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#151 11-02-2006 00:01

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
Messages : 246

Re : The Letters

... desolee, c est que je suis si impatiente de pouvoir les lire!

J ai remonte le fuseau mais n ai pas trouve les informations dont tu parles. Merci, en tout cas, pour la reponse... il va falloir que j economise pour cette annee si riche de Tolkien en v.f.!

FdN -- desolee pour le manque d accents et d apostrophes, je ne suis pas en France... et ce n est que le moindre de mes problemes ;)

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#152 12-02-2006 04:24

Yyr
Lieu : Reims
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Re : The Letters

J'ai beaucoup, beaucoup, aimé les Lettres - que je n'avais pas toutes lues en anglais. C'est qu'elles abordent de multiples contes, non seulement celui de la Terre du Milieu, mais encore celui de Tolkien, et ceux du Monde et de la foi chrétienne. Leurs trames souvent se superposent ou s'entrecroisent. Peut-être devient-il difficile alors d'en saisir bien les fils ?

Ainsi de la fameuse lettre n°43 ? :) La foi chrétienne est ancrée dans un conte, et comme tout conte, celui-ci demande d'être abordé en tant que tout, dans sa cohérence et son mystère, et, surtout, et même essentiellement, dans ce qui échappe aux catégories des hommes qui sont (i.e. à celles qui sont) temporelles, sociales et techniques (et idéologiques :)). Les Lettres dans leur ensemble rayonnent de cette foi plus ou moins. Pour la lettre 43, c'est plus :). Il est vain de vouloir l'aborder selon nos propres catégories et nos propres représentations (qu’il s’agisse de celles d’aujourd’hui ou de 1941), de vouloir à tout prix faire tenir sa signification dans nos modèles. Une lettre qui parle d'« immoralité » et d'« éthique révélée », qui oppose « la foi » à « la chair » (etc. etc. etc. ...), adressée non à tout un chacun mais à un croyant, ne pourra pas rentrer dans les catégories de ce « monde déchu » quoi que ce dernier prétende (ce qui a été tenté en ces lieux il me semble à plusieurs reprises, à grands frais et sans résultat - et sans surprise, car l'on ne force pas les portes d'un conte, fût-il celui de notre monde, sans accepter d'y entrer en invité - étoilé - et non en despote - carnassier -).

Mais il est un (petit) détail de traduction qui peut effectivement être critiqué, ainsi que je l’ai partagé à Vincent ; non pas seulement « servient » mais encore « helpmeet » :

No intent necessarily to deceive: sheer instinct: the servient, helpmeet instinct, generously warmed by desire and young blood.

Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct - l'instinct de la subalterne, de la compagne, généreusement animé par le désir et la jeunesse.

Letters/49-(fr)77

Avant de pousser plus avant la recherche, je rejoignais les intuitions de Vin’ et Green’ :

Vinyamar a écrit :

Un détail, je ne crois pas que "servient" avait quand Tolkien l'a écrit le côté très péjoratif de "subalterne". "Subordonné" me semble éviter le côté péjoratif […]

Daniel a écrit :

En regard du contexte ("the servient, helpmeet instinct" = synonymie plus ou moins proche) et sans l'aide d'un dictionnaire (d'instinct, donc ! ;-)), je traduirais "servient" par "serviable", donc, "l'instinct de serviabilité" (mais ce n'est peut-être pas très parlant).

En fait, je rejoins Vinyamar en ce que dans la parole de Tolkien il n’y avait pas de sens péjoratif, cependant je ne crois pas que l’idée d’autorité reste celle de Tolkien en cet endroit. Et comme Daniel, c’est cet « instinct de serviabilité » que j’avais (moins justement que lui) ressenti et formulé en privé à Stéphanie, à qui j’avais parlé d’« humilité du serviteur ». Et, avec la question de la damoiselle des champs d’or …

Lægalad a écrit :

[…] En même temps, Tolkien est amateur de sens vieillot... Est-ce qu'il est possible que le mot ait un sens [autre] ?

… et en lien, la consultation du sympathique shorter Oxford English Dictionnary …

servient adjective.
[Latin servient- pres.ppl stem of servire SERVE verb : see -ENT.]
1 LAW. […]
2 Subordinate, subject to authority or rule. Formely also, serving. Now rare.

Shorter OED

… l’on observe les deux propositions, celles de Xavier et Daniel, et le passage de l’une à l’autre : servient peut signifer serving, où l’on quitte la sphère de subordination pour entrer dans celle du service. Ce qui est tout autre chose, et ce qui n’implique pas automatiquement une relation de subalternité. Le service qui, dans son acception et acceptation chrétienne, est acte de libération, action voulue et choisie, indépendamment de toute autorité (sans pour autant récuser l’autorité), à l’image du Christ qui ressuscite, où l’offrande de service est à son sommet :

[ma vie] Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. […]

Jean 10, 18

Et alors, je m’accorde d’autant plus à Daniel, je crois, en saisissant comme lui une synonymie entre les deux mots « the servient, helpmeet instinct », à tout le moins une articulation entre eux qui devient source de sens. Helpmeet fut traduit par compagne, mais ce faisant, n’a-t-on pas traduit plus helpmate que helpmeet ? Ce qui n’eût pas été si gênant si justement il n’y avait pas eu l’enjeu de cette articulation avec servient, et les résonnances et amplifications induites.

C’est en cherchant du sens sur cette histoire d’homme et de femme, si je me souviens bien, que je m’étais dirigé dans la Genèse ; quelle ne fut pas mon plaisir (mais nulle surprise) d’y trouver, non seulement le sens mais aussi le signe : car helpmeet lui-même a été tiré ni plus ni moins de la traduction de la King James de la Genèse :

And the LORD God said, It is not good that the man should be alone; I will make him an help meet for him.
[la Douay Rheims Version a a help like unto himself ; la Young’s Literal Translation an helper – as his counterpart]

Genèse 2, 18

Pour l’hébreu ezer soit « aide, secours, quelqu’un qui aide », le Shorter OED nous aurait en fait montré la même route :

helpmeet noun.
[from help meet (two words) in Genesis 2:18, 20 (AV), ‘an help meet for him’ […] taken as one word.]
A suitable helper […]

meet arch [...].
A adjective.
† 1 Commensurate. Only in OE.
2 Having the proper dimensions; made to fit. Also, close-fitting, barely large enough. Long rare or obsolete exc. Scot. ME.
3 Suitable, fit, proper (for, to do). Also, (usu. pred., of an action) fitting, becoming, proper. ME.
† 4 Equal (to), on the same level. Only in LME. […]

Les français ont donné comme traduction de l’hébreu de la Genèse :

L’Eternel Dieu dit: Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui. [Louis Segond]

Yahvé Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. ». [Jérusalem]

L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide qui sera son vis–à–vis. [Colombe]

Le SEIGNEUR Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » [TOB]

Genèse 2, 18

C’est la dernière, personnellement, qui a ma préférence, mais l’avant-dernière est très belle aussi. Au passage, l’idée de subalternité est bien absente. Deux versets plus loin, l’on nous dit que :

l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui–même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. [TOB]

Genèse 2, 20

L’« aide accordée » il est impossible à l’homme de la trouver dans une relation de subalternité (oiseaux et bêtes des champs) : c’est dans son « vis-à-vis » qu’il pourra la trouver (lire ensuite à partir du verset 21, etc …). Sémantiquement, et l’on rejoint le propos du professeur, ce service, cet instinct, est celui de porter secours, pas de servir en tant qu’individu de second ordre. Mais le texte biblique est bien sûr plus nourissant encore : pour reprendre les mots de  l'un de mes exégètes préférés sur ce passage, il ne permet pas seulement de connaître

[...] le rapport de l'homme et de la femme du point de vue de leurs différences qui fondent le couple et qui constituent leur complémentarité [mais encore] l'humanité selon Dieu commune à l'homme et à la femme.
Et cette humanité, pour exister, nécessite d'être plusieurs.
La femme dans la Genèse, avant même de constituer l'épouse de son mari, représente l'autre en face de l'homme
- qui est comme lui
- et pourtant qui n'est pas lui
Elle est cet autre qui donne à l'homme
- une raison d'exister
- une raison de se réjouir de la vie car la joie est faite pour être partagée !
Être un homme, c'est donc être plusieurs. Le service auquel l'homme est appelé c'est avant tout le service des autres hommes qui l'entourent [...]

« Prenez la chose à cœur » Être un homme, être une femme devant Dieu et selon Dieu

Ainsi, la femme (pas plus que l'homme) ne s'inscrit seulement dans une relation différenciée et complémentaire ; mais plus encore, l'on pourrait dire qu'elle est ce vis-à-vis qui enjoint à l'homme de demeurer dans son rôle véritable, d'être serviteur et secourable (et Marie, María quanta eruanno, en donne l'exemple parfait, en acceptant ce que toute la Révélation enseigne : pour être vraiment au « service des autres hommes » il faut commencer par être à l'écoute de Dieu, et déclarer : « (...) Je suis la servante du Seigneur (...) » [Luc 1, 38] - figure d'humilité extraordinaire, Marie est-elle alors la subalterne de second ordre, lorsqu'à Cana, elle bouscule même Jésus, prend l'initiative, et commande aux serviteurs ? mais alors, elle ne commande pas, elle enjoint, elle invite à « faire tout ce qu'il vous dira » [Jean 2] : elle accomplit à la perfection d'être ce vis-à-vis qui a reçu la charge de commander à l'Homme d'être le secours de son prochain).

Pour traduire « servient » et « helpmeet », l'on peut je crois sans hésitation écarter des mots comme « subalterne » et « subordonné », tandis que « compagne » gagnerait à être amélioré, si l'on souhaite rester tout à fait fidèle à l’esprit de Tolkien en cet endroit. En s’inspirant de ce même esprit que Tolkien, l'on pourrait traduire au final de l’une de ces sortes :

Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct - l'instinct du service, de l’aide accordée, généreusement animé par le désir et la jeunesse.

Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct - l'instinct du service, de l'aide en vis-à-vis, généreusement animé par le désir et la jeunesse.

Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct - l'instinct de servir, de porter secours, généreusement animé par le désir et la jeunesse.

Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct - l'instinct serviteur, secourable, généreusement animé par le désir et la jeunesse.

Letters/49-(fr)77

La première, en parlant d’« aide accordée », plairait bien au professeur (cf. d’autres « origines » et d’autres « genèses » : le nom du Pays d’Aman vient d’un valarin qui signifie « en paix, en accord (avec Eru) » [WJ/399]). La seconde lui ressemble dans sa forme, et fait un écho admirable au contexte proche du propos de Tolkien, en parlant de « vis-à-vis », en lien avec la femme qui est « tout-à-fait prêt[e] à partager, dans la mesure du possible, tous les intérêts du jeune homme » [Lfr/77], mais comporte de ce fait le risque de mal interpréter cette glose en voyant dans ce « vis-à-vis » un autre qui ne fait que mimer un modèle – ce qui n’est évidemment ni le propos de la Bible ni celui de Tolkien. La troisième se permet plus de liberté, en maniant des verbes, mais elle est belle et reste très biblique. La dernière lui ressemble, en lui préférant des adjectifs (comme en v.o.), et améliore, il me semble, la traduction du premier adjectif, cependant peut-être au détriment du second ?

En remerciant Rebeca pour son propre magnifique témoignage ici de l'un des sens de cet instinct serviteur et secourable qu'est celui des femmes parce que aussi et surtout appelées à être des mamans ! Merci !!! :)

Jérôme

Kendra a écrit :

Je m'en remettrai donc à l'opinion d'un Moraldandil ou d'un Hisweloke ou d'un Venildo, voire d'un Yyr en la matière. [mes emphases :)]

1747273673_maroufle.jpg
En dédicace à mon ami Isengar, serviteur de ces dames injustement honni ;)

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#153 12-02-2006 10:03

Daniel Lauzon
Inscription : 2004
Messages : 165

Re : The Letters

Diantre ! Tolkien n'est pas seul à tisser sa trame... Que voilà un beau message ! On aimerait en lire tous les jours, des comme ça, qui parlent de traduction, chose d'ordinaire considérée comme vile et basse, avec autant de dévouement et de passion. Je suis ébahi de ce que ton regard pénétrant a pu percevoir dans ce petit problème de traduction de quatre grands mots. Cela me réconcilie avec la profession, dont l'exercice quotidien nous tient loin de pareilles envolées... Chapeau bas, et merci Jérôme.

Un certain Feuillu dirait que l'arbre est d'autant plus vigoureux qu'il jette ses racines dans un riche terreau.

Daniel :)

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#154 12-02-2006 01:45

Lalaith
Inscription : 2002
Messages : 335

Re : The Letters

Quel dessin monstre choupi trognon :-D hihihi :)

(Oui, j'ai un peu honte de ne commenter que sur le dessin, mais, euh... voilà quoi. Si j'ai lu le message en entier, ce n'est pas encore le cas pour les Lettres,(patapé) donc je peux pas trop en dire grand chose, là.) 

Lalette

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#155 13-02-2006 01:50

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 153

Re : The Letters

A l'époque où les caricatures sont un sujet sensible, j'apprécie ton autodérision cher Yyr (index doctement levé dans la première case; auréole innocente et sourire satisfait dans la seconde; et pour finir, esquive de moine Shaolin dans la troisième.... ce n'est pas toi, si?) ... hi, hi :-)))

Plus sérieusement, pour le reste du message, merci et merci pour ce mél que je m'empresse de copier-coller pour certaines de mes archives :-)

Silmo

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#156 13-02-2006 15:26

rebeca
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Messages : 546

Re : The Letters

Hum... je crois, cher Jérôme, que je dois maintenant corriger ce que j'écrivais un peu plus haut, en réponse à Laegalad... parce que je trouve que éclairée ainsi, cette phrase prend pour moi une toute autre signification.  Parce qu'effectivement, cet insctinct- je le sens bien ancré en moi (ça n'engage que moi, hein ;)), même si je ne sais pas très bien faire la différence entre ce que je porte en moi "de par ma nature" et ce que j'ai appris de par mes parents...  il est vrai en tout cas que quand j'aime (d'amour ou d'amitié) c'est vraiment bon pour moi de donner, aider, et même "servir", je le fais spontanément... et ce n'est dans ce cas jamais teinté d'une hiérarchisation quelconque de ma part en tout cas...

Merci Jérôme, pour cette lumière :)

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#157 13-02-2006 18:13

Kendra
Inscription : 2001
Messages : 758

Re : The Letters

[***] [face_blush] re-[***]

Puis-je faire quelque chose de pas sérieux dans un topic sérieux ?
Cela meurtrirait-il les augustes présences qui habitent ce céleste forum ?

Non ?

YYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYR !

[lançage de nounours]
[mode_linguiste_nimportequoitiste_ON]
[lançage de brovrog]
[mode_linguiste_nimportequoitiste_OFF]
[lançage d'une botte de tulipes]
[lançage d'un bouquet de myosotis]
[lançage d'une assiette de fraise des bois]
[mode_rohirrim_ON]
[lançage d'une tarte aux myrtilles estampillée "Made in Edoras"]
[mode_rohirrim_OFF]
[mode_Lalette_ON]
[lançage d'une babouche]
[lançage d'une patte de gnu]
[mode_Lalette_OFF]
[mode_empereur-dieu_ON]
GNU is not Unix  !!!!!!!
[mode_empereur_dieu_OFF]
[lançage d'une bordée de baisers]


Désolée...... mais ça fait du bien

[mode_Lalette_ON]
Et d'abord on dit pas "nain porte quoi" mais "que porte le nain ?]
[mode_Lalette_OFF]
[fin de la communication]
[logoff]

Or donc.... la traduction devient effectivement toute autre. Et je suis donc TRES heureuse que tu aies fait cette profitable recherche.
Je ne parlerai pas davantage du dessin.... j'ai besoin d'aller courrir un 100 mètres dans la neige pour m'en remettre. (^_^) :o) :-D

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#158 13-02-2006 18:27

Laegalad
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Re : The Letters

*ron ronrrronronrrron ronrronrr* (dit-elle avec un sourire de Chat du Cheshire :))

Merci Jérôme ! Désolée, je n'ai pas eu le temps de te répondre avant :-( J'essaye de finir ma réponse ce week-end, mais 1. il a fallu que je retrouve où j'avais rangé mes neurones la dernière fois qu'ils avaient servi, et 2. je n'ai pas réussi à retrouver ma boîte à Temps Perdu... par contre j'ai retrouvé des tas de trucs que j'avais oublié de faire, le gasp. Tant pour les mots que pour les dessins : un tin-whistle au bec, cheveux relevés, ce ne peut être que la Demoiselle Kendra, fière Cavalière du Rohan ! Hi hi hi :)

Je ne peux qu'être d'accord, et rejoindre aussi Rebeca-la-Convalescente avec sans doute des progrès à faire, expliquer quatre fois de suite pourquoi la ligne de code est fausse dans le .php me fait perdre patience, surtout si c'est la troisième personne qui me demande, ce qui fait répéter 4*3=12 fois l'explication :)).

S. -- Se faire relancer par la boîte où l'on veut faire son stage, c'est-y pas beau, ça ? Et faire des grimaces à une gamine rigolarde en train de carapatter à quatre pattes autour de la table, travail pas très efficace, mais zut ! Et rentrer sous la pluie par un temps doux, presque printanier, n'était cette neige dans les combes du Pilat... Belle journée, une fois échappée de la fac' :)

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#159 15-02-2006 15:34

vincent
Inscription : 2000
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Re : The Letters

merci à Jérôme pour cette magnifique analyse :-)... à partir de _deux_ mots ! Il reste encore bien des lectures et des commentaires à faire

amicalement
Vincent

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#160 17-02-2006 02:32

Feuille de Niggle
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Re : The Letters

-- juste une petite parenthese pour ajouter au fuseau les informations suivantes que Vincent (qui se perd un peu parfois dans tous les sites qu'il frequente pour faire la promotion du livre... ;) pensait avoir donnees ici:

L'édition -- oups! je viens de découvrir les accents :)) -- de tout nouvel ouvrage coute toujours tres cher a cause de tous les moyens mis en oeuvre pour le concevoir (traducteurs, mise en forme de la maquette, etc.)De plus, l'édition en format de poche n'est pas du tout envisagée.

