japon. Ce sont deux pièces de style assez différent, mais que je réécouterai avec plaisir. Quant à Hammersmith, qui évoque un quartier de Londres, et au Scherzo de cette symphonie inachevée, il s'agit d'œuvres de facture beaucoup plus moderne, qui évoquent superficiellement Prokofiev, mais qui restent imprégnées du style propre à Holst. Elles semblent assez surprenante comparées aux autres morceaux de ce CD, mais témoignent de la vitalité artistique de Holst dans la dernière partie de sa vie.
Je noterai pour conclure qu'il n'existe pas de lien démontré entre Tolkien et Holst, en dépit de l'intérêt que ce dernier nourrissait pour les mélodies folkloriques anglaises, intérêt partagé par Tolkien, dont on connaît le goût pour la rédaction de nouveaux poèmes destinés à être chantés sur des airs traditionnels. Toutefois, si l'inspiration de Holst se dirigeait volontiers vers l'Orient, il est manifeste que la littérature merveilleuse anglaise exerçait également sur lui une profonde fascination. Hyarion a déjà souligné à juste titre que Holst était sensible aux idéaux de William Morris. Je pourrais rajouter qu'il consacra une grande partie de sa vie à démocratiser l'enseignement de la musique en Angleterre. Toutefois, Holst appréciait aussi Morris pour ses talents d'écrivain et mit en musique plusieurs de ses poèmes. Plus notablement, certains morceaux de Holst s'inspirent de l'œuvre de George MacDonald, à l'instar de sa suite orchestrale Phantastes, donnée en concert en 1912 au Queen's Hall de Londres sous la baguette du compositeur lui-même (ce fut un échec majeur, conduisant Holst à retirer sa pièce après cette unique représentation). Je signale ici pour référence un court article synthétisant les liens entre Holst et MacDonald.
E.
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Faute de participation, je hasarderai un nouveau message en parlant en préambule d'un double CD sur lequel je suis tombé par hasard, au détour d'un vide-greniers local. Intitulé Grandes Toccatas pour orgue et édité par EMI, il propose un panorama des pièces de fantaisie pour orgue, de Johann Kaspar Kerll (1627-1693) à Olivier Messiaen (1908-1992). On y retrouve, entre autres, quelques compositeurs dont nous avons déjà parlé : Mozart, bien sûr, mais aussi Brahms, Liszt, et Franck. Pour ne parler que de ceux-là, j'ai été impressionné par la clarté et le caractère virtuose de la Fantaisie en Fa mineur KV 608 de Mozart, joué par Lional Rogg sur l'orgue Füglister de l'église réformée de Lutry (Suisse). J'ai beaucoup apprécié le Prélude et fugue en Sol mineur de Brahms, interprété par Viktor Lucas à l'orgue Steinmeyer de l'église évangélique de Bayreuth (d'autant plus que j'ignorais que Brahms avait composé pour l'orgue). Est-il besoin d'ajouter que le Prélude et fugue sur le nom de Bach de Liszt (là aussi joué par Lionel Rogg, mais sur l'orgue Metzler de la cathédrale Saint-Pierre de Genève) est une pure merveille de virtusosité ? Ma seule déception concerne la Pièce héroïque en Si mineur de Franck (jouée par Guy Morançon à l'orgue Cavaillé-Coll de l'abbatiale de Saint-Ouen de Rouen) dont le thème est splendide, mais dont la sonorité manque de brillant et de vigueur. A noter que l'orgue ou l'interprète ne semblent pas en cause, vu qu'on les retrouve sur d'autres pièces de Gigout, Boëllmann ou Widor, où ce défaut semble absent. Il faudra que je vérifie ce que donne l'enregistrement de ce morceau dans l'intégrale de l'œuvre pour orgue de Franck, qui a longtemps été le seul coffret que j'avais de ce compositeur, et que je n'ai justement pas réécoutée depuis pas mal de temps.
(EDIT : J'ai réécouté l'autre enregistrement, par Jean Guillou sur l'orgue van den Heuvel de l'église Saint-Eustache de Paris, et il sonne de manière si différente qu'on aurait l'impression qu'il s'agit de deux morceaux différents si le thème principal n'était pas aussi reconnaissable. Je recommande vivement cette version, éditée par Brilliant Classics, qui bénéficie d'un son exceptionnel, où les basses fréquences sont remarquablement restituées.)
Maintenant, si je vous disais qu'à l'exception d'Elgar, les textes publiés de Tolkien ne citent qu'un seul autre compositeur anglais, et qu'il s'agissait à cette époque du plus célèbre compositeur des îles britanniques, je doute que vous devineriez que je fais allusion à William Walton (1902-1983), à moins bien sûr de connaître par cœur les Lettres. En l'occurrence, Tolkien n'évoque pas directement la musique de Walton, mais le fait que celui-ci logea temporairement avec le poète Roy Campbell à l'époque où celui-ci séjourna à Oxford (apparemment vers 1919-1920). La musique de Walton est aujourd'hui assez oubliée, au moins sur le continent, où son influence était de toute façon bien moindre qu'en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Ce dédain commença à être perceptible du vivant du compositeur, qui, après avoir été considéré comme le trublion de la musique anglaise sembla s'assagir et vit sa popularité éclipsée par celle de Britten. Dans ce cas précis, c'est clairement la connexion avec Tolkien qui m'incita à en apprendre plus à son sujet et à acheter un coffret de 4CD intitulé The Centenary Edition (Decca, « The British Music Collection »), qui contient avec les principales œuvres orchestrales et chorales de Walton, interprété par l'Orchestre symphonique de Bournemouth sous la direction d'Andrew Litton. Autant dire que cela couvre les plus importantes de ses compositions, à l'exception de son opéra Troilus et Cressida (1954), des nombreuses musiques de film qu'il a composées et de Façade - An Entertainment (1923), une récitation de poèmes d'Edith Sitwell mise en musique par Walton.
Notons toutefois que Walton composa deux suites orchestrales dérivées de Façade en 1926 et en 1938, et qu'une manière de les jouer consiste à les entremêler pour restituer un total de onze des vingt-deux morceaux de l'édition définitive de la version vocale. C'est la solution retenue par cette édition. Elle permet de comprendre immédiatement pourquoi Façade rendit Walton célèbre, car ces morceaux sont remarquablement dynamiques et renouvellent avec talent les styles musicaux dont ils s'inspirent. Parmi les autres morceaux vocaux qui firent la célébrité de Walton, il faut absolument signaler l'Oratorio Le Festin de Balthazar (1931, révisé en 1948), sur des textes tirés de la Bible et arrangés par Osbert Sitwell. La musique de Walton suit étroitement les extraits choisis du texte biblique, au point de changer abruptement d'atmosphère d'un mouvement à l'autre, ce qui peut parfois surprendre, mais témoigne fréquemment d'un sens du tempo remarquable. Ainsi la description du festin, qui prend l'aspect d'une véritable bacchanale est suivie par un passage presque murmuré par le baryton-basse Bryn Terfel où celui-ci décrit la main sortie de nulle part qui écrit sur le mur les mots fatidiques : mene, mene, tekel, upharsin, juste avant que le choeur ne proclame à pleine voix leur signification et que le soliste ne relate triomphalement l'assassinat de Balthazar au cours de cette même nuit. La joie des Hébreux est alors exprimée de manière exubérante au travers des paroles du Psaume 81, v. 2-4. Anecdote amusante, l'atmosphère parfois païenne de cet oratorio et son usage des techniques du jazz rebutèrent les autorités anglicanes du célèbre Festival des trois chœurs (qui se tient alternativement dans les cathédrales de Hereford, de Gloucester et de Worcester), au point que celles-ci n'autorisèrent sa représentation qu'en 1957, 26 ans après sa création.
Walton est aussi l'auteur de trois concertos pour instrument à cordes, l'un pour alto (1929, révisé en 1961), le deuxième pour violon (1939, révisé en 1944) et le dernier pour violoncelle (1957). Des trois, c'est le premier que je préfère, et j'aurais même tendance à le considérer comme le chef d'œuvre de Walton. Il s'agit en tout cas d'une pièce majeure du répertoire pour alto, lequel n'est pas très riche il faut bien le dire. Dans ce coffret, c'est sans doute la pièce la plus influencée par les premiers concertos de Prokofiev, mais avec une fin mélancolique qui peut faire penser à la sixième symphonie de Tchaïkovski ou au concerto pour violoncelle d'Elgar. Initialement composé pour l'altiste Lionel Tertis, celui-ci refusa la partition, qu'il jugeait trop avant-gardiste, aussi c'est Paul Hindemith qui en assura la création. Tertis, qui assista à la première, révisa le soir même son opinion et donna ce concerto à plusieurs reprises. Le soliste Paul Neubauer se montre ici son digne successeur. Le concerto pour violon est un beau morceau, commissionné par le célèbre violoniste Jascha Heifetz, lequel en fut toujours un ardent défenseur. J'irais volontiers l'écouter en concert si l'occasion m'était donnée. En revanche, je ne suis pas convaincu par l'interprétation de la violoniste Tasmin Little, laquelle n'est malheureusement pas aidée par une prise de son trop distante du violon. Quant au dernier de ces concertos, composé à la demande du violoncelliste Gregor Piatigorsky, il a dès sa création été l'objet d'opinions variées sur sa qualité. A titre personnel, je n'ai rien à reprocher au soliste Robert Cohen, mais la prise de son est malheureusement un peu plate, aussi les harmoniques du violoncelle ne ressortent pas tout à fait comme elles le devraient , ce qui est d'autant plus dommage que l'instrument est appelé à jouer en solo ou presque dans de nombreux passages d'une grande délicatesse. Toutefois, étant donné qu'il a été plébiscité par une impressionnante phalange de violoncellistes virtuoses, je pense qu'il ne me sera pas trop difficile d'en trouver un meilleur enregistrement au besoin.
Les deux symphonies de Walton figurent aussi dans ce coffret. Sa Symphonie n° 1 en Si bémol majeur (1935) semble à la croisée des chemins entre les symphonies romantiques d'Elgar et l'esthétique stravinskienne. Il s'agit là d'une œuvre remarquable, dont il est permis de se demander pourquoi elle n'est pas jouée plus souvent. Je trouve d'ailleurs sa Symphonie n° 2 plus intéressante encore que la première, mais sa réputation pâtit sans doute d'une date de création tardive (1960), alors que Walton commençait à être passé de mode en Angleterre. La Suite pour orchestre Henry V fut adaptée en 1963 par Muir Mathieson à partir de la musique du film Henry V de Laurence Olivier, que Walton avait composée en 1944. Les différents morceaux sont composés avec art, mais il me semble qu'il y manque un supplément d'âme pour rendre cette pièce véritablement mémorable. En revanche, cela m'a rendu curieux de voir le film. Notons encore un morceau plus court, Scapino - A Comedy Overture (1940, révisé en 1949), de caractère très joyeux, voire espiègle, à l'image du personnage de la Commedia dell'arte et de son adaptation dans la pièce de Molière. Dans un tout autre style, les Variations sur un thème de Hindemith font partie des morceaux les plus célèbres de Walton. En ce qui me concerne, j'ai tendance à considérer que ce type d'exercice est idéal pour jauger l'inventivité et la variété d'expression d'un compositeur. Ici, Walton se montre amplement à la hauteur de la tâche, et propose des pièces vivantes, à chaque fois originales, dans une succession où alternent nostalgie, enthousiasme, et rêverie.
Tout cela ne répond pas, me direz-vous, à la question de savoir si Tolkien a effectivement entendu des compositions de Walton. En fait, le dernier disque de ce coffret nous fournit une réponse au moins partielle, car il me semble quasi-obligatoire que Tolkien ait entendu la musique des couronnements de George VI en 1937 et d'Elizabeth II en 1953. Or Walton composa pour le premier la Marche du couronnement « Imperial Crown » et pour le second la Marche du couronnement « Orb and Sceptre » ainsi qu'un Te Deum du couronnement. Notons, toujours pour l'anecdote, que Walton affirma avoir tiré Imperial Crown et Orb and Sceptre d'un monologue de Henry V dans la pièce éponyme (Acte IV, sc. 1, v. 269-193) et qu'il ajouta en privé vouloir réserver une autre expression de ce monologue, Bed majestical pour le couronnement de Charles III. Comme nous le savons, Walton ne vécut pas pour voir celui-ci, mais le roi Charles, guère rancunier, fit jouer les deux marches de Walton pour son propre couronnement en 2023. Toujours est-il que la première de celles-ci est un beau morceau, plus romantique qu'avant-gardiste, dans la grande tradition des marches Pomp and Circumstances d'Elgar, tandis que la seconde est plus audacieuse, mêlant accents modernes et style classique. Le Te Deum du couronnement est sans doute un des plus récents Te Deum écrits, mêlant avec intelligence la joie des prières de louanges et le recueillement. Vous l'aurez compris, Walton est un compositeur que j'invite tout amateur de musique classique à découvrir, car il me semble injustement méconnu en France.
E.
Hors ligne
Faute de participation...
Voila des mots qui sonnent comme un commentaire de soirée électorale télévisée... sauf que finalement, la participation aux élections européennes aura été plus élevée que je ne l'escomptait... avec les résultats que l'on sait... et une dissolution en prime... ^^'
Plus sérieusement, comme j'ai pu le dire sur le réseau de Mark Z. ce dimanche soir, j'espérais naïvement que durant ce qui est sans doute la pire période de ma vie, la politique me laisserait un peu en paix, au moins cette année une fois les élections européennes passées... mais non...
J'avoue douter, cette nuit, que le résultat des prochaines législatives anticipées aboutisse à un relèvement significatif du niveau intellectuel en matière de « débat » public et parlementaire en France (nous sommes tombés extrêmement bas durant l'actuelle dernière législature, XVIe de la Ve République), mais bon, à l'occasion de cette dissolution de l'Assemblée Nationale (la première depuis 1997), nous verrons bien à quel point, et dans quelle mesure, nous avons la vie politique que nous méritons...
Pour ce qui est du sujet qui nous occupe ici, je fais de mon mieux pour participer, mais bien des contraintes, professionnelles et domestiques notamment, retardent souvent la rédaction de mes messages depuis des semaines, et comme je ne me résous pas à saucissonner mon propos en plusieurs posts, cela donne un certain nombre de jours de silence... mais ce qui ne signifie pas qu'il ne se passe rien ! ^^'
Quand j'ai un moment de libre, je prends le temps de songer au passé... et voila que samedi dernier, en parcourant la petite collection maternelle de disques vinyles, conservée dans une très vieille armoire en bois, j'ai retrouvé notamment une référence musicale dont le partage, qui sait, réveillera peut-être un peu l'assistance : de mon point de vue, en tout cas, ça réveille !
Vangelis O. Papathanassiou, Earth, album studio, 1973 :
1. “Come On” :
https://www.youtube.com/watch?v=NdDHvGWsfw0
(album complet : https://www.youtube.com/watch?v=NdDHvGW … xU&index=2 )
Premier album solo officiel de Vangelis (alors âgé de trente ans), premier album studio de l'artiste après la séparation de son groupe Aphrodite's Child, Earth relève plutôt du rock progressif ou prog rock, mais il a notamment aussi un côté folk, et un côté “world music” sur un fond électronique déjà bien caractéristique du musicien. Cet album fait en tout cas le lien entre la musique d'Aphrodite's Child et tout ce que produira par la suite Evángelos Odysséas Papathanassíou, dit Vangelis (dont notre ami Gawain avait signalé la disparition ailleurs en 2022). Le premier titre, “Come On”, est pour le moins énergique et percussif. L'inspiration musicale de l'album se veut dorienne, au sens historique grec du terme. Enregistré à Paris avec la collaboration de Anargyros Koulouris et Robert Fitoussi, sorti en 1973, Earth a fait l'objet d'un concert promotionnel à L'Olympia en février 1974.
J'ai aussi retrouvé, dans la même collection de vinyles, une référence classique sur laquelle je reviendrai en conclusion...
Je n’ai suivi que d’assez loin cette discussion car j’écoute peu de musique classique. Pas d’initiation familiale et ce n’est pas un goût que j’ai développé par moi-même. Je peux aimer beaucoup un passage de classique mais rarement une œuvre sur la durée (mon cas est fréquent je pense). J’ai essayé d’écouter certains des morceaux que vous avez mentionnés mais je manque moi aussi de temps et je trouve que la musique classique se prête mal à une écoute en fond sonore, ce qui ne facilite pas les choses. Tout à l’heure par exemple, j’avais des impressions de documents à faire. Tâche peu exigeante intellectuellement, me suis-je dit, je vais en profiter pour écouter plus attentivement Vénus, celle qui apporte la paix. J’ai apprécié effectivement, mais je me suis rendue compte que j’avais imprimé deux fois la même chose, puis superposé deux impressions sur le même côté d’une feuille. J’ai cessé de prêter attention à la musique avant de gâcher davantage d’encre et de papier...
Assurément, l'écoute de la musique classique fait partie des loisirs qui demandent du temps. Impossible d'apprécier à sa juste mesure un morceau qu'on n'écoute que d'une oreille distraite.
Bien sûr, écouter vraiment la musique demande du temps (comme la lecture)... mais dans une perspective d'appréhension plus générale, à mon humble avis, je ne crois pas qu'il y ait une meilleure manière qu'une autre de s'initier à la musique dite classique, sauf si l'on entend trouver des vertus aux déterminismes sociaux, ce qui n'est pas mon cas. À cette aune, je regrette d'ailleurs que des gens « non initiés » persistent parfois, encore de nos jours, à considérer la musique classique comme un « truc de bourge » qui serait réservé à une élite, aux « riches » (supposés « avoir du temps pour cela »), voire serait politiquement un « marqueur de droite » tandis que la pop ou le rap, par exemple, seraient politiquement des « marqueurs de gauche », ce qui me parait complètement idiot, et du reste plutôt révélateur notamment d'une confusion entre culture populaire et culture de masse (consumériste).
