HOMMAGE à J.R.R. TOLKIEN
*
Sommaire
I. Introduction
II. Tolkien
- Présentation
III. Amalgames
IV. Une ouvre
planétaire
V. Pourquoi
un tel engouement ?
VI. Le Légendaire
VII. L'Imaginaire
à l'honneur
VIII. Tolkien,
créateur d'un genre
IX. Tolkien,
vecteur de découvertes
X. Tolkien à
la mode
XI. Le Seigneur
des Anneaux au cinéma
XII. Conclusion
Annexe - Bibliographie
I. Introduction
Nous sommes des millions
de lecteurs à aimer Tolkien et à faire son éloge auprès de nos proches, nos
amis, sur notre lieu de travail, sur Internet. Mais nous sommes peu à jamais
avoir tenté d'en expliquer les raisons.
Cet article se veut une
tentative d'explication : pourquoi un lecteur qui a aimé lire Tolkien continue-t-il
à le faire et pourquoi cherche-t-il à mieux le comprendre en le lisant plus
attentivement qu'un auteur « ordinaire ». La question est rarement
posée car il est vraiment difficile d'y répondre. En effet, comme toute ouvre
d'imagination, celle de Tolkien touche plus ou moins personnellement chaque
lecteur, selon sa vie, sa culture, ses lectures, etc. C'est ce que Tolkien appelait
l' « applicabilité » d'une histoire. Et c'est justement parce que
lire Tolkien est une expérience si forte et si « intime » qu'il est
difficile de l'exprimer. Pour preuve, aux questions devenues classiques comme
« Quel est votre personnage favori ? » ou encore « Quel est votre
passage favori ? », le nombre de réponses différentes est impressionnant.
Néanmoins, restituer une expérience
personnelle (celle du rédacteur de ces lignes) peut apporter un début
de réponse et être par là un peu le porte-parole de la multitude de fans
de Tolkien. L'objectif que je m'attribue est celui qui consistera à tenter
de vous faire partager cet engouement, à vous, qui peut-être n'avez pas
lu Tolkien ; ou plus modestement de vous faire découvrir qui est
cet auteur dont on parle tant et dont on parlera probablement de plus
en plus. Non pas au travers d'une étude mais par la transcription d'un
témoignage de lecteur.
II. Tolkien - Présentation
Parce que le personnage de J.R.R.
Tolkien est totalement étonnant, il nous faut en parler. J.R.R. Tolkien
(1892-1973), écrivain, connu pour son ouvre maîtresse Le Seigneur des
Anneaux était avant tout professeur de philologie à Oxford. En tant
que spécialiste de langue et de littérature médiévales, sa plus importante
contribution au domaine furent ses travaux sur Beowulf (le plus
vieux poème anglo-saxon qui ait survécu) parus dans Beowulf, The
Monsters and the Critics. On lui doit également une édition critique
de Sir Gawain and the Green Knight et sa collaboration à la nouvelle
édition du Oxford English Dictionary.
Son métier de philologue
l'amènera sur les voies de l'écriture car s'il était professeur une partie de
ses heures, il passa le reste de ses jours et ses nuits à être écrivain et a
créer un monde élaboré, complexe et cohérent : la Terre du Milieu.
Plus qu'une ouvre d'imagination, c'est une véritable mythologie qui va voir
le jour sous sa plume.
Homme discret, simple dans son style
de vie, il sera un écrivain d'une incroyable prodigalité. A tel point
que l'on peut se demander comment un seul homme, dans une seule vie, a-t-il
pu avoir autant d'imagination et le temps de poser sur le papier le résultat
de son esprit fertile ?[1]
Auteur de plusieurs contes et romans
au succès mondial, Tolkien mourra en 1973 et sera l'un des rares écrivains
à avoir connu un tel succès de son vivant.
Cette trop courte présentation
(nous présenterons prochainement une biographie plus complète)
ne peut bien évidemment montrer qui était véritablement cet homme et les
événements qui ont marqué sa vie et influencé son ouvre. C'est pourquoi
nous ne saurions trop conseiller de lire sa remarquable biographie (rédigée
de son vivant) par Humphrey Carpenter[2].