FdN -- en fait je n'ai ici que les accents aigus :\

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#161 17-02-2006 16:18

Silmo
Inscription : 2002
Messages : 4 153

Re : The Letters

Un nouvel article sur la publication des Lettres figure dans le Supplément Livres du Journal Le Monde de cette semaine.

L'article est intitulé "La fabrique du Mythe".
amusant puisque le thème du Mythe est à l'honneur en ce moment sur JRRVF
(pas sûr en revanche que le Professeur aurait approuvé le mot "Fabrique"...)

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#162 17-02-2006 16:24

Silmo
Inscription : 2002
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Re : The Letters

l'auteur, JAcques Baudou, dit au début de cet article :"genre qui fait florès aujourd'hui : la fantasy"

"florès", ça me rappelle des découvertes archéologiques récentes... vous croyez que c'est fait exprès?? :-)

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#163 17-02-2006 18:15

Feuille de Niggle
Inscription : 2005
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Re : The Letters

-- tu sais, ca doit dependre des langues, mais je crois que le concept de "fabrication" peut avoir un sens pas si lointain pour definir le travail de Tolkien. J'ai un vague souvenir lointain du mot "demiurge", est-ce que ca a bien un rapport... ou est-ce que je melange tout?  :\

FdN

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#164 21-02-2006 18:28

vincent
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Re : The Letters

à propos de terme impropre ou non, ce n'est pas de la "promotion", FdN, que de passer autant de temps à répondre aux questions des uns et des autres, sur les forums ou par mail privé (via "Pourtolkien") !
ce qui ne me laisse pas le temps, pour le moment, de répondre à une question très pertinente, posée par Semprini le jour du chat de Libération :

"Ce travail de traduction des lettres de Tolkien a-t-elle modifie votre vision de Tolkien et de son oeuvre? Si oui, a quel titre et dans quelle mesure ?"

C'est beau comme un sujet de dissertation. en attendant de pouvoir y répondre, je le soumets à votre expérience, non de traducteurs, mais de lecteurs des _Lettres_.

amicalement

Vincent

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#165 20-12-2007 13:18

Tilkalin
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Messages : 320

Re : The Letters

A l'occasion du 30ème anniversaire de la sortie du Silmarillion, les éditions Walking Tree Publishers viennent de publier The Silmarillion - Thirty Years On, sous la direction d'Allan Turner.

A côté d'autres pépites*, il a eu la très bonne idée d'inclure un article de Rhona Beare, "A Mythology for England", une refonte de la partie de son petit ouvrage J.R.R. Tolkien's The Silmarillion consacrée à l'esprit nordique dans la mythologie de Tolkien.

A la fin de celui-ci (p. 29), un petit détail a retenu mon attention. En fait, une petite coquille relevée dans les Letters et que l'on retrouve dans l'édition de Christian Bourgois.

Dans la lettre 211 adressée à Rhona Beare, il est écrit que le Taniquetil était "an immense peak, snow-capped, crowned with a piercing or dazzling white cloud." (p. 278)
Phrase que D. Martin et V. Ferré traduisent par : "un pic gigantesque, coiffé de neige, couronné d'un nuage d'un blanc aveuglant ou éblouissant." (p. 393)

Or, Tolkien a en réalité écrit "an immense peak, snow-capped, crowned with or piercing a dazzling white cloud."
Soit : "un pic gigantesque, coiffé de neige, couronné d'un nuage d'un blanc éblouissant ou le transperçant."

Comme j'vous le disais : un petit détail... ;-)

* Dont l'article de M. Devaux consacré aux "Origines de l'Ainulindalë", dans lequel il reprend la méthode d'analyse proposée dans Tolkien, trente ans après en l'appliquant à l'étude des versions des HoMe I, V et X. de la Musique des Ainur. Sont cités les beaux fuseaux Narration dans l'Ainulindale et Style et traduction : l'exemple de l'Ainulindalë. :-)

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#166 20-12-2007 13:22

Tilkalin
Inscription : 2005
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Re : The Letters

Ooops...

Style et traduction : l'exemple de l'Ainulindalë

Voilà qui est mieux ! :-)

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#167 20-12-2007 11:09

Laegalad
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Re : The Letters

Et la couverture de l'ouvrage est magnifique... Tuor for ever ! :D
Merci de l'info, diligent (et vigilant :D) Tilkalin...
et merci d'avoir fait remonter ce fuseau, ce qui m'a permis de relire ce magnifique message de Yyr l'Etoilé -- l'une des rares nourritures intellectuelles que je suis en état de comprendre aujourd'hui... :)

S. -- J-2 avant les VACANCES !!!

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#168 25-06-2008 18:45

Laegalad
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Re : The Letters

Up jubilaire, encore : je ne me lasse pas du très beau message de Yyr (12/02/2006) :D

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#169 30-04-2013 17:33

Hyarion
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Re : The Letters

Le 28 septembre 2005, sur le présent fuseau, Silmo a écrit :

Pour ceux qui comme moi ont loupé le Nouvel Obs' de la semaine dernière dans les kiosques, l'article dont parle Vincent, avec des vrais morceaux de Letters traduites dedans, est ici

En relisant une note de Yyr mentionnant l'expression journalistique « catho grincheux » dans son essai « Amdir ah Estel, le discernement de l'espérance dans le Conte d'Arda » (in L’Arc et le Heaume – Hors-série – Tolkien 1892-2012, juillet 2012, pp.91-110), j'ai eu la curiosité d'aller vérifier en ligne le contenu de l'article de magazine en question (« Tolkien : "Je suis un Hobbit" », in Le Nouvel Observateur n° 2133, 22/09/2005, p.112-114 dans sa version papier, si j'en crois le catalogue en ligne d'une bibliothèque scolaire). Évidemment, plus de sept ans après, vérification faite sur le site du Nouvel Obs', cet article a disparu des archives pour se perdre dans les limbes du cyber-espace... Mais cependant, sur la Toile, une fois que quelque-chose est publiée, même lorsque la source d'origine disparait, ce n'est jamais tout-à-fait perdu, pour le meilleur et pour le pire... Au fin fond d'un site n'ayant rien à voir avec Tolkien, j'ai pu retrouver ce qui semble bien être une copie de l'article, que je me permets donc de reproduire ci-après... pour nos archives... ;-)

Tolkien « Je suis un Hobbit »

Qui fut l’auteur du « Seigneur des anneaux » ? Une volumineuse et passionnante correspondance cerne la personnalité du professeur de linguistique qui fit rêver des millions de lecteurs.
Son imagination débordait. Souvent, tandis qu’il dispensait ses cours de philologie anglaise dans les froids amphithéâtres de l’Université d’Oxford, le professeur Tolkien songeait à Gandalf, chevauchant vers Minas Tirith, la dernière cité du Gondor. Le dimanche, Tolkien se préoccupait de jardinage et de religion. Mais, dans sa tête, se pressaient mille créatures curieuses ou terrifiantes, Hobbits, Elfes, Orques, qu’il menait au champ de bataille en tirant sa tondeuse à gazon. A l’heure du thé, le distingué professeur s’assoupissait en rêvant à sa chère Terre du Milieu, où le roi Theoden livrait son dernier combat contre un nazgûl dans l’assaut des Cavaliers du Rohan.
Qui fut donc cet écrivain qui, sous les apparences de la plus ennuyeuse respectabilité, donna secrètement naissance à l’une des créations les plus personnelles et les plus mystérieuses du xxe siècle ? Et comment a été rêvé, pensé, écrit ce « Seigneur des anneaux » dont les généalogies, les créatures et les mythes intriguent la jeunesse du monde entier depuis sa publication, il y a très précisément cinquante ans ? La sortie, si longtemps différée (plus de vingt années après l’édition anglaise), des lettres de Tolkien apporte assurément, sur ces questions, de précieuses réponses. Et révèle d’abord une personnalité contradictoire: d’un côté, le professeur qui occupa le plus clair de son temps à corriger des copies pour augmenter un revenu modeste et qui mena une existence austère et laborieuse, empesée de bigoterie et de conservatisme. Bon mari au demeurant, bon père aussi (son fils Christopher lui fut toujours son premier public), et dont la seule excentricité fut peut-être de se passionner pour ces parlers improbables, ancien islandais et gallois médiéval, dont il jugeait que l’apprentissage n’était guère plus difficile que celui de l’« espagnol commercial ». De l’autre, ce Facteur Cheval d’un monde fou, fou, fou, qui vivait si intensément dans son écriture qu’il considérait son roman comme le seul monde réel. Il lui arrivait même de pleurer tandis que les forces maléfiques de Sauron déferlaient sur le clavier de sa machine à écrire Hammond à caractères interchangeables.

Toute sa vie, Tolkien aura fait la guerre: guerre pour trouver le temps d’écrire, puis pour se faire publier, puis pour se faire comprendre. Inlassablement, il explique, éclaire, traduit, guide le lecteur égaré dans une géographie qu’il était seul à maîtriser. Guerre, aussi, mais qu’il a perdue celle-là, de Tolkien contre lui-même: car le catho grincheux, qui haïssait Disney, les Beatles et les contes d’Andersen et vouait aux gémonies la radio, la télé, les voitures et les motocyclettes, allait donner naissance à un monstre – ce Tolkien mis à la sauce de Hollywood qu’il aurait haï, un écrivain tendance que les jeunes liraient un jour dans le monde entier, le casque MP3 vissé sur les oreilles.
Ainsi assiste-t-on du moins à la naissance de cette prodigieuse épopée à laquelle s’était attelé Tolkien pendant que la Seconde Guerre mondiale faisait rage et que Londres se trouvait quotidiennement bombardée. Tandis que les Alliés, en Europe, livraient leur assaut final contre les puissances du Mal, l’auteur du « Seigneur des anneaux » inventait en effet d’autres monstres et, dans son obscure chambre, lançait ses assauts littéraires contre les forces de l’Apocalypse.

« Lettres », par J. R. R. Tolkien, traduit de l’anglais par Vincent Ferré et Delphine Martin, Christian Bourgois, 720 p., 30 euros. Du même auteur chez le même éditeur, deux rééditions: « Contes et légendes inachevés », traduit de l’anglais par Tina Jolas, 468 p., 23 euros, « le Silmarillion », traduit de l’anglais par Pierre Alien, 372 p., 20 euros.

[tolkien répond à un éditeur allemand, qui souhaitait publier « Bilbo le Hobbit », et l’avait interrogé sur ses origines.]
25 juillet 1938
Chers Messieurs,
Merci de votre lettre. […] Je regrette, mais je ne vois pas bien ce que vous entendez par « arisch ».Jenesuispasd’extraction « aryenne », c’est-à-dire indo-iranienne: pour autant que je sache, aucun de mes ancêtres ne parlait l’hindoustani, le perse, le tsigane ou autres dialectes associés. Mais si je suis supposé comprendre que vous voulez savoir si je suis d’origine juive, je ne peux que répondre que je regrette de ne pouvoir apparemment compter parmi mes ancêtres personne de ce peuple si doué. Mon arrière-arrière-grand-père quitta l’Allemagne pour l’Angleterre au XVIIIe siècle: la majeure partie de mon ascendance est donc de souche anglaise, et je suis un sujet anglais – ce qui devrait vous suffire. J’ai été néanmoins habitué à regarder mon nom allemand avec fierté, même tout au long de la dernière et regrettable guerre, au cours de laquelle j’ai servi dans l’armée anglaise. Je ne peux cependant m’empêcher de faire remarquer que si des requêtes de cette sorte, impertinentes et déplacées, doivent devenir la règle en matière de littérature, alors il n’y a pas loin à ce qu’un nom allemand cesse d’être une source de fierté.

[tolkien soumettait à son fils Christopher, parti à la guerre, des extraits du « Seigneur des anneaux », qu’il était en train d’écrire.]
21 mai 1944
Mon très cher petit,
Au prix d’énormément de travail et aux dépens d’autres obligations, j’ai maintenant enfin écrit, ou presque, toute l’histoire jusqu’à la capture de Frodon dans la haute passe, à la frontière du Mordor. A présent je dois revenir aux autresetessayede conduire rapidement le tout jusqu’à l’effondrement final. Penses-tu que Shelob (Arachne) soit un bon nom pour une monstrueuse araignée ? Ce n’est bien entendu que la combinaison de she + lob (= araignée), mais écrit en un seul mot cela semble assez repoussant.

30 janvier 1945
Mon très cher Chris,
[…] J’apprends la nouvelle à l’instant. […] Les Russes sont à 100 kilomètres de Berlin. […] Il semble ne plus y avoir aucun ressort de miséricorde ou de compassion, ni d’imagination, en cette heure sombre et diabolique. Par cela, je ne veux pas dire que ce ne soit pas, dans la situation présente – pour l’essentiel (mais pas totalement) créé par l’Allemagne –, nécessaire et inévitable. Mais pourquoi exulter ? Nous étions censés avoir atteint un degré de civilisation dans lequel il pouvait encore être nécessaire d’exécuter un criminel, mais non d’exulter, ni de pendre femme et enfant à côté de lui tandis que hue la foule orque.

[tolkien entretint une correspondance avec le poète anglais Wynstan Auden.]
7 juin 1955
Cher Auden,
[…] Tout ce dont je me souviens à propos de la naissance de « Bilbo le Hobbit » est que je corrigeais des copies du « School Certificate », usé comme chaque année par cette éternelle besogne infligée aux universitaires impécunieux qui ont des enfants. Sur une page blanche, j’ai griffonné: « Dans un trou vivait un Hobbit. » Sans savoir pourquoi, aujourd’hui encore. Je n’en ai rien fait, pendant longtemps, et pendant des années, cela n’est pas allé plus loin que la réalisation de la Carte de Thror. Mais c’est devenu « Bilbo le Hobbit » au début des années 30, avant d’être finalement publié, non en raison de l’enthousiasme de mes propres enfants (même s’ils l’appréciaient bien), mais parce que je l’ai prêté à celle qui était alors la Rév(érende) Mère de Cherwell Edge alors qu’elle avait la grippe, et qu’une ancienne étudiante, qui travaillait à l’époque chez Allen Unwin [éditeur de « Bilbo le Hobbit »], l’a vu.

[tolkien raconte ses premiers essais d’écriture à sa maison d’édition américaine.]
Toute cette affaire a commencé il y a si longtemps qu’on pourrait dire qu’elle a commencé à ma naissance. Aux alentours de ma sixième année, j’ai essayé d’écrire quelques vers sur un dragon, au sujet desquels je ne me rappelle aujourd’hui qu’une chose, c’est qu’ils contenaient l’expression « un vert grand dragon », et que je suis resté longtemps perplexe lorsque l’on m’a dit qu’il fallait écrire « grand dragon vert ». Mais la mythologie (et les langues qui lui sont associées) a originellement commencé à prendre forme pendant la guerre de 14-18. « La Chute de Gondolin » (et la naissance d’Eärendil) fut écrite à l’hôpital et en permission après que j’ai survécu à la bataille de la Somme en 1916.[…]

[de nombreux lecteurs interrogent Tolkien sur ses goûts personnels.]
25 octobre 1958
[…] Je suis en fait un Hobbit (en tout, sauf pour la taille). J’aime les jardins, les arbres et les terres cultivées sans machines ; je fume la pipe et j’aime la bonne nourriture simple (et non surgelée) mais je déteste la cuisine française ; j’aime les gilets décorés, et j’ose même les porter en cette morne époque. J’aime beaucoup les champignons (cueillis dans les champs) ; j’ai un sens de l’humour très simple (que même mes critiques les mieux disposés trouvent lassant) ; je me couche tard et je me lève tard (lorsque cela est possible). Je ne voyage guère. J’adore le pays de Galles (ce qu’il en reste, quand les mines et les stations du bord de mer, encore plus horribles, ont fait leurs basses
œuvres), et tout particulièrement la langue galloise.

[tolkien écrit à son fils Michael.]
9-10 janvier 1965
[…] Un incident amusant s’est produit en novembre lorsque je suis allé, par courtoisie, assister à la dernière d’une série de conférences données par le professeur de poésie, Robert Graves. (Un être remarquable, divertissant, aimable, étrange, plein de marottes, mi-allemand mi-irlandais, très grand, doit avoir ressemblé à Siegfried/Sigurd dans sa jeunesse, mais un Ane.) ça a été la conférence la plus ridiculement mauvaise que j’aie jamais entendue. Après quoi il m’a présenté à une charmante jeune femme qui y avait assisté: bien vêtue mais avec goût, aimable et agréable, nous nous sommes bien entendus. Mais Graves est parti d’un rire ; et il a dit: « Visiblement, vous n’avez encore jamais entendu parler l’un de l’autre. » Tout à fait exact. Et je ne m’étais pas imaginé que cette dame aurait pu avoir entendu parler de moi. Son nom est Ava Gardner, mais ça ne me disait toujours rien, jusqu’à ce que des gens mieux au courant que moi sur le monde m’informent qu’elle était une star de cinéma d’une certaine importance, et que l’attroupement de journalistes et le crépitement des flashes sur les marches des schools n’étaient pas destinés à Graves (et certainement pas à moi non plus) mais à elle.