Je trouve par ailleurs étrange, voire un peu perverse, la méthode des autorités de divers endroits dans le monde (en Finlande, en Californie, au Royaume-Uni, en Belgique et aussi en France) consistant à utiliser la musique classique comme « arme » sonore dissuasive pour éloigner les jeunes (ou les SDF) de certains endroits publics. Tout récemment, j'ai appris notamment que la police finlandaise de la région administrative d'Uusimaa diffuse des « tubes » de la musique classique par des haut-parleurs, placées aux abords de la plage de Haukilahti à Espoo, pour dissuader les jeunes fêtards de venir passer leurs soirées de juin sur ladite plage en fin d'année scolaire et éviter ainsi les dégradations : « Pour une raison ou une autre, la musique classique n'attire pas les jeunes, et les jeunes restent à l'écart des endroits où il y a de la musique classique. [...] Il est préférable pour nous de garder les jeunes sur la terre ferme, et il est agréable pour les familles de venir se baigner ici le matin lorsque la plage est propre » déclare-t-on du côté de la police pour justifier cette méthode, selon le site yle.fi. Certes, en étant ainsi diffusée dans des endroits publics – comme la SNCF a pu le faire aussi, il y a une dizaine d'années dans des stations de RER et autres gares d'Île-de-France –, si la musique classique adoucit les mœurs suivant un adage bien connu, c'est tant mieux, mais si elle doit devenir parallèlement un symbole de l'ordre dans ce qu'il peut avoir de marginalisant, c'est regrettable, a fortiori si cela finalement oriente négativement les goûts musicaux des « jeunes »... lesquels de toute façon, sauf accident, seront vieux un jour...
Toujours est-il que l'on peut appréhender (positivement) la musique classique de bien des façons. Personnellement, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, je ne suis pas issu d'une famille de musiciens. J'ai été initié à la musique dite classique de manière informelle, dans un contexte social fort modeste, par ma mère en commençant très simplement par un disque vinyle des Quatre Saisons de Vivaldi (ma mère écoutait surtout par ailleurs de la chanson française, du folk et du rock, correspondant à sa génération, celle de la jeunesse des années 1950-1960-1970), puis par l'école de musique départementale que j'ai fréquenté enfant pendant quelques années sans pour autant être attiré par le côté pré-professionnel et aussi socialement un peu élitiste du milieu (par ailleurs, au-delà des notions de base permettant de lire une partition et de jouer un peu dans l'orchestre de l'école, je n'aimais pas le solfège : cela me paraissait trop ressembler aux mathématiques, lesquelles n'ont notoirement jamais été ma tasse de thé, depuis le CP), et je me suis ensuite initié à cette musique beaucoup par moi-même à l'adolescence, dans le courant des années 1990 à travers le support CD et l'écoute de la radio France Musique (à une époque où les podcasts n'existaient pas et où l'audience de cette radio était peut-être un peu moins large qu'aujourd'hui).
Je pense qu'il est sans doute plus facile d'écouter de la musique dite classique en fond sonore si l'on connait déjà, au moins un peu, les œuvres et le style musical des compositeurs. Sans doute vaut-il mieux être bien concentré sur l'écoute en évitant les distractions de tous ordres, mais découvrir un morceau de musique classique en étant occupé à faire autre chose, idéalement de peu accaparant en matière d'attention, est sans doute malgré tout possible, même si cela tend à dépendre, entre autres, de ce que l'on écoute, soit dans le domaine musical orchestral, une œuvre de musique supposée « sérieuse » (une symphonie austro-allemande de Beethoven, Schumann, Brahms, Bruckner ou Mahler, par exemple, ou une œuvre symphonique formellement plus « atypique » mais tout aussi majeure de Berlioz ou Debussy) ou une œuvre de musique généralement considérée comme plus « légère » (une ouverture d'opéra-bouffe d'Offenbach, une valse de Johann Strauss fils, par exemple). Mais globalement, plus on est familier d'un style et d'un artiste, plus il est facile d'apprécier une œuvre, même rarement ou jamais entendue jusqu'alors, quel que soit le contexte, du moins à ce qu'il me semble. L'activité qui permet sans doute le plus d'écouter de la musique avec suffisamment d'attention sans que cela empêche d'être vigilant sur ce que l'on fait en même temps, me semble être la conduite en voiture sur un trajet plus ou moins long : dans ce cas-là, on pourra même avoir tendance à être d'autant plus concentré sur l'écoute que l'on ne peut se permettre d'être distrait vis-à-vis de la position contrainte, assise et jambes fléchies, assez largement statique, que suppose une conduite raisonnable. Reste qu'en dehors des concerts auxquels on peut avoir la chance d'assister, l'idéal est sans doute d'écouter la musique chez soi, en y consacrant effectivement du temps, plus ou moins spécifiquement, et pourquoi pas en étant au lit et dans la pénombre voire dans le noir, comme cela m'arrive parfois (n'ayant certes pas pour l'heure à me préoccuper d'éventuels conflits de "voisinage" dans le cadre des vies de couple où l'on ne fait pas chambre à part).
Puisque je viens d'évoquer la musique généralement considérée comme « légère », fut-ce dans le domaine technique qui reste celui de la musique dite classique, et même si cela renvoie à des réécoutes qui, me concernant, remontent à déjà plusieurs jours, j'en reviens comme prévu, entre autres, à Offenbach et Johann Strauss fils, puisqu'après avoir évoqué précédemment les musiques de ballet de Delibes et Gounod, le panorama de la musique orchestrale liée au divertissement (mondain) à l'époque du Second Empire de Napoléon III (1852-1870) – en France et plus largement en Europe – ne serait pas complet sans une évocation, même succincte, de la musique des opéras bouffes, des opérettes (apparentées aux précédents ou dérivant d'eux), et des bals où l'on jouait notamment valses et polkas. À chacun d'estimer si ce genre de musique peut être appréciée avec une attention plus ou moins profonde dans l'écoute : il s'agit là d'œuvres qui ont été composées par des musiciens talentueux connaissant leur métier et tout-à-fait agréables à écouter, y compris en les prenant plus « au sérieux » que n'ont pu le faire parfois les contemporains des compositeurs eux-mêmes.
Jacques Offenbach (1819-1880), né Jacob Eberst à Cologne (alors sous domination prussienne) dans une famille juive ashkénaze, fut d'abord un virtuose du violoncelle, admis au Conservatoire à Paris à quatorze ans, avant d'évoluer rapidement vers l'univers des orchestres de théâtre et de l'Opéra-Comique, ouvrant lui-même le Théâtre des Bouffes-Parisiens à l'occasion de l'Exposition universelle de 1855. Il deviendra celui que Rossini surnomma « le petit Mozart des Champs-Élysées », un compositeur écrivant rapidement et avec un sens aiguë du comique (Wagner lui-même, qui n'était pas son ami, en convenait : « Offenbach sait faire comme le divin Mozart »), stimulé par le public et ses attentes en matière de divertissement et d'humour, et connaissant le succès sous le Second Empire avec notamment Orphée aux Enfers, La Belle Hélène et La Vie parisienne, dont les livrets ont été co-écrits par Ludovic Halévy (avec Hector Crémieux pour Orphée aux Enfers, puis avec Henri Meilhac pour La Belle Hélène, La Vie parisienne, d'autres œuvres scéniques d'Offenbach et jusqu'à la fameuse Carmen de Bizet).
Bien que très associés à la société du Second Empire, que le compositeur savait habilement à la fois divertir et railler à travers elles – tout en parodiant, lorsque l'argument s'y prêtait, un certain goût pour la mythologie classique de l'opéra « sérieux » hérité du XVIIIe siècle, ce pourquoi Berlioz notamment, fervent admirateur de Gluck, n'aimait pas la musique offenbachienne –, les opéras bouffes d'Offenbach ne nous sont pourtant pas généralement connus exactement tels que le public de l'époque de Napoléon III a pu les appréhender à leur création parisienne, les mises en scène et la musique de certaines de ces œuvres ayant pu être diversement retravaillées, et à nouveau interprétées après la chute de l'Empire en 1870 dans des versions à nouveau créées à Paris qui sont souvent celles qui ont fait référence par la suite. Ainsi Orphée aux Enfers fut-il d'abord un opéra bouffe en deux actes créé le 21 octobre 1858 au Théâtre des Bouffes-Parisiens, puis dans sa seconde version un opéra féerique (riche en danseurs, chœurs, machines théâtrales et artifices à grand spectacle) en quatre actes créé le 7 février 1874 au Théâtre de la Gaîté. Et si La Belle Hélène est une œuvre en trois actes dont l'unique version fut créé le 17 décembre 1864 au Théâtre des Variétés, La Vie parisienne, opéra bouffe au sujet contemporain sans prétexte mythologique, fut d'abord créé dans une version en cinq actes au Théâtre du Palais-Royal le 31 octobre 1866, avant qu'une autre version en quatre actes soit créé à son tour à Paris, au Théâtre des Variétés le 25 septembre 1873 (durant le mois qui vit par ailleurs la libération des derniers départements français occupés par l'armée allemande, en dehors de l'Alsace-Moselle annexée au Reich suite au traité de Francfort de 1871 ayant mis fin à la guerre franco-prussienne).
Or c'est à une représentation de la toute première version de 1866, originelle et intégrale, de La Vie parisienne, que j'avais pu assister à la Halle aux Grains à Toulouse, dans une version de concert coproduite par le Palazzetto Bru Zane et l'Orchestre national du Capitole de Toulouse, le soir du 12 janvier 2023 ainsi que j'en avais fait alors succinctement part dans des post-scriptums dans un autre fuseau :
[...] Voilà au moins une pensée qui m'aura fait sourire cette nuit... en attendant la représentation de La Vie parisienne d'Offenbach (version originale de 1866) ce jeudi soir à la Halle aux Grains...
« Oui voilà, voilà la vie parisienne,
Du plaisir, à perte d'haleine !
Oui voilà, voilà la vie parisienne,
Voilà, voilà, voilà, voilà, le bonheur est là. »
[...]
(Auront-ils gardé cet excellent final de l'acte IV, version de 1873 ? En moins en appendice, ce serait bien... Suspense, wait and see...)
P.S.: le concert de l'autre soir était bien, même si j'ai fait une exception en allant à la Halle aux Grains en pleine semaine et entre deux journées de boulot, pour 3h20 de représentation avec entracte (les concerts symphoniques sont généralement plus courts). C'est la première fois que j'entendais et voyais cette version d'origine de La Vie parisienne d'Offenbach. Le résultat est intéressant, et on peut notamment encore rire ou sourire quant à l'humour présent dans une œuvre lyrique pourtant vieille de plus de 150 ans (l'implication des interprètes aide beaucoup). Le final dont j'ai parlé précédemment était bien présent, mais pas à la toute fin, comme dans la version la plus connue de l'opéra bouffe en question, et sous une forme légèrement différente (paroles et musique restant heureusement les mêmes). Il faudra que je revoie la représentation en vidéo, si je peux (le concert a été enregistré).
Un an et demi après, sauf erreur de ma part, il n'est pas encore possible de revoir en vidéo cette représentation de l'œuvre, dans une version primordiale si inédite que même Offenbach ne l'a jamais entendue, puisqu'elle précède les modifications auxquelles il avait dû procéder pour adapter alors la création de son œuvre à une distribution plus théâtrale que lyrique. Reste que cette représentation se voulait aussi un clin d'œil à l'histoire de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse, puisque c'est parait-il avec cette même Vie parisienne qu'avait débutée, dans les années 1970, les enregistrements discographiques de musique française de l'Orchestre sous la direction de Michel Plasson (pour le label Erato). La version de Plasson, avec notamment les célèbres sopranos Mady Mesplé dans le rôle de la gantière Gabrielle et Régine Crespin dans celui de la courtisane demi-mondaine Métella, est celle en quatre actes de 1873 et a été enregistrée à la Halle aux Grains en mai 1976 puis éditée, notamment en album double CD en 1988, chez EMI Classics.
Jacques Offenbach (1819-1880), La Vie parisienne - Acte IV, Final (« Par nos chansons et par nos cris, célébrons Paris » [Chœur, Gabrielle, Le Baron, La Baronne, Bobinet, Gardefeu, Le Brésilien, Urbain, Métella]), Mady Mesplé (soprano), Régine Crespin (soprano), Jean-Christophe Benoît (baryton), [...], Chœurs du Capitole de Toulouse (dir. Guy Lhomme), Orchestre National du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson :
https://www.youtube.com/watch?v=IBCMkVfUqyA
Je me souviens encore, par ailleurs, d'une représentation de la Belle Hélène à laquelle j'avais assisté quand j'étais lycéen, dans une interprétation amusante (et un peu actualisée) de la compagnie nationale de théâtre musical Opéra Éclaté, alors basée à Castres (à la fin du siècle dernier) et active dans l'ancienne région Midi-Pyrénées devenue depuis Occitanie : la compagnie est aujourd'hui basée dans le Lot et propose à nouveau ce spectacle dans toute la France en 2024-2025...
Mais revenons à la dimension orchestrale de la musique d'Offenbach, laquelle s'apprécie essentiellement à travers les ouvertures associées à ses opéras bouffes. Le compositeur ne proposait pas forcément de grandes ouvertures pour introduire ses œuvres lyriques, afin de proposer sans trop tarder une entrée en action au public. C'est le cas pour l'ouverture de La Vie parisienne qui ne dure qu'environ cinq minutes. L'ouverture de la première version d'Orphée aux Enfers de 1858 était encore plus courte, et celle de la seconde version de 1874 plus longue sous le nom d'Ouverture-promenade autour d'Orphée, mais aucune des deux n'est la plus connue et enregistrée, l'ouverture d'Orphée aux Enfers que « tout le monde » connait n'étant pas une création directe d'Offenbach, mais un arrangement écrit en 1860 par le compositeur autrichien Carl Binder (1816-1860) peu avant sa mort, à l'occasion d'une première production de l'opéra bouffe français pour le public viennois après son succès parisien. Adaptée au goût symphonique de Vienne, plus longue que les ouvertures originales d'Offenbach, la version arrangée par Binder peut rappeler les ouvertures d'opérettes composées par Franz von Suppé, confrère autrichien de Binder, mais cela reste cependant de la musique d'Offenbach, avec notamment en conclusion le très célèbre « Galop infernal » de l'Acte II (ou de l'Acte IV de la version de 1874) d'Orphée aux Enfers, galop dansé dans l'ivresse par les dieux de l'Olympe lors d'une fête organisée par Pluton aux Enfers. En étant adopté, après la mort d'Offenbach (en 1880), par le répertoire populaire des orchestres des cabaret parisiens comme le Moulin-Rouge (fondé en 1889), ce « Galop infernal » deviendra, dans l'esprit du plus grand nombre et à la mode touristique anglophone, le “French cancan”, emblématique de la musique festive de danses de Paris au XIXe siècle, et plus précisément associé aux quadrilles naturalistes des danseuses de cancan des années 1890 jusqu'autour de l'an 1900... tels que par exemple le quadrille des danseuses de La Troupe de Mlle Églantine apparaissant sur une célèbre affiche commandée en 1896 par Jane Avril (membre de cette troupe créé par Églantine Demay) à son ami Toulouse-Lautrec, à l'occasion d'un spectacle de danse français proposée cette année-là par ladite troupe au Palace Theater de Londres.
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901).
Troupe de Mlle Églantine, 1896.
Lithographie au pinceau, au crachis et au crayon.
Impression en trois couleurs, 61,7 x 80,4 cm.
Exemplaire de la BnF.
Si la critique anglaise trouva le spectacle en son temps dépourvu d'esprit et de saveur, l'affiche, elle, n'en manque pas, me semble-t-il et on peut d'ailleurs voir de nos jours les danseuses de l'affiche en question sur des panneaux aux abords d'Albi, pour signaler le musée Toulouse-Lautrec, sur la route entre Toulouse et Rodez.
Mais revenons à Offenbach et à sa musique... Il n'est pas très facile de s'y retrouver en matière de discographie, suivant les versions des œuvres que l'on choisit d'interpréter, selon le degré d'adaptation, pour le moins variable, que l'on y apporte, et même les ouvertures peuvent donc être concernées, elles qui sont par ailleurs peu jouées au concert. S'agissant de l'ouverture d'Orphée aux Enfers, j'en connais surtout deux versions au disque. L'une d'elles est celle du Berliner Philharmoniker sous la direction de Karajan, interprétée dans sa version viennoise de 1860 arrangée par Carl Binder, enregistrée en 1980 et éditée chez Deutsche Grammophon en 1981, dans un album réunissant des enregistrements par les mêmes interprètes d'autres ouvertures et pages orchestrales d'Offenbach, dont une ouverture de la Belle Hélène dans une version orchestrale anonymement arrangée (en 1865) là encore pour le public viennois (parfois attribuée à un certain Edmund Haensch, ou à un certain Bernhard Wolff, cette ouverture pour Vienne a pu en fait avoir été tout simplement réalisée par Jacques Offenbach lui-même). Les informations du livret accompagnant le CD de Deutsche Grammophon sont un peu évasives, et les précisions que je viens de donner proviennent d'un recoupement avec d'autres sources.
Jacques Offenbach, Orphée aux Enfers - Ouverture (version arrangée par Carl Binder), Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=UXmhCTjP2Uw
Jacques Offenbach, La belle Hélène - Ouverture (version viennoise), Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=6XA4ORVMOgk
Pour une version un peu plus proche de l'ouverture originale parisienne d'Orphée aux Enfers, on peut se diriger vers celle interprétée par l'Orchestre national du Capitole de Toulouse sous la direction de Michel Plasson, extraite d'un enregistrement réalisé en 1978 d'Orphée aux Enfers dans sa version de 1874 sous forme d'opéra-féerie. Bien que l'Ouverture-promenade autour d'Orphée ait été malheureusement amputée des deux tiers pour cet enregistrement, cela donne une idée de ce qui fut proposé en introduction au public parisien du vivant d'Offenbach et directement de lui, avec le thème du « Galop infernal » qui se fait entendre par moments, même s'il n'occupe pas la même place finale que dans l'ouverture viennoise arrangée par Binder. Cette ouverture et d'autres extraits des œuvres d'Offenbach par les Chœurs et l'Orchestre du Capitole de Toulouse sous la baguette de Plasson figurent dans une compilation issue de plusieurs albums sous la forme d'un CD édité sous le label Erato (ou EMI Classics, suivant les aléas de l'industrie du disque).
Jacques Offenbach, Orphée aux Enfers - Ouverture (version de 1874 abrégée), Orchestre National du Capitole de Toulouse, dir. Michel Plasson :
https://www.youtube.com/watch?v=P6JHNhtPjeE
S'agissant de l'ouverture de La Vie parisienne, celle-ci ne figure pas dans l'album de Deutsche Grammophon, et à l'époque où j'en avais cherché un enregistrement, j'avais fini par en trouver un dans un album CD, édité en 1994 par la petite maison d'édition discographique parisienne de Pierre Verany, proposant quelques ouvertures d'Offenbach et la Symphonie n°1 en ut majeur de Georges Bizet, interprétés en 1991 par l'Orchestre Philharmonique des Pays de la Loire dirigé par Marc Soustrot. Bien évidemment, l'ouverture de La Vie parisienne figure également dans l'enregistrement de 1976 de l'opéra bouffe d'Offenbach par Plasson chez EMI Classics, mais dans l'album édité par Verany, ladite ouverture existe pour elle-même, et l'album en question m'avait en outre donné l'occasion, lors de sa découverte, de faire la connaissance de la Symphonie n°1 en ut majeur de Bizet, œuvre orchestrale énergique, d'un style classique à la Mendelssohn et influencée par Gounod, composée sous le Second Empire, en 1855 par un compositeur âgé de seulement dix-sept ans mais qui ne chercha pas alors à la faire jouer. Cette symphonie de Bizet ne fut redécouverte qu'en 1932 dans un legs de Raynaldo Hahn au Conservateur de Paris, et créé à Bâle en février 1935 puis à Paris en mai 1936.