III. Amalgames
Avant d'examiner plus avant ce
qu'est l'ouvre de Tolkien, nous aimerions avant toute autre chose dénoncer
ce qu'elle n'est pas, et dans le même temps nous défaire ainsi des éternels
clichés dont elle souffre encore, véritables freins à sa compréhension.
Nous ne décrions bien entendu pas le
genre, mais le travail de Tolkien n'est pas le scénario de base d'un jeu
vidéo et pas davantage une matière à la création de campagnes de Jeux
de Rôle. Ces occupations ludiques sont certes intéressantes mais le reproche
que l'on pourrait faire aux éditeurs de jeux est qu'ils font parfois passer
pour vraie une invention qui leur est propre. Les exemples abondent de
personnes ayant fait l'amalgame entre les jeux de rôle et les écrits de
Tolkien et de prendre pour avérés dans les romans un élément du scénario
d'un jeu. Il est plaisant de pouvoir retrouver dans un jeu vidéo, de rôle,
de plateau ou de cartes un peu de l'atmosphère du Seigneur des Anneaux
mais soyons sur nos gardes et veillons bien à ne pas faire la confusion
entre une ouvre littéraire et ce qui n'est qu'un « produit dérivé »
à l'unique vocation commerciale.
Un autre point sur lequel nous éviterons
d'associer Tolkien est le raz-de-marée hippie. Certes, celui-ci est maintenant
révolu, et avec lui l'association du Seigneur des Anneaux à ce
mouvement. Nous ne pouvons en parler ni tenter d'expliquer pourquoi cette
association a eu lieu, nous ne sommes pas de cette génération et avouons
avoir bien du mal à s'y projeter. Mais aujourd'hui, si l'on regarde les
témoignages de ce temps et comment un « trip » à l'acide pouvait
soi-disant faire voyager en la Terre du Milieu, cela donne une
bien mauvaise perception de ce qu'est vraiment l'ouvre de Tolkien et de
son véritable lectorat. Lui-même ne comprenait pas plus cette exaltation,
voire la frénésie, qu'inspiraient ses romans.
Enfin, nous tairons les images que
donnent certains documentaires lorsqu'ils montrent certains fans chanter
en Quenya (une des langues inventées par Tolkien - nous y reviendrons
plus tard) devant sa tombe. C'est ce genre d'images qui a sûrement concouru
à créer une mauvaise réputation à Tolkien ou tout au moins à en montrer
une image déformée. Car pour ces personnes (une infime minorité), le Monde
de Tolkien a semble-t-il remplacé le nôtre. Nous sommes ici dans l'excès,
ce dont nous devons nous démarquer.
IV. Une
ouvre planétaire
L'ouvre du Professeur Tolkien
est universelle, traduite en des dizaines de langues, publiée à des millions
d'exemplaires et lue par autant de personnes qui en ont gardé un souvenir
souvent indélébile. Etudiée dans les classes de cours, à l'université,
objet de mémoires et de thèses d'universitaires, elle touche toutes les
couches de la population. Du scientifique au philosophe, de l'avocat au
jardinier, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, l'impassibilité n'existe
pas. Sa lecture appelle forcément un commentaire et ne laisse pas indifférent.
C'est sûrement pour cela que vous lisez ces lignes.
V. Pourquoi un tel engouement ?
Si Tolkien touche ses lecteurs,
c'est qu'il fait rêver. Non pas rêver pour fuir la réalité de notre temps
mais rêver pour sortir grandi d'une histoire où l'on peut en quelque sorte
se sentir acteur. Non un acteur dans l'histoire mais acteur une fois que
le livre a rejoint sa bibliothèque. A ce moment-là, nous pouvons en parler,
poser nos questions, tenter de répondre à d'autres. Acteur parce qu'il
nous prend l'envie de prendre la plume et d'écrire ces lignes. Parce que
lire une histoire, ne pas y réagir, en profiter tout bonnement ne suffit
pas. Et vous êtes sûrement comme nous, à vouloir trouver d'autres lecteurs
avec qui partager vos impressions.