[tolkien écrit à son fils Christopher.]
11 juillet 1972
[…] J’ai passé la journée d’hier à Hemel Hempstead. On m’a envoyé une voiture et je me suis rendu aux bureaux et librairies (nouveaux, très grands, gris et blancs) d’Allen
Unwin. J’y ai fait une sorte de visite officielle, comme une altesse de second rang, et j’ai été quelque peu stupéfait de découvrir que l’essentiel des affaires de toute cette organisation composée de plusieurs départements (depuis la comptabilité jusqu’à la distribution) concernait mes œuvres. On m’a fait un très bon accueil (et un très bon déjeuner), et je les ai tous interrogés, depuis la salle de réunion jusqu’en bas. La « comptabilité » m’a dit que les ventes de « Bilbo le Hobbit » avaient à présent explosé et atteignaient des sommets encore jamais
approchés.
© Christian Bourgois éditeur, 2005, pour la traduction française

Né le 3 janvier 1892 à Bloemfontein, en Afrique du Sud, John Ronald Reuel Tolkien s’installe en Grande-Bretagne en 1896. Après la Première Guerre mondiale, il devient lexicographe pour l’« Oxford English Dictionary », enseigne l’anglais à Leeds puis à Oxford. Père de quatre enfants, il exerce le métier de professeur jusqu’en 1959, et meurt en 1973.

Par Didier Jacob, Nouvel Observateur - 22/09/2005

Cordialement,

Hyarion.

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#170 30-04-2013 19:43

Elendil
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Re : The Letters

Encore l'Afrique du Sud ? Si même les journalistes professionnels ignorent l'existence de l'État libre d'Orange...

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#171 25-10-2013 16:26

Turgon9
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Re : The Letters

Bonjour à tous.

Je suis nouveau sur le forum et j'espère pouvoir prendre part à de passionnantes discussions sur l’œuvre de Tolkien, étant de plus en plus "amoureux" de son légendaire.

Cela étant dit, je m'excuse par avance si il ne s'agit pas du sujet approprié pour poser ma question (voire pour mon introduction sommaire) mais je voulais éviter de multiplier ces derniers.

Je viens de lire "Lettres" de Tolkien et il y a une lettre en particulier qui me tarabuste depuis un moment déjà.

Il s'agit de la lettre 257 pages 344 de l'édition Française adressée à Christopher Bretherton dans laquelle Tolkien écrit ceci en parlant de l'auteur de "John Inglesant": " Et ses opinions religieuses, si elles ne l'ont jamais conduit jusqu'au stade de la démence, le catholicisme de l’Église romaine, ont pris une teinte catholique".
Dans la version originale voila ce qu'il dit: " Also his religious opinions, while never leading him to the final lunacy of Romanism, took on a Catholic tincture"

Je pense que la traduction est correcte d’où ma question. Comment un fervent Catholique tel que Tolkien peut associer l’Église de Rome à la démence, cette apparente contradiction me chiffonne.
J'ai pensé à un blague un peu cynique de ce dernier mais j'aimerais avoir votre avis.

Merci par avance  smile

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#172 25-10-2013 20:13

Elendil
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Re : The Letters

J'aurais tendance à prendre cela pour de l'ironie de la part de Tolkien, à l'égard de quelqu'un qui est né Quaker et s'est converti à l'anglicanisme. Il est aussi possible que Shorthouse ait été critiqué à cause de cela en Angleterre. C'est dommage que Carpenter ne donne pas plus de détails à ce sujet dans les Lettres, car j'ai le sentiment de ne pas saisir tout le contexte de cette lettre.

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#173 25-10-2013 20:54

Turgon9
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Re : The Letters

Oui, c'est assez confus, je pense aussi à de l'ironie, j'avais pensé à l'identité de son correspondant pour l'expliquer également, peut être que ce Christopher était critique à l'égard des catholiques et que Tolkien cherchait à lui placer une petite réflexion! Mais impossible de trouver qui était précisément son interlocuteur!

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#174 26-10-2013 00:20

Cédric
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Re : The Letters

Merci Turgon pour ces interrogations qui, je le crains, ne doivent pas trouver une réponse entièrement satisfaisante...

Quoiqu'il en soit, soit le bienvenu en ces lieux smile

A bientôt,
Cédric

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#175 26-10-2013 14:25

Yyr
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Re : The Letters

Argl ! Les retors, ils m'ont eu : je craque ... et je lâche mon travail et je reviens à JRRVF :)

Bonjour & bienvenue Turgon, neuvième du nom ;)

Même si nous avons ouvert un fuseau sur les coquilles dans la traduction des 'Lettres', je crois que tu es bien tombé ici, car ta question concerne aussi le fond ... Le passage qui te chiffonne fait justement partie des commentaires que j'avais partagés (en privé) à Vincent & Daniel à la sortie de l'ouvrage. Je n'avais pas voulu à l'époque encombrer JRRVF de mes pinaillages, mais en y réfléchissant voilà qui est bien curieux de ma part comme de la vocation de JRRVF :).

L'original donne :

Mr Shorthouse became very queer, and very UnBrummagem not to say UnEnglish. He seemed to fancy himself as a reincarnation of some renaissance Italian, and dressed the part. Also his religious opinions, while never leading him to the final lunacy of Romanism, took on a Catholic tincture.

Letters/348

Il a été traduit :

M. Shorthouse est devenu très étrange, très Non Brummagem, pour ne pas dire NonAnglais. Il paraissait s’imaginer être une réincarnation de quelque Italien de la renaissance et s’habillait en conséquence. Et ses opinions religieuses, si elles ne l’ont jamais conduit jusqu’au stade de la démence, le catholicisme de l’Église romaine, ont pris une teinte catholique.

Lettres/488

Il ne fait pour moi aucun doute qu'il s'agit bien d'ironie de la part de Tolkien. Et c'est précisément le problème, je crois, de la traduction, qui, bien que juste, ne parvient pas à restituer cette ironie (autant la lecture de la v.o m'avait toujours paru claire, autant la v.f. m'avait, comme toi, fait tiquer, en me demandant si c'était du lard ou du cochon). Une première explication tient peut-être au fait que la traduction est passée par une périphrase pour Romanism : alors que « catholicisme romain » serait non seulement plus juste mais plus concis (évitant de se perdre en conjectures sur l'objet de la lunacy). Une deuxième amélioration pourrait consister, pour traduire lunacy, à préférer à « démence » le terme de « délire », qui se prêterait déjà mieux à 'ironie. Mais ces deux premiers points restent je crois à la marge. Et c'est notre ami Moraldandil qui, fidèle à son habitude, avait démêlé mes nœuds linguistiques à cette époque, quand je lui avait soumis la question. Il y a un troisième élément plus fondamental, à savoir, me dit-il, le fait que Romanism peut avoir un sens péjoratif et « souvent offensant » (Webster). Il faudrait parvenir à restituer dans la traduction la même tonalité pour rejoindre Tolkien dans son acceptation ironique d'un terme habituellement utilisé pour le stigmatiser lui et ses correligionnaires. Non seulemennt doué, Moraldandil est en plus très charitable, et, non content de démêler mes nœuds, il en profita pour refaire le lacet. Car nous avons certainement en français le terme idéal qui convient ici, me disait-il : « papisme » — non seulement péjoratif mais tout simplement celui qui est déjà utilisé pour désigner « notamment dans la bouche des anglicans » le « catholicisme romain » (TLFI).

Bertrand propose donc:

M. Shorthouse est devenu très étrange, très non Brummagem[6], pour ne pas dire non anglais. Il paraissait s’imaginer être une réincarnation de quelque Italien de la renaissance et s’habillait en conséquence. Et ses opinions religieuses, si elles ne l’ont jamais conduit au délire suprême, le papisme, ont pris une teinte catholique.

Lettres/488

C'est là bien entendu une traduction moins littérale, mais à mon avis bien plus juste : restituant le caractère péjoratif du terme, elle restitue l'ironie, et du coup toute la compréhension.

Yyr
& Moraldandil donc ;)

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#176 26-10-2013 21:52

Turgon9
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Re : The Letters

Merci pour ces réponses et pour l'accueil chaleureux smile

J'étais déjà plus ou moins persuadé qu'il s'agissait d'ironie de la part de Tolkien mais vos divers explications ont achevées de me convaincre, en particulier celle relative à la difficile restitution en Français de ce qu'il cherchait "vraiment" à dire.
Il me semble me rappeler avoir lu d'autres lettres dans lesquelles il employait un ton similaire pour manifester son aversion à l'égard de l'influence de certaines doctrines Américaines sur la société occidentales de l'époque!

Je ne pensais pas que ma question méritais vraiment qu'on s'y intéresse mais je constate Yyr que cela t'avait intrigué également  smile Merci de m'avoir fait profiter de tes conclusions et celles de Moraldandil wink

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#177 27-10-2013 08:28

Elendil
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Re : The Letters

Excellente proposition de Bertrand, qui me semble restituer au mieux ce passage.

Elendil

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#178 27-10-2013 19:09

Moraldandil
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Re : The Letters

Houlà, cela ne nous rajeunit pas ! mais je me souviens bien de cette discussion.

Il faut aussi faire le lien avec le caractère "non anglais" : l'anti-catholicisme, pour ne pas dire l'anti-papisme anglican (puisqu'il y a tant dans cette histoire de conflit de pouvoir et de loyautés entre le pape et le souverain), a de profondes racines au Royaume-Uni. Bien que les catholiques eussent été émancipés depuis déjà longtemps à son époque, les vieilles haines durent longtemps, et Tolkien aura pu en faire personnellement l'expérience par l'hostilité qui a accueilli la conversion de sa mère, cf. sa biographie par Carpenter et certaines de ses lettres. Je ne doute pas une seconde de l'ironie profonde de cette phrase, avec se peut même une bonne dose d'amertume.

Sur la Wikipédia anglophone, il y a un article qui n'a pas l'air trop mauvais sur l'Anti-Catholicism in the United Kingdom. Il y a aussi plus anecdotiquement Papist et Romanism - une simple définition pour ce dernier mot, mais qui fait mention de son caractère péjoratif.

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#179 08-05-2016 15:46

ISENGAR
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Re : The Letters

Hello, en toute occasion, je ne me lasse pas de relire les Lettres.
En ce 8 mai 2016, jour de commémoration pour l'Europe de la fin de la guerre mondiale de 1939-1945, un passage m'a sauté aux yeux et m'a paru d'une terrible actualité.

[... à propos d'une cérémonie de démobilisation de la défense passive...] Mais tout cela m'apparaît, j'en ai peur, comme une imposture, car la Guerre n'est pas terminée (et celle qui l'est, du moins partiellement, a été en grande partie perdue). Mais c'est bien sûr une erreur de tomber dans cet état d'esprit, car les guerres sont toujours perdues, et la Guerre se poursuit sans fin; et faiblir n'apporte rien de bon.

JRR Tolkien, Lettre n°101, 3 juin 1945

A méditer, n'est-ce pas ?

Bon dimanche à tous.

I.

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#180 03-06-2023 23:59

Hyarion
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Re : The Letters

Quelques années plus tard...

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HarperCollins a annoncé la parution, a priori en novembre prochain, d'une édition des Letters augmentée de plus de 150 nouvelles lettres, 42 ans après la première publication.

https://www.tolkienguide.com/modules/ne … t_id=49278
https://www.tolkiendil.com/tolkien/biblio/lettres

Les mots me manquent...

Finalement, il n'y en qu'un seul qui me vient : enfin !

Peace and love,

B.

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#181 04-06-2023 08:51

Yyr
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Re : The Letters

Whaouuu :) :) :)

1685861434_snoopy-dance.jpg

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#182 04-06-2023 14:26

sosryko
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Re : The Letters

Quelle belle nouvelle !
D'autant qu'en ce qui me concerne, je n'espérais plus !
Précommande effectuée :)
S.

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#183 04-06-2023 19:05

ISENGAR
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Re : The Letters

(...) in the hope that it may be possible to add them to a second edition.
(dans l'espoir qu'il sera possible de les ajouter dans une deuxième édition).

Humphrey Carpenter, introduction de The Letters of J.R.R. Tolkien (1981)

Ben voilà... 42 ans plus tard, on s'en approche smile
Excellente nouvelle !

I.

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#184 05-06-2023 11:30

Silmo
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Re : The Letters

Youpi  big_smile

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#185 11-06-2023 23:57

Hyarion
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Re : The Letters

L'autre jour, dans mon message précédent, votre serviteur a écrit :

Les mots me manquent...

Finalement, il n'y en qu'un seul qui me vient : enfin !

Ayant écrit, dans la foulée, plus ou moins la même chose sur le forum de Tolkiendil, mon « enfin ! » a y suscité une réaction d'Hofnarr Felder, à laquelle j'ai répondu ce soir pour préciser (ou rappeler) le fond de ma pensée. À toute fin utile, je me permets de reproduire l'échange ici :

Sur Tolkiendil, le 09.06.2023 à 23:18, Hofnarr Felder a écrit :
Hyarion a écrit :

Finalement, il n'y en qu'un seul qui me vient : enfin !

Je crois me souvenir que tu espères depuis longtemps pouvoir prendre connaissance des lettres "mises de côté" par Christopher, mais d'après la présentation de l'éditeur, cet ouvrage "augmenté" correspond bien à ce qui avait été initialement autorisé par Christopher Tolkien, avant d'être réduit pour des questions éditoriales.

Tu as bonne mémoire, Hofnarr. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dire, y compris publiquement notamment lors de la clôture d'un certain séminaire Tolkien à l'ENS il y a déjà un certain nombre d'années, que les seuls textes inédits dont il serait intéressant de prendre connaissance pour « rafraîchir » un peu la recherche (et non pas le culte, surtout pas), relevaient désormais essentiellement de la correspondance non encore publiée. Mon « enfin ! » de l'autre jour, à cette aune, pouvait s'interpréter implicitement comme « enfin !... Il se passe quelque-chose (plutôt que rien) ».

Je ne suis pas dupe du caractère limité de cette nouvelle édition des Lettres, dans laquelle on ne devrait notamment pas retrouver la correspondance entre J. R. R. Tolkien et son frère Hilary Tolkien dont, pour mémoire, il était question à l'occasion du projet de publication d'un livre intitulé Wheelbarrows at Dawn: Memories of Hilary Tolkien, projet finalement annulé il y a déjà une bonne dizaine d'années. Derrière la question du respect de la vie privée censée prioritairement préoccuper les ayants-droits, il y a plus généralement la question de l'image publique que l'on entend proposer, ici d'un écrivain. Peut-être la part de correspondance non publiée jusqu'ici, et plus précisément celles des lettres « mises de côté » comme tu le dis, permettrait de se faire une idée plus approfondie des considérations personnelles de Tolkien, notamment en ce qui concerne la société, les idées et les évènements de son temps : or, si cela devait révéler (je dirais plutôt confirmer, pour ma part, vu ce que l'on sait déjà) un Tolkien plus explicite encore en matière de conservatisme politico-religieux, entre autres, peut-être avons-nous là, au nom de la préservation d'une certaine image publique « œcuménique », un motif pour ne pas faciliter la mise à disposition (des chercheurs, et plus généralement des lecteurs) d'un maximum de sources primaires pour se faire une idée, quelle qu'elle soit, aussi complète que possible. Le fait qu'une certaine part des archives de Tolkien déposées à la bibliothèque Bodléienne, concernant ses papiers personnels, ne soit apparemment pas consultable, pose la question de savoir quand voire si, un jour, il sera enfin possible d'établir un portrait vraiment ressemblant de Tolkien, au-delà de la biographie « canonique » de Carpenter et d'une sélection de lettres qui ne restera toujours qu'une sélection, fut-elle ici augmentée... au bout de plus de quarante ans. Le marché des correspondances d'écrivains est certes un marché de niche : on l'a vu, en France, lors de la récente souscription des éditions Mnémos, via Ulule, pour publier en français la correspondance entre Robert E. Howard et H. P. Lovecraft, souscription qui a connu un grand succès, mais qui n'aboutira pas pour autant a priori à une édition diffusée en librairie. Mais s'agissant de Tolkien, s'il y a bien un nom qui fait vendre, et en premier lieu en langue anglaise, c'est bien le sien : la nouvelle édition des Letters telle qu'annoncée aurait, à cette aune, pu paraître bien plus tôt.

Dans le même message, Hofnarr Felder a écrit :

J'espère que nous aurons un jour l'occasion d'obtenir pour Tolkien une correspondance aussi complète que celle qui se prépare pour les échanges entre Howard et Lovecraft.

La correspondance publiée entre Howard et Lovecraft existe en anglais depuis déjà de nombreuses années (A Means to Freedom: The Letters of H. P. Lovecraft and Robert E. Howard, 2 vol., 2009, rééd. 2011), la version française réservée aux souscripteurs devant toutefois comporter un contenu plus riche en matière d'appareil critique (notes, commentaires, reproductions de documents).

Au delà des seuls échanges entre les deux auteurs, la correspondance connue et publiée (à partir de 2007) de Howard comporte plus de 370 références, l'écrivain étant mort prématurément à l'âge de 30 ans. Concernant Lovecraft, mort à 46 ans, 930 lettres ont été partiellement publiées dès les années 1960-1970, et la publication non expurgée de sa correspondance actuellement encore en cours (depuis 2003... mais on va arriver bientôt au bout) devrait au final proposer au public environ 3 500 lettres... sur les 10 000 qui ont pu survivre, estime-t-on. Du coté des Inklings, sauf erreur de ma part, la correspondance publiée de C. S. Lewis, mort à 64 ans, comporte environ 3 200 références. Bien évidemment, toutes les lettres ou morceaux de lettres connues ne se valent pas, sur la forme comme sur le fond, mais cela donne tout de même une idée ce qui reste à faire du côté de Tolkien, mort à 81 ans, en matière de publication de sa correspondance, si j'en crois les seules données de la page dédiée sur le site Tolkien Collector's Guide, et sachant en outre que l'on ne sait pas ce que contient la part des archives de Tolkien de la bibliothèque Bodléienne en matière de papiers personnels (qui comprennent peut-être des lettres non envoyées, des brouillons de lettres... entre autres choses éventuelles... qui seront peut-être connues un jour, puisque ces documents n'ont pas été perdus ou détruits, comme cela a inévitablement été le cas pour d'autres).

Amicalement,

B.