Jacques Offenbach, La Vie parisienne - Ouverture, Orchestre Philharmonique des Pays de la Loire, dir. Marc Soustrot :
https://www.youtube.com/watch?v=MW7enpueQpc
Georges Bizet (1838-1875), Symphonie n°1 en ut majeur : I. Allegro, Orchestre Philharmonique des Pays de la Loire, dir. Marc Soustrot :
https://www.youtube.com/watch?v=zjXS6o_-tmI
Si la musique d'Offenbach est un bon exemple de circulation des œuvres « légères » au XIXe siècle en Europe (particulièrement entre Paris et Vienne), celle du compositeur autrichien Johann Strauss fils en est un autre. Johann Strauss fils ou Johann Strauss II (1825-1899), né et mort à Vienne, directeur de la musique de bal de la cour de l'empire d'Autriche-Hongrie et surnommé « le roi de la valse », n'a aucun lien de parenté avec le compositeur allemand Richard Strauss (1864-1949), mais il était le fils du compositeur autrichien Johann Strauss père (1804-1849), auteur de la célèbre Marche de Radetzky (célèbre marche autrichienne [peu glorieuse politiquement : elle célèbre un maréchal réactionnaire] à ne pas confondre avec la Marche de Rákóczy, hongroise, dont j'ai déjà parlé, bien connue de Liszt et orchestrée par Berlioz). Également frère aîné de deux autres compositeurs viennois, Josef et Eduard Strauss, restés bien davantage dans l'ombre, Johann Strauss fils a composé des centaines d'œuvres de musique de danse (valses, polkas, quadrilles...) et des opérettes, sa production étant aussi évocatrice de la Vienne impériale de François-Joseph Ier que celle d'Offenbach l'est du Paris impérial de Napoléon III. La discographie consacrée aux œuvres du « roi de la valse » est immense, pléthorique même, mais j'ai cependant deux références à mentionner en particulier, qui me paraissent être des « classiques » dans leur genre : il s'agit des deux albums édités en 1981 par Deutsche Grammophon avec des enregistrements du Berliner Philharmoniker dirigé par Karajan (eh oui, encore lui) réalisés en 1980 (à la même époque que ceux des ouvertures d'Offenbach).
Le premier album, Radetzky-Marsch, contient plusieurs œuvres orchestrales de la dynastie Strauss, dont la Marche de Radetzky de Johann père, deux œuvres de Josef, et surtout des oeuvres de Johann fils, dont une Marche de Napoléon (Op. 156) qui aurait été composée à l'occasion du mariage entre Napoléon III et l'impératrice Eugénie, et surtout une de ses valses que je considère comme étant parmi les plus mémorables, à savoir Histoires de la forêt viennoise ou Légendes de la forêt viennoise (G'schichten aus dem Wienerwald), Op. 325. Composée en 1868, cette valse comporte un solo d'instrumentiste qui m'avait intrigué dès la première écoute à l'adolescence : s'agissait-il d'une guitare, d'une mandoline, d'un luth ? En fait, aucun de ces instruments-là, mais un autre instrument à cordes pincées : il s'agit de la cithare, et c'est sa présence qui me parait donner toute sa saveur (typiquement autrichienne) et son originalité à cette valse, au moins aussi mémorable que celle intitulée Le Beau Danube bleu.
Johann Strauss fils (1825-1899), Histoires de la forêt viennoise ou Légendes de la forêt viennoise (G'schichten aus dem Wienerwald), valse pour orchestre, op. 325, Josef Hausmann (cithare solo), Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=Yg_5gR9YZT8
C'est du reste, comme son nom l'indique, dans le deuxième album de chez DG, An der schönen, blauen Donau, entièrement consacré à Johann Strauss fils, que l'on trouve un enregistrement du Beau Danube bleu, célébrissime valse composée en 1866, d'abord créée dans une version chorale à Vienne sans grande réussite, puis arrangée par le compositeur dans une version symphonique purement instrumentale qui fut créée à Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1867 (la seconde organisée dans la capitale française sous Napoléon III), où elle connut un succès international triomphal, jamais démenti depuis. À noter que cette valse est si bien écrite et orchestrée qu'il n'y a pas besoin d'y apporter des arrangements dès lors que l'on dispose d'un orchestre symphonique « de base » pour la jouer (ce que j'ai pu constater en écoutant notamment une version au disque dirigée par André Rieu, pour une audience populaire revendiquée, version qui m'a paru correcte, alors que le violoniste et chef d'orchestre néérlandais a souvent été critiqué pour ses arrangements jugés simplistes de « tubes » de la musique classique). Il y a longtemps, dans les années 2000, j'avais choisi d'enregistrer « à la main » l'annonce d'accueil personnalisée de ma messagerie de téléphone portable (« Bonjour, vous êtes bien au 06... ») avec Le Beau Danube bleu en fond sonore, ce qui donnait un résultat joyeux mais hélas jugé peu sérieux en cas de coup de fil professionnel, ce pourquoi j'avais dû finir par opter pour une annonce plus « neutre ». Ce deuxième album avec Berliner Philharmoniker et Karajan de chez DG contient, entre autres, également l'ouverture de la Chauve-souris, une des plus célèbres opérettes de Johann Strauss fils, créée le 5 avril 1874 au Theater an der Wien de Vienne, ouverture où l'on retrouve ce côté plaisemment « pot-pourri », avec réunion de thèmes tirés de l'œuvre lyrique, également présent dans les ouvertures des opéras bouffes parisiens d'Offenbach, et a fortiori dans leurs versions symphoniques adaptées pour le public viennois.
Johann Strauss fils, Le Beau Danube bleu (An der schönen, blauen Donau), valse pour orchestre, op. 314,, Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=U2FZCz-PQfE
Johann Strauss fils, La Chauve-Souris (Die Fledermaus) - Ouverture, Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan :
https://www.youtube.com/watch?v=JZgFCtOcDsQ
Puisque nous sommes dans le domaine anglais et que Beruthiel fait de nouveau allusion à lui, il me semble logique de revenir à Gustav Holst, dont Hyarion a déjà parlé à plusieurs reprises. J'en profite pour remercier ce dernier, car sans lui, il est probable que je serais passé entièrement à côté de l'œuvre de Holst.
You're welcome, Elendil. ^^
Pour en revenir aux Planètes, Op. 32, suite pour orchestre composée par Holst de 1914 à 1917 et dont la célébrité a largement éclipsé toutes les autres œuvres de ce compositeur, j'avais discrètement signalé, dans un précédent message de 2021, avoir pu écouter ladite suite en concert, interprétée par l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev, à la Halle aux Grains le soir du 8 novembre de cette année-là... Aurai-je prochainement l'occasion d'en dire ces temps-ci un peu plus sur l'œuvre elle-même, et en particulier sur mes deux mouvements préférés sur les sept que comporte cette suite : Vénus, celle qui apporte la paix (“Venus, the Bringer of Peace”) et Neptune, le mystique (“Neptune, the Mystic”) ? L'avenir le dira [...].
De fait, comme annoncé précédemment, après Beruthiel et Elendil, je reviens moi-même à présent à Gustav Holst, à ses Planètes, et plus précisément aux deux mouvements que je préfère de cette suite, Vénus et Neptune. Je préfère, de fait, ne pas trop parler, entre autres, du premier mouvement, violent et rageur, Mars, celui qui apporte la guerre, et de son réemploi plus ou moins assumé dans le domaine de la musique de films (j'y avais notamment fait allusion ailleurs en 2015, à l'occasion de la disparition de James Horner) : très connu, ce mouvement a exercé une certaine fascination sur moi – fut-ce occasionnellement – lorsque j'étais plus jeune, mais il ne m'apparait pas comme étant forcément le plus intéressant aujourd'hui, a fortiori s'il est considéré isolément.
Considérons cependant tous les mouvements de la suite Les Planètes : de quoi parle-t-on lorsqu'il est question, successivement de Mars, celui qui apporte la guerre, Vénus, celle qui apporte la paix, Mercure, le messager ailé, Jupiter, celui qui apporte la gaieté, Saturne, celui qui apporte la vieillesse, Uranus, le magicien, et Neptune, le mystique ? Elendil a raison de constater que, dans ces mouvements, il y a « des atmosphères variées qui peuvent aussi bien évoquer les observations astronomiques que les considérations mythologiques ». Le fait est que si Holst avait sans doute formellement en tête les planètes de notre système solaire, il s'intéressait beaucoup à l'astrologie, lisant notamment un livre d'Alan Leo, What is a Horoscope and How is it Cast?, pendant qu'il composait sa suite pour orchestre. Il n'a toutefois pas consacré de mouvement au Soleil ou à la Lune, considérés aussi comme des planètes en astrologie, et peut-être y aurait-il eu matière à consacrer un autre mouvement par exemple à la Lune noire appelée aussi Lilith, qui a commencée à être ainsi dénommée en astrologie à l'époque de la création de l'œuvre de Holst. Mais l'astrologie est bien une clé de lecture de cette oeuvre, clé que les commentateurs retiennent volontiers, et dont le compositeur n'a pas caché sa pertinence au moins sur le principe. Il apparait pourtant assez clairement que Holst a sans doute sous-estimé les dimensions à la fois mythologique, astronomique et astrologique, inextricablement mêlées, des conceptions que l'opinion commune a généralement des planètes et de leurs noms, et cela de très longue date, comme en témoigne par exemple, sans même remonter à l'Antiquité d'où tout est parti, cette miniature médiévale, extraite d'un manuscrit en moyen français du XVe siècle d'une version du Livre des propriétés des choses de Barthélémy l'Anglais (Bartholomeus Anglicus) traduite du latin par Jean Corbichon, manuscrit conservé à la BnF.
BnF, Français, 9140, fol. 169r :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b … f351.image
Pour l'anecdote, cette miniature illustre la couverture d'un livre paru chez Nathan en 1981, que j'avais lu à l'adolescence, L'Astrologie : l'histoire, les symboles, les signes de Solange de Mailly Nesle, un livre généraliste richement illustré et écrit par une astrologue mais dont on peut faire une lecture « ouverte », et qui avait notamment la particularité de proposer au lecteur de calculer lui-même quel est son ascendant pour son thème astral, chose plus difficile que de connaître son signe astrologique solaire de naissance (aujourd'hui, on vous calcule cela en deux secondes sur la Toile, mais ça confirme mes calculs de l'époque...). Bref, quel que soit votre rapport à la rationalité, y compris en matière de foi religieuse, d'un point de vue simplement documentaire, je recommande ce livre, assez facilement trouvable en occasion : bien que déjà un peu ancien, il propose un large panorama de la symbolique astrologique.
Je me permets de partager ici, à propos des dimensions à la fois astrologique, mythologique et astronomique du sujet choisi par Holst pour sa suite orchestrale, quelques considérations intéressantes extraites de l'ouvrage Holst, The Planets de Richard Greene (1995), en ajoutant à une première citation de portée générale sur les titres des mouvements, deux autres plus spécifiquement relatives aux deux mouvements que je préfère, Vénus et Neptune, même si ma propre lecture desdits mouvements ne recoupe pas forcément pleinement celle de Greene (un peu trop « victorien », à mon sens, dans sa façon d'énoncer le « sensualisme » auquel on n'est un peu trop souvent tenté de réduire Vénus/Aphrodite). Pour bien comprendre les allusions que fait Greene à la réception de l'œuvre de Holst, en citant notamment des critiques publiées dans la presse britannique spécialisée de l'époque, rappelons que la suite Les Planètes, composée entre 1914 et 1917 comme on l'a déjà dit, a été créée au Queen's Hall à Londres le 29 septembre 1918, sous la direction d'Adrian Boult, ami de Holst, devant environ 250 personnes invitées, et que la création de l'œuvre complète lors d'un concert véritablement public a eu lieu Queen's Hall le 15 novembre 1920, interprétée par l'Orchestre symphonique de Londres dirigé par Albert Coates.
When Holst chose his titles and subtitles he was not indulging in the common form of program music in which a story is told or a scene depicted through sound. The few words he used for titles were meant as suggested characterizations: hints regarding what each musical movement embodied. In a letter to music critic Herbert Thompson, the composer asked him to bear in mind “that the pieces were suggested by the astrological significance of the planets and not by classical mythology — Venus for instance has caused some confusion through this point. Also the tune in Jupiter is not a) Keltic (sic), b) obviously Irish, c) obviously Greek, d) obviously Russian, e) The Wearing of the Green, f) Polly Oliver, as certain critics have maintained. ... It is there as a musical embodiment of ceremonial jollity.(*)”
The titles, then, were not intended as hints concerning mythological tales. However, by using the names of the planets, and in an order which suggests an outward journey into the unknown, Holst was able to prepare the listener in a certain way, to point the audience in the proper direction. Furthermore, his insistence on astrological cues, in spite of many reviewers’ stress on an astronomical point of view, was a means of emphasizing the human aspect. Note that, in the letter to Thompson, Holst speaks of astrological significance, not the character of each planet. The implication is that the music is not about the planets; it is about human character, for which planetary influence is but the ruling metaphor.
(...) (U)nlike the link between Mars and war, the attribute “peace” was not so clearly assigned to Venus in the public mind. The Referee (21 November 1920) pointed out that “history has endowed Venus with other attributes which have not always made for peace, but the composer completely ignores these and has written a short movement of delicate character that suggests the pictorial beauties of ancient Greece. ...” The implication regarding the planet in this review is founded on Roman mythology and recalls the Venus of Tannhauser: temptress, seducer, and the cause of wild, profane passion. Holst’s Venus is perhaps not so far removed from the seductress, whose peaceful existence in Venusberg carried the negative qualities of intoxication. The Observer (21 November 1920) wondered about too great a reliance on sensuous tone; and Percy Scholes called it “an expression of sheer beauty rather than of mere peace.” But the clear contrast between Mars and this movement made the metaphoric opposition of war and peace a natural one.
Overall, this movement sounds much simpler than Mars; however, it is characterized by an aesthetic sophistication completely foreign to the first movement. It is the accessibility of the lines, as well as the more conventional tertian harmony, which project simplicity and — after Mars — a sense of serenity. The program notes for the 1919 Queen’s Hall performance bring up another significant point:
The whole of this movement ... is pervaded by the serenity of a world which nothing seems able to disturb. The mood is unmistakably mystical, and the hero may indeed imagine himself contemplating the twinkling stars on a still night. ...
The attribute “mystical” may at first seem out of place. None of the reviews at the time used this characterization with regard to Venus, perhaps in deference to Neptune; yet there is much that binds these two movements together, with the former serving as an imperfect avatar of the latter. The quiet repetition and syncopation of chords, for example mm. (measures) 11—19, 32-59, and especially mm. 120 to the end, will return first in Saturn and then emphatically in Neptune. This fits with the concept of a psychological journey. On the other hand, this mystical element is heard with an increasing timelessness and abstraction as it moves through the later movements, so that in retrospect Venus is indeed very sensuous. Thus, while the most likely response to the physical ugliness of Mars is to invoke quiet, stillness and a physical beauty, Venus’s mystical serenity is only an illusion. And its palpable qualities, so seductive at first, will be made to be heard as weak and insufficient as a resolution of conflict.
(*) From the Herbert Thompson Collection, The University of Leeds, Brotherton Library, MS 361/148, 23 July (1922).
Lorsque Holst a choisi ses titres et sous-titres, il n'a pas cédé à la forme courante de musique à programme dans laquelle une histoire est racontée ou une scène représentée par le son. Les quelques mots qu'il a utilisés pour les titres étaient censés être des caractérisations suggérées : des indices sur ce qu'incarnait chaque mouvement musical. Dans une lettre [du 23 juillet 1922] au critique musical Herbert Thompson, le compositeur lui demande de garder à l'esprit « que les pièces ont été suggérées par la signification astrologique des planètes et non par la mythologie classique — Vénus par exemple a semé une certaine confusion sur ce point. De plus, l'air de Jupiter n'est pas a) keltique [sic], b) évidemment irlandais, c) évidemment grec, d) évidemment russe, e) The Wearing of the Green, f) Polly Oliver, comme certains critiques l'ont soutenu. ... Il est là comme une incarnation musicale de la joie cérémonielle. »
Les titres n'étaient donc pas destinés à faire allusion aux récits mythologiques. Cependant, en utilisant les noms des planètes, et dans un ordre qui suggère un voyage vers l'inconnu, Holst a pu préparer l'auditeur d'une certaine manière, l'orienter dans la bonne direction. De plus, son insistance sur les indices astrologiques, malgré l'accent mis par de nombreux critiques sur un point de vue astronomique, était un moyen de mettre l'accent sur l’aspect humain. Notez que, dans la lettre à Thompson, Holst parle de signification astrologique et non du caractère de chaque planète. L'implication est que la musique ne concerne pas les planètes ; il s'agit du caractère humain, pour lequel l'influence planétaire n'est que la métaphore dominante.
[...] Contrairement au lien entre Mars et la guerre, l'attribut « paix » n'était pas aussi clairement attribué à Vénus dans l'esprit du public. The Referee (21 novembre 1920) soulignait que « l'histoire a doté Vénus d'autres attributs qui n'ont pas toujours apporté la paix, mais le compositeur les ignore complètement et a écrit un court mouvement au caractère délicat qui suggère les beautés picturales de la Grèce antique. ...» L'implication concernant la planète dans cette revue est fondée sur la mythologie romaine et rappelle la Vénus de Tannhaüser : tentatrice, séductrice et cause d'une passion sauvage et profane. La Vénus de Holst n’est peut-être pas si éloignée de la séductrice, dont l’existence paisible au Venusberg comportait les qualités négatives de l’ivresse. The Observer (21 novembre 1920) s'interrogeait sur une trop grande confiance dans le ton sensuel ; et Percy Scholes l’a appelé « une expression de pure beauté plutôt que de simple paix ». Mais le contraste évident entre Mars et ce mouvement rendait naturelle l’opposition métaphorique de la guerre et de la paix.