L'ouvre de Tolkien inspire de nombreuses
questions et encore plus de commentaires. Deux lecteurs de Tolkien qui
se rencontreront auront forcément quelque chose à se dire, des images
et descriptions à échanger, d'impressions à raconter. C'est ce qui fait
la richesse de ses écrits, le fait que les images ne meurent pas, que
l'on a l'impression de connaître les personnages. Rares sont les auteurs
à pouvoir inspirer ce « vécu ». Fowles, Burgess et un petit
nombre d'auteurs de littérature « classique » l'ont réussi mais
Tolkien, parce qu'il décrit un monde totalement imaginaire, inspire un
respect nouveau face à cette performance.
Sans vouloir nous risquer dans un examen
psychologique de ses lecteurs, nous dirons que Le Seigneur des Anneaux parle
à la fois à notre côté enfant et à l'adulte que nous sommes (où en passe
de l'être). Le côté « Aventures » nous ramène à une époque de
notre vie où nous jouions au Robinson, à l'aventurier sans peur. Qui n'a
aimé se construire un abri, une cabane et y rassembler ses jouets et autres
trésors de « guerre » ? Cette dimension, nous la retrouvons
en grande partie dans les deux premiers livres du Seigneur alors
que les Hobbits s'en vont vers l'inconnu, découvrir de nouveaux horizons
et paysages et faire de « nombreuses rencontres ». Les Hobbits
représentent ce côté enfant du lecteur, c'est pourquoi nous les comprenons
si bien. Plus loin, ces mêmes Hobbits traversent de dures épreuves et
grandissent en âme et en sagesse, ils arrivent à l'âge adulte. Ici, nous
faisons face à l'enjeu de la situation et prenons conscience qu'à chaque
moment la Quête peut se terminer de manière abrupte avec la Chute de son
porteur. Il faut également être adulte pour considérer pleinement la dimension
mythique et la portée philosophique des thèmes abordés dans le Seigneur.
L'ultime raison de cet engouement réside
tout simplement dans la qualité de l'écriture. La fascination de Tolkien
pour les langues se voit dans ses écrits. Pour lui, la poésie d'une langue
est dans les vers mais aussi dans les mots eux-mêmes. La grammaire, la
syntaxe, la sonorité d'une langue sont pour lui une vraie Musique. Quel
plaisir de suivre le rythme des phrases, de goûter les rimes des poèmes,
de tenter de mettre des notes sur les chansons. Le Seigneur c'est
aussi un certain nombre de chapitres prodigieux qui imprègnent à jamais
notre vécu de lecteur. L'apparition du Balrog dans la Moria, celle des
Ents dans la forêt de Fangorn sont renversantes d'originalité et d'inspiration.
Et tout au long de l'ouvrage, ce sont ici des moments de joie, là de surprises
et d'inquiétude qui font que les lecteurs de Tolkien ne sont pas peu prolixes
lorsqu'ils parlent de lui.
VI. Le Légendaire
Sous le terme de « Légendaire »,
Tolkien range ses écrits qui ont trait aux événements se déroulant sur
Arda contrairement à d'autres productions qui n'en font pas partie (on
pourra citer notamment les contes Roverandom ou Le Fermier
Giles de Ham).
Les éléments les plus connus de ce
Légendaire sont Le Silmarillion, Bilbo le Hobbit et l'incontournable
Seigneur des Anneaux. Il serait vain de tenter de résumer ces trois
titres dans ces quelques pages mais voici ce que nous pouvons en dire.
Le Silmarillion dépeint la création
du monde inventé par Tolkien où l'ensemble de ses personnages évolueront.