La remontée du présent fuseau aura été l'occasion d'y relire un vieux message de Yyr, posté en 2006... C'est peu de dire que le propos de son deuxième paragraphe, qui m'avait pour le moins négativement marqué à l'époque, même si je n'en avais alors rien dit, aura contribué, entre autres, aux difficultés, peut-être insurmontables, qui auront caractérisés un certain nombre d'échanges en ces lieux des années plus tard... Je crois me souvenir que Yyr m'avait dit, en privé, il doit y avoir environ quatre ans maintenant, qu'il s'exprimerait différemment à présent... et je pense pourtant cependant que nous serions toujours en désaccord sur la façon d'appréhender Tolkien, notamment à travers cette fameuse lettre 43...
Que dire de plus aujourd'hui, sinon que le temps passe, et que les propos des uns et des autres, ici comme dans d'autres fuseaux, prennent évidemment la poussière...
J'en connais un qui trouverait sans doute opportun de nous ressortir l'Ecclésiaste !

Peace and Love, ^^

B.

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#186 02-10-2023 22:46

ISENGAR
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Re : The Letters

Je relaie ici une information donnée par Druss sur le forum Tolkiendil, ainsi qu'un lien pour aller consulter un aperçu des 88 premières lettres de l'ouvrage (dont 28 inédites, de taille et d'importance variable) :
https://preview.aer.io/The_Letters_of_J_...n-NjAyNTY2

Je suis sûr que certains d'entre vous vont se régaler smile

I.

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#187 02-10-2023 23:08

Yyr
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Re : The Letters

Génial :) :) :)

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#188 03-10-2023 07:09

sosryko
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Re : The Letters

Wahhhh :)
Le dossier des échanges avec Christopher Tolkien pendant la guerre s'épaissit. La 55a contient une anecdote savoureuse & la 38a va beaucoup faire parler.
S.

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#189 03-10-2023 08:15

Cédric
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Re : The Letters

En effet, "Génial" et "Wahhhh" !
Un aperçu plutôt généreux.
Ce sera une édition pour le coup réellement augmentée, en nombre de lettres, et en intérêt smile
Il va falloir trouver encore une nouvelle place dans la bibliothèque !

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#190 23-10-2023 18:38

Cédric
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Re : The Letters

Sait-on si Hilary Tolkien fera partie de cette nouvelle édition des Letters ?
Certes, cela ne sera pas forcément en lien avec l'oeuvre de JRRT mais nous trouvons déjà des lettres plus personnelles, qu'elles soient échangées avec Mabel ou Christopher T.
Comme nous savons que JRRT entretenait une correspondance soutenue avec Hilary, cela ne me paraitrait pas inopportun.

C.

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#191 23-10-2023 19:05

Hyarion
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Re : The Letters

Cédric a écrit :

Sait-on si Hilary Tolkien fera partie de cette nouvelle édition des Letters ?
Certes, cela ne sera pas forcément en lien avec l'oeuvre de JRRT mais nous trouvons déjà des lettres plus personnelles, qu'elles soient échangées avec Mabel ou Christopher T.
Comme nous savons que JRRT entretenait une correspondance soutenue avec Hilary, cela ne me paraitrait pas inopportun.

Cela me paraîtrait également opportun, mais comme je l'avais écrit en juin dernier, dans un message sur le forum d'à côté que j'avais reproduit dans le présent fuseau, on ne devrait pas, du moins à ce qu'il me semble, retrouver la correspondance entre les deux frères dans cette édition des Letters.
Pour mémoire, un projet de publication spécifique d'une partie de cette correspondance entre frères, dans le cadre d'une biographie de Hilary Tolkien (projet que j'ai cité dans mon précédent message), avait été retoqué par Christopher Tolkien au début des années 2010 (j'ai ouï dire, depuis, que de rares épreuves d'éditeur de ce projet de livre auraient été mises en vente, assez récemment et à un prix exorbitant, mais je ne sais pas ce qu'il en est exactement).

Amicalement,

B.

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#192 23-10-2023 19:07

Cédric
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Re : The Letters

Merci pour le rappel / lien Hyarion.
Je n'avais pas été attentif ou ma mémoire me fait défaut, re-merci ! ;-)

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#193 16-11-2023 17:39

sosryko
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Re : The Letters

Exemplaire reçu aujourd'hui :)

Un extrait pour Isengar :

The United Artists are still perforce paying up their instalments of the purchase price of the Film Rights: I believe there is only one more to come. But they are at present 'broke' and cannot finance any film of sufficient length and elaboration to recoup their purchase price. There is no immediate prospect of any Film being made!!! Thank Heaven!!! but they have about 14 years still to produce one in -- before their rights become annuled.

United Artists continue de verser les acomptes sur le prix d'achat des droits sur le film : je pense qu'il n'y en a plus qu'un à venir. Mais ils sont actuellement "fauchés" et ne peuvent financer aucun film d'une longueur et d'une élaboration suffisantes pour récupérer leur prix d'achat. Il n'y a aucune perspective immédiate de réalisation d'un film !!! Dieu merci !!! Mais ils ont encore environ 14 ans pour en produire un en -- avant que leurs droits ne soient annulés.

J.R.R. Tolkien, L330a, 1971 (Letters, 2023, p. 581)

(trad. d'après celle de DeepL)


Un autre, qui montre Tolkien attentif à l'actualité, laquelle entre en résonance avec l'actualité mondiale présente à plus d'un titre, avec l'occasion de regretter que cette lettre soit dépourvue de toute contextualisation :

Half Oxford is in a kind of screaming frenzy - about Suez not Hungary! When the 'clerks' go mad, what have we? The gods, they said, first drive mad those whom they wish to destroy. Armed 'pacifism', destroyinfg the vehicles of innocent citizens, apparently on an agitation to remove a Prime Minister who has already received a constitutional vote (by 69) of confidence in a 'democratilly elected' Parliament. Dons yelling 'fascists' , at high table, at colleagues who in mild voices venture to disagree with them.

La moitié d'Oxford est en proie à une sorte de frénésie de cris - à propos de Suez, pas de la Hongrie ! Quand les "clercs" deviennent fous, qu'avons-nous ? Les dieux, disaient-ils, rendent d'abord fous ceux qu'ils veulent détruire. Le "pacifisme" armé, la destruction des véhicules de citoyens innocents, apparemment dans le cadre d'une agitation visant à destituer un Premier ministre qui a déjà reçu un vote constitutionnel de confiance (par 69 voix) de la part d'un Parlement "démocratiquement élu". Des docteurs criant "fascistes", à la table d'honneur, à des collègues qui, à voix basse, s'aventurent à ne pas être d'accord avec eux.

J.R.R. Tolkien, L194a, 6 novembre 1956 (Letters, 2023, p. 367)

(trad. d'après celle de DeepL)


S.

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#194 16-11-2023 18:01

ISENGAR
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Re : The Letters

Merci pour la dédicace smile

Pour le deuxième extrait, dommage pour la contextualisation en effet.
Dans la première édition des Lettres, les petits paragraphes introductifs rédigés par Christopher Tolkien (ou Humphrey Carpenter ? ou les deux ?) étaient bien utiles.
Ta remarque laisse entendre que les lettres inédites n'ont pas ce type d'introductions ?

I.

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#195 16-11-2023 19:39

Druss
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Re : The Letters

Très probablement une référence à cette bataille, vu la date qui correspond à la veille de la fin de l'évènement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_du_canal_de_Suez
Et pour la Hongrie : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9vo … se_de_1956

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#196 16-11-2023 21:03

sosryko
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Re : The Letters

Tu as  raison Druss, je donne ces mêmes liens dans le texte même des citations VO/VF, mais la couleur des liens ne se voit pas bien dans les citations ;-)

Concernant la contextualisation, Isengar, on en trouve de temps en temps (195a, 195b, 200a, 204a, 205a...) mais ce n'est pas systématique (ce qui était déjà le cas avec les lettres précédentes) mais parmi celles que j'ai déjà survolées, dont celle citée, le manque est flagrant.

L'index semble avoir été mis à jour pour inclure ces nouvelles lettres (je ne l'ai vérifié que sur quelques exemples).

S.

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#197 16-11-2023 21:07

Hyarion
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Re : The Letters

Concernant la Hongrie, si je me souviens bien, Tolkien avait signé un appel, après-guerre, avec certains de ses collègues, pour défendre la liberté religieuse dans ce pays subissant l'oppression stalinienne (soit ce que Tolkien croyait être "le Socialisme", auquel il avait aussi mêlé le nazisme en 1945). Il faudrait retrouver la référence, mais de mémoire, cet appel avait été publié dans la presse de l'époque.

Je ne serais pas surpris, par ailleurs, que Tolkien eut été hostile à l'expédition de Suez du fait, entre autres, que dans cette affaire, qui s'était révélée fort mauvaise du point de vue de la "Vieille Europe" coloniale (laquelle fut à ce moment-là définitivement "déclassée" géopolitiquement par les États-Unis et l'URSS), le Royaume-Uni était allié avec la France (et avec Israël) contre Nasser : peut-être cela fut-il une "circonstance aggravante" pour l'écrivain. Plus tard, Tolkien a vraisemblablement été, sans surprise, à l'unisson de la francophobie ambiante dans son pays, au moment de la crise franco-britannique provoquée par le refus de De Gaulle de soutenir l'entrée du Royaume-Uni (alors gouverné par Macmillan) dans la Communauté économique européenne...
Ce fut sans doute un tort que d'avoir voulu, en France, minimiser cette question de la francophobie ou gallophobie de Tolkien, question à laquelle j'avais consacré ma toute première intervention sur le présent forum, il y a presque vingt ans maintenant... Ce sujet n'est évidemment pas "la grande explication de tout", mais à mon humble avis ce n'est pas non plus quelque-chose d'anecdotique, comme on a parfois pu le dire...
Bref, encore un sujet dont je n'ai plus le temps de m'occuper...

Quant à la lettre 38a, dans laquelle Tolkien évoque notamment, "à sa façon", la ménopause de son épouse, je ne sais pas si elle fera forcément beaucoup parler, mais en tout cas, par son contenu, j'avoue que cette lettre ne me surprend pas du tout.

Pour éventuellement parler du reste, j'attendrais d'avoir reçu mon exemplaire...

Peace and Love,

B.

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#198 21-11-2023 23:37

Hyarion
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Re : The Letters

Il y a quelques jours, ici-même, votre serviteur Hyarion a écrit :

Concernant la Hongrie, si je me souviens bien, Tolkien avait signé un appel, après-guerre, avec certains de ses collègues, pour défendre la liberté religieuse dans ce pays subissant l'oppression stalinienne (soit ce que Tolkien croyait être "le Socialisme", auquel il avait aussi mêlé le nazisme en 1945). Il faudrait retrouver la référence, mais de mémoire, cet appel avait été publié dans la presse de l'époque.

Malgré un sérieux moment de doute, car je ne retrouvais pas jusqu'à ce soir la référence dans l'océan de notes accumulées depuis tant d'années pour mon livre, ma mémoire ne s'est finalement point révélée trop défaillante, puisqu'en fait je pensais l'autre jour à une lettre ouverte publiée en janvier 1949, co-signée par Tolkien avec d'autres universitaires catholiques britanniques (dont Zulueta) tous dirigeants honoraires de la Newman Association (fondée en 1942), et adressée à l'éditeur du Times, pour protester contre l'arrestation en Hongrie du cardinal József Mindszenty, quelques jours avant le début de la parodie de procès que le prélat eut à subir, dans un contexte de coercition où il fut torturé sur ordre du régime stalinien hongrois. Le cardinal Mindszenty sera libéré de prison lors de la révolution hongroise de 1956, et obtiendra l'asile politique à l'ambassade américaine de Budapest où il vivra de nombreuses années.

1700605646_cardinal_mindszenty_times_newman_association_tolkien_zulueta_1949.png

Pour en revenir au contenu inédit de la nouvelle édition des Letters, j'essaierai de partager quelques autres remarques (qui vaudront ce qu'elles vaudront) sur certains passages prochainement.

Peace and Love,

B.

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#199 31-12-2023 23:47

Hyarion
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Re : The Letters

Il y a quelques semaines, votre serviteur a écrit :

Pour en revenir au contenu inédit de la nouvelle édition des Letters, j'essaierai de partager quelques autres remarques (qui vaudront ce qu'elles vaudront) sur certains passages prochainement.

« Prochainement »... C'était l'idée... Arriverai-je à trouver le temps, toujours pour m'occuper l'esprit ? Il y a des choses à dire... Sur Tolkien et son rapport "un peu" tristounet à l'hellénisme et à la sexualité (lettre 254a). Sur Tolkien et le cinéma de son temps (lettres 94a, 94b, 94c, 267). Et même sur Tolkien et le consumérisme autour de Noël (mais ça, ce n'est déjà plus tout-à-fait « d'actualité », alors tant pis pour ce point-là...). Bref, on verra, mais j'y arriverai peut-être... ou pas.

Peace and Love,

B.

[EDIT (04/01/2024): ajout, entre autres, des références des lettres...]

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#200 18-09-2025 23:57

Hyarion
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Re : The Letters

Plus de vingt mois plus tard, dans un autre contexte...

Je me décide à revenir un peu à cette part inédite de la dernière édition de la correspondance de J. R. R. Tolkien, non pas pour d'un coup tout traiter cette fois-ci de ce que j'avais évoqué précédemment, mais au moins s'agissant d'un point lié notamment au rapport de Tolkien à l'Antiquité, puisque je suis actuellement en train de finaliser un travail récemment évoqué dans un autre fuseau.

En décembre 2023, précédemment dans le présent fuseau, votre serviteur Hyarion a écrit :

[...] Il y a des choses à dire... Sur Tolkien et son rapport "un peu" tristounet à l'hellénisme et à la sexualité (lettre 254a). [...]

Je propose ici une traduction d'un passage de la Lettre 254a, laquelle est en fait un extrait d'une lettre de l'écrivain à son fils Christopher, initialement datée du 8 février 1964 et non envoyée, extrait auquel s'ajoute une autre partie de la lettre, écrite le 3 mars 1968 « après que la première partie de la lettre ait été découverte dans un tiroir ». C'est ce dernier extrait de la lettre écrit en 1968 qui nous intéressera ici. Dans la mesure où le document en question n'a presque pas fait l'objet d'annotations (hormis une note de J. R. R. Tolkien lui-même faisant partie de la lettre et intégrée ci-après, note de l'auteur faisant seule l'objet d'une note d'éditeur, concernant le dominicain marxiste Laurence Bright), je me permets d'ajouter quelques éléments en guise d'« appareil critique » (mentions entre crochets ou parenthèses, liens hypertextes...) pour essayer d'éclairer un peu le propos de l'écrivain, pas forcément toujours aisé à appréhender au premier abord.

    Alas! sex and marriage are intractable problems, in which the profound disorder of the human ‘psyche’ is most clearly seen. Of all the human gifts they have been in all recorded history the most horribly abused, and all thought and emotion that touches upon sex deranged and confused; so that its natural force is difficult to control – indeed for many overwhelmingly strong. Nearly all the known heresies and apostasies, and personal defections have been due to this force, (or to an equally ‘insane’ reaction against it). Humanity hovers perpetually between disgust and lust.
    Disgust or, a milder, disapproval has been pretty prominent among Christians at times – quite apart from Catharist heresies. As Chesterton says (somewhere) the Christian Church being ‘historical’ cannot escape entirely from history. If we fully realized the horrors of the Mediterranean world (in AD 1 and ages back) its foul sects and religions and practices, the abominations of Carthage, Corinth, Alexandria, we should understand the reactionary (*) tendency being immoderate. (He goes on to say that if Christianity had begun in our time, when the lust of cupidity is dominant and Mammon enthroned, we should have had rather a similar immoderate attitude to even necessary private property. But I think he is wrong there. The two go together. The Mediterranean world was highly ‘commercial’, and Commerce holds nothing sacred, not even Art. Buying and selling lust is very profitable. Anyway the reaction against Mammon is at least as much in evidence in early Christianity as the reaction against Cybele or Astarte.)
    The dark thread of body-hating is/was in any case more evident in individuals, and in unauthorised homilies than in the actual teaching of the Church, One may read with disgust the degraded feministic arguments of Hali Meiðhad. But there were other voices in the Middle Ages. I know of no utterance so strong and wholehearted as that in Purity, 697–708, where God Himself is made to describe the play of paramorez as the greatest of all delights which He had arranged, wel nyƷ pure paradys myƷt prove no better. I do not know what Aquinas would have said to lasched so hote; but that is beside my point – I have written too much and off the line.

(*) : The Jews were in permanent reaction against it – marvellous considering they were Semitic people. But I do not see that they were ever anything but sane. They held the organs and the acts of generation in honour, and for that reason abhorred their exposition or degradation. R. Bright(1) was reported, not long ago, to have said that the Jews were undoubtedly ‘prudish’. Heaven knows I ought to be aware that reports in the press of what one has said are dubious evidence that one has said
anything of the kind. But that sort of view is held (though the O.T. doesn’t much support it). It is part of the nasty Hellenism in which we (certainly I) was brought up, in which that highly dubious character Socrates became more than a saint. The Ancient Greeks were for all their talents, a very nasty people of degraded habits and revolting attitude to women, and profoundly disliked by those among them whom we are supposed to take as representative – such as Plato.

(1) : Fr Laurence ‘Ronald’ Bright O.P. (1920–1979), a British Dominican Christian and Marxist whose work influenced many members of the English Catholic New Left.