Dans l'ensemble, ce mouvement semble beaucoup plus simple que Mars ; il se caractérise cependant par une sophistication esthétique totalement étrangère au premier mouvement. C'est l'accessibilité des lignes, ainsi que l'harmonie tertiaire plus conventionnelle, qui projettent la simplicité et — après Mars — un sentiment de sérénité. Les notes du programme de la représentation du Queen's Hall de 1919 soulèvent un autre point important :
L'ensemble de ce mouvement... est imprégné de la sérénité d'un monde que rien ne semble pouvoir troubler. L'ambiance est incontestablement mystique, et le héros peut en effet s'imaginer contemplant les étoiles scintillantes par une nuit calme. ...
L'attribut « mystique » peut sembler déplacé à première vue. Aucune des critiques de l'époque n'utilisait cette caractérisation en ce qui concerne Vénus, peut-être par déférence pour Neptune ; Pourtant, il y a beaucoup de choses qui relient ces deux mouvements, le premier servant d’avatar imparfait du second. La répétition silencieuse et la syncope des accords, par exemple mm. [mesures] 11-19, 32-59, et surtout mm. 120 jusqu'à la fin, reviendra d'abord dans Saturne, puis avec insistance dans Neptune. Cela correspond au concept de voyage psychologique. D'un autre côté, cet élément mystique est entendu avec une intemporalité et une abstraction croissantes au fur et à mesure qu'il se déplace dans les mouvements ultérieurs, de sorte que, rétrospectivement, Vénus est en effet très sensuelle. Ainsi, alors que la réponse la plus probable à la laideur physique de Mars est d’invoquer le calme, le calme et une beauté physique, la sérénité mystique de Vénus n’est qu’une illusion. Et ses qualités palpables, si séduisantes au premier abord, se feront entendre comme aussi faibles et insuffisantes qu'une résolution de conflit.
Richard Greene, Holst, The Planets, Cambridge University Press, 1995, 4. “The character plots (1): Mars to Mercury”, p. 47-48.
Traduction de l'anglais d'après Gogol/Google.
With the planet Neptune Holst arrived at a characterization for which his audience was fully prepared, but in which he used a rhetorical approach that was stunningly new. By choosing “The Mystic” as his subtitle the composer had created a link with his earlier “Sanskrit” works. The pristine language of the Choral Hymns from the Rig Veda, coupled with the exotic mysticism of their texts, provided a jumping-off point for Holst as well as a metaphorical “key” for the audience. By the time The Planets was publicly performed, The Hymn of Jesus, with its recognizably mystical text and character, had had its successful premiere, establishing Holst's reputation for this audience. So the mystical state as the point of final arrival in The Planets would make perfect sense. Yet nothing of Holst's that had come before prepared the listener for so musically spare, though immediately recognizable, a presentation of this characterization. The sense of abstraction, of aesthetic “distance,” is created for the listener by an absence, to a great extent, of familiar musical language. This was true of Mars as well; in that movement, however, the sense of melody and harmonic progression was strong enough to give the listener a basis for intellectual judgment. In this final movement, the absence seems so great as to remove all basis for judgment, which is as precise a parallel to the mystical state as Holst might ever have conceived.
(...)
Following Holst's psychological program, this last movement does not depict the traditional psychic medium as much as it does the artist who has lived purely (or at least sincerely) and is thereby launched onto a higher plane of experience. Those who knew of Holst's life — up to that point and then beyond, to the very end — would see a clear parallel in the composer's life with the journey embodied in The Planets. This is not to suggest that Holst was so pedantic as to compose a piece to promote his way of life; rather, he simply wrote what he felt as both artist and human being.
Avec la planète Neptune, Holst est parvenu à une caractérisation à laquelle son public était parfaitement préparé, mais dans laquelle il a utilisé une approche rhétorique étonnamment nouvelle. En choisissant « Le Mystique » comme sous-titre, le compositeur avait créé un lien avec ses œuvres « sanscrites » antérieures. Le langage immaculé des Choral Hymns [op. 26] d'après le Rig Véda, associé au mysticisme exotique de leurs textes, a fourni un point de départ pour Holst ainsi qu'une « clé » métaphorique pour le public. Au moment où Les Planètes furent jouées publiquement, L'Hymne à Jésus [op. 37], avec son texte et son caractère mystiques reconnaissables, avait connu sa première avec succès, établissant la réputation de Holst auprès de ce public. Ainsi, l'état mystique comme point d’arrivée finale dans Les Planètes serait parfaitement logique. Pourtant, rien dans les écrits antérieurs de Holst ne préparait l'auditeur à une présentation aussi sobre musicalement, quoique immédiatement reconnaissable, de cette caractérisation. Le sentiment d'abstraction, de « distance » esthétique est créé pour l’auditeur par une absence, dans une large mesure, de langage musical familier. Cela était également vrai pour Mars ; dans ce mouvement, cependant, le sens de la mélodie et de la progression harmonique était suffisamment fort pour donner à l'auditeur une base de jugement intellectuel. Dans ce dernier mouvement, l'absence semble si grande qu'elle supprime toute base de jugement, qui constitue un parallèle aussi précis avec l'état mystique que Holst aurait jamais pu le concevoir.
[...]
Suivant le programme psychologique de Holst, ce dernier mouvement ne représente pas tant le médium psychique traditionnel que l'artiste qui a vécu purement (ou du moins sincèrement) et est ainsi propulsé sur un plan d'expérience supérieur. Ceux qui connaissaient la vie de Holst – jusqu'à ce moment-là, puis au-delà, jusqu’à la toute fin – verraient un parallèle évident entre la vie du compositeur et le voyage incarné dans Les Planètes. Cela ne veut pas dire que Holst était assez pédant au point de composer une pièce pour promouvoir son mode de vie ; il a simplement écrit ce qu'il ressentait à la fois en tant qu'artiste et en tant qu'être humain.
Richard Greene, Holst, The planets, Cambridge University Press, 1995, op. cit., 5. “The character plots (2): Jupiter to Neptune”, p. 65-67.
Traduction de l'anglais, d'après Gogol/Google
Il m'a semblé intéressant de partager cela ici, notamment dans la mesure où des analyses aussi poussées sur Les Planètes sont rarement disponibles en français.
J'avais écouté les Planètes il y a bien des années de cela, et j'avais trouvé ce grand poème symphonique assez ennuyeux. Je serais aujourd'hui incapable de me souvenir de l'interprétation que j'avais entendue et ne peux donc dire si ce sont mes goûts qui ont évolué, mon matériel stéréophonique qui était insuffisant, ou si j'étais tout simplement tombé sur une version décevante.
En matière de discographie, Les Planètes ont fait l'objet de nombreux enregistrements, de qualité variable tant sur le plan de la prise de son que sur celui de l'interprétation orchestrale de la suite, celle-ci demandant un nombre important d'exécutants. Personnellement, mes deux versions de référence sont celle de Karajan avec le Berliner Philharmoniker et le RIAS Kammerchor, enregistrée en 1981 et sortie la même année chez Deutsche Grammophon (DG), et celle de William Steinberg avec l'Orchestre symphonique de Boston (Boston Symphony Orchestra) et le New England Conservatory Chorus, enregistrée en 1970 et sortie l'année suivante chez DG en disque vinyle, avant de l'être plus tard en CD avec un enregistrement par les mêmes interprètes du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra, Op. 30, de Richard Strauss. Il me serait difficile de dire si une de ces deux versions est meilleure que l'autre. Elles n'ont pas la même durée d'exécution des mouvements : celle de Karajan est un peu plus longue que celle de Steinberg, ce qui rend l'expérience d'écoute différente, a fortiori pour une oeuvre aussi immersive et si contemplative par moments. Lorsque j'ai envie d'écouter Les Planètes au disque, j'ai souvent le réflexe de choisir la version de Karajan, qui est très bien, mais il faut reconnaître dans le même temps la très haute qualité de la version de Steinberg, particulièrement sur le plan technique de la prise de son, les musiciens du Boston Symphony Orchestra ayant vraisemblablement été enregistrés beaucoup plus près du micro (ou des micros) que ceux du Berliner Philharmoniker, ce qui permet d'apprécier d'autant plus la finesse de l'orchestration de Holst et l'interprétation qui en est faite. Bref, les deux versions sont très bien, mais avec des qualités spécifiques, ce pourquoi je ne me prive pas de réécouter alternativement l'une ou l'autre, particulièrement en ce qui concerne les deux mouvements que je préfère et auxquels j'ai plusieurs fois fait allusion.
Gustav Holst, The Planets, op. 32 - II. Vénus, celle qui apporte la paix (“Venus, the Bringer of Peace”) :
- https://www.youtube.com/watch?v=nK47lebKTXY (Berliner Philharmoniker, dir. Herbert von Karajan)
- https://www.youtube.com/watch?v=faAyUUagyXw (Boston Symphony Orchestra, dir. William Steinberg)
Gustav Holst, The Planets, op. 32 - VII. Neptune, le mystique (“Neptune, the Mystic”) :
- https://www.youtube.com/watch?v=Qb2QrsN9UYo (Herbert von Karajan, Berliner Philharmoniker, RIAS Kammerchor)
- https://www.youtube.com/watch?v=h_L0HtIGpyQ (William Steinberg, Boston Symphony Orchestra, New England Conservatory Chorus)
Il me semble clair que c'est le trait de génie du chœur féminin qui conclut le dernier mouvement « Neptune, le mystique » qui explique en bonne partie le succès de ce poème symphonique.
Sur ce point, on notera que Claude Debussy avait alors déjà utilisé un chœur de femmes pour ses Nocturnes (1897-1899), plus précisément dans la dernière partie de ce triptyque symphonique, intitulée Sirènes, où ledit chœur de femmes (huit sopranos et huit mezzo-sopranos) fait entendre, comme de juste et sans paroles, « le chant mystérieux des sirènes », selon l'expression d'une note de présentation du compositeur de ce nocturne. Bien qu'il ait déclaré ne guère aimer la musique de Debussy, Gustav Holst a pu être influencé par celle-ci, et il a en tout cas probablement pu entendre les Nocturnes de Debussy lorsque cette œuvre fut jouée à Londres, sous la direction du compositeur au Queen's Hall en février 1909 (Jean Sibelius, pour sa part, était présent à ce concert londonien, et rencontra Debussy à cette occasion). S'agissant de ces Nocturnes, je recommande la version enregistrée en 1988 par l'Orchestre symphonique de Montréal dirigé par Charles Dutoit avec le Choeur des femmes de l'Orchestre de Montréal, version plusieurs fois rééditée en CD chez Decca depuis 1990, et notamment dans Clair de Lune: Debussy Favourites, une très bonne compilation en album double CD parue en 2012, à l'occasion des 150 ans de la naissance de Debussy.
Claude Debussy (1862-1918), Nocturnes, III. « Sirènes », Chœur des femmes de l'Orchestre de Montréal, Orchestre symphonique de Montréal, dir. Charles Dutoit :
https://www.youtube.com/watch?v=yHuBACMC9qA
S'agissant de l'influence française sur les compositeurs anglais de l'époque, on notera aussi, au passage, que Ralph Vaughan Williams, confrère et grand ami de Holst, fut un élève de Maurice Ravel, auprès de qui il étudia, à Paris, durant l'hiver 1907-1908. Ce qui m'amène à évoquer l'opinion qu'avait Gustav Holst concernant la musique de Ravel. S'il a pu, dans sa jeunesse, voir cette musique comme une rivale de la musique anglaise pour laquelle il entendait œuvrer, il apparait cependant que, pour un compositeur dont les goûts étaient semble-t-il assez particuliers, admirant le classicisme de Joseph Haydn et n'aimant pas du tout le romantisme des compositeurs du XIXe siècle, Holst avait beaucoup d'estime pour le travail de Maurice Ravel, comme en témoigne ce passage d'une biographie de Holst où il est question de ses goûts musicaux et de ce que cela a pu incidemment impliquer dans son activité de professeur, lorsqu'il enseignait la musique aux jeunes filles de l'Allen's Girls' School (de 1905 à 1921), et assurait la direction musicale de la Saint Paul's Girls' School de Hammersmith (de 1905 à sa mort en 1934).
Although he conveyed to his pupils his enthusiasm for his own favourite composers, Holst was always conscious of the dangers of being too partisan, realizing that his own outlook might not be entirely objective. ‘I have three feelings about works of art,’ he explained; ‘Interest, romance and love. I’d never say that the works I love most are necessarily the best.’(*) To counteract the effect of too much Byrd and Palestrina, he would sometimes give the girls popular songs such as Tipperary and Little Grey Home in the West, but despite this, some of his pupils found that on leaving school it was to be some years before they could listen to or perform Romantic music with any real enjoyment.
Holst’s own attitudes were expressed in a 1924 letter to Edwin Evans: ‘Surely you don’t consider Schumann, Liszt, Brahms or Rubenstein “models of purity”. All four of them get near the border line of incoherence at times and at least one of them goes over it. And another of them certainly “tried” to be original which is as fatal as trying to be funny. Models of purity exist in every age — surely Ravel is as much one as Haydn... . Weakness is ugliness — weakness in rhythm whether of the bar or the movement. Therefore Liszt and Rubenstein are usually ugly and Schumann and Brahms occasionally. And Haydn and Ravel never. Both the latter are sometimes dull but not so dull as an ugly composer when he is dull as well as ugly.’(**)
(*) Bax 1936. [Clifford Bax (1886-1962), Ideas and People, Dickson, 1936, chapter on Holst.]
(**) GH [Gustav Holst] to EE [Edwin Evans (1874-1945)], 9 Oct. 1924.
Bien qu'il ait transmis à ses élèves son enthousiasme pour ses propres compositeurs préférés, Holst a toujours été conscient des dangers d'être trop partisan, conscient que sa propre vision n'était peut-être pas entièrement objective. « J'ai trois sentiments à l'égard des œuvres d'art », a-t-il expliqué ; « Intérêt, romance et amour. Je ne dirais jamais que les œuvres que j'aime le plus sont nécessairement les meilleures.» Pour contrecarrer l'effet d'abus de Byrd et de Palestrina, il donnait parfois aux jeunes filles des chansons populaires comme Tipperary et Little Grey Home in the West, mais malgré cela, certaines de ses élèves se rendirent compte qu'à la sortie de l'école, il leur fallait plusieurs années avant de pouvoir écouter ou interpréter de la musique romantique avec un réel plaisir.
Les propres attitudes de Holst ont été exprimées dans une lettre de 1924 à Edwin Evans : « Vous ne considérez sûrement pas Schumann, Liszt, Brahms ou Rubenstein comme des « modèles de pureté ». Tous les quatre se rapprochent parfois de la limite de l’incohérence et au moins l'un d'eux la franchit. Et un autre d'entre eux a certainement « essayé » d'être original, ce qui est aussi fatal que d'essayer d'être drôle. Des modèles de pureté existent à chaque époque – Ravel en est un sûrement autant que Haydn... . La faiblesse est la laideur – la faiblesse du rythme, qu'il s'agisse de la mesure ou du mouvement. C'est pourquoi Liszt et Rubenstein sont généralement laids, et Schumann et Brahms occasionnellement. Et Haydn et Ravel jamais. Ces derniers sont parfois ennuyeux mais pas aussi ennuyeux qu'un compositeur laid quand il est à la fois ennuyeux et laid. »
Michael Short, Gustav Holst: the man and his music, Oxford University Press, 1990, 4. “The Teacher” (1903-1908), p. 61.
Traduction de l'anglais d'après Gogol/Google.
Après être notamment passé du « roi de la valse » Johann Strauss fils à Gustav Holst et à ce qu'il pensait de Maurice Ravel, quoi de mieux pour conclure ce message qu'une évocation de La Valse dudit Ravel ? Ce poème chorégraphique pour orchestre, dédié à l'amie du compositeur Misia Sert (née Marie Sophie Olga Zénaïde Godebska), et dont l'idée comme poème symphonique remontait au moins à 1906, a finalement été composé entre décembre 1919 et mars 1920, alors que Ravel était l'invité de Ferdinand Hérold dans les Cévennes. L'œuvre se concrétisa à la demande de Diaghilev pour les Ballets russes, lequel ne fut toutefois pas satisfait de la partition, ce qui offensa Ravel, et ce pourquoi l'œuvre ne fut pas créée publiquement sous forme de ballet mais comme œuvre symphonique de concert, le 12 décembre 1920, par l'orchestre des Concerts Lamoureux dirigé par Camille Chevillard. En tête de la partition, Ravel indiqua l'argument suivant : « Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir, par éclaircies, des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d'une foule tournoyante. La scène s'éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au plafond. Une Cour impériale, vers 1855. » Imaginée initialement, en 1906, comme « une grande valse, une manière d'hommage à la mémoire du grand Strauss » selon les mots de Ravel, l'œuvre finalement composée apparait non seulement comme l'expression de l'esprit de la valse viennoise, mais aussi, plus ironiquement, et suite à la chute de l'empire des Habsbourg d'Autriche en 1918, comme l'effondrement de la Vienne d'autrefois, dans un « tourbillon fantastique et fatal ».
La Valse fait partie, avec le célébrissime Boléro, des œuvres orchestrales de Ravel figurant dans un album que j'ai retrouvé dans la petite collection maternelle de disques vinyles dont j'ai parlé initialement. Subjugué par la découverte à l'écoute du Boléro quand j'étais enfant, à l'école de musique, j'avais suivi le conseil d'une de mes enseignantes et demandé à ma mère d'acquérir un enregistrement de l'œuvre pour pouvoir la réécouter à la maison. Ce fut fait avec un disque vinyle alors tout récemment édité chez RCA (Papillon Collection) en 1988, proposant, sur la face 1, le Boléro et la suite de Ma mère l'Oye, et sur la face 2, la Rapsodie espagnole, la Pavane pour une infante défunte et La Valse, le tout interprété par le Boston Symphony Orchestra dirigé avec énergie par Charles Munch, en février 1958 (pour Ma mère l'Oye) et en mars 1962 (pour les autres œuvres). J'ai écouté et apprécié d'autres versions de ces œuvres, mais on comprendra que les versions de ce disque-là me sont particulièrement chères... Le contenu de l'album a fait l'objet d'une réédition en CD, avec une couverture différente en 1991, et avec une programmation des œuvres proposée dans un ordre différent, sous le label RCA Victor Gold Seal.
Maurice Ravel (1875-1937), La Valse, poème chorégraphique pour orchestre, Boston Symphony Orchestra, dir. Charles Munch :
https://www.youtube.com/watch?v=5UU0bikrMHg
J'aurai encore bien des choses à dire, sur les œuvres au programme des derniers concerts auxquels j'ai pu finalement avoir la chance d'assister dans les derniers jours du mois dernier, sur Debussy, Ravel, Chopin, etc., sur les œuvres orchestrales que j'écoute régulièrement au disque ces temps-ci, celles en particulier d'Albéric Magnard et d'Ottorino Respighi – où l'on recroise notamment encore la route de Vénus et de Neptune – et dont il faudra donc que je prenne le temps de parler aussi, si je peux... mais une autre fois...