Paradoxalement paru en dernier, édité de manière posthume par son fils
Christopher, on a coutume de dire qu'il constitue la « Genèse »
de son Monde, son commencement, ses origines. On y retrouve donc les mythes
de la Création, l'arrivée des Dieux sur Terre, la naissance de ses habitants :
les Elfes, les Nains puis les Hommes. Nous utilisons le mot « mythe »
car le souffle, l'utilisation d'un phrasé et d'un vocabulaire parfois
archaïques peut nous faire penser qu'il s'agit là de véritables légendes
de notre passé. C'est d'ailleurs l'un des buts avoués de Tolkien :
fournir à l'Angleterre, son pays, un corpus mythologique dont il regrettait
l'absence[3]. Au demeurant, il nous semble qu'il y a parfaitement
réussi car placer Le Silmarillion dans le rayon « Mythologie
anglo-saxonne » des librairies ne nous paraîtrait pas totalement
déplacé.
Dans ce Premier Âge du Monde, la béatitude
règne dans une sorte de Paradis. Mais un dieu dévoré par son orgueil et
sa soif de pouvoir causera son déclin. Par la suite, Elfes et Hommes connaîtront
des destins extraordinaires. Mais Le Silmarillion raconte également
la naissance de la Vie et d'une Nature épanouie, et grâce aux mots qu'il
manie si bien, Tolkien nous montre une vision et des images magnifiques.
Car les premiers temps de cette Terre sont autant de motifs d'émerveillement :
lorsque les étoiles sont façonnées par les Dieux et illuminent la nuit
de leur scintillement, lorsque les montagnes se dressent à la surface
de la Terre, lorsque la mer et les rivières prennent place dans leur lit,
lorsque les cygnes hantent ses berges. Les premiers chapitres nous content
comment et par qui ces merveilles ont été créées.
Bilbo le Hobbit
se déroule bien des siècles après la création d'Arda et n'en rappelle que peu
d'éléments puisqu'il s'agit, initialement, d'un conte pour enfants. On y découvre
une race créée par Tolkien : les Hobbits. La découverte de ce peuple, physiquement
à mi-chemin entre les Nains et les Hommes, est une des raisons majeures de l'énorme
succès rencontré par cette première ouvre de fiction publiée par Tolkien. C'est
Bilbo, figure éminemment sympathique mais personnage délicat et fort peu enclin
à sortir de son univers familier pour courir les chemins qui deviendra le héros
de cette histoire.
Dans Bilbo le Hobbit, nous plongeons
dans un récit au ton léger doté d'un humour attendrissant où les situations
dramatiques n'entament pas l'insouciance de notre héros. Mais au fur et
à mesure de la progression des personnages (Bilbo accompagné d'une compagnie
de douze nains) la tragédie fera irruption dans notre histoire. Et ce
notamment au cours de la confrontation avec Smaug, le dernier dragon de
la Terre du Milieu (véritable fléau du royaume d'Erebor où se situe l'action)
et la « Bataille des Cinq Armées » qui restera célèbre dans
les annales.
Cette série d'aventures suscitera une
curiosité locale au retour de Bilbo dans son village et transformera notre
paisible hobbit en une personne bien plus curieuse. Tout comme nous le
devenons nous-même.
Le Seigneur des Anneaux, entamé
à la demande pressante de son éditeur qui voulait une suite au Hobbit,
est un ouvrage monumental, un chef d'ouvre qui aura demandé quinze ans
de rédaction, une fresque d'un souffle et d'une ampleur hors du commun.
C'est dans ce roman qu'apparaît tout le talent et le savoir de Tolkien
et qu'il parvient à emmener son lecteur dans un voyage au-delà de l'imagination.