    Hélas ! Le sexe et le mariage sont des problèmes insolubles, dans lesquels le profond désordre de la « psyché » humaine apparaît le plus clairement. De tous les dons humains, ce sont ceux qui ont été le plus horriblement abusés dans toute l'histoire connue, et toutes les pensées et émotions qui touchent au sexe sont dérangées et confuses, de sorte que sa force naturelle est difficile à contrôler – voire, pour beaucoup, écrasante. Presque toutes les hérésies et apostasies connues, ainsi que les défections personnelles, sont dues à cette force (ou à une réaction tout aussi « folle » contre celle-ci). L'humanité oscille perpétuellement entre le dégoût et la luxure.
    Le dégoût ou, plus modérément, la désapprobation ont parfois été très présents chez les chrétiens, indépendamment des hérésies cathares. Comme le dit Chesterton (quelque part), l'Église chrétienne, étant « historique », ne peut échapper entièrement à l'histoire. Si nous prenions pleinement conscience des horreurs du monde méditerranéen (en 1 après J.-C. et au cours des siècles précédents), de ses sectes, religions et pratiques immondes, des abominations de Carthage, Corinthe, Alexandrie, nous comprendrions que la tendance réactionnaire (*) soit immodérée. (Il poursuit en disant que si le christianisme avait vu le jour à notre époque, où la cupidité domine et où Mammon règne en maître, nous aurions eu une attitude tout aussi immodérée à l'égard de la propriété privée, même nécessaire. Mais je pense qu'il se trompe sur ce point. Les deux vont de pair. Le monde méditerranéen était très « commercial », et le commerce ne considère rien comme sacré, pas même l'art. Acheter et vendre la luxure est très rentable. Quoi qu'il en soit, la réaction contre Mammon est au moins aussi évidente dans le christianisme primitif que la réaction contre Cybèle ou Astarté.)
    Le fil sombre de la haine du corps est/était en tout cas plus évident chez les individus et dans les homélies non autorisées que dans l'enseignement réel de l'Église. On peut lire avec dégoût les arguments dégradés féministes de Hali Meiðhad [(“Holy Maidenhood”)]. Mais il y avait d'autres voix au Moyen Âge. Je ne connais aucune déclaration aussi forte et sincère que celle de Purity [c.-à-d. le poème en moyen anglais Cleanness], 697-708, où Dieu lui-même décrit le “jeu du paramorez” [le « jeu des amants »] comme le plus grand de tous les délices qu'il ait jamais prévus, “welnyghe pure Paradys moght preve no better” (et « que même le pur paradis ne pouvait offrir mieux ») [vers 704]. Je ne sais pas ce que l'Aquinate aurait dit pour “lasched so hote” (« liés si ardemment ») [au vers 707], mais cela n'a rien à voir avec mon propos – j'ai trop écrit et je me suis éloigné du sujet.

(*) : Les Juifs y étaient opposés de manière permanente, ce qui est excellent étant donné qu'ils étaient un peuple sémite. Cependant, je ne pense pas qu'ils aient jamais manqué d'être sains d'esprit. Ils considéraient les organes et les actes de procréation comme sacrés, et c'est pour cette raison qu'ils en abhorraient l'exposition ou la dégradation. Il y a peu, R. Bright(1) aurait déclaré que les Juifs étaient sans aucun doute « prudes ». Dieu sait que je devrais être conscient que les articles de presse rapportant les propos de quelqu'un sont des preuves douteuses que cette personne a réellement tenu de tels propos. Mais ce genre d'opinion est répandu (même si l'Ancien Testament ne le soutient pas vraiment). Elle fait partie de l'hellénisme répugnant dans lequel nous (en tout cas moi) avons été élevés, et dans lequel ce personnage hautement douteux qu'était Socrate est devenu plus qu'un saint. Malgré tous leurs talents, les Grecs de l'Antiquité étaient un peuple très méchant, aux mœurs dégradées et à l'attitude révoltante envers les femmes, et profondément détesté par ceux d'entre eux que nous sommes censés considérer comme représentatifs, tels que Platon.

(1) : Fr Laurence « Ronald » Bright O.P. (1920-1979), chrétien dominicain britannique et marxiste dont les travaux ont influencé de nombreux membres de la Nouvelle Gauche catholique anglaise.

The Letters of J.R.R. Tolkien, éditées et choisies par Humphrey Carpenter avec l'assistance de Christopher Tolkien, édition révisée et augmentée, Londres, HarperCollinsPublishers Ltd, 2023, Lettre 254a (à Christopher Tolkien), p. 481-482 et 632.

Traduction de votre serviteur, avec l'aide de Gogol et DeepL.

Quelques remarques sur certains points, qui valent ce qu'elles valent :

  1. “Catharist heresies” :
    Tolkien pense peut-être ici non seulement à la question de l'hérésie dite « cathare » dans le Midi occitan et à la croisade « contre les Albigeois » du début du XIIIe siècle, mais aussi plus largement à tout ce qui a pu être associé au « catharisme » en Europe médiévale. Ses conceptions sont datées, car elles renvoient à des débats entre historiens qui ont depuis avancé bien que restant vifs. Des clercs médiévaux ont recyclés le mot « cathare », issu du grec « καθαρός / katharós » (pur), d'après une lettre d'Augustin d'Hippone pour désigner des mouvements dissidents de l'Église en leur temps. Bien que sans rapport avec les hérétiques de l'Antiquité chrétienne, des dissidents germaniques, italiens et bien plus rarement occitans ont été qualifiés de « cathares » dans des cercles savants catholiques dès la fin du XIe siècle. Le mot « cathare » n'a jamais été employé ni par les chrétiens du Midi de la France accusés d'hérésie pour se désigner entre eux, ni par l'Église catholique pour les dénoncer. Le mot « catharisme » n'a jamais été utilisé au Moyen Âge, mais il a servi plus tard à désigner un courant religieux européen dissident qui serait apparu au XIIe siècle et ce serait diffusé de la vallée du Rhin au nord de l'Italie et jusqu'au Midi de la France : la majorité des historiens considèrent aujourd'hui que l'hérésie européenne dite « cathare » a été construite par l'historiographie, l'Église catholique médiévale ayant entretenue elle-même l'idée de la menace d'une vaste « contre-Église » hérétique pour justifier les actions de la papauté dans des conflits politiques en Europe.

  2. “As Chesterton says (somewhere) [...]” :
    Je laisse à d'autres, autrement plus intéressés que moi par G. K. Chesterton, le soin d'identifier la source précise où il est question de l'historicité (évidente d'un point de vue rationnel) du christianisme, si ce n'est pas déjà fait. Je note en tout cas que le propos initial de Tolkien sur « le sexe et le mariage » comme étant « des problèmes insolubles » peut trouver quelque correspondance, sur fond de condamnation tolkienienne du divorce et de toute sexualité en dehors du mariage chrétien, avec les propos teintés de sexisme essentialiste que ledit Chesterton tient dans son texte What's Wrong With The World (déjà évoqué ailleurs par le passé), y écrivant notamment, avec une assurance très excessive comme souvent chez lui : “The whole aim of marriage is to fight through and survive the instant when incompatibility becomes unquestionable. For a man and a woman, as such, are incompatible.”

  3. “If we fully realized the horrors of the Mediterranean world (in AD 1 and ages back) its foul sects and religions and practices, the abominations of Carthage, Corinth, Alexandria, we should understand the reactionary tendency being immoderate.” :
    Il semble que pour Tolkien, le monde méditerranéen antique aurait été spirituellement transformé (par la Révélation chrétienne, sans doute) dès l'an 1 après J.-C., ce qui relève d'emblée d'un jugement purement moral sans grande portée historique. L'écrivain semble expliquer, voire même excuser, le fanatisme monothéiste comme étant une réaction aux « abominations » du monde méditerranéen « païen ». La mention d'Alexandrie est l'occasion de rappeler que la philosophe néoplatonicienne, astronome et mathématicienne Hypatie a été assassinée par des fanatiques religieux chrétiens en 415 de notre ère. Était-ce la faute des « abominations » du « paganisme » ? Il aurait sans doute été intéressant de poser la question (sans complaisance) à Tolkien...
    La mention de Corinthe me fait penser à une célèbre œuvre du peintre et sculpteur Jean-Léon Gérôme (1824-1904), la dernière à laquelle l'artiste travallait l'année de sa mort, une sculpture justement intitulée Corinthe, dont le modèle en plâtre polychrome de 1903 a été acquis en 2008 par le musée d'Orsay, là où je passe la voir à l'occasion : une femme nue assise en tailleur, parée de bijoux, évocation érotique des hiérodules (prostituées sacrées) installées à Corinthe dans l'enceinte du temple consacré à Aphrodite, mais aussi allégorie de Corinthe comme lieu légendaire d'invention artistique (c'est sur un chapiteau corinthien qu'est assise la courtisane de la sculpture définitive en marbre et bronze doré de 1904). Tolkien aurait assurément détesté cette oeuvre, tandis que je l'aime bien pour ma part.
    .
    1758232451_paris_orsay_gerome_24042025_17h19_benjamin_bories.jpg
    Paris, musée d'Orsay, 24 avril 2025, 17h19.
    .

  4. “The Jews were in permanent reaction against it – marvellous considering they were Semitic people. But I do not see that they were ever anything but sane. They held the organs and the acts of generation in honour, and for that reason abhorred their exposition or degradation.” :
    S'agissant du texte de la note, ces réflexions essentiellement morales de Tolkien sur les Juifs de l'Antiquité sont, là encore, d'une portée historique limitée. Son jugement, s'il semble s'inscrire dans une sorte de paradigme « judéo-chrétien », reste surtout à la fois chrétien et occidental. Tolkien juge excellent que les Juifs aient été pudiques en tant que peuple sémite, sans doute en comparaison d'autres peuples, Assyriens, Babyloniens, Phéniciens, Araméens, Arabes...
    Mélange d'orientalisme et d'exégèse biblique fatalement orientée ?
    Le philologue catholique fait en tout cas l'impasse sur la complexité de la situation des Juifs/Judéens antiques, particulièrement durant la période hellénistique lors de laquelle la Judée fut, du IVe siècle au IIe siècle avant notre ère (ou avant J.-C., comme vous voulez), sous domination grecque des dynasties des Lagides puis des Séleucides, période qui fut marquée, au deuxième tiers du IIe siècle, par un très important conflit culturel entre tradition et modernité en contexte d'hellénisation, conflit qui commença au sein de la classe dirigeante des Juifs/Judéens avant d'impliquer toute la population. La dimension politique du conflit, avec notamment l'intervention directe du roi séleucide Antiochos IV, serait trop longue à évoquer ici, et pour simplement résumer succinctement les enjeux culturels, je cite l'historienne Claire Préaux : « Les Juifs se savent et se veulent insolites. Leur loi les sépare des autres hommes. Or, dans le monde hellénistique, les modèles de promotion sont hérités de la cité grecque et c'est la culture grecque qui qualifie un homme pour cette promotion. Le problème se résume donc ainsi : comment rester juif et être un homme moderne ? »
    Il n'y a pas, dans cette histoire, de gentils orthodoxes et de méchants modernistes, car se serait trop simple, mais toujours est-il que les orthodoxes ont fini par gagner, et c'est donc leur version de l'histoire qui s'est imposé, a fortiori dans les textes bibliques. Or si les connaissances de Tolkien sur le sujet se limitent plus ou moins à l'Ancien Testament, il a beau jeu de ne s'appuyer possiblement que là-dessus, puisqu'à part le livre XII des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe, les deux premiers livres des Maccabées sont les seules sources (forcément partiales, puisque favorables, tout comme Josèphe, aux Hasmonéens, dynastie locale ayant finalement restaurée l'orthodoxie juive) sur ce conflit, et que les chrétiens ont repris à leur compte, dans ces textes (paradoxalement via la langue grecque de traducteurs), ce que Claire Préaux appelle « le triptyque « persécution-révolte-espoir », construit en ces termes maccabéens, [qui] s'est transmis au christianisme et lui a donné quelque-chose de sa couleur révolutionnaire. » Le fait est que la religion juive (dans le contecte ethnique de l'époque : elle n'a pas encore évoluée comme elle sera amenée à le faire en réaction au christianisme, auquel on doit la notion commune actuelle de « religion ») a été préservée de l'hellénisation mais en étant amenée à coexister avec l'hellénisation culturelle de l'ensemble de la région de la Méditerranée orientale. Considérer les Juifs de cette époque comme un seul bloc est un parti pris religieux de la part de Tolkien, qui ignore, ou feint d'ignorer les Juifs hellénisés, ayant voulu s'ouvrir à la culture grecque via les institutions caractéristiques de la cité grecque que sont le gymnase et l'éphébie, soit ce que Préaux évoque comme « ce « comble de l'hellénisation » que II Macc. 4, 13 décrit comme une « acculturation ». » À l'époque du conflit maccabéen, des Juifs/Judéens ont pu aller jusqu'à renoncer à la circoncision, et la nudité étant de rigueur au gymnase grec introduit dans le pays, à dissimuler ce signe corporel juif avec des faux prépuces, epispamos. Ces Juifs hellénisés étaient-ils encore juifs ? D'un point de vue étroitement religieux chrétien comme celui de Tolkien, vraisemblablement non, comme le montre d'ailleurs le reste de sa lettre, si critique de l'hellénisme jusqu'à sa propre époque. Or les choses sans doute furent et sont plus compliquées que la lecture orientée des faits qu'il a choisi d'adopter (comme beaucoup d'autres en son temps et sans doute encore aujourd'hui).
    Pour qui voudrait en savoir plus sur le sujet, je renvoie, entre autres, au chapitre qui y est dédié dans l'ouvrage de Claire Préaux que j'ai cité, Le Monde hellénistique. La Grèce et l'Orient de la mort d'Alexandre à la conquête romaine de la Grèce, 323-146 av. J.-C. (Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 1978, rééd. 2002, tome II, 4e partie, chapitre Ier, 5/ « l'hellénisme et les Juifs », p. 566-586), qui fut un de mes livres de chevet durant mes études d'histoire au début des années 2000.
    Je reviendrai plus loin sur le reste du contenu de la note.

  5. “The Mediterranean world was highly ‘commercial’, and Commerce holds nothing sacred, not even Art. Buying and selling lust is very profitable.” :
    Quel dommage (j'ironise, je l'avoue) que Tolkien, pour une fois qu'il daigne parler directement de la prostitution, ne puisse pas écrire autre chose qu'une telle lapalissade : « acheter et vendre la luxure est très rentable. » Oui, en général, c'est effectivement le cas. Il y aurait éventuellement des choses à développer sur ce qu'il entend en matière de rentabilité ou de profit, mais une chose semble à peu près sûre : que ce soit s'agissant de la prostitution antique ou de celle d'aujourd'hui, il n'y connait pas et ne veut sans doute pas y connaître grand-chose, comme bien des gens qui, de nos jours comme par le passé (c'est là un des quelques invariants de l'humanité), se permettent de n'aborder le sujet qu'occasionnellement (quand ils sont obligés) et sous un angle seulement moralisant, ici dans l'ombre symbolique assez commode de Mammon. Mais ces propos écrits, comme ceux de l'ensemble de cet extrait de lettre, ont toutefois le mérite d'exister : ils confirment tout ce que l'on pouvait deviner sur la mentalité de l'écrivain en matière de sexualité, mais sans avoir eu jusque-là autant d'explicitation, fusse-t-elle ici encore limitée.

  6. “The dark thread of body-hating is/was in any case more evident in individuals, and in unauthorised homilies than in the actual teaching of the Church [...]” :
    Ici, il ne s'agit plus d'Antiquité (j'y reviendrai ensuite), mais de Moyen Âge, période évoquée déjà au début avec l'hérésie dite « cathare ». C'est peut-être le passage le plus remarquable, d'un point de vue intellectuel, malgré sa brièveté, car l'activité de philologue médiéviste de Tolkien l'oblige à ici au moins tenir compte d'une certaine variété des possibles au sein de sa spécialité académique, évoquant en particulier Hali Meiðhad et Cleanness (ou Purity), des textes médiévaux qu'il connaissait très bien en tant qu'universitaire, et dont il peut donc parler avec précision, bien que son regard d'expert soit dominé par le paradigme moraliste religieux, avec une confirmation au passage, s'il en était besoin, que Tolkien n'était pas féministe. Ce qu'il dit du passage sur la déclaration de Dieu (le Dieu des chrétiens) à propos du jeu des amants est intéressant : tout catholique conservateur qu'il fut, Tolkien pouvait avoir l'esprit ouvert sur ce que sa période historique de prédilection pouvait lui donner à lire et à interpréter. Ici, il semble même toucher du doigt la question de l'amour et du plaisir sensuel partagé dans une dimension peut-être insoupçonnée par ses admirateurs les plus fervents, s'estimant pour certains ses co-religionnaires... Thomas d'Aquin lui-même semble sur le point d'entrer la danse, mais hélas tout se termine par un constat de diggression.