Amicalement,
B.
(EDIT: correction de fautes diverses et quelques légères reformulations)
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Je n'ai plus eu beaucoup de temps pour écouter sereinement de la musique ces dernier mois, et moins de temps encore pour prendre des notes, d'où mon silence.
En outre, une des pièces les plus célèbres d'Elgar est sa mise en musique du Songe de Gérontius, célèbre poème de John Henry Newman (pas encore cardinal à cette époque), sous forme d'un oratorio joué pour la première fois en octobre 1900 à Birmingham, soit l'année de la conversion de la mère de Tolkien et la première année que celui-ci a passé à la King Edward's School. Si Tolkien n'a pas assisté à cette représentation (par ailleurs désastreuse), il semble improbable qu'il n'en ait pas entendu parler.
Je note tout de même ici pour mémoire une remarque de David Bratman dans son article « Liquid Tolkien : Music, Tolkien, Middle-earth, and More Music » (in Bradford Lee Eden (dir.), Middle-earth Minstrel : Essays on Music in Tolkien, McFarland, 2010, p. 140-170), où il souligne que Gerontius était le prénom du Vieux Touc (cf. p. 166 n. 29), ce dont j'aurais dû me souvenir, car ce n'est peut-être pas entièrement innocent, surtout s'agissant d'un personnage particulièrement apprécié par Gandalf. Bien sûr, la signification latine de Gerontius est adéquate pour tout personnage renommé pour son âge (voir les Géronte de Molière dans le Médecin malgré lui et les Fourberies de Scapin), mais l'on ne peut exclure ici plusieurs niveaux d'allusion.
E.
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Bon, n'ayant toujours pas vu la série Amazon, je n'ai pas encore d'avis sur la musique de cette deuxième saison, mais je dois reconnaître que celle de la première saison était plutôt réussie dans l'ensemble. Si j’ai cessé de partager ici mes découvertes musicales c’est que mon temps libre s’est drastiquement réduit avec les nombreux projets qu’il m’a fallu boucler cet été. Je n’ai pas totalement cessé d’écouter de la musique, mais mes moments d’écoute se sont aussi raréfiés. La date butoir des prochains projets étant encore assez lointaine, j’en profite donc pour souffler un peu. Toutefois, mes écoutes de l’été sont désormais trop lointaines pour que je m’aventure à en parler ici.
En revanche, je ferais volontiers l’éloge de la deuxième compositrice qui a fait l’entrée dans ma collection : j’ai nommé Clara Schumann, née Wieck (1819-1896), formée par son père, professeur de piano qui enseigna aussi à Robert Schumann. Elle tomba d’ailleurs amoureuse de ce dernier et finit par l’épouser en 1840, en surmontant la longue opposition de son père. Parmi la trentaine d’œuvres dont elle est l’auteur, la plus connue est incontestablement son Concerto pour piano en La mineur Op. 7. C’est une perle d’élégance, dont la nostalgie qui marque les deux premiers mouvements est contrebalancée par la joie et l’énergie qui transparait dans le troisième. Je ne suis pas un très bon connaisseur de cette œuvre, mais j’ai apprécié l’interprétation de Veronica Jochum, qui est accompagnée de l’Orchestre symphonique de Bamberg, dirigé par Joseph Silverstein (Tudor, collection Musique oblige).
Sur ce CD, le concerto est accompagné de deux autres œuvres de Clara Schumann, le Trio pour piano en Sol mineur Op. 17, ici interprété par Colin Carr au violoncelle, avec à nouveau Veronica Jochum au piano et Joseph Silverstein, cette fois au violon. C’est une œuvre pleine de retenue et de poésie, toute empreinte d’un charme bucolique. Enfin, cet enregistrement se conclut avec les Romances pour violon et piano Op. 22, avec toujours Veronica Jochum et Joseph Silverstein aux mêmes instruments. Le clair-obscur de ces trois courtes pièces me semble fort bien rendu par les deux interprètes. Si j’avais une seule réserve, il concernerait la prise de son, qui semble un tout petit peu lointaine et écraser légèrement les harmoniques extrêmes. Cela n’est pas excessivement surprenant, puisqu’il s’agit d’un enregistrement numérique de 1988, à une époque où cette technologie n’avait pas encore atteint sa pleine maturité.
Un siècle plus tôt vivait un autre compositeur aujourd’hui méconnu, Joseph Anton Steffan (1726-1797), ou plutôt Josef Antonín Štěpán, puisqu’il était originaire du royaume de Bohême. Ayant dû fuir l’armée prussienne en 1741 lors de la guerre de la Succession d’Autriche, il s’établit à Vienne où il devint le claveciniste le plus renommé de son temps, puis le précepteur de musique des princesses Marie-Caroline et Marie-Antoinette (la future reine de France). Son concerto pour pianoforte en si bémol majeur, composé entre 1780 et 1790 est une de ses œuvres les plus célèbres, composée à une époque où il était devenu complètement aveugle. Expressif, riche et virtuose, c’est une pièce qui rivalise volontiers avec les meilleurs concertos pour clavier de Mozart. J’ai particulièrement apprécié son mouvement final Allegro, qui fait alterner passages brillants et moments où le temps semble suspendu aux doigts du pianiste Andreas Staier, qui est ici accompagné avec grand talent par le Concerto Köln (Teldec, dans l’excellente collection Das Alte Werk).
Notons au passage que la première partie de ce CD est consacrée aux deux concertos pour pianoforte de Salieri, aussi vous parlerai-je sous peu d’un compositeur qui est lui assez bien connu, mais pour de très mauvaises raisons.
E.
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Après des mois silencieux, rien de mieux que de revenir dans un fuseau consacré à la musique.
Me voila de retour en catimini (absent pour des raisons familiales et médicales, encore convalescent mais en bonne voie et en bonne forme). Je vais prendre le temps de lire tout ce que j'ai loupé en 2024 et y répondre, ou pas, de manière pertinente, ou pas !
N'étant pas un mélomane pointu, je choisis ce fuseau car il me fait penser à ma vie estudiantine, les WE, rentrant de "boite" aux aurores, terminant la nuit chez les uns ou les autres, nous avions un rituel : un premier/dernier petit-déjeuner avec Chopin et son concerto n°2 pour piano et orchestre par Igo Pogorelitch au clavier et Claudio Abbado à la baguette (ma version préférée, après les pubs )
... et quand le soleil paraissait, le temps de s'endormir, on écoutait Mahler, pas dans les versions précitées (je crois ?!?! et c'est pour ça que je l'évoque) mais dans celle plus lente de Pierre Boulez, l'adagietto de la 5ème symphonie, là encore ma version favorite . Les puristes diront ce qu'ils en pensent (Dans "Mort à Venise de Visconti, c'est un peu plus rapide).
Et maintenant, ou demain, retour aux fuseaux en retard!
Silmo
ps : j'adore comment Pogorelitch conduit l'apex du concerto dans le 1er mouvement et comment il "ponctue" au cours de ses arpèges parfois malmenées avec grâce le deuxième et le troisième mouvements avant un final suspendu.
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Coucou Silmo
content de te relire céans
I.
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Salutations Isengar qui veille
en ces lieux.
"A votre service et celui de votre famille"
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J'étais persuadé d'avoir déjà évoqué Francis Poulenc (1899-1963) en ces lieux, mais aucune trace de message de ma part à ce sujet... C'est étonnant, car s'il est un compositeur qui m'a marqué cette année, c'est bien lui. Qui plus est, il entretient avec notre thème général un lien chronologique étroit, puisqu’il est un contemporain presque exact de C.S. Lewis, et que, comme lui, il est revenu à la religion de sa jeunesse -- dans son cas le catholicisme -- brutalement et à la même époque, quoique pour des raisons entièrement différentes : en 1931 pour Lewis, en 1935 pour Poulenc. On peut dire que c'est un compositeur que j'ai quasiment ignoré pendant longtemps, au point que j'avais tendance à le confondre avec Messiaen (je vous reparlerai de Messiaen un autre jour). Mais en avril, j'ai eu la curiosité d'écouter son Stabat Mater (FP 148). Et là, que dire ? C'est une des plus belles partitions pour voix et orchestre qu’il m’ait été donné d’entendre. Une pièce que l’on souhaite écouter encore et encore pour essayer d’en saisir toute la subtilité. Nul doute que cela est aussi dû à l’excellente interprétation de la soprano Michèle Lagrange, accompagnée par le Chœur et l’Orchestre national de Lyon, sous la direction du trop méconnu Serge Baudo.
Le CD d’Harmonia Mundi où figure cet enregistrement comporte aussi deux autres pièces de musique sacrée de Poulenc, par les mêmes interprètes, le Salve Regina (FP 110) et les Litanies à la Vierge noire (FP 82), deux compositions éminemment recommandables. Le Salve Regina est intensément mystique et introverti, tandis que les Litanies, qui constituent la toute première œuvre sacrée de Poulenc, sont une parfaite expression musicale de la dévotion populaire qui a conduit à édifier le sanctuaire de Rocamadour.
Cet été, souhaitant découvrir plus avant ce qu’avait composé Poulenc, je me suis tourné vers ses pièces pour ballet, dont l’essentiel a été enregistré par Charles Dutoit avec l’Orchestre national de France (Decca). Il est vraiment difficile de croire que la musique néoclassique légère et exubérante de la Suite pour orchestre des Biches (FP 36) soit du même compositeur que les austères œuvres vocales sacrées composées deux décennies plus tard. Et pourtant ! Juste après avoir révisé les Biches et en avoir extrait une adaptation orchestrale, Poulenc composa un autre ballet en un acte, les Animaux modèles (FP 111), d’après six fables de La Fontaine. Cet enregistrement en propose à nouveau la Suite pour orchestre qui en est tirée. Chaque morceau est traité comme une miniature bien caractérisée. Si « Le Petit jour (Très calme) » et « Le Repas de midi (Très doux, calme et heureux) », qui ouvrent et ferment le ballet, sont dans une veine plus méditative, « Le lion amoureux (Passionnément animé) » et « L’Homme entre deux âges et ses deux maîtresses (Prestissimo) » sont aussi joyeux et pleins d’humour que les Biches. Quant aux « Deux Coqs (Très modéré) », il est dans une veine burlesque particulièrement réussie, tandis que « La Mort et le bûcheron (Très lent) » révèle la nostalgie qui se cache derrière l’humeur souvent facétieuse de Poulenc. (Notons au passage que dans cette pièce créée à Paris en 1942, Poulenc avait hardiment intégré un passage de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Fort heureusement pour lui, les officiers allemands ne reconnurent pas l’air en question…)
Poulenc contribua aussi à de nombreuses œuvres collectives. Il composa ainsi un court morceau intitulé « Matelote provençale » (FP 153) pour la Guirlande de Campra, une « Pastourelle » (FP 45) pour le ballet l’Éventail de Jeanne, ainsi que les morceaux « Le Discours du général » et « La Baigneuse de Trouville » pour la farce de Cocteau les Mariés de la Tour Eiffel. Enfin, il écrivit une brève « Valse » (FP 17) pour l’Album des Six, composé en collaboration avec Auric, Durey, Honegger, Milhaud et Tailleferre. Tous ces morceaux illustrent à merveille le talent de miniaturiste de Poulenc. Aubade (FP 51), en revanche, est une œuvre beaucoup plus conséquente. Poulenc sous-titra ce ballet dont Diane est le principal protagoniste « Concerto chorégraphique pour piano et dix-huit instruments ». Si elle ne fait pas partie de ses œuvres les plus connues, c’est à mon sens une des plus réussies. Ici, Poulenc ne se contente pas de mettre en valeur son talent de mélodiste et d’orchestrateur, mais nous ouvre son cœur.
Ce CD se conclut avec bonheur avec Deux Préludes posthumes et une Gnossienne (FP 104), des orchestrations de Poulenc sur des pièces pour piano de Satie. Des trois, c’est la Gnossienne que je préfère : le style de Satie y est immédiatement reconnaissable, et l’orchestration met particulièrement bien la mélodie en valeur, avec le détachement et la nostalgie nécessaires.
Je mentionnerai au passage la subtile et virtuose Sonate pour flûte et piano (FP 164), que je connais dans une interprétation de Jean-Pierre Rampal à la flûte et de Robert Veyron-Lacroix au piano, laquelle figure dans un intéressant coffret de deux CD intitulé Chefs d’œuvre pour flûte du XXème siècle et édité par Erato, mettant en valeur le talent de ce très grand flûtiste qu’était Rampal.
J’ai également fait l’acquisition d’un double CD de Decca où figurent la plupart des grands concertos de Poulenc, avec une belle variété d’interprètes. Le Concerto pour piano et orchestre (FP 146), ici interprété par Pascal Rogé, accompagné par l’Orchestre Philharmonia, qui est dirigé par Charles Dutoit, témoigne de l’immense talent technique de Poulenc, mais j’avoue qu’il m’a moins convaincu par ses changements brusques de style. Par contre, le Sextuor (FP 100) est une pièce superbe, ici interprétée par Pascal Rogé au piano, Patrick Gallois à la flûte, Maurice Bourgue au hautbois, Michel Portal à la clarinette, Amaury Wallez au basson et André Cazalet au cor. Vient ensuite la Sonate pour deux pianos (FP 156), interprétée par Bracha Eden et Alexander Tamir, qui sont aussi les solistes du Concerto en Ré mineur pour deux pianos et orchestre (FP 61) qui lui fait suite (ils sont là accompagnés par l’Orchestre de la Suisse romande, dirigé par Sergiu Comissiona). Ce sont deux œuvres plus légères, mais très agréables à l’oreille, et qui méritent amplement l’écoute.
Le second CD de coffret est pour moi de beaucoup le plus intéressant : le Concerto en Sol mineur pour orgue, cordes et timbales (FP 93) est une pure merveille, un miracle de dialogue où tant l’orgue que l’orchestre sont mis en valeur. Pour moi qui suis un admirateur de la Symphonie n° 3 de Saint-Saëns, je m’avoue ici absolument bluffé. Sans doute le talent de l’organiste George Malcolm et de l’orchestre de l’Académie de St-Martin-in-the-Fields, sous la baguette d’Iona Brown, n’y sont-ils pas pour rien. Ce sont d’ailleurs eux aussi les interprètes du Concert champêtre (FP 49) pour clavecin qui lui fait suite. Depuis que Mendelssohn a contribué à faire redécouvrir Bach, quel autre compositeur s’est-il aventuré à composer un concerto pour cet instrument ? Pourtant, c’est là encore une réussite remarquable, qui conduit à se demander pourquoi cet instrument est quasi-absent de la musique classique moderne. Sans doute le clavecin manque-t-il de puissance face à un orchestre, mais Poulenc semble avoir anticipé cette difficulté, et le résultat est remarquable.
Ce CD se conclut avec son Gloria en Sol majeur (FP 177), qui lui aurait, paraît-il, été inspiré par la vue de moines bénédictins jouant au football et par les fresques de Gozzoli « où les anges tirent la langue ». De fait, nous sommes là dans une vision solaire, joyeuse et enthousiaste de la gloire divine, sans nulle pompe, ni pesanteur.
C’est clairement dans les œuvres chorales que Poulenc montre le plus son génie, et peut-être spécialement dans les œuvres pour chœur a cappella, dont il a composé un grand nombre. La plupart d’entre elles figurent sur un double CD enregistré par The Sixteen et Harry Christophers pour Virgin Classics. On y trouve notamment la remarquable cantate profane pour double chœur mixte Figure humaine (FP 120), sur un texte de Paul Éluard, où l’on décèle sans mal l’horreur et l’espoir qui habitaient Poulenc au plus noir de la Seconde guerre mondiale – ce morceau ne fut créé qu’en mars 1945 à Londres. Éluard était manifestement un des poètes que préférait Poulenc, puisqu’il est aussi l’auteur des paroles d’Un soir de neige, petite cantate de chambre (FP 126) pour chœur mixte, composition d’une aveuglante noirceur, là encore influencée par la guerre, qui fut créée à Paris en avril 1945. Quant aux Quatre Motets pour un temps de pénitence (FP 97) pour chœur mixte, composés en 1938 et 1939, ce sont eux aussi des merveilles de déploration, particulièrement le troisième « Tenebrae factae sunt ».
Il faudrait encore mentionner plusieurs pièces plus brèves, qui d’une piété intense : les Laudes de Saint Antoine de Padoue (FP 172) et les Quatre petites Prières de Saint François d’Assise (FP 142), toutes deux pour chœur d’hommes, ainsi que l’Ave verum corpus (pour les saluts du Très Saint-Sacrement) (FP 154) pour chœur de femmes, vraiment splendide. L’Exultate Deo, motet pour les fêtes solennelles (FP 109) pour chœur mixte, est d’une belle inspiration mélodique, mais donne l’impression qu’il aurait été encore plus intéressant s’il avait été orchestré. Les Quatre Motets pour le temps de Noël (FP 152) pour chœur mixte ont un côté mystérieux, comme il sied, avant que la joie n’éclate dans le motet final « Hodie Christus natus est ». Le couronnement de cette série est la très pure Messe en sol majeur (FP 89) pour chœur mixte, qui se conclut par un « Agnus Dei » absolument céleste.
Mais Poulenc a aussi composé des pièces profanes a cappella, dans la tradition des chants polyphoniques de la Renaissance, à l’instar de Chansons françaises (FP 130) pour chœur mixte et de la Chanson à boire (FP 31) pour voix d’hommes. Aucun point commun avec les pièces sacrées, si ce n’est le talent mélodique de Poulenc, mais avouons-le : si les plus emportées ne m’ont pas forcément convaincu, j’ai particulièrement apprécié « C’est la petit’ fill’ du prince » et « Ah ! mon beau laboureur ». Enfin, Poulenc a réalisé une superbe mise en musique de poèmes de Guillaume Apollinaire et Paul Éluard dans ses Sept chansons (FP 81) pour chœur mixte. Les contrastes harmoniques accentuent les aspérités de ces textes. Si ma préférée reste « Belle et ressemblante », d’Éluard, je dois bien dire que « Luire » (du même) est splendide aussi et que la musique semble prêter une évidence à un poème dont le sens n’apparaît qu’en coin et se dérobe dès qu’on cherche à l’approcher.
E.