Tout le monde le sait maintenant, Le
Seigneur des Anneaux fut consacré meilleur roman du siècle par les
Anglais et représente la pièce maîtresse de Tolkien. Roman absolument
abouti, quasi parfait, il est le récit d'une Quête autour du thème de
la Mort, celle d'un hobbit nommé Frodon (neveu de Bilbo) qui doit détruire
un Anneau, instrument qui recèle un pouvoir énorme et qui ne peut en aucun
cas retrouver son créateur, Sauron le nécromancien, car s'il le retrouve,
cela entraînera la destruction des Peuples Libres. Pour mener sa mission
à bien, huit autres personnes accompagnent Frodon : trois Hobbits,
trois Hommes (dont le célèbre magicien Gandalf), un Elfe et un Nain. Ces
neuf compagnons forment La Communauté de l'Anneau, titre du premier
tome du Seigneur des Anneaux dans l'édition de 1954[4]. Tout au long de cette épopée, nous découvrons des liens d'amitié
indéfectibles et l'esprit de dévouement et de chevalerie des anciens récits
médiévaux. Les périodes de doute et de peine de Frodon en Mordor encadrent
les actions décidées de Gandalf et de ses compagnons dans le royaume de
Gondor où se porte l'offensive de Sauron. De part l'histoire qu'il raconte,
la profondeur historique qu'il inspire en évoquant (par les chansons,
poèmes et contes narrés par ses personnages) des souvenirs d'un passé
lointain Le Seigneur des Anneaux entre dans l'imaginaire collectif
et s'inscrit dans le cercle des récits du Roi Arthur et les chevaliers
de la Table Ronde ou de La Chanson de Roland.
Ce résumé forcément réducteur ne peut
bien évidemment pas restituer un aussi large pan du travail d'écrivain
de Tolkien mais il tente de décrire la variété et la cohérence de ces
trois titres. Même s'ils sont accessibles séparément, on ne perçoit toute
leur complémentarité qu'en prenant connaissance de l'ensemble. Alors,
les maillons de la chaîne sont réunis et le déclic survient. Celui qui
nous fera prendre conscience de la portée de l'ouvre de Tolkien et du
rôle non négligeable qu'il aura joué sur cet Art qu'est la littérature.
VII. L'Imaginaire à l'honneur
Il faut l'avouer, Tolkien est
peut-être réservé à un public dont la caractéristique principale sera
la propension à s'immerger dans l'Imaginaire. Car le moins que l'on puisse
dire, c'est que les personnages, races et autres créatures du monde de
Tolkien ne sont pas ceux que l'on peut côtoyer habituellement. Si Tolkien
dit placer ces histoires dans un temps très ancien de notre Monde et ne
prétend être que le traducteur de textes fort anciens dont il serait devenu
le détenteur, il n'en reste pas moins que les événements décrits ne correspondent
en rien à ceux que nous pourrions vivre. Il faut donc s'immerger dans
l'histoire, s'y projeter, donner corps et vie aux personnages. Imaginer
les lieux que visitent nos héros, tenter de comprendre leurs émotions
et leurs peurs. Tolkien dira : « Quand vient l'incrédulité,
le charme est rompu, la magie, ou plutôt l'art, a échoué. Vous vous retrouvez
alors dans l'univers premier et vous voyez de l'extérieur un petit univers
second avorté. » [5]. Il faut se noyer dans le flot de la narration,
sans cela l'alchimie n'a pas lieu. Mais une fois cette étape franchie,
le lecteur n'en revient pas indemne.
VIII. Tolkien, créateur d'un genre
S'il n'est pas celui
qui a inventé le genre, Tolkien a apporté ses lettres de noblesse et pérennisé
le genre littéraire qu'est devenu la Fantasy. Mais alors que l'appellation
Fantasy est connue (et reconnue) dans les pays anglo-saxons et ailleurs,
la France semble ne pas reconnaître suffisamment ce type de roman. Non seulement
le genre reste considéré à tort comme mineur mais encore trop fréquemment on
regrettera de voir qu'il y a confusion entre la Fantasy et le Fantastique
voire la Science-Fiction. Que ce soit au niveau du lecteur, comme dans
les rayons des librairies où les genres sont fusionnés dans un joyeux pêle-mêle.
Mais les librairies sont
aussi le reflet de ce qui peut être dit dans la presse et d'une manière générale
par les critiques littéraires. Un recensement du nombre d'articles pour l'année
écoulée se compte sur les doigts de la main et malheureusement, le plus fréquemment,
la matière déçoit par ses approximations, ses rapprochements hasardeux et des
conclusions parfois hâtives.