  7. “[...] the nasty Hellenism in which we (certainly I) was brought up, in which that highly dubious character Socrates became more than a saint. The Ancient Greeks were for all their talents, a very nasty people of degraded habits and revolting attitude to women, and profoundly disliked by those among them whom we are supposed to take as representative – such as Plato.” :
    Concernant « l'attitude révoltante [des anciens Grecs] envers les femmes », voila typiquement le genre de propos susceptible d'encourager, dès 1968, quelque commentaire à la fois tolkienophile et antisexiste du genre « Joie ! Le Professeur condamnait le gynécée ! ». À l'époque du propos de Tolkien, et il est vrai plus tard encore jusque vers la fin du siècle dernier, l'image caractéristique qui s'imposait était celle de femmes grecques antiques enfermées dans un espace bien identifié, appelé « gynécée », séparé des hommes, et conditionnant de facto tous les comportements sociaux, y compris en matière de mœurs. Mais quitte à commenter de manière vraiment contemporaine, en constatant là encore le caractère historiquement daté du propos tolkienien en question, il convient de rappeler que les jugements moraux sur les sociétés antiques ne valent que ce qu'ils valent pour l'époque où ils sont émis, en se basant sur des connaissances historiques qui ne sont pas figées tant qu'il y aura de la recherche scientifique.
    Aujourd'hui, nous en savons bien plus sur la condition féminine en Grèce ancienne qu'il y a un demi-siècle. Même s'il y avait bien séparation entre les sphères masculine et féminine de la vie sociale, on a cherché le fameux gynécée... et on ne l'a pas trouvé. Les historiens ont depuis mieux mis en évidence le rôle des femmes de l'Antiquité grecque dans bien des domaines, « que ce soit la maternité, l'éducation et les soins à la personne, la vie marchande, culturelle, intellectuelle et religieuse des cités, la guerre, l'évergétisme, la transmission des statuts civiques et la gestion économique des maisons », pour reprendre ici l'énumération de l'historienne helléniste Aurélie Damet (in Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique, Paris, Tallandier, coll. « Texto » 2024). Bien entendu, le vieux constat de sociétés grecques aux structures patriarcales reste d'actualité : oui, en Grèce ancienne, les femmes n'étaient pas citoyennes, elles étaient généralement sous la tutelle des hommes, impliquées dans les domaines économiques et religieux, essentielles pour la reproduction du corps civil, mais limitées vis-à-vis de la vie intellectuelle et encore plus s'agissant de la vie institutionnelle et politique. Cependant, pourquoi faudrait-il juger, même aujourd'hui, l'attitude des Grecs envers les femmes particulièrement révoltante, et considérer lesdits Grecs comme un « peuple très méchant » ?
    Tolkien essentialise et juge abruptement, à l'aune de ce qu'il croit être LA référence : son paradigme chrétien. Qui n'est pas un paradigme « moderne », sans doute, dans son esprit, puisque Tolkien renvoie volontiers dos-à-dos les « abominations » du « paganisme » ancien et celles modernes, entre autres, du féminisme. Peu importe les époques et les contextes associés, se réclamer du christianisme est pour lui être le « mieux disant » en tous domaines, y compris donc la condition féminine. Hors du ciel des idées, pourtant, Tolkien a obligé son épouse à se convertir au catholicisme pour se marier, et il vivait lui-même en son temps dans un société, britannique, où les sphères masculine et féminine de la vie sociale restaient bien distinctes, même si les choses avaient évidemment substantiellement évoluées en Occident depuis le siècle de Périclès. Je laisse à d'autres le soin d'argumenter, notamment sur l'égalité fondamentale entre baptisés en citant Paul de Tarse, qui considérait en même temps la femme comme subordonnée à l'homme, lequel devant cependant être prêt à se sacrifier, etc. : on a déjà, de toute façon, discuté de cela en ces lieux, il y a longtemps. À travers son jugement sur les Grecs, c'est au fond toujours le « paganisme » que Tolkien juge, le fait que les sociétés grecques n'étaient tout simplement pas des sociétés chrétiennes avant la Révélation. C'est un jugement qui est tout sauf ayant une grande portée historique, mais il confirme ce que l'on a déjà pu constater à travers d'autres textes : que ce soit en matière artistique, en matière philosophique ou en matière de mœurs, hors du christianisme, pour Tolkien tout est forcément de moindre valeur. Quant aux mœurs justement, auxquelles Tolkien semble si attentif, on ne sait trop ce qui est précisément visé en les disant « dégradées », au-delà de la question de la prostitution déjà précédemment évoquée. Tolkien projète-t-il, par exemple, sur les sociétés grecques, qu'il amalgame allègrement, des notions d'hétérosexualité et d'homosexualité qui n'appartenaient pas à la mentalité grecque antique ? Difficile d'en être tout-à-fait sûr, mais j'avoue que je n'en serais pas surpris. Sa critique de Socrate est purement morale, et injuste à bien des égards, illustrant surtout son dégoût pour une pensée contemporaine héritière de la philosophie grecque tout en étant émancipée, depuis la Renaissance, de la tutelle de la théologie chrétienne : il n'y a guère là de preuve que Tolkien soit un humaniste au sens historique premier du terme, me semble-t-il, même s'il ne faut certes pas faire du « détail » (cette lettre 254a) une finalité quant à cerner toute la complexité de l'esprit d'un homme sur l'ensemble de sa vie.

Je m'interroge, pour finir, sur ce qu'aurait pensé de ces propos Albert Camus, déjà mort tragiquement depuis huit ans à l'époque, lui qui, ne cachant pas son avis sur le christianisme face à des chrétiens (j'en avais assez longuement parlé dans un fuseau dédié à Camus), se sentait « le cœur grec »...
Et je me demande ce que Tolkien et Camus diraient, l'un en face de l'autre, des derniers mots attribués à Socrate lors de son procès par Platon dans son Apologie de Socrate (traduction approximative) : « Mais il est l'heure de nous quitter, moi pour mourir, et vous pour vivre. Qui de nous a la meilleur sort ? Personne ne le sait, excepté la divinité. »

Peace and Love,

B.


[EDIT: correction de fautes diverses...]

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#201 19-09-2025 08:00

Silmo
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Re : The Letters

smile

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#202 28-09-2025 16:02

Yyr
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Re : The Letters

Merci Benjamin pour cette traduction.
Et même si je te suis sans doute pas sur absolument tout, c'est très intéressant et instructif !
Incidemment, en dépit des erreurs historiques, il reste le fond : un Tolkien bien choquant pour notre époque — j'aime :).

Hyarion a écrit :

“As Chesterton says (somewhere) [...]” :
Je laisse à d'autres, autrement plus intéressés que moi par G. K. Chesterton, le soin d'identifier la source précise où il est question de l'historicité (évidente d'un point de vue rationnel) du christianisme, si ce n'est pas déjà fait. Je note en tout cas que le propos initial de Tolkien sur « le sexe et le mariage » comme étant « des problèmes insolubles » peut trouver quelque correspondance, sur fond de condamnation tolkienienne du divorce et de toute sexualité en dehors du mariage chrétien, avec les propos teintés de sexisme essentialiste que ledit Chesterton tient dans son texte What's Wrong With The World (déjà évoqué ailleurs par le passé), y écrivant notamment, avec une assurance très excessive comme souvent chez lui : “The whole aim of marriage is to fight through and survive the instant when incompatibility becomes unquestionable. For a man and a woman, as such, are incompatible.”

Je ne suis pas un familier de Chesterton mais je ne comprends pas bien ce que tu reproches ou ce que tu entends par « sexisme essentialiste » ?
En tout cas j'avais bien aimé cette citation, quand je l'entendis la première fois (non loin de toi) ;)
[édit :] Mais c'est quand même un peu hérétique sur les bords ;). Je préfère l'anthropologie selon Tom & Baie d'Or :).

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#203 28-09-2025 16:39

Yyr
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Re : The Letters

Hyarion a écrit :

Tolkien essentialise et juge abruptement, à l'aune de ce qu'il croit être LA référence : son paradigme chrétien. Qui n'est pas un paradigme « moderne », sans doute, dans son esprit, puisque Tolkien renvoie volontiers dos-à-dos les « abominations » du « paganisme » ancien et celles modernes, entre autres, du féminisme. Peu importe les époques et les contextes associés, se réclamer du christianisme est pour lui être le « mieux disant » en tous domaines, y compris donc la condition féminine.

Mais n'est-ce pas ... normal, au sens de quasi-définitoire ? En tout cas pour une part ?
Car la foi chrétienne se définit par rapport à la Vérité : cette part n'est pas négociable et ne change pas avec le temps qu'il fait.
Pour une autre part, elle s'incarne et s'exprime différemment selon les époques et les cultures.
Donc il y a des choses qui peuvent varier et d'autres non, dès lors que l'on est Chrétien.

En fait, des fois, je me demande si tu ne reproches pas à Tolkien d'être qui il est. Il est évident qu'il doit juger selon ce qu'il pense être la référence, non ?

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#204 28-09-2025 20:57

Silmo
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Re : The Letters

Je rentre ici vite fait avant de ressortir
"définitoire" !!! wtf ?? Pitié, causez français courant de notre siècle.

"cette part n'est pas négociable" + "dès lors que l'on est Chrétien".
NON ! On peut être un chrétien qui doute et négocie.
ET, je ressors bien cordialement pour ne pas y revenir, rogntudju  tongue

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#205 28-09-2025 22:58

Yyr
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Re : The Letters

Mwarf pour « définitoire » eh bien au temps pour moi en effet c'est sorti de je ne sais où :).
[édit :] oh je vois que le mot a déjà été formé pour autre chose : https://www.cnrtl.fr/definition/academi … 9finitoire ; je n'étais pas complètement en dehors de la langue.

Ne te fâche pas mon ami.
Le Credo par exemple n'est pas négociable : cela fait partie de ce qui est Chrétien sans quoi ce n'est plus Chrétien.
C'est en ce sens que je dis que des choses ne peuvent varier : dans ce qui les constitue dans leur définition, si tu veux.
Plus largement, mais moins distinctement, la Révélation ne peut changer, pour un Chrétien.
Cela ne l'empêche pas de douter le cas échéant. Mais je me plaçais non pas tant sous ce rapport que sous celui de ce à quoi renvoie la foi chrétienne : elle n'est pas un dépôt liquide ...
Cela étant, même sa part « non négociable » n'est pas un bloc de granit : sa compréhension s'approfondit et se renouvelle ... mais le dépôt reste le même.

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#206 28-09-2025 23:57

Hyarion
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Re : The Letters

Yyr a écrit :

Merci Benjamin pour cette traduction.
Et même si je te suis sans doute pas sur absolument tout, c'est très intéressant et instructif !

Merci pour ton retour, Jérôme, et tant mieux si cela t'a paru intéressant et instructif. :-)
Malgré une apparence éventuellement « brouillonne », cela m'a pris beaucoup de temps... pour ce qui n'est finalement qu'un extrait d'une lettre !
(Et merci aussi à Silmo, dont j'avais déjà remarqué le retour discret, il y a quelques jours)

Yyr a écrit :
Hyarion a écrit :

“As Chesterton says (somewhere) [...]” :
Je laisse à d'autres, autrement plus intéressés que moi par G. K. Chesterton, le soin d'identifier la source précise où il est question de l'historicité (évidente d'un point de vue rationnel) du christianisme, si ce n'est pas déjà fait. Je note en tout cas que le propos initial de Tolkien sur « le sexe et le mariage » comme étant « des problèmes insolubles » peut trouver quelque correspondance, sur fond de condamnation tolkienienne du divorce et de toute sexualité en dehors du mariage chrétien, avec les propos teintés de sexisme essentialiste que ledit Chesterton tient dans son texte What's Wrong With The World (déjà évoqué ailleurs par le passé), y écrivant notamment, avec une assurance très excessive comme souvent chez lui : “The whole aim of marriage is to fight through and survive the instant when incompatibility becomes unquestionable. For a man and a woman, as such, are incompatible.”

Je ne suis pas un familier de Chesterton mais je ne comprends pas bien ce que tu reproches ou ce que tu entends par « sexisme essentialiste » ?
En tout cas j'avais bien aimé cette citation, quand je l'entendis la première fois (non loin de toi) ;)

Nous avons effectivement découvert cette citation en même temps à l'oral, en une certaine occasion, et nous savons qui est le coupable. ;-)
Il eut été évidemment très déplacé de la critiquer ce jour-là, me concernant, mais je n'ai cependant pas caché mon point de vue quelques années plus tard, d'abord en 2020 dans un certain fuseau sur la question du Libre Arbitre, puis en 2022 dans le fuseau consacré au numéro tolkienien spécial de Philosophie Magazine, fuseau dans lequel j'avais notamment écrit ceci, si je puis me permettre de m'auto-citer :

En août 2022, dans un autre fuseau, votre serviteur Hyarion a écrit :

Pour ce qui est de la rhétorique péremptoire, je songe en fait par exemple à l'apologie du mariage chrétien par Chesterton (dont on a d'ailleurs déjà parlé en ces lieux par le passé), et dès lors je ne saurais faire mieux que de me souvenir du jour où j'ai entendu, lors d'un mariage religieux, cette citation, extraite de What's Wrong With The World où elle est précédée de banalités autour de la famille conçue comme un invariant de la condition humaine avec son inévitables lot de contraintes : “If Americans can be divorced for “incompatibility of temper” I cannot conceive why they are not all divorced. I have known many happy marriages, but never a compatible one. The whole aim of marriage is to fight through and survive the instant when incompatibility becomes unquestionable. For a man and a woman, as such, are incompatible.”
On peut toujours, bien sûr, peut-être trouver à ce genre de propos quelque-chose de "spirituel", d'une manière ou d'une autre, mais en l'occurrence ici l'expression de l'auteur se fait à mon sens sur un fond affirmé de sexisme – certes très commun pour l'époque sans doute – qui n'est pas ma tasse de thé, quand bien même des couples mariés y trouveraient, encore de nos jours, une justification à leur propres choix de vie, engagements, vécus et conceptions en matière de conjugalité. Personnellement, j'estime (à mon humble avis) qu'il y a « compatibilité » entre hommes et femmes dès lors qu'il y a reproduction sexuée, s'agissant de l'espèce humaine comme d'autres espèces (mon regard se fait ici avant tout, sans doute, quelque peu "physiologique", un peu à la manière de Remy de Gourmont, pour citer un autre grand auteur prolifique à peu près de la même époque). Le reste me parait être surtout affaire d'individualités et de contextes socio-culturels, bien au-delà de la question des seules relations hommes/femmes, le tout dans le cadre d'un réel inévitablement complexe, aujourd'hui comme hier (même si le recours à la technique en matière de reproduction bouleverse sans doute quelque peu, de nos jours, le processus biologique sexué naturel qui a longtemps été le seul existant, jusque vers la fin du XXe siècle, en matière de perpétuation de l'espèce, perpétuation autour de laquelle ce sont diversement structurées les sociétés humaines).

Pour appréhender la citation chestertonienne en question dans son contexte, on pourra se reporter au texte complet disponible à cette adresse :
https://www.gutenberg.org/files/1717/17 … k2H_4_0008

Réagissant à mon propos de 2022, en étant convaincu que je lisais cette citation de travers, Elendil m'avait alors notamment fait remarquer, en privé, que selon lui Chesterton discutait là non pas des différences entre hommes et femmes en tant que tels, mais de la question du divorce et des raisons invoquées pour celui-ci, et je lui avais répondu à peu près ce qui suit.

Concernant donc cette citation de Chesterton, je peux toujours me tromper, mais ce que j'en comprends, c'est que son auteur base notamment sa réflexion sur ce qu'il croit être le sens convenu d'un motif de divorce pour « incompatibilité de caractère ». Or, quoi de plus « déclaratif », de plus vague, de plus flou, qu'un tel motif ? On peut y mettre ce que l'on veut derrière, des situations de couples se trouvant être dans une impasse de bien des façons, par divers aspects pas toujours reconnus officiellement (négligence de l'un des conjoints à l'égard de l'autre, violences psychologiques et physiques, problèmes conjugaux de sexualité et/ou de parentalité...), et qui peuvent être bien loin de relever d'un « caprice » comme a l'air de le penser Chesterton... Cela me rappelle un peu, toute proportion gardée, les arguments de certains esprits religieux anti-IVG lorsqu'ils invoquent les avortements dits « de confort » pour condamner le droit à l'IVG, droit qu'ils combattraient de toute façon même sans ce genre d'arguments plus ou moins spécieux. Le réel est complexe et les individualités sont innombrables : à mon sens, il faut en tenir compte pour juger des situations de façon générale.

Le point d'Archimède de Chesterton n'est pas l'union conjugale en général, mais le mariage chrétien catholique, qui déjà à son époque ne se confondait plus forcément avec un principe du mariage considéré comme plus ou moins universel (pour ne parler que de l'Occident). Comment pourrait-il dès lors parler pertinemment du divorce alors que les mariages chrétiens, sauf exceptions très particulières, sont censés être indissolubles ? Son sens de l'absurde se heurte forcément à ses propres idées absolues, idées qu'il ne saurait, lui, remettre en cause (d'où sans doute les limites de son humour, par ailleurs). Et il semble, à la base, comme je l'ai dit plus haut, méconnaître ce que peuvent être les motifs profonds d'un divorce, en se focalisant sur la formule « incompatibilité de caractère » pour en déduire que tous les divorcés concernés se seraient initialement mariés avec « légèreté » et par caprice passager. Cela est peut-être vrai dans certains cas, mais sans doute pas pour tous, ni même pour une majorité, loin s'en faut (idem pour les avortements dits « de confort », d'ailleurs) : le mariage est un engagement, présenté comme tel, et dont l'importance est généralement reconnue collectivement comme un élément structurant (parmi d'autres) de la vie en société. À chacun de prendre ou non ses responsabilités dans ce contexte encadré par la loi, mais le divorce n'a, en tout cas, pas été instauré simplement pour faire plaisir aux inconstants... Je tends à percevoir dans le propos de Chesterton, malgré sa personnalité originale, un de ces jugements moraux assez caractéristique des gens qui croient, eux, être forcément du côté de la vertu, a fortiori lorsque des idées absolues (ici religieuses) entrent dans l'équation.

Par là-dessus, vient s'ajouter le sexisme, Chesterton concluant que, de toute façon, les hommes et les femmes sont incompatibles. Il ne parle pas des individus humains de façon indifférenciée : il fait ici clairement une distinction entre l'homme et la femme, en tant que tels, en les essentialisant. Est-ce simplement parce qu'il parle du mariage, forcément seulement hétérosexuel à son époque ? Peut-être, à la limite, mais pour le coup ce n'est pas clair, et à vrai dire je doute que Chesterton ait été imperméable aux préjugés sexistes très forts de son époque, a fortiori au sein d'une société victorienne (au sens large du terme, chronologiquement parlant) où la non-mixité et l'homosocialité (les hommes entre eux, les femmes entre elles) étaient très généralement répandues (et n'ont jamais complètement disparues en Occident, d'ailleurs). Et que dire du caractère ouvertement arrangé de tant de mariages à l'époque ? Un tel usage, dont les institutions religieuses s'accommodent fort bien, devait faciliter pour chacun le recensement de couples plus ou moins mal assortis dans son environnement plus ou moins proche.