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Faute de temps, je comptais plus évoquer la suite de mes écoutes à propos de compositeurs que j'avais déjà mentionnés ici plutôt que d'ouvrir de nouveaux « chapitres », mais je me sens obligé de remercier Hyarion pour m'avoir corrigé (je ne sais plus trop où) à propos de la Chauve-souris, opérette dont je trouve la musique d'une insupportable sucrerie et que j'attribuais erronément à Richard Strauss plutôt qu'à Johann Strauss fils (d'autant qu'il n'y a aucun lien de parenté entre les deux). Cela m'a incité à m'intéresser de plus près à Richard Strauss, que j'avais largement négligé jusqu'à cette année. En fait, j'ai déjà mentionné en passant son opéra Salomé, qui est une vraie splendeur. Plus récemment, j'ai fait l'acquisition d'un coffret regroupant l'intégrale de ses œuvres symphoniques enregistrées par Rudolf Kempe avec la Staatskapelle de Dresde. Très beau coffret, avec un son magnifique et un chef qui connaît intimement Strauss.
Il y a de vraie gemmes là-dedans, notamment les poèmes symphoniques Ainsi parlait Zarathoustra (Op. 30) ou Mort et Transfiguration (Op. 24). Toutefois, c'est Une vie de héros (Op. 40) que je voudrais mentionner, car il est intéressant de voir les similitudes entre les différents mouvements, qui reflètent la conception qu'il avait de la carrière d'un héros, et la vie d'Aragorn selon Tolkien. Le thème principal du premier mouvement « Le héros » est particulièrement marquant, sans grandiloquence, et me semble éminemment adapté à un personnage dont l'héroïsme est déjà présent, mais qui n'est pas encore reconnu comme tel aux yeux du monde. De même, l'aspect cacophonique du deuxième mouvement « Les adversaires du héros » me paraît être une très bonne représentation musicale des Orques de Tolkien. Vient ensuite « La compagne du héros », qui évite adroitement toute mièvrerie et me semble pouvoir assez bien s'accorder avec l'aspect de belle étrangeté des Elfes. La musique passe alors au « Champ de bataille du héros », qui évoque évidemment la rencontre avec les adversaires, la lutte et la victoire finale. La musique ne s'arrête pas là, mais continue avec « L'œuvre de paix du héros » et se termine avec le « Retrait du monde du Héros et son accomplissement », thèmes éminemment tolkieniens s'il en est. (La partition a été critiquée pour la longueur de cette dernière partie, qui n'en finit pas de se finir, et sans doute Strauss aurait-il dû l'abréger un peu, mais cela m'évoque tout de même la scène de la chevauchée des Porteurs à la toute fin du SdA.) Notons tout de même deux bémols à cette description : en réalité, la partition serait au moins en partie autobiographique, évoquant la vie personnelle de Strauss d'une manière assez « romancée », et les titres des morceaux ont en fait été donnés après coup par Lawrence Gilman, après différents entretiens qu'il avait eu avec Strauss. N'empêche, si une adaptation du SdA avait été mise en musique par Strauss, je suis persuadé que ça aurait eu de la gueule...
P.S. : Et puis trois choses encore qu'il serait dommage de passer sous silence : d'abord la Symphonie alpestre (Op. 64), qui n'est pas tant une symphonie qu'un immense poème symphonique sur le thème d'une ascension en montagne, d'un réalisme idéalisé. On visualise parfaitement les différents moments de l'ascension, et l'on peut même faire le parallèle avec la fameuse randonnée en Suisse à laquelle Tolkien a fréquemment fait allusion (sous réserve de transposer « Sur le glacier » en « sur l'éboulis », car Tolkien ne s'est pas aventuré sur les sommets). Qui plus est, ce morceau contient la description musicale d'un orage la plus réussie qu'il m'ait été donné d'entendre, et de très loin. Ensuite, j'aurais mauvaise grâce à omettre le poème symphonique Aus Italien (Op. 16), qui adopte quant à lui la structure d'une symphonie classique, bien qu'il s'inspire explicitement des paysages italiens que le compositeur put voir lors d'un séjour qu'il fit dans la péninsule en 1886. Je ne le connaissais pas, mais c'est une très belle découverte. Enfin, j'ai déjà mentionné mon amour pour le cor, et mes réserves vis-à-vis de l'ensemble des concertos pour cor du répertoire, qui s'efforcent bien souvent de donner à ce dernier un rôle plus virtuose que ce qui convient à sa sonorité. Ces réserves, Strauss les surmonte parfaitement dans son Concerto pour cor et orchestre n° 1 en Mi bémol majeur (Op. 11), œuvre de jeunesse pourtant, et plus encore dans son Concerto n° 2 en Mi bémol majeur (TrV 283), composé dans les dernières années de sa vie, où il démontre sa grande sensibilité harmonique et sait révéler la poésie propre à cet instrument. (NB : J'ai appris au passage que le père de Strauss avait été un des meilleurs cornistes solo de son temps ; ceci explique certainement cela.)
E.
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Bon, j'espère que ces explorations musicales, fautes de susciter des réactions, intéresseront au moins un peu Silmo ou Hyarion. Tout de même, j'avais promis de vous parler un peu d'Antonio Salieri (1750-1825), alors je tiendrai parole. Celui-ci est aujourd’hui bien plus connu pour la légende de sa rivalité avec Mozart que pour les œuvres qu’il a composées ou pour les pupilles qui ont suivi son enseignement (au rang desquels on compte, excusez du peu, Beethoven, Meyerbeer, Hummel, Schubert et Liszt). Commençons donc par tordre le cou aux idées reçues : il semble véridique que Salieri se soit accusé d’avoir assassiné Mozart, mais cela daterait des dernières années de sa vie, à une période où il est acquis qu’il était devenu en grande partie sénile. Les enquêtes historiques les plus serrées rejettent fermement cette possibilité. Au demeurant, Salieri n’était rival de Mozart que pour les opéras, puisqu’il ne composait quasiment que cela, et ceux de Salieri rencontraient un bien plus grand succès de son vivant que ceux de son jeune collègue. Salieri était de plus grand admirateur des œuvres orchestrales de Mozart, dont il reconnaissait pleinement le génie. Il s’est efforcé de mieux le faire connaître et lui a transmis des commandes d’opéra qu’il ne pouvait ou ne souhaitait pas composer lui-même, comme Così fan tutte ou La clemenza di Tito. Enfin, Salieri a été l’une des rares personnes à assister à l’enterrement de Mozart et a pris comme élève son dernier fils, Franz-Xaver, ce qui n’aurait certainement pas été envisageable si Constance, la veuve de Mozart, avait eu le moindre doute sur une éventuelle inimité de Salieri envers feu son époux.
Salieri n’a composé que deux concertos pour pianoforte, tous deux en 1778, le premier en Ut majeur, le second en Si bémol majeur. Ce sont deux œuvres brillantes et ornementées, qui sont tout à fait comparables aux œuvres contemporaines de Mozart. Si le premier est assez classique, le second est particulièrement remarquable pour son mouvement central, qui s’inspire du style de la sérénade de l’opéra napolitain. Là encore, Andreas Staier et le Concerto Köln font merveille pour redonner vie à ce répertoire méconnu.
Salieri a par contre composé au moins une quarantaine d’opéras, ce qui est assez remarquable, en dépit de la longueur de sa carrière musicale (36 ans environ, car il cessa de composer à partir de 1804). L’Orchestre symphonique de la radio slovaque, dirigé par Michael Dittrich, nous propose une sélection d’une douzaine d’ouvertures tirées de ces opéras dans un CD édité par Naxos. Ce sont pour la plupart des pièces brèves, la plus longue d’entre elles n’atteignant pas tout à fait sept minutes. Elles sont toutefois orchestrées avec brio et méritent pour la plupart le détour.
J’ai particulièrement apprécié celle d’Eraclito e Democrito, un opera filosofico-buffa, où un père se prend de passion pour la philosophie et essaie en vain de marier sa fille à l’un des deux philosophes du titre (que la pièce rend contemporains l’un de l’autre, ce qui n’a pas de fondement historique). Je mentionnerais volontiers aussi La sechia rapita, opéra-bouffe qui relate l’histoire d’un seau volé qui déclenche une guerre entre Modène et Bologne, ce qui force les dieux de l’Olympe à intervenir. La satire qui sous-tend l’œuvre est particulièrement bien rendue par la musique. Salieri vécut trois ans à Paris, entre 1784 et 1787, et y composa plusieurs opéras notables, à commencer par Tarare, en collaboration avec Beaumarchais. L’ouverture de cette œuvre ne figure pas dans cet enregistrement, qui propose à la place celle d’Axur, re d’Ormus, révision dudit opéra sur un livret de Da Ponte, destinée à la cour de Vienne. En revanche, l’ouverture des Danaïdes, qui se fonde sur la légende bien connue des cinquante filles de Danaos, est une des plus dramatiques et des plus marquantes de cette série. Celle de Don Chisciotte alle nozze di Gamace est tirée d’un épisode de Don Quichotte et a été écrite en collaboration avec Giovanni Boccherini, librettiste qui est le frère aîné du célèbre compositeur Luigi Boccherini. Sa musique m’a semblé d’un goût très mozartien, de même que celle de l’opéra comique La grotta di Trofonio. Le premier opera seria de Salieri est intitulé Armida et reprend le célèbre épisode d’Armide et Rinaldo dans la Jérusalem délivrée du Tasse, épisode qui a d’ailleurs eu un grand succès à l’opéra, puisqu’il a également été adapté par Lully, Haendel, Haydn et Gluck, entre autres. C’est sans doute le morceau que j’ai préféré dans cet enregistrement. Pour finir, je mentionnerai encore l’opéra-bouffe l’Angiolina, ossia Il matrimonio per sussuro, librement adapté d’une pièce de Ben Johnson, qui clôt le CD sur une mélodie brillamment orchestrée (notons au passage que ladite pièce de Johnson a bien plus tard donné lieu à un autre opéra, par Richard Strauss, Die schweigsame Frau, sur un livret de Stefan Zweig).
J’ai gardé le meilleur pour la fin, avec le CD Symphonies, Overtures & Variations, enregistré par les London Mozart Players, dirigés par Matthias Bamert (Chandos). On y retrouve quatre ouvertures assez brèves, à savoir celle des drammi giocosi que sont La locandiera et Falstaff, ossia Le tre burle. La première est variée et pleine d’allant, la seconde joyeuse et teintée d’ironie, en particulier dans le solo de basson au milieu du morceau. L’ouverture de l’opéra héroïco-comique Cublai, gran kan de Tartari, quant à elle, est particulièrement dynamique, mais ses harmonies sont fort peu orientalisantes, évidemment. Enfin, ce CD comporte aussi un enregistrement de l’ouverture d’Angiolina, sauf que… ce n’est apparemment pas le même morceau que celui de Dittrich. En fait, Salieri aurait donné certaines représentations de son opéra en le faisant précéder de l’ouverture d’une œuvre antérieure, Il mondo alla rovescia. Bamert donnant celle spécialement composée pour Angiolina, je présume que celle de Dittrich est l’autre, bien que ce ne soit pas précisé par le livret de Naxos (très succinct, comme toujours chez cet éditeur). Dans l’enregistrement de Bamert se trouvent aussi deux courtes symphonies : la première, qu’un musicologue a surnommée la Sinfonia Veneziana, est en fait composée de deux ouvertures d’opéra que Salieri a rassemblées, l’une pour La scuola de’ gelosi, l’autre pour La partenza inaspettata. La seconde symphonie, la seule que Salieri semble avoir inscrite au catalogue de ses œuvres, est intitulée Il giorno onomastico. Subtile et enlevée, elle est d’un goût que je qualifierais volontiers de mozartien. Toutefois, le principal intérêt de cet enregistrement est la série de vingt-six variations sur La folia di Spagna, qui déploient aussi bien virtuosité orchestrale qu’habileté mélodique : s’il y a un chef d’œuvre de Salieri, je pense que c’est celui-là.
E.
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Une petite contribution
D'abord deux musiciens qui m'accompagnent depuis longtemps dans mes pérégrinations et m'ont toujours inspiré
Henri Texier et Renaud Garcia-fons
https://www.youtube.com/watch?v=m0YWZVDQtwI ( Henri Texier)
https://www.youtube.com/watch?v=0nmEhyd … iE&index=3 (Renaud Garcia-Fons)
https://www.youtube.com/watch?v=8O5eX6ZOscA (Daniel Goyone)
https://www.youtube.com/watch?v=CvHI7HUaf1g (Sophie Solomon)
https://www.youtube.com/watch?v=HY2VfzBWKXM (Terry Callier)
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Cela fait maintenant plus de trois mois, presque quatre, que je retarde de mon côté, pour diverses raisons, de nouvelles interventions dans le présent fuseau, sachant que j'écoute ou réécoute de nombreuses œuvres de divers compositeurs depuis le début de cet été... saison estivale qui s'est achevée en ce mois de septembre (avec beaucoup de mauvais temps et des températures au demeurant peu estivales...). L'automne étant ma saison de naissance, peut-être sera-t-il propice pour à présent favoriser davantage le partage me concernant, que ce soit sur ce fuseau ou dans d'autres.
Un hasard professionnel m'a, par ailleurs, récemment fait retrouver, dans une bibliothèque scolaire au fonds un peu ancien, une édition du Dictionnaire de la musique : Les hommes et leurs œuvres en deux volumes (Bordas, 1979, édition mise à jour [1re éd. : 1970]) dirigée par le musicologue Marc Honegger (1926-2003), un ouvrage de référence classique, apparemment assez largement diffusé dans les bibliothèques de collège dans les années 1980, que cependant je devais déjà être (au milieu des années 1990) sans doute à peu près le seul élève à consulter dans mon établissement lorsque j'étais collégien (j'y relevais notamment les dates de composition et/ou de publication des œuvres de compositeurs qui m'intéressaient), mais dont la redécouverte m'a, en tout cas, rappelé des souvenirs et motivé pour reprendre enfin un peu les échanges ici...
Je vais commencer par répondre au dernier message de Silmo, posté le 11 septembre dernier :
N'étant pas un mélomane pointu, je choisis ce fuseau car il me fait penser à ma vie estudiantine, les WE, rentrant de "boite" aux aurores, terminant la nuit chez les uns ou les autres, nous avions un rituel : un premier/dernier petit-déjeuner avec Chopin et son concerto n°2 pour piano et orchestre par Igo Pogorelitch au clavier et Claudio Abbado à la baguette (ma version préférée, après les pubs :( )
... et quand le soleil paraissait, le temps de s'endormir, on écoutait Mahler, pas dans les versions précitées (je crois ?!?! et c'est pour ça que je l'évoque) mais dans celle plus lente de Pierre Boulez, l'adagietto de la 5ème symphonie, là encore ma version favorite . Les puristes diront ce qu'ils en pensent :) (Dans "Mort à Venise de Visconti, c'est un peu plus rapide).
[...]
ps : j'adore comment Pogorelitch conduit l'apex du concerto 8) dans le 1er mouvement et comment il "ponctue" au cours de ses arpèges parfois malmenées avec grâce le deuxième et le troisième mouvements avant un final suspendu.
Le Concerto pour piano nᵒ 2 en fa mineur, opus 21, de Frédéric Chopin était justement au programme d'un des derniers concerts symphoniques auxquels j'ai pu assister cette année, en mai dernier : j'espère pouvoir en parler à l'occasion d'une évocation prochaine d'ultimes souvenirs de concerts (pour au moins quelque temps sans doute), où il sera notamment question de Wagner, Debussy, Ravel, Saint-Saëns, Fauré, Respighi... et aussi Chopin, donc.
En ce qui concerne le quatrième mouvement Adagietto de la Symphonie nᵒ 5 en do dièse mineur de Gustav Mahler, dont j'avais parlé moi-même précédemment en ces lieux, en mai dernier, en signalant ma version de référence, celle du Berliner Philharmoniker dirigé par Simon Rattle, j'ai pris le temps récemment de comparer à l'écoute cette version avec celle proposée par Silmo, avec le Wiener Philharmoniker sous la direction de Pierre Boulez. Si j'ai constaté que la version de Boulez était effectivement un peu plus lente que celle de Rattle, je n'ai pas pour autant senti une différence significative, probablement parce que dans les deux cas, le mouvement de la symphonie m'a paru être exécuté en respectant profondément la partition... et parce que, ce faisant, ce mouvement de la cinquième symphonie, comme je l'avais déjà écrit ici en mai dernier, touche toujours au cœur en ce qui me concerne... Les mots manquent pour en dire plus...
Pour composer cet Adagietto, Mahler a vraisemblablement été influencé par son amour pour son épouse restée célèbre, Alma Maria Mahler, née Schindler, ce qui me donne du reste l'occasion de signaler un bon podcast en sept épisodes de la radio France Musique, podcast que j'ai écouté en feuilleton cet été, intitulé « Alma et Gustav Mahler, la recherche de l'Absolu », diffusé du 15 au 21 juillet derniers, et disponible à la réécoute sur le site de la radio :
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … e-l-absolu
(J'aurai peut-être d'ailleurs l'occasion de mentionner ce podcast dans un autre fuseau, consacré à la correspondance de Tolkien, dans quelque temps...)
Je remercie Elendil pour son partage à travers ses derniers messages en date sur le présent fuseau, depuis juin dernier... jusqu'à aujourd'hui encore, avec son évocation intéressante de l'œuvre du compositeur vénitien Antonio Salieri.
Je connais mal l'œuvre de William Walton – mentionnée le 6 juin dernier –, seulement un tout petit peu à travers ses musiques de films pour la trilogie shakespearienne de Laurence Olivier – Hamlet de 1948 en particulier –, ses Variations sur un thème de Hindemith et ses marches que l'on a jouées lors du couronnement de Charles III l'année dernière. J'ai eu par ailleurs ce mois-ci l'occasion d'entendre dans l'émission de radio « Stars du classique », sur France Musique, le premier mouvement (Andante tranquillo) du Concerto pour violon de Walton, brillamment interprété par Nigel Kennedy en soliste avec le Royal Philharmonic Orchestra de Londres dirigé par André Previn :
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … te-9649045
Concernant l'œuvre de Clara Schumann née Wieck – évoquée le 7 septembre dernier –, je la connais un peu mieux, quoique moins que celle de son époux Robert Schumann, mais j'ai assez régulièrement l'occasion d'entendre à la radio certaines des compositions de cette très grande musicienne, à laquelle un podcast de France Musique en cinq épisodes (« Clara Schumann, la virtuose amoureuse ») a d'ailleurs été consacré et mis en ligne ce mois-ci sur le site de la radio :
- https://www.radiofrance.fr/francemusiqu … -amoureuse
Pour ce qui est de l'œuvre de Josef Antonín Štěpán – abordée également par Elendil le 7 septembre dernier –, je ne la connaissais pas du tout : merci pour cette découverte. Je connais toutefois l'œuvre d'un des confrères contemporains de Štěpán (ou Steffan) également originaire du royaume de Bohême (soit l'actuelle Tchéquie, approximativement), à savoir Josef Mysliveček (1737-1781), plus jeune d'une dizaine d'années mais mort prématurément une quinzaine d'années avant Štěpán, à seulement 43 ans. J'en avais dit quelques mots l'année dernière, ailleurs, à l'occasion de la sortie en salles de l'excellent film Il Beomo de Petr Václav, consacré à la partie de la vie de Mysliveček passée en Italie, mais ce compositeur mériterait que l'on parle plus précisément de sa production : j'essaierai éventuellement, si je peux et si cela intéresse, de le faire ici à l'occasion...