Peut-être les milieux littéraires et
universitaires se complaisent-ils dans une tradition littéraire franco-française
et éprouvent une certaine réticence à s'ouvrir à des choses nouvelles
et veulent à tout prix conserver le patrimoine que nous ont légué les
Zola, Balzac ou Hugo ? C'est ici faire preuve d'un conservatisme
qui ne fait pas honneur à ces métiers dont on peut estimer que leur rôle
est de faire connaître la plus large variété d'écrits à leurs lecteurs
et étudiants.
La presse généraliste n'est pas non
plus exempte de reproches. Tolkien y est rarement mentionné et qui plus
est trop souvent mal présenté. Comment un journaliste (qui à bien des
reprises montre des signes évidents de méconnaissance de son sujet[6]) peut-il présenter la vie, l'ouvre
de Tolkien et son influence sur notre culture en une double page
d'un magazine ? L'espace donné est trop court alors, inévitablement, nous
retombons dans les clichés que nous mentionnions plus haut.
Par ailleurs, l'explication du dédain
du genre par le lectorat français fait sûrement suite à une déception
de précédentes expériences. Il y a en effet deux manières d'aborder la
Fantasy : lire Tolkien en premier ou le découvrir par chance
ensuite. Qui commencera par un autre que Tolkien pourra subir de médiocres
succédanés d'auteurs en mal d'inspiration qui n'aident pas à crédibiliser
le genre. Les expériences malheureuses peuvent survenir dans d'autres
catégories de la littérature mais, au final, il y a peut-être l'avant
et l'après Tolkien et il peut nous être difficile d'apprécier ce qui nous
apparaît souvent comme fade en comparaison de son ouvre.
Pourtant ces derniers temps, alors
que les ouvrages de langue anglaise sont légions, la France connaît quelques
sorties intéressantes à plus d'un titre (c'est assez rare pour être remarqué)
avec notamment la dernière parution sur le sujet des éditions Christian
Bourgois : Sur les Rivages de la Terre du Milieu, par Vincent
Ferré. Cette composition est d'ores et déjà une référence pour qui veut
mieux comprendre la pièce maîtresse de Tolkien qu'est Le Seigneur des
Anneaux.
IX. Tolkien, vecteur de découvertes
De l'avis général, il reste un
arrière-goût de regret lorsque l'on ferme un livre de Tolkien. Celui d'avoir
tourné la dernière page, de ne plus pouvoir suivre les héros après leurs
aventures. Pour gommer l'amertume, plusieurs solutions s'offrent à nous.
Soit trouver d'autres auteurs et expérimenter de nouvelles lectures, soit
tenter de faire durer ce qui nous a tant plu. Celui qui choisira la seconde
solution pourra par exemple effectuer une ou plusieurs relectures, et
ce à plusieurs niveaux. Quels sont-ils ? Le premier d'entre eux sera
de vivre à nouveau l'histoire, tout simplement, au fur et à mesure des
pages. Un niveau intermédiaire voudra que l'on en fasse une lecture plus
attentive pour retenir un certain nombre de détails que l'on pourra évoquer
avec d'autres lecteurs. Dernière solution, entreprendre cette relecture
d'une manière plus raisonnée, analytique et critique. C'est l'intérêt
de cette dernière que nous allons mettre en lumière.
Le monde de Tolkien est remarquable
de par sa précision. Cette qualité le rend crédible et permet de l'étudier
sous un éclairage particulier : géographique, politique, généalogique,
linguistique, historique, etc. Nous touchons ici à ce qui explique l'intérêt
des lecteurs actuels : le moyen d'élargir le cercle de ses connaissances,
la possibilité (à travers une approche somme toute ludique) de se familiariser
avec des domaines inconnus, ou tout au moins approchés superficiellement.
Ainsi, pour ceux qui trouvent du plaisir
à « manipuler » la linguistique, à composer voire interpréter
un sens à partir d'axiomes non forcément exhaustifs, à reconstruire des
grammaires, le Quenya, le Sindarin et les autres langues
imaginées par Tolkien sont un formidable motif de satisfaction. Tolkien
a dès sa prime enfance été attiré par les langues étrangères et très tôt
il en créa pour son propre usage. Il le dira lui-même, son ouvre par certains
côtés peut être qualifiée d'exercice linguistique et s'il s'est investi
dans l'écriture, c'était pour donner (raison parmi d'autres) un cadre
à ses langues imaginées et trouver un terreau pour leur expression.