Pour le reste, s'agissant de cette « incompatibilité » entre l'homme et la femme dont parle explicitement Chesterton, je renvoie à ce que j'ai écrit en 2022 dans l'autre fuseau (cf. ici mon auto-citation plus haut) : du moment que la compatibilité physiologique existe, le reste est affaire d'individualités plus ou moins associables et de contextes socio-culturels plus ou moins contraignants, que l'on raisonne ou non en termes « spirituels ». Tout le monde n'est pas à égalité d'« adaptation » (ou d'« inadaptation ») face au mariage, et tout le monde n'a pas la même conception de ce que devrait être un mariage « réussi », un mariage « solide » ou un mariage « heureux » : les idéaux, la morale, le droit, et même les usages, tout cela ne définit pas absolument le réel, complexe, de la vie des individus. Et bien entendu (du moins me semble-t-il), à l'impossible nul n'est tenu : si dans un cas de mariage se révélant être une impasse pour le couple, une source de souffrances absurde pour l'un ou l'autre des conjoints ou pour les deux, on devait par principe invoquer un idéal (religieux) supérieur pour justifier que ledit mariage perdure, qui plus est avec le « soutien » (?) de « l'Institution », cela me paraitrait relever d'une sorte de « dolorisme » particulièrement pervers...

Bref, je veux bien croire que cette citation puisse être parlante pour des couples se disant chrétiens, et jugée pertinente en conséquence par les intéressés (notamment s'agissant des nécessaires efforts à faire mutuellement pour qu'un mariage dure, a fortiori en prétendant suivre des principes religieux, se voulant par essence plus « élevés » que d'autres), mais cela s'arrête-là à mon sens, sa portée me paraissant de facto loin d'être universelle... à l'image, plus généralement, de la Vérité chrétienne revendiquée comme universelle par les gens qui y croient ou prétendent y croire.

Yyr a écrit :

[édit :] Mais c'est quand même un peu hérétique sur les bords ;). Je préfère l'anthropologie selon Tom & Baie d'Or :).

Chesterton « hérétique », fut-ce seulement « sur les bords » ? Là, tu m'intéresses... ;-)
Pourrais-tu éventuellement développer ?
Et j'avoue que si tu pouvais me résumer ici ce que tu considères être l'anthropologie bombadilo-golberryenne, sans forcément me renvoyer à une trop longue relecture de certains écrits sur la « partition conjugale », cela pourrait m'être utile pour une éventuelle (éventuelle !) énième note de bas de page pour la version longue de ma conférence. ^^'

Silmo a écrit :

On peut être un chrétien qui doute et négocie.

J'ajouterai que l'on peut même être un chrétien « de gauche », à l'image du dominicain marxiste Laurence Bright dont il est question dans la lettre 254a et dont Tolkien m'a fait découvrir (sans doute malgré lui) l'existence ! ;-)

Yyr a écrit :

En fait, des fois, je me demande si tu ne reproches pas à Tolkien d'être qui il est. Il est évident qu'il doit juger selon ce qu'il pense être la référence, non ?

Oui, bien entendu.
Mais à te lire, Jérôme, je sens qu'il faut que je m'explique plus personnellement...
Dans le fond, je ne reproche pas à J. R. R. Tolkien d'être qui il est, a fortiori dans la mesure où les textes « inédits », au fur et mesure de leur dévoilement, ne font que confirmer ce que je pressentais à son propos depuis déjà fort longtemps, presque depuis le début de ma fréquentation du milieu tolkienien en fait. J'avoue qu'il m'est assez désagréable à présent de sempiternellement constater tout ce qui me sépare de lui (ici, j'avoue même que sa critique violente de l'hellénisme a quelque-chose d'insultant, à mes yeux), même si son œuvre littéraire continue de m'intéresser. Mais si je devais faire des reproches, ce serait d'abord à moi-même de m'être « fait avoir » par un certain « enrobage de sucre » littéraire, alors que je ne cherchais pas, en découvrant Tolkien, à me faire embarquer dans une expérience religieuse par laquelle j'étais déjà passé plus jeune, sans avoir eu besoin de la littérature pour cela, et sans avoir forcément besoin d'y revenir. Ce sont cependant surtout les discours sur Tolkien qui auront pu, sinon m'égarer, du moins me « perturber » dans mon appréhension de l'œuvre, particulièrement ceux minimisant le conservatisme catholique de l'auteur, en voulant rendre Tolkien compatible avec un certain paradigme progressiste/« humaniste »/« de gauche »/multiculturaliste, mais aussi tous les discours religieux à la sauce antimoderne/anti-Technique, qui pour pertinents qu'ils puissent être sur le fond (je ne l'ai jamais nié), auront fini par gâcher profondément ma lecture de cet auteur, en raison surtout de leur caractère mélioratif (vis-à-vis l'ethos religieux), auto-centré (sous couvert d'« universalisme » trompeur : la Vérité chrétienne n'est pas universelle, et tous les chrétiens devraient pouvoir faire avec), ainsi que prompt à hiérarchiser les sensibilités...

Mais il est tard... J'arrête là pour ce soir.

Bonne nuit à toutes et à tous !

Amicalement,

B.

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#207 29-09-2025 18:33

Elendil
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Re : The Letters

Hyarion a écrit :

J'avoue qu'il m'est assez désagréable à présent de sempiternellement constater tout ce qui me sépare de lui (ici, j'avoue même que sa critique violente de l'hellénisme a quelque-chose d'insultant, à mes yeux), même si son œuvre littéraire continue de m'intéresser.

Le reste mériterait un long développement que ma main droite ne peut actuellement soutenir. Néanmoins, je trouve intéressant les auteurs avec lesquelles on accuse de nettes différences tout en étant forcé de convenir qu'on apprécie beaucoup une large part de leur œuvre. Cela peut susciter d'intéressantes réflexions, me semble-t-il, à condition de ne pas ressasser sans cesse les mêmes éléments et de ne pas s'arrêter (au moins publiquement) qu'aux différences.

Sur le sujet de l'hellénisme, je ne dirais pas « insultant », mais il me semble que Tolkien exagère là, ou fait preuve d'un provincialisme certain. Je soupçonne que la vue extrêmement méliorative des Grecs (notamment au détriment des peuples germaniques), qui avait encore cours à son époque, spécialement dans les milieux érudits comme Oxford, a pu jouer par réaction. La position très inférieure de la femme par rapport à l'homme dans la société hellénique aussi, surtout si Tolkien la comparait, même implicitement, à la position de la femme dans les sociétés germaniques. A ce sujet, tu écris :

Hyarion a écrit :

Même s'il y avait bien séparation entre les sphères masculine et féminine de la vie sociale, on a cherché le fameux gynécée... et on ne l'a pas trouvé. Les historiens ont depuis mieux mis en évidence le rôle des femmes de l'Antiquité grecque dans bien des domaines, « que ce soit la maternité, l'éducation et les soins à la personne, la vie marchande, culturelle, intellectuelle et religieuse des cités, la guerre, l'évergétisme, la transmission des statuts civiques et la gestion économique des maisons », pour reprendre ici l'énumération de l'historienne helléniste Aurélie Damet (in Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique, Paris, Tallandier, coll. « Texto » 2024). Bien entendu, le vieux constat de sociétés grecques aux structures patriarcales reste d'actualité : oui, en Grèce ancienne, les femmes n'étaient pas citoyennes, elles étaient généralement sous la tutelle des hommes, impliquées dans les domaines économiques et religieux, essentielles pour la reproduction du corps civil, mais limitées vis-à-vis de la vie intellectuelle et encore plus s'agissant de la vie institutionnelle et politique. Cependant, pourquoi faudrait-il juger, même aujourd'hui, l'attitude des Grecs envers les femmes particulièrement révoltante, et considérer lesdits Grecs comme un « peuple très méchant » ?

Je veux bien que les fouilles archéologiques aient eu du mal à identifier précisément une pièce ou une suite royale qui soit indiscutablement un gynécée, mais de là à dire que cela n'aurait pas existé, on risquerait de tomber dans l'hypercritique, compte tenu de la fréquence à laquelle le gynécée est mentionné dans les textes anciens et de la manière dont les auteurs en parlent. Admettons aussi que tout n'ait pas été noir pour les femmes dans la société grecque classique ; toutefois, il serait judicieux de souligner que bon nombre de sociétés de la même période avaient une approche nettement plus libérale vis-à-vis des femmes (tout en restant des sociétés très patriarcales selon les standards qui sont les nôtres). Pour ne citer que Rome, les femmes y avaient le statut de citoyennes (sans le droit de vote, mais cela leur permettait au moins d'agir en justice), devaient (au moins symboliquement) consentir au mariage pour que celui-ci soit valide, pouvaient être propriétaires (à condition d'être sui iuris), pouvaient hériter, etc. Autant de choses impensables pour les cités grecques, selon tous les textes de lois et commentaires qui nous sont parvenus.

Ce qui n'empêche certainement pas Tolkien d'exagérer de ce point de vue-là, voire d'idéaliser la société germanique de l'époque, quand nos premiers témoignages un tant soit peu fiables sont facilement postérieurs de 800 ans à la période grecque à laquelle il semble se référer. Et s'il a pu se passer pas mal de choses dans ce laps de temps dans le bassin méditerranéen, il serait quelque peu naïf, me semble-t-il, de supposer que les sociétés germaniques sont restées entièrement stables pendant ce temps. De fait, pour les rares domaines quelques peu documentés (organisation politico-militaire, principalement), il y a des preuves que la société germanique a pas mal évolué en réaction à l'Empire romain.

E.

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#208 29-09-2025 22:36

Beruthiel
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Re : The Letters

Les discussions liées au fuseau Revue de presse et à celui-ci s’étant mêlées, j’interviens ici.

Merci Hyarion pour la traduction de la lettre de Tolkien, Sosryko pour le lien vers l’article de Fontenelle dans La revue du Crieur. Pour quelqu’un qui, comme moi, n’a pas lu les lettres de Tolkien, l’extrait cité par Fontenelle à propos des femmes est éclairant… Ceci dit, Fontenelle traite très superficiellement de cette problématique dans l’œuvre de Tolkien.

Hyarion, je partage ton sentiment sur la citation de Chesterton. J’y vois aussi une référence à une supposée différence de nature inévitable entre homme et femme ( « For a man and a woman, as such, are incompatible »).  Même en admettant que certaines différences de comportement moyen ne puissent pas s’expliquer par la culture, il faut faire la part des singularités individuelles : ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on va forcément agir et penser de telle manière, idem pour les hommes...

C.

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#209 Hier 23:57

Hyarion
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Re : The Letters

Elendil a écrit :
Hyarion a écrit :

J'avoue qu'il m'est assez désagréable à présent de sempiternellement constater tout ce qui me sépare de lui (ici, j'avoue même que sa critique violente de l'hellénisme a quelque-chose d'insultant, à mes yeux), même si son œuvre littéraire continue de m'intéresser.

Le reste mériterait un long développement que ma main droite ne peut actuellement soutenir. Néanmoins, je trouve intéressant les auteurs avec lesquelles on accuse de nettes différences tout en étant forcé de convenir qu'on apprécie beaucoup une large part de leur œuvre. Cela peut susciter d'intéressantes réflexions, me semble-t-il, à condition de ne pas ressasser sans cesse les mêmes éléments et de ne pas s'arrêter (au moins publiquement) qu'aux différences.

Je suis d'accord, et bien sûr, me concernant, s'il n'y avait pas une dimension malgré tout intéressante dans tout cela, il y a longtemps notamment que j'aurai déserté la « planète Tolkien ».

Elendil a écrit :

Sur le sujet de l'hellénisme, je ne dirais pas « insultant », mais il me semble que Tolkien exagère là, ou fait preuve d'un provincialisme certain. Je soupçonne que la vue extrêmement méliorative des Grecs (notamment au détriment des peuples germaniques), qui avait encore cours à son époque, spécialement dans les milieux érudits comme Oxford, a pu jouer par réaction. La position très inférieure de la femme par rapport à l'homme dans la société hellénique aussi, surtout si Tolkien la comparait, même implicitement, à la position de la femme dans les sociétés germaniques.

Si la critique de Tolkien me parait ici assez insultante, c'est plus globalement à l'égard de l'hellénisme tel qu'il le conçoit lui-même comme ne se limitant pas à la Grèce antique mais concernant aussi l'Occident héritier de cette dernière jusqu'à nos jours, l'« hellénisme répugnant » dont il parle comprenant, dans son esprit, aussi bien la « paganisme » pré-chrétien que la modernité « post-chrétienne ». Cela fait beaucoup de monde à considérer comme ayant une pensée suscitant le dégoût chez Tolkien et dévaluée par lui en conséquence...

Ceci dit, je suis d'accord, sur le principe, que la perception qu'il pouvait avoir des sociétés germaniques a pu l'influencer, y compris peut-être par l'intermédiaire littéraire de William Morris, qui avait notamment une vision volontiers idéalisée des Germains face aux Romains.

Elendil a écrit :
Hyarion a écrit :

Même s'il y avait bien séparation entre les sphères masculine et féminine de la vie sociale, on a cherché le fameux gynécée... et on ne l'a pas trouvé. Les historiens ont depuis mieux mis en évidence le rôle des femmes de l'Antiquité grecque dans bien des domaines, « que ce soit la maternité, l'éducation et les soins à la personne, la vie marchande, culturelle, intellectuelle et religieuse des cités, la guerre, l'évergétisme, la transmission des statuts civiques et la gestion économique des maisons », pour reprendre ici l'énumération de l'historienne helléniste Aurélie Damet (in Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique, Paris, Tallandier, coll. « Texto » 2024). Bien entendu, le vieux constat de sociétés grecques aux structures patriarcales reste d'actualité : oui, en Grèce ancienne, les femmes n'étaient pas citoyennes, elles étaient généralement sous la tutelle des hommes, impliquées dans les domaines économiques et religieux, essentielles pour la reproduction du corps civil, mais limitées vis-à-vis de la vie intellectuelle et encore plus s'agissant de la vie institutionnelle et politique. Cependant, pourquoi faudrait-il juger, même aujourd'hui, l'attitude des Grecs envers les femmes particulièrement révoltante, et considérer lesdits Grecs comme un « peuple très méchant » ?

Je veux bien que les fouilles archéologiques aient eu du mal à identifier précisément une pièce ou une suite royale qui soit indiscutablement un gynécée, mais de là à dire que cela n'aurait pas existé, on risquerait de tomber dans l'hypercritique, compte tenu de la fréquence à laquelle le gynécée est mentionné dans les textes anciens et de la manière dont les auteurs en parlent.

En écrivant précédemment que l'on a cherché le gynécée et qu'on ne l'a pas trouvé, je n'ai fait que suivre le consensus scientifique actuel, l'historienne Pauline Schmitt Pantel ayant parlé d'un « introuvable gynécée » il y a déjà plus de quinze ans. S'agissant des sources écrites mentionnant un espace réservé aux femmes, elles sont en fait rares et relatives à des cas particuliers. Ainsi, dans l'Économique de Xénophon, dont un riche propriétaire athénien marié et nommé Ischomaque est un des personnages principaux (avec Socrate), il est bien question, dans la maison dudit Ischomaque, d'un « appartement des femmes (gunaikônitis), séparé de l'appartement des hommes (andrônitis) par une porte fermant à clef pour éviter que l'on n'emporte rien indûment et que les esclaves n'aient des enfants sans notre permission », mais il s'agit là d'une des pièces où sont placés les esclaves dont la sexualité est contrôlé par leurs maîtres, et non d'une pièce où aurait été recluse l'épouse d'Ischomaque. Quant aux sources archéologiques et iconographiques, elles font naturellement l'objet d'interprétations, mais sachant qu'il faut savoir distinguer notamment le domaine des représentations et celui des pratiques réelles s'agissant des hommes et des femmes. L'étude archéologique des maisons d'Olynthe dans le nord de la Grèce n'a pas permis, en tout cas, d'attribuer une pièce de la maison qui soit spécifiquement « féminine ». Les pièces des maisons étaient organisées autour d'une cour centrale et les femme pouvaient circuler librement dans la plupart de ces espaces domestiques pouvant avoir plusieurs fonctions, ce qui n'empêchaient certes pas les Grecs de surveiller leurs épouses et leurs filles, particulièrement s'agissant de leurs sorties en extérieur et de leurs contacts avec les visiteurs. Ce qui importait à l'époque, ce n'était pas de répartir hommes et femmes de façon binaire dans des pièces spécifiques, mais de distinguer les membres de l'oikos (la maison, la famille) et les personnes extérieures. Voici ce qu'écrit Aurélie Damet dans un chapitre du livre que j'ai cité précédemment et consacré à la philosophe cynique grecque Hipparchia de Maronée, épouse par choix de Cratès de Thèbes, égale de son mari, allant jusqu'à pratiquer librement des ébats publics avec lui, et dont elle eu deux enfants (je ne cite pas toutes les notes accompagnant cet extrait) :

    Hipparchia emboîte le pas cynique de Cratès et suit son compagnon dans les banquets, lieu par excellence de la sociabilité des hommes. Une épouse de citoyen entre rarement dans l'andrôn de la maison, salle dont le nom même indique qu'il s'agit d'un lieu réservé à la commensalité masculine. Les fouilles archéologiques ont révélé de tels espaces à Olynthe, à Érétrie ou à Athènes : les pièces sont décorées, peintes, aménagées de divans pour s'y allonger, manger et boire, ainsi que se pratique le banquet grec. Mes ces pièces qui servent parfois d'andrôn hébergent aussi des événements cultuels ou familiaux, et pas uniquement des repas entre hommes. On y accueille la naissance d'un enfant, on y fête des mariages, on y fait la toilette des morts. C'est là une donnée essentielle de l'espace domestique grec : sa flexibilité. Les pièces ne sont pas conçues pour abriter une seule occupation, et leur assignation peut changer au fil du temps.
[...]
    Que les femmes de la maison restent au seuil de l'andrôn ne signifie pas qu'elles sont reléguées dans un « gynécée », que l'on a longtemps considéré comme un espace de ségrégation et de réclusion avant que divers travaux en prouvent l'inexistence. Une distinction fondamentale est certes faite entre ceux qui appartiennent à l'oikos et ceux qui y sont extérieurs. C'est ainsi qu'il faut appréhender l'interdiction tacite faite aux femmes de la maison de rencontrer les hommes qui viennent banqueter avec leur mari, et la transgression opérée par Hipparchia. En revanche, rien n'interdit aux épouses de recevoir chez elles la visite de leur frère ou de leur père, ainsi que de leurs amies. Il n'y a donc pas « d'appartements des femmes » dans les maisons grecques — un aménagement économiquement impossible dans la plupart des modestes demeures. En fait, la séparation entre les femmes de l'oikos et les hommes de l'extérieur, ainsi que le contrôle des allées et venues des individus, est assurée par l'architecture des maisons qui comprend une entrée unique et une cour, voire deux cours à partir du IVe siècle av. J.-C.(*). C'est ainsi que la surveillance des femmes s'opère. Elle se formalise davantage dans les contrats de mariage de l'Égypte hellénistique et romaine, où des clauses prévoient que les épouses ne puissent pas s'absenter de leur oikos, de jour comme de nuit, à l'insu de leur époux.