Quant à Francis Poulenc, que pourrai-je ajouter à ce qu'en a dit Elendil précédemment ce mois-ci ? Sa musique m'est assez familière à l'écoute depuis de nombreuses années, mais sans que je l'ai pour autant beaucoup explorée, je l'avoue, au-delà de certaines de ces compositions parmi les plus célèbres et mémorables : à cette aune, je connais surtout Poulenc à travers, par exemple, certaines pages musicales de son Concerto pour piano (FP. 146) et de celui pour deux pianos (FP. 61), le charmant mouvement inaugural Allegro malincolio de sa célèbre Sonate pour flûte et piano (FP. 164), le rondeau extrait des Biches, la valse musette L'Embarquement pour Cythère pour deux pianos, et sa célèbre mélodie pour soprano et piano Les Chemins de l'amour, à la mélancolie poignante, composée sur des paroles de Jean Anouilh.
En ce qui concerne en particulier le Concert champêtre (FP. 49) pour clavecin et orchestre, qu'Elendil semble, entre autres compositions de Francis Poulenc, avoir particulièrement apprécié, il se trouve que j'ai eu l'occasion de l'entendre en concert à La Halle aux Grains, le 7 avril de l'année dernière (2023), avec le célèbre claveciniste Jean Rondeau en soliste et l'Orchestre National du Capitole de Toulouse (ONTC) dirigé par le chef japonais Kazuki Yamada. Outre Poulenc, le programme de la soirée de concert proposait le Concerto pour orchestre de Akira Miyoshi, et deux fameuses compositions pour orchestre de Claude Debussy, Jeux et surtout La mer. De fait, c'est surtout la présence de Debussy au programme qui m'avait incité à assister à ce concert, mais l'écoute du Concert champêtre de Poulenc s'était révélée intéressante, avec une remarquable prestation des exécutants, Jean Rondeau en tête (lequel nous joua en bis, en soir-là, une pièce pour clavecin de François Couperin, pièce bien connue des amateurs de musique baroque, et peut-être aussi de certains lecteurs d'une œuvre de fantasy pré-tolkienienne appréciée par Tolkien lui-même... mais j'aurai peut-être l'occasion d'en reparler une autre fois).
Le Concert champêtre a été créé publiquement en 1929 mais trouve son origine en 1923, lorsque Poulenc assista à une répétition à Paris, dans le palais de la princesse Edmond de Polignac, pour la création française d'un opéra-bouffe de Manuel de Falla, qui comportait une partie de clavecin jouée par Wanda Landowska. Poulenc fut marqué par la prestation de la musicienne, vint la voir après la répétition, et devant l'intérêt du compositeur pour son jeu et le fonctionnement de son instrument, Landowska lui lança un défi : « Écrivez-moi donc un concerto ! » Ce qui fut fait, quelques années plus tard, avec ce Concert champêtre qui est le fruit d'un patient travail effectué par Poulenc en étroite collaboration avec Landowska. Pour reprendre les mots de Max Dozolme dans le livret de présentation du concert auquel j'ai assisté : « Les trois mouvements du concerto [de Poulenc] mêlent le style du XVIIIe siècle d'un Rameau ou d'un Couperin avec les harmonies et les rythmes les plus modernes ; comme si Henri Matisse reprenait à son compte les Fêtes Galantes de Watteau, Guillaume Apollinaire réécrivait les Rêveries d'un promeneur solitaire, une statue de Rodin trônait au milieu d'un jardin à la française. Les ornements baroques et caractéristiques du clavecin (appoggiatures, arpèges brisés, mordants) et les rythmes de danse ancienne comme la sicilienne qui nous berce dans le second mouvement, sont associés à des accords et des dissonances que n'auraient pas renié Stravinski ou Ravel. »
Je prend bonne note (entre autres) de la référence au disque chez Decca, donnée par Elendil, et me permets de signaler un petit extrait du concert toulousain auquel j'avais assisté, encore accessible sur la chaîne YouTube de Medici.tv (qui avait alors diffusé le concert en direct), extrait qui donne notamment une idée de la prestation de Rondeau au clavecin et de l'ONCT ce soir-là en interprétant ce Concert champêtre de Poulenc (maintenant que j'y pense, je n'ai pas vérifié, mais j'ai moi-même peut-être été filmé dans le public...) :
- https://www.youtube.com/watch?v=C5Z5NeCD5n8
Il faudrait que j'en vienne à présent à un gros dossier, sur lequel j'ai semble-t-il incité Elendil à se pencher : l'œuvre de Richard Strauss, que j'ai beaucoup réécoutée récemment, encore ces derniers jours... Mais il est déjà tard ce soir, et il me faut être raisonnable.
Encore quelques mots pour saluer la contribution de Menalque, ce soir, dont le contenu me paraitrait digne de figurer, entre autres, au programme assez éclectique d'une émission de France Musique qui s'appelle « Banzzaï », par Nathalie Piolé, une émission de jazz au sens musicalement très large du terme.
Et concernant Salieri, l'évocation qu'en a fait Elendil, notamment en se focalisant sur sa musique orchestrale, me fait penser qu'il va être temps, aussi, de parler de l'œuvre d'un autre compositeur ayant vécu entre XVIIIe et XIXe siècles (plus jeune que Salieri mais qui ne lui a survécu que très peu de temps), que j'ai écouté et réécouté cet été, très estimé par Berlioz qui manqua de peu de le rencontrer, et notamment plus tard apprécié musicalement par Tolkien : Carl Maria von Weber.
Et puis il y a également ceci :
...les œuvres orchestrales que j'écoute régulièrement au disque ces temps-ci, celles en particulier d'Albéric Magnard et d'Ottorino Respighi – où l'on recroise notamment encore la route de Vénus et de Neptune – et dont il faudra donc que je prenne le temps de parler aussi, si je peux...
Là encore, je vais essayer de faire au mieux pour un prochain partage... avec un peu de César Franck et de Dvořák aussi, sur fond de modestes souvenirs de voyages européens... et puis avec même aussi, pourquoi pas, quelques pages de certaines musiques de film que je réécoute également régulièrement, depuis plusieurs semaines, dans le sillage de la disparition d'Alain Delon...
Bref, à bientôt j'espère... ^^'
Peace and Love,
B.
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Merci à Hyarion pour me faire découvrir Banzzai. J'écoute effectivement pas mal de Jazz ( moderne sens large) sans en être un dévoreur exclusif. Disons qu'ayant fait mes études à Amiens , j'ai été nourri avec le Label Bleu ( https://www.maisondelaculture-amiens.com/label-bleu )
Quant à tes ( vos) références en musique classique, étant malheureusement "inculte" , je ne puis réagir ou donner un avis , ou tout au moins refléter une pertinence ( cependant un lien est toujours bénéfique pour une découverte )
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Quant à tes ( vos) références en musique classique, étant malheureusement "inculte" , je ne puis réagir ou donner un avis , ou tout au moins refléter une pertinence ( cependant un lien est toujours bénéfique pour une découverte )
Je ne peux que faire miens les propos de Menalque (à une réserve près, je suis "spécialiste" de Vivaldi ayant la quasi-totalité - 63 volumes sur 66, mais les 3 derniers vont bientôt rejoindre ma médiathèque - de la Vivaldi Edition, par le label Naïve). Sachez donc que vous nous lisons, à défaut de réaction !
D'ailleurs, en ce qui me concerne, après discussion avec un collègue la semaine dernière, j'écoute Max Richter. Et, pas de hasard, j'ai commencé par sa version "recomposed" des Quatre saisons de Vivaldi. En attendant d'écouter le reste de ses compositions
Cédric.
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Et concernant Salieri, l'évocation qu'en a fait Elendil, notamment en se focalisant sur sa musique orchestrale, me fait penser qu'il va être temps, aussi, de parler de l'œuvre d'un autre compositeur ayant vécu entre XVIIIe et XIXe siècles (plus jeune que Salieri mais qui ne lui a survécu que très peu de temps), que j'ai écouté et réécouté cet été, très estimé par Berlioz qui manqua de peu de le rencontrer, et notamment plus tard apprécié musicalement par Tolkien : Carl Maria von Weber.
Et puis il y a également ceci :
Précédemment, votre serviteur Hyarion a écrit :...les œuvres orchestrales que j'écoute régulièrement au disque ces temps-ci, celles en particulier d'Albéric Magnard et d'Ottorino Respighi – où l'on recroise notamment encore la route de Vénus et de Neptune – et dont il faudra donc que je prenne le temps de parler aussi, si je peux...
Pour Weber, je te laisse bien volontiers en parler, c'est un compositeur que je connais fort mal -- et Respighi moins encore. Quant à Magnard, c'est également grâce à toi que je l'ai découvert, et je n'ai pas encore eu le temps d'entendre grand chose de lui, mais je te remercie déjà, car c'est probablement le compositeur le plus sous-estimé que je connaisse.
Je ne peux que faire miens les propos de Menalque (à une réserve près, je suis "spécialiste" de Vivaldi ayant la quasi-totalité - 63 volumes sur 66, mais les 3 derniers vont bientôt rejoindre ma médiathèque - de la Vivaldi Edition, par le label Naïve). Sachez donc que vous nous lisons, à défaut de réaction !
Je n'ai clairement pas autant d'œuvres de Vivaldi que toi dans ma médiathèque personnelle, mais elle doit quand même compter une douzaine de CD du Prêtre roux, compositeur que j'aime beaucoup. Si tu apprécies Vivaldi, je ne peux que t'engager à écouter les transcriptions pour orgue qu'a fait Bach de trois des concertos de celui-ci. J'avais justement fait jouer le Concerto pour orgue en La mineur BWV 593 (qui transcrit le Concerto pour deux violons et basse continue RV 522 de Vivaldi) pour la sortie de mon mariage.
Dans l'immédiat, je parlerai plutôt d'un compositeur né deux générations plus tôt que Magnard, mais dont la misanthropie n'avait apparemment pas grand-chose à envier à la sienne, et dont les œuvres ont été longtemps négligées, en partie pour les mêmes raisons. Un compositeur qui était de plus un virtuose à l'égal de Liszt, et qui entretenait avec lui des relations d'amitié : Charles-Valentin Alkan (1813-1888). Il a essentiellement composé pour le piano ou pour le piano-pédalier seul, à de rares exceptions près. Ses pièces sont d’une virtuosité assez inégalée, ce qui explique aussi qu’elles soient encore aujourd’hui assez peu jouées. Un critique aurait même dit de certaines d’entre elles qu’elles semblaient composées pour une espèce éteinte de pianistes virtuoses dotés de sept doigts à chaque main...
J’ai justement fait l’acquisition récente d’un très beau coffret de 13 CD édité par Brilliant Classics, qui couvre les plus grandes œuvres d’Alkan. Parmi celles-ci, il faut impérativement mentionner en premier le véritable chef d’œuvre que sont les 12 études dans tous les tons mineurs Op. 39, qui sont ici interprétées avec brio par Vincenzo Maltempo. Parmi ces études, d’une ambition formidable, la première, intitulée « Comme le vent, prestissimamente », en La mineur, donne le ton : seul un virtuose absolu parviendra à jouer la moyenne de 16 notes à la seconde que requiert le tempo de 160 bpm. Le sommet de l’œuvre, selon moi, est constitué par les études 4 à 7, réunies sous le titre de Symphonie pour piano seul et qui portent bien leur titre. Mais il ne faudrait pas pour autant négliger les études 8 à 10, encore plus virtuoses, qui portent quant à elles le titre de Concerto pour piano seul : rien que l’étude n° 8 en Sol dièse mineur, qui en constitue le premier mouvement, comporte plus de mesures que l’immense sonate n° 29 Hammerklavier de Beethoven. Et que dire de la superbe étude n° 11 « Ouverture : Maestoso » en Si mineur, si ce n’est qu’on a envie de l’écouter et de la réécouter ? La douzième étude « Le festin d’Ésope : Allegretto senza licenza quantunque » en Mi mineur, qui clôt la série, forme une série de variations de moindre ampleur, mais qui ne sont pas moins intéressantes.
Toutes les œuvres d’Alkan ne sont pas aussi mémorables. À vrai dire, je trouve que bon nombre d’entre elles penchent trop du côté de la pure virtuosité, à l’instar du Grand Duo concertant pour violon et piano en Fa dièse mineur Op. 21, qui est ici interprété par Kolja Lessing au violon et Rainer Klaas au piano. Mais en revanche, j’ai beaucoup apprécié les 12 études dans tous les tons majeurs Op. 35, jouées par Mark Viner, et qui valent bien les Études d’exécution transcendantale de Liszt. J’ai trouvé plus remarquables encore les Trois Grandes Études pour les deux mains séparées et réunies Op. 76, avec Alessandro Deljavan au piano. Si on l’ignore, il est difficile d’imaginer que le premier mouvement « Fantaisie » en La bémol est pour la main gauche seule, et plus encore que le deuxième « Introduction, variations et finale » en Ré est pour la main droite seule. Quant au troisième et dernier « Mouvement semblable et perpétuel (Rondo-Toccata) » en Ut mineur, pour les deux mains réunies, il est tout bonnement époustouflant. Toujours dans le registre de la virtuosité, la brève Toccatina Op. 75 mérite amplement l’écoute, d’autant que son interprétation par Alan Weiss est très réussie.
Dans un style plus narratif, la Grande sonate les Quatre Âges Op. 33, ici à nouveau sous les doigts de Vincenzo Maltempo, est une très belle œuvre aussi, qu’il conviendrait volontiers d’écouter face à la série de tableaux The Voyage of Life de Thomas Cole. Les Esquisses Op. 63, interprétées par Laurent Martin, constituent une belle série de miniatures, très variées, mais très agréables à écouter. Quant aux 25 Préludes dans tous les tons majeurs et mineurs Op. 31, toujours par Laurent Martin, il s’agit là d’une œuvre beaucoup plus introspective, voir méditative (le n° 4 en Fa dièse mineur est ainsi intitulé « Prière du soir : Assez lentement », et dans les suivants, nous trouvons aussi « Psaume 150e : Avec enthousiasme » (n° 5), « Ancienne mélodie de la synagogue : Andante flebile » (n° 6 ; notons qu'Alkan était d'origine juive et apparemment pratiquant), « J’étais endormie, mais mon cœur veillait… (Cantique des Cantiques 5:2) : Lentement » (n° 13), « Prière du matin : Vite » (n° 19), enfin « Prière : Lentement » (n° 25), qui revient à la tonalité d’Ut du premier prélude, d’où le fait que cet opus contienne 25 morceaux. C’est sans doute une des pièces d’Alkan les plus accessible aux pianistes. Pour conclure ce rapide survol de sa musique pour piano seul, j’ai trouvé splendide le 1er nocturne Op. 22, du même niveau que les meilleurs de Chopin. Alan Weiss en donne ici une très belle interprétation.
Alkan a beaucoup moins composé pour la musique de chambre. Notons tout de même la très belle Sonate de concert pour violoncelle et piano en Mi Op. 47, où œuvrent Berhard Schwarz au violoncelle et Rainer Klaas au piano. Le Trio avec piano en Sol mineur Op. 30 est encore plus réussi, d’autant que le Trio Alkan en donne une interprétation superlative. Enfin, les trois Concerti da camera Op. 10 méritent eux aussi qu’on s’y intéresse, notamment le n° 1 en La mineur et le n° 2 en Ut dièse mineur. Ces morceaux sont ici interprétés par l’Orchestre de Padoue et de la Vénétie, dirigé par Roberto Forés Veses, qui s’en tirent plutôt honorablement.
E.
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Merci à Hyarion pour me faire découvrir Banzzai. J'écoute effectivement pas mal de Jazz ( moderne sens large) sans en être un dévoreur exclusif. Disons qu'ayant fait mes études à Amiens , j'ai été nourri avec le Label Bleu ( https://www.maisondelaculture-amiens.com/label-bleu )
Mes goûts en matière de jazz ont toujours été plutôt « classiques » (j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ici Duke Ellington l'hiver dernier, dans un contexte très personnel, mais disons que plus généralement, à choisir, je préfère, par exemple le Miles Davis de l'album Kind of Blue à celui des productions de jazz-fusion des années 1980, même si celles-ci peuvent se laisser écouter), mais je garde cependant l'esprit ouvert à l'égard des productions jazzistiques plus contemporaines (le jazz, au sens large, est en perpétuel mouvement), avec notamment l'écoute plus ou moins régulière des émissions de jazz de France Musique : en semaine, « Banzzaï » de Nathalie Piolé, déjà citée donc, et « Au cœur du jazz » de Nicolas Pommaret (qui vient de succéder à la mythique émission « Open Jazz » d'Alex Dutilh, laquelle a duré quarante-deux ans jusqu'à l'été dernier), et le week-end, « Les légendes du jazz » de Jérôme Badini (et « Jazz Club » de Nathalie Piolé le samedi).
Quant à tes ( vos) références en musique classique, étant malheureusement "inculte" , je ne puis réagir ou donner un avis , ou tout au moins refléter une pertinence ( cependant un lien est toujours bénéfique pour une découverte )
Le contenu de ma discothèque « classique » se retrouvant plus ou moins sur YouTube depuis quelques années, il est devenu très simple aujourd'hui de le partager, en ces lieux, alors que cela aurait été presque inimaginable il y a quinze ans. Je ne me permettrai sans doute pas d'écrire autant sur la musique dite classique sur ce fuseau (et parfois dans d'autres), si je ne pouvais pas illustrer sonorement mon propos (en sus de l'illustrer tout court avec des couvertures d'albums, entre autres). J'espère, à cette aune, que les liens hypertexte vers les enregistrements disponibles en ligne que j'intègre dans mes messages sont effectivement bénéfiques. :-)
La musique est un si puissant vecteur d'émotions, comme je l'ai encore constaté me concernant, ces derniers mois, par exemple en apprenant la disparition de Françoise Hardy, évoquée dans le fuseau dédié, ou en réécoutant le bel album Earth de Vangelis que j'ai mentionné ici précédemment en juin dernier, qu'il n'est pas toujours facile, à cette aune, même en ayant des connaissances, de trouver les mots pour en parler, ou continuer à en parler comme nous le faisons depuis quelque temps dans le présent fuseau. Mais d'un autre côté, en parler et partager à son propos aide à « aller de l'avant », alors je continue...