(*): Pour une description comique de la surveillance des femmes athéniennes par leurs époux, voir Aristophane, Les Thesmophories, v. 788-797 [...].

Aurélie Damet, Les Grecques. Destins de femmes en Grèce antique, Paris, Tallandier, coll. « Texto » 2024, IX., p. 124-125

Le « gynécée » grec, tel qu'on l'a longtemps imaginé en Occident en suivant le modèle du harem, est de fait une construction du XIXe siècle, influencé par l'orientalisme, dont j'ai par ailleurs déjà envisagé, précédemment, le possible rôle dans la perception morale que Tolkien avait des mœurs des Juifs/Judéens antiques vis-à-vis de celles d'autres peuples du Proche-Orient.

Elendil a écrit :

Admettons aussi que tout n'ait pas été noir pour les femmes dans la société grecque classique ; toutefois, il serait judicieux de souligner que bon nombre de sociétés de la même période avaient une approche nettement plus libérale vis-à-vis des femmes (tout en restant des sociétés très patriarcales selon les standards qui sont les nôtres). Pour ne citer que Rome, les femmes y avaient le statut de citoyennes (sans le droit de vote, mais cela leur permettait au moins d'agir en justice), devaient (au moins symboliquement) consentir au mariage pour que celui-ci soit valide, pouvaient être propriétaires (à condition d'être sui iuris), pouvaient hériter, etc. Autant de choses impensables pour les cités grecques, selon tous les textes de lois et commentaires qui nous sont parvenus.

Je connais les différences entre les Grecs et les Romains en matière de condition féminine dans l'Antiquité, et j'aurai pu les mentionner dans mon message du 18 août mais je voulais éviter d'être trop long dans mes commentaires de ma traduction... et puis il est bon, de toute façon, que d'autres apportent des compléments sur ce fuseau. ^^

Beruthiel a écrit :

Merci Hyarion pour la traduction de la lettre de Tolkien, Sosryko pour le lien vers l'article de Fontenelle dans La revue du Crieur. Pour quelqu'un qui, comme moi, n'a pas lu les lettres de Tolkien, l'extrait cité par Fontenelle à propos des femmes est éclairant... Ceci dit, Fontenelle traite très superficiellement de cette problématique dans l'œuvre de Tolkien.

Merci d'évoquer cela, Beruthiel : cela me donne l'occasion de corriger un oubli de ma part dans ma réponse au message de Sosryko dans le fuseau « Revue de presse » à propos de l'article de Fontenelle, oubli que je peux aussi bien réparer dans le présent fuseau dédié à la correspondance de J. R. R. Tolkien.
L'extrait de lettre que tu as lu dans l'article en question a été incorrectement référencé par Fontenelle, lequel parle d'une lettre de l'écrivain à Christopher Tolkien du 12 janvier 1941, en confondant avec la lettre 42 datée de ce jour-là à l'autre fils Michael Tolkien, laquelle n'étant pas non plus la source, puisqu'il s'agit en fait d'un extrait de la « fameuse » lettre 43 à Michael Tolkien des 6-8 mars 1941 :

[...] The sexual impulse makes women (naturally when unspoiled more unselfish) very sympathetic and understanding, or specially desirous of being so (or seeming so), and very ready to enter into all the interests, as far as they can, from ties to religion, of the young man they are attracted to. No intent necessarily to deceive: sheer instinct: the servient, helpmeet instinct, generously warmed by desire and young blood. Under this impulse they can in fact often achieve very remarkable insight and understanding, even of things otherwise outside their natural range: for it is their gift to be receptive, stimulated, fertilized (in many other matters than the physical) by the male. Every teacher knows that. How quickly an intelligent woman can be taught, grasp his ideas, see his point – and how (with rare exceptions) they can go no further, when they leave his hand, or when they cease to take a personal interest in him. But this is their natural avenue to love. [...]

[...] L'impulsion sexuelle rend les femmes (naturellement moins elles ont été gâtées, moins elles sont égoïstes) très compatissantes et compréhensives, ou particulièrement désireuses de l'être (ou de le paraître), et tout à fait prêtes à partager, dans la mesure du possible, tous les intérêts du jeune homme qui les attire, de la famille à la religion. Sans forcément l'intention de tromper : par pur instinct – l'instinct de la subalterne, de la compagne, généreusement animé par le désir et la jeunesse. Mues par cette impulsion, elles peuvent effectivement parvenir souvent à un remarquable degré de perspicacité et de compréhension, même pour les choses qui se trouvent d'ordinaire en dehors de leur domaine naturel ; car c'est un don qu'elles ont d'être réceptives, stimulées, fertilisées (sur bien d'autres plans que le seul physique) par l'homme. Tout professeur le sait. Qu'une femme intelligente peut rapidement apprendre, saisir ses idées, voir où il veut en venir ; et (à de rares exceptions près) qu'elles ne peuvent aller plus loin, quand elles lâchent sa main, ou quand elles cessent de lui trouver un intérêt particulier. Mais cela est la voie naturelle qui les mène à l'amour. [...]

The Letters of J.R.R. Tolkien, éditées et choisies par Humphrey Carpenter avec l'assistance de Christopher Tolkien, édition révisée et augmentée, Londres, HarperCollinsPublishers Ltd, 2023, Lettre 43 (à Michael Tolkien), p. 68.

Traduction citée dans l'article de Fontenelle.


Il a déjà été question ici de cette lettre 43... mais je n'en dirais pas plus... car je tombe de sommeil...

Beruthiel a écrit :

Hyarion, je partage ton sentiment sur la citation de Chesterton. J’y vois aussi une référence à une supposée différence de nature inévitable entre homme et femme ( « For a man and a woman, as such, are incompatible »).  Même en admettant que certaines différences de comportement moyen ne puissent pas s’expliquer par la culture, il faut faire la part des singularités individuelles : ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on va forcément agir et penser de telle manière, idem pour les hommes...

Merci de partager mon sentiment. ^^

Amicalement,

B.


[EDIT: correction de fautes diverses...]

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#210 Aujourd'hui 01:51

Silmo
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Re : The Letters

A noter d'une pierre blanche, le plus court message de Hyarion de toute l'histoire  wink  tongue  smile

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#211 Aujourd'hui 03:18

Hyarion
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Re : The Letters

Silmo a écrit :

A noter d'une pierre blanche, le plus court message de Hyarion de toute l'histoire  ;)  :p  :)

Attention aux illusions d'optique ! ;-)
La version complète d'un message posté avant minuit peut être éditée dans la nuit, entre deux assoupissements... ^^'

Bonne fin de nuit !

Amicalement,

B.

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#212 Aujourd'hui 07:49

Silmo
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Re : The Letters

Hi, hi, hi. Je me disais bien que c'était étrange.
Que tes assoupissements soient remplis de beaux rêves et que les insomnies soient rares.
S.

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#213 Aujourd'hui 09:26

Elendil
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Re : The Letters

Là n'était pas le sujet premier, mais je reviens sur le gynécée. Il est évident qu'il ne faudrait pas confondre cela avec le harem musulman, moins encore avec les représentations fantasmées qui imbibent un certain imaginaire occidental depuis la vague orientaliste du XIXe siècle (sinon avant). Il est tout aussi évident qu'imaginer un appartement réservé aux femmes dans les modestes demeures des citoyens pauvres ou de la classe moyenne en Grèce antique serait aberrant, car c'est tout simplement impossible. De même, les femmes n'étaient pas strictement cloîtrées chez les Grecs, puisque certaines d'entre elles étaient forcées de sortir de leur demeure pour des raisons économiques et que même celles des citoyens riches pouvaient le faire (notamment pour les cérémonies religieuses, mais certainement dans bien d'autres circonstances, au moins avec l'assentiment de leur mari ou tuteur). De même, on a un certain nombre d'exemples de femmes recevant des hommes au sein de leurs appartements, même pour la Grèce archaïque (je pense notamment au fait que Télémaque rencontre Hélène lors de sa visite à Ménélas dans l'Odyssée). Il est certainement évident aussi que les femmes, dans la plupart des cas, avaient accès à l'ensemble de la maisonnée (il fallait bien qu'elles puissent coordonner les activités domestiques, si même elles ne les accomplissaient pas elles-mêmes), du moins tant qu'aucun étranger n'était présent.

Néanmoins, il serait déjà absurde de considérer les Cyniques comme représentatifs de la société grecque de l'époque (rien que leur nom indique à quel point ils s'éloignaient des conventions habituelles de la vie sociale). Par ailleurs, je persiste à affirmer qu'il serait stupide de nier sans autre forme de procès les assez nombreuses mentions du gynécée dans la littérature grecque, chez Homère comme chez les Classiques (et même après la conquête romaine, semble-t-il, voir notamment γυναικεῖος et γυναικωνῖτις) ou les nombreuses représentations picturales de l'époque. Les fouilles archéologiques sont certes un élément très important des recherches, mais l'attitude voulant aboutir à des conclusions uniquement fondées sur l'archéologie est aussi riche en erreurs que celle qui ne prend en compte que la littérature au détriment de l'archéologie.

Et même l'archéologie montre que l'architecture des maisons riches était structurée de manière à pouvoir surveiller les mouvements des gens qui s'y trouvaient (ce qui doit pouvoir s'appliquer aux faits et gestes des esclaves comme à ceux des femmes... ou des invités) et que la présence d'un andron, parfois précédé d'un vestibule et systématiquement suivi d'appartements privés implique la possibilité de reléguer les femmes dans le « gynécée » au moins pendant le temps de recevoir des invités (masculins) ; cf. Lisa Nevett, « Greek houses as a source of evidence for social relations », British School at Athens Studies, 15, 2007, p. 5-10, et Lloyd Llewellyn-Jones, « House and veil in ancient Greece », ibid., p. 251-258, par ex.

Je constate au demeurant que ce sujet semble nettement moins abordé dans les études francophones et que Pauline Schmitt Pantel, qui a visiblement des opinions très tranchées à ce sujet (ce qui ne remet évidemment pas en cause son expertise de la matière grecque), semble avoir considérablement influencé les recherches ultérieures (incidemment, Aurélie Damet, lorsqu'elle parle de « divers travaux en prouvent l'inexistence [celle du gynécée] » ne cite aucune source : mauvaise pratique à mes yeux).

E.

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#214 Aujourd'hui 11:15

Yyr
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Re : The Letters

Hyarion a écrit :
Yyr a écrit :

[édit :] Mais c'est quand même un peu hérétique sur les bords ;). Je préfère l'anthropologie selon Tom & Baie d'Or :).

Chesterton « hérétique », fut-ce seulement « sur les bords » ? Là, tu m'intéresses... ;-)
Pourrais-tu éventuellement développer ?
Et j'avoue que si tu pouvais me résumer ici ce que tu considères être l'anthropologie bombadilo-golberryenne, sans forcément me renvoyer à une trop longue relecture de certains écrits sur la « partition conjugale », cela pourrait m'être utile pour une éventuelle (éventuelle !) énième note de bas de page pour la version longue de ma conférence. ^^'

Oui c'est très simple, elle est celle d'une complémentarité sexuelle : l'homme est incomplet sans la femme et la femme sans l'homme, ou encore : l'un trouve sa complétude grâce à l'autre (ce qui vaut aussi plus généralement pour l'individu en général : celui-ci ne s'accomplit, son œuvre n'a de sens, que si son œuvre est finalisée par la relation à l'autre). Il n'y a qu'à se reporter à la seule fin de la partition conjugale :

Lorsque ces deux natures [terme sans doute pas tout-à-fait adéquat ...] s'harmonisent, comme ce peut être le cas chez Manwë et Varda qui « se séparent rarement » (Valaquenta), alors :

Quand Manwë monte sur son trône, son regard, si Varda est à ses côtés, voit plus loin qu'aucun autre regard, à travers les brumes et dans l'obscurité, par-dessus les étendues marines. Et lorsque Manwë est auprès d'elle, Varda entend plus clairement que tout autre les cris des voix qui viennent de l'est et de l'ouest, par-delà les monts et les vaux, celles qui viennent aussi des lieux ténébreux que Melkor a placés sur la Terre.

[Et l'on se souvient que, chez Tolkien, la vue est instrument de puissance tandis que l'ouïe est instrument de parole (connaissance, sagesse) et donc d'appel vivant (cf. Pour la gloire de ce monde, « Le seuil et le centre », pp.54 sq.).]

SCLI, p.17

L'harmonie du couple royal d'Ilmarin nous ramène à celle du couple royal de la Vieille Forêt.
Sur cette partition, le « Maître » (SdA, I.7) « couronné » (ATB) et celle qui est comparée à « une jeune reine elfique » (SdA, I.7), aux pas si différents, « cependant [...] paraissaient ne composer qu’une seule danse » (SdA, I.7).

Mais si tu dois renvoyer à une référence, le mieux est de renvoyer à l'article de Sosryko : « Un secours comme un vis-à-vis », dans Pour la gloire de ce monde.

Yyr a écrit :

En fait, des fois, je me demande si tu ne reproches pas à Tolkien d'être qui il est. Il est évident qu'il doit juger selon ce qu'il pense être la référence, non ?

Oui, bien entendu.
Mais à te lire, Jérôme, je sens qu'il faut que je m'explique plus personnellement...
Dans le fond, je ne reproche pas à J. R. R. Tolkien d'être qui il est, a fortiori dans la mesure où les textes « inédits », au fur et mesure de leur dévoilement, ne font que confirmer ce que je pressentais à son propos depuis déjà fort longtemps, presque depuis le début de ma fréquentation du milieu tolkienien en fait. J'avoue qu'il m'est assez désagréable à présent de sempiternellement constater tout ce qui me sépare de lui (ici, j'avoue même que sa critique violente de l'hellénisme a quelque-chose d'insultant, à mes yeux), même si son œuvre littéraire continue de m'intéresser. Mais si je devais faire des reproches, ce serait d'abord à moi-même de m'être « fait avoir » par un certain « enrobage de sucre » littéraire, alors que je ne cherchais pas, en découvrant Tolkien, à me faire embarquer dans une expérience religieuse par laquelle j'étais déjà passé plus jeune, sans avoir eu besoin de la littérature pour cela, et sans avoir forcément besoin d'y revenir. Ce sont cependant surtout les discours sur Tolkien qui auront pu, sinon m'égarer, du moins me « perturber » dans mon appréhension de l'œuvre, particulièrement ceux minimisant le conservatisme catholique de l'auteur, en voulant rendre Tolkien compatible avec un certain paradigme progressiste/« humaniste »/« de gauche »/multiculturaliste, mais aussi tous les discours religieux à la sauce antimoderne/anti-Technique, qui pour pertinents qu'ils puissent être sur le fond (je ne l'ai jamais nié), auront fini par gâcher profondément ma lecture de cet auteur, en raison surtout de leur caractère mélioratif (vis-à-vis l'ethos religieux), auto-centré (sous couvert d'« universalisme » trompeur : la Vérité chrétienne n'est pas universelle, et tous les chrétiens devraient pouvoir faire avec), ainsi que prompt à hiérarchiser les sensibilités...

Merci beaucoup Benjamin.
Lundi matin, quand j'ai lu ton message, cela m'a fait du bien, et je t'ai béni.
Il y a là une sincérité, une authenticité ... et un côté nietzschéen, presque, par un certain aspect, qui me touche, chez lui.
Merci pour cette réponse franche.
Je pense que beaucoup n'ont pas cette franchise.
Pour le reste il n'y a pas à s'éterniser : c'est le cœur de la foi chrétienne que la Révélation soit universelle, parfaitement accomplie dans le Christ, et pour cette raison, pierre d'achoppement. Il est donc normal que cela fasse scandale pour celui qui n'est pas Chrétien. Mais aussi, cela entraîne, de la part des Chrétiens, qui ne sont pas le Christ, une inadéquation à le dire sans l'incarner vraiment ...

Beruthiel a écrit :

Hyarion, je partage ton sentiment sur la citation de Chesterton. J’y vois aussi une référence à une supposée différence de nature inévitable entre homme et femme ( « For a man and a woman, as such, are incompatible »).  Même en admettant que certaines différences de comportement moyen ne puissent pas s’expliquer par la culture, il faut faire la part des singularités individuelles : ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on va forcément agir et penser de telle manière, idem pour les hommes...

Absolument.
J'aime Chesterton à cause de son côté provoquant mais ...

Silmo a écrit :

A noter d'une pierre blanche, le plus court message de Hyarion de toute l'histoire  ;)  :p  :)

Hi ! Hi ! Hi ! :)
Excellent (et la réponse de Benjamin aussi ;)).

Mais ce qui est à marquer d'une pierre blanche, je trouve, c'est cet échange entre nous tous d'un meilleur ton qu'autrefois.
Et encore un grand merci à Hyarion & Elendil pour cette érudition croisée et éclairante.

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