Dans l'immédiat, je parlerai plutôt d'un compositeur [...] qui était de plus un virtuose à l'égal de Liszt, et qui entretenait avec lui des relations d'amitié : Charles-Valentin Alkan (1813-1888). [...] il faut impérativement mentionner en premier le véritable chef d’œuvre que sont les 12 études dans tous les tons mineurs Op. 39 [...]. Parmi ces études, d’une ambition formidable, la première, intitulée « Comme le vent, prestissimamente », en La mineur, donne le ton : seul un virtuose absolu parviendra à jouer la moyenne de 16 notes à la seconde que requiert le tempo de 160 bpm. [...]
Merci d'évoquer ici ce compositeur méconnu. L'étude « Comme le vent » est effectivement très impressionnante, rien qu'en voyant la partition et a fortiori en écoutant son exécution par un pianiste, forcément virtuose.
Hyarion a écrit :Et concernant Salieri, l'évocation qu'en a fait Elendil, notamment en se focalisant sur sa musique orchestrale, me fait penser qu'il va être temps, aussi, de parler de l'œuvre d'un autre compositeur ayant vécu entre XVIIIe et XIXe siècles (plus jeune que Salieri mais qui ne lui a survécu que très peu de temps), que j'ai écouté et réécouté cet été, très estimé par Berlioz qui manqua de peu de le rencontrer, et notamment plus tard apprécié musicalement par Tolkien : Carl Maria von Weber.
Et puis il y a également ceci :
Précédemment, votre serviteur Hyarion a écrit :...les œuvres orchestrales que j'écoute régulièrement au disque ces temps-ci, celles en particulier d'Albéric Magnard et d'Ottorino Respighi – où l'on recroise notamment encore la route de Vénus et de Neptune – et dont il faudra donc que je prenne le temps de parler aussi, si je peux...
Pour Weber, je te laisse bien volontiers en parler, c'est un compositeur que je connais fort mal -- et Respighi moins encore. Quant à Magnard, c'est également grâce à toi que je l'ai découvert, et je n'ai pas encore eu le temps d'entendre grand chose de lui, mais je te remercie déjà, car c'est probablement le compositeur le plus sous-estimé que je connaisse.
You're welcome. Il faut encore que je finalise mon propos sur tous ces compositeurs... mais ça avance peu à peu. Weber mériterait un traitement à part, mais on verra... Cédric a parlé de Vivaldi, qui mériterait aussi quelques mots, mais chaque chose en son temps. ^^'
En attendant, je viens de voir un documentaire sur ARTE consacré à Schönberg, né il y a 150 ans (« Arnold Schönberg - L'inlassable visionnaire », disponible jusqu'au 05/11/2024), dont je recommande le visionnage : https://www.arte.tv/fr/videos/119574-00 … sionnaire/
Amicalement,
B.
P.S. (7 oct., 16h14) : ayant appris l'information la semaine dernière par une newsletter, je me permets de signaler du nouveau concernant ce dont j'avais parlé précédemment ici, en juin dernier, à propos de La Vie parisienne d'Offenbach...
[...] c'est à une représentation de la toute première version de 1866, originelle et intégrale, de La Vie parisienne, que j'avais pu assister à la Halle aux Grains à Toulouse, dans une version de concert coproduite par le Palazzetto Bru Zane et l'Orchestre national du Capitole de Toulouse, le soir du 12 janvier 2023 [...]
Un an et demi après, sauf erreur de ma part, il n'est pas encore possible de revoir en vidéo cette représentation de l'œuvre, dans une version primordiale si inédite que même Offenbach ne l'a jamais entendue, puisqu'elle précède les modifications auxquelles il avait dû procéder pour adapter alors la création de son œuvre à une distribution plus théâtrale que lyrique.
Finalement, plutôt qu'une mise en ligne d'une captation en vidéo du concert auquel j'avais assisté, c'est une publication qui a eu lieu, il y a quelques jours (le 4 octobre dernier), d'un enregistrement de cette première version de 1866 de La Vie parisienne, réalisé du 10 au 13 janvier 2023 à la Halle aux Grains, en parallèle du concert et avec les mêmes interprètes. Ledit enregistrement est édité sous forme de livre-disque, soit en album double CD avec un beau livre (contenant notamment le livret original de l'œuvre) en édition bilingue français/anglais, par les éditions musicales du Palazzetto Bru Zane (basées à Venise), spécialisées dans ce type de publications (centrées sur le patrimoine musical français du XIXe siècle, dans un sens chronologique large [1780-1920]) et dont le travail est très soigné :
https://bru-zane.com/fr/pubblicazione/l … arisienne/
J'y retrouve à l'écoute et à la lecture ce que j'ai pu découvrir en concert à l'époque, ne connaissant pas jusqu'à cette représentation cette toute première version du célèbre opéra-bouffe. À noter que l'ouverture pour orchestre de cette version est bien plus courte que celle, déjà brève (environ 5 minutes), de la version retravaillée qui est la plus courante et la plus connue, mais qu'en additionnant l'ouverture et les pages instrumentales des quatre entractes de cette première version, on obtient tout de même de quoi faire une suite orchestrale d'une douzaine de minutes, sans compter les quelques mesures de l'orchestre accompagnant les trois pantomimes sur Don Giovanni de Mozart dans le cinquième et dernier acte.
J'ai également appris par hasard, en écoutant une émission de « Musique matin » sur France Musique la semaine dernière, la sortie d'un autre album en rapport, sur le fond et au moins en partie sur la forme, avec un autre concert toulousain, wagnérien celui-là, auquel j'avais assisté à la Halle aux Grains en 2023, mais j'aurai en principe l'occasion d'en parler plus tard.
B.
Hors ligne
@ Hyarion
Je viens de regarder le reportage sur Arte. (Schonberg)
Fascinant... Bien sûr cela ne m'ouvrira pas la compréhension de ce langage musical mais sa conception spirituelle et analytique de cette langue est sidérante. Certes cela peut paraitre une évidence pour un mélomane ( je savais que je ne possédais pas les clefs ) et il faut plus que l'écoute pour décrypter. La sensibilité ne suffit pas, notamment par l'Hermétisme ( sens premier- création,divin ) qu'il insuffle à son art, tout au moins selon la perception qu'en donnent les intervenants du reportage. Merci pour la découverte.
En ligne
Faute de temps, je n’ai pas grand-chose à partager avec vous pour l’instant sur le plan musical. Peut-être cependant me faudrait-il mentionner quelques compléments liés à deux compositeurs anglais dont je vous ai déjà parlés. En effet, si j’ai déjà évoqué la musique instrumentale d’Elgar et de Walton, je n’ai pas dit grand-chose de leur musique vocale, à l’exception du Songe de Gerontius pour l’un, ainsi que du Festin de Balthazar et du Te Deum du couronnement pour l’autre. Or Elgar, en particulier, a été un grand compositeur de musique vocale sacrée. Il a notamment écrit deux autres oratorios : The Apostles (Op. 49) et The Kingdom (Op. 51). Comme le Songe de Gerontius, ces deux pièces ont été composées pour le Festival triennal de musique de Birmingham. Dès la commande initiale, en 1898, Elgar avait songé à un oratorio inspiré par le Nouveau Testament, mais avait fini par adapter le poème de Newman, faute de disposer du temps nécessaire pour établir le texte et composer la musique en parallèle.
Si la première représentation de Gerontius avait été désastreuse, celles qui suivirent, à Londres, puis à Düsseldorf en traduction allemande, furent de franc succès. Le festival de Birmingham commanda donc un autre oratorio à Elgar. Celui-ci envisagea d’abord une œuvre qui couvre la totalité de l’action des Apôtres, depuis leur appel jusqu’à la Pentecôte, mais devant l’ampleur pris par son œuvre, décida de la diviser en deux : les Apôtres s’arrête après l’Ascension, tandis que le Royaume poursuit le récit avec la naissance de l’Église nouvelle jusqu'aux événements qui suivent immédiatement la Pentecôte. Ces deux œuvres virent le jour à Birmingham, en 1903 pour la première et en 1906 pour la seconde. J’ai pour ma part opté pour l’enregistrement en ont fait pour Chandos le Chœur et l’Orchestre symphoniques de Londres, dirigés par Richard Hickox, ce qui permet de mettre l’accent sur la continuité entre les deux oratorios (voir ici et là sur YouTube).
Pour moi, le plus intéressant dans les Apôtres est qu’Elgar s’intéresse avant tout aux réactions humaines des disciples du Christ plutôt qu’au contenu de la prédication de celui-ci. Ainsi, chaque élément des Béatitudes est-il commenté mezzo voce par Pierre, Jean, Judas ou Marie, chacun soulignant les points auxquels il est le plus sensible. Je soulignerais volontiers aussi le fait que Marie Madeleine se voit donner un rôle largement aussi important que celui des disciples masculins, et qu’Elgar intègre habilement sa décision d’aller à la rencontre de Jésus à l’épisode de la tempête sur le lac de Tibériade. La plus belle trouvaille, je trouve, reste toutefois de narrer en creux les épisodes de la Passion par le biais du personnage de Judas. Il s’intéresse d’abord à la motivation profonde de sa trahison, qu’Elgar ne rattache pas au lucre, explication assurément trop simple. Il lui attribue en effet un désir de faire advenir immédiatement le royaume céleste sur Terre, en voulant forcer Jésus à se tirer d’affaire après son arrestation en accomplissant un miracle qui serait vu de tous et qui ne pourrait être nié ou réfuté par les prêtres ou les Pharisiens. Le désespoir de Judas est d’autant plus prenant lorsqu’il réalise que Jésus a choisi de marcher au supplice, sans percevoir le moindre espoir par-delà la mort de celui-ci. L’action ne revient vers les autres disciples qu’après le suicide de Judas, placé au même moment que la mort de Jésus. L’action passe ensuite à la découverte du tombeau vide par la Vierge Marie et Marie Madeleine, puis au retour de Jésus parmi ses disciples et à la scène de l’Ascension. La musique d’Elgar excelle à rendre les émotions des disciples au contact de Jésus et brille par sa richesse orchestrale. L’entremêlement des prières et des chœurs angéliques de la fin est superbe. La seule réserve que je serais tenté d’émettre réside dans le choix d’avoir fait de Pierre, Judas et Jésus des voix de basse, ce qui n’aide pas à les différencier lorsqu’ils sont présents tous les trois, et nécessite donc d’avoir le livret à portée de main.
Le Royaume permet de retrouver les Apôtres cloîtrés au Cénacle après le départ de Jésus, dans l’attente de la Pentecôte. Je trouve malheureusement cette première partie plombée par des paroles assez ineptes, qui feraient volontiers passer le chœur des disciples pour des victimes d’un gourou moderne (l’effet est encore plus patent avec la musique, je trouve) :
Mary, Mary Magdalene, John and Peter Remember the words of the Lord Jesus.
The Disciples and the Holy Women Jesus, the Holy One.
John ‘Surely they are My people.’
The Disciples and the Holy Women So He was their Saviour.
Mary For while all things were in quiet silence, and that night was in the midst of her swift course, Thine almighty Word leaped down from heaven out of Thy royal throne.
The Disciples and the Holy Women The Light of the world.
Mary Magdalene The Dayspring from on high hath visited us, to guide our feet into the way of peace.
The Disciples and the Holy Women The Way, the Truth, and the Life.
The Kingdom, Op. 51, 1re partie
Cela reste malgré tout un bel oratorio dans l’ensemble, bien qu’un cran en retrait de Gerontius et des Apôtres. Le duo entre la Vierge Marie et Marie Madeleine dans la section « At the beautiful gate » est d’une grande sensibilité. Certains chœurs sont absolument splendides, à l’instar de « O ye priests », qui fait suite au choix de Matthias pour remplacer Judas parmi les Apôtres. L’épisode de la Pentecôte elle-même met remarquablement en musique la confusion et la joie des disciples, ainsi que la surprise qui frappe ceux qui sont témoins de la scène. Cela dit, le passage le plus émouvant reste sans doute la grande prière de la Vierge Marie, « The sun goeth down », qui intervient au moment où Pierre et Jean sont arrêtés par les prêtres et les Sadducéens. L’oratorio se clôt dans une atmosphère de gratitude et d’espoir que je trouve cette fois parfaitement rendue, avec une mise en musique parfaitement appropriée du Notre Père et une conclusion partagée entre Jean, Pierre et les autres disciples qui fait écho au passage introductif, mais qui réussit à toucher la note juste.
L’enregistrement du Royaume est accompagné par Sospiri (Op. 70) et Sursum Corda (Op. 11), une musique pour l’Offertoire. Je vous ai déjà parlé de la première. La seconde, composée pour cordes, cuivres et orgue, était destinée à un service de la cathédrale anglicane de Worcester auquel devait assister le duc d’York, le futur roi George V. Si je ne trouve pas qu’elle compte parmi les vrais chefs d’œuvre d’Elgar, elle donne un aperçu assez intéressant de sa musique d’église.
À ce propos, il me faut signaler l’enregistrement Sacred Choral Music, par la Chorale du St John’s College de Cambridge, dirigée par Christopher Robinson, avec Jonathan Vaughn à l’orgue. Elle comprend certaines des plus belles œuvres chorales d’Elgar, à commencer par Give unto the Lord (Psalm XXIX), Op. 74, ainsi que Great is the Lord (Psalm XLVIII), Op. 67, deux antiennes qui marient admirablement l’orgue et les chants. On y trouve aussi les trois antiennes de l’Op. 2 : « Ave, verum corpus », destinée à l’offertoire, ainsi qu’une mise en musique de l’Ave Maria et de l’Ave maris stella. Ces trois chants sont beaucoup plus méditatifs et furent à l’origine composés pour l’ordinaire de la messe catholique de l’église de St George de Worcester, dont Elgar fut organiste entre 1885 et 1889. Il en va de même de l’antienne O salutaris hostia, là encore destinée à l’offertoire ou à la communion. Du fait de la célébrité ultérieure d’Elgar, il me semble assez vraisemblable que ces pièces aient été assez largement diffusés et que Tolkien ait eu l’occasion de les entendre. L’atmosphère de l’antienne d’offertoire O hearken Thou (Op. 64) est similaire, mais sa construction est nettement plus complexe, ce qui n’est guère étonnant puisqu’elle fut composée pour le couronnement du roi George V.
Le diptyque Te Deum Laudamus et Benedictus (Op. 34), composé pour le Festival des trois chœurs, est en revanche beaucoup plus solennel, de caractère brillant pour le Te Deum, plus recueilli pour le Benedictus. Bien que ce soient indiscutablement de belles pièces chorales, ce n’est sans doute pas là le plus marquant des Te Deum du répertoire. Quant à Go, song of mine (Op. 57), une mise en musique d’un poème de Guido Cavalcanti, traduit par Dante Gabriel Rossetti, il s’agit de la seule pièce pour chœur a cappella de cet enregistrement. Ce n’est certes pas la moins expressive de ces pièces, et c’est sans doute celle dont je recommanderais le plus volontiers l’écoute après la mise en musique des Psaumes 39 et 48.
Pour finir, on trouve dans ce CD trois extraits d’oratorios, dont le mouvement d’ouverture de The Apostles, intitulé « The Spirit of the Lord is upon me », ainsi que deux autres tirés de The Light of Life (Op. 29), « Seek him that maketh the seven stars » et « Light of the World ». The Light of Life est le premier oratorio d’Elgar, composé pour le Festival de Worcester en 1896. Il relate l’histoire de l’aveugle guéri par Jésus telle qu’elle figure dans l’Évangile selon st. Jean. Je n’ai pas eu l’occasion d’entendre la totalité de cet oratorio, mais les deux chœurs retenus ici sont de belles pièces, quoique je les trouve un peu moins élaborées sur le plan mélodique que les chœurs des Apôtres ou du Royaume. (Notons au passage que le motif musical de Jésus en tant que donneur de lumière qui figure dans cet oratorio est précisément repris dans l’ouverture des Apôtres, ce qui explique certainement pourquoi ces trois pièces ont été mises en regard).
J’ai également pris un petit complément similaire pour Walton, avec un CD d’Hyperion intitulé Coronation Te Deum and other choral music, par le chœur Polyphony et The Wallace Collection, dirigés par Stephen Layton, avec James Vivian à l’orgue. On y retrouve notamment une version pour chœur, cuivres et orgue du Te Deum du couronnement d’Elizabeth II : ma préférence reste à la version orchestrale, d’autant que je trouve l’orgue trop en retrait sur cet enregistrement (les autres pièces avec orgue du CD ne souffrent pas de ce souci, sans doute parce qu’elles ne comportaient pas la difficulté supplémentaire d’équilibrer cuivres et orgue). Le reste du CD est consacré à différentes pièces sacrées, notamment les trois versions connues de A Litany, l’antienne Set me a a seal upon thine heart, un Magnificat et Nunc Dimittis, ou Where does the uttered music go ?, une belle pièce chorale à la mémoire du compositeur Sir Henry Wood. Mentionnons encore une Missa brevis, quatre chants de Noël, ainsi que le Cantico del Sole, une mise en musique du Cantique des créatures de saint François d’Assise. La pièce la plus remarquable de cet ensemble est The Twelve, une antienne « pour la fête de n’importe quel Apôtre », sur un texte de W.H. Auden.
Je conclurais cette petite revue en revenant à la musique instrumentale afin d’évoquer un autre enregistrement du concerto pour violoncelle et orchestre de Walton. Comme l’œuvre m’avait vraiment plu, mais que j’avais regretté que l’enregistrement ne fasse pas suffisamment ressortir l’instrument solo, je me suis tourné vers une version plus récente du virtuose Jamie Walton (chez Signum Classics), que j’avais particulièrement apprécié pour son interprétation des Concertos pour violoncelle et orchestre de Saint-Saëns. Il est ici accompagné par l’Orchestre Philharmonia, dirigé par Alexander Briger. William Walton avait tardivement révisé la fin de son concerto, sur la suggestion du grand violoncelliste Gregor Piatigorsky, qui en avait donné la première. Toutefois, cette révision avait été achevée peu de temps après la mort de Piatigorsky et n’avait jusqu’alors jamais été enregistrée, peut-être parce qu’elle donne le premier rôle à l’orchestre dans le final et fait alors passer le soliste à l’arrière-plan. Au demeurant, Jamie Walton donne la version originale du troisième mouvement de ce concerto en bonus à la fin du CD. Son interprétation est remarquable et cette fois, la prise de son donne clairement le premier rôle au violoncelle, ce qui est très appréciable. Le concerto de Walton est suivi du premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch, une de mes pièces favorites pour cet instrument. Là encore, Jamie Walton nous en donne une interprétation superlative.
E.
P.S. : Cette fois, j’ai pris le temps de mettre des liens vers YouTube pour tous les morceaux dont je parle.
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