Et quid de ceux qui se feront ethnologues,
archéologues, historiens, bref, les chercheurs, les découvreurs ?
Ces recherches pouvant se faire aussi bien de manière interne qu'externe
à l'ouvre. De manière interne car le lecteur devenu acteur sera curieux
d'en apprendre plus : trouver les détails dans l'ouvre qui donneront
des réponses à ses questions, comprendre les mécanismes de l'évolution
d'une civilisation, disserter de ses liens économiques et culturels qu'elle
pourra avoir eus avec une autre race, expliquer sa chute, etc. De façon
externe en découvrant par exemple des lectures connexes à l'ouvre de Tolkien :
nous pourrions parler des textes qui constituent ce que l'on appelle communément
« Les Sources Mythologiques de Tolkien ». Car il est notoire que
Tolkien a, entre autres, lu et aimé les récits de mythologie nordique,
germanique et anglo-saxonne. Et c'est peut-être son ami C.S. Lewis[7]
qui lui inspira en partie l'envie d'écrire en disant un jour « [.]
il y a trop peu de ce que nous aimons vraiment dans les légendes. Je crains
que nous ne soyons obligés d'en écrire nous-mêmes [...] »[8].
Toujours est-il que Tolkien entreprend d'écrire de nouvelles histoires
du genre qu'il aurait aimé lire. Pour notre cas, la démarche peut être
inverse tout en restant valide. Car lorsque nous lisons la correspondance
de Tolkien qui mentionne ces textes, il nous prend l'envie de découvrir
ce que sont Les Eddas, Le Kalevala, La Völsunga Saga,
l'Anneau des Nibelungen ou encore Beowulf. Vient alors notre
tour de retrouver un peu de l'atmosphère de Tolkien.
Le philosophe quant à lui voudra peut-être
aborder un thème peut-être moins gai mais ô combien intéressant à étudier,
celui de la Mort[9], thème
majeur et central du Seigneur des Anneaux.
Les géographes comme les illustrateurs
trouveront aussi matière à contentement. Ces derniers sont nombreux, mais
qu'ils soient professionnels ou non, ce sont avant tout des fans. Car
ce qui frappe chez Tolkien, ce sont les images qu'il sait susciter. En
les décrivant parfois avec détail mais surtout parce que nous disposons
des éléments qui nous permettent de les compléter. Le lecteur a donc toute
latitude pour se forger sa propre représentation et nous voyons alors
que chaque personne a sa propre image, ce qui montre la puissance d'évocation
qu'engendre une telle lecture.
Et comme Tolkien offre une multiplicité
de lectures différentes, on pourra s'essayer à l'écriture d'un article
qui proposera une approche pluridisciplinaire et offrira une part d'analyse
des textes et la livraison de leur interprétation. On pourra tenter de
mettre en place une concordance d'éléments du Légendaire avec ce
que nous appelions ci-dessus les sources mythologiques. Un épisode du
Silmarillion offre-t-il des similitudes avec le Kalevala ?
Si oui, quelles sont-elles, qu'est-ce qui permet de l'affirmer ?
Autant d'exercices qui réclament une démarche rigoureuse et contribuent
à un certain épanouissement du lecteur curieux, avide de savoir. Tout
cela en respectant une rigueur sans faille qui veillera à ne pas sur-interpréter
le texte...
X. Tolkien à la mode
Maintenant que nous avons expliqué
nos propres intérêts, nous pouvons tout de même dire que nos doutes s'apaisent
concernant la connaissance qu'ont les Français de l'ouvre de Tolkien,
ou tout au moins d'une partie d'elle. Les premières « Tolkien Society »
ont été créées aux Royaume-Uni puis aux Etats-Unis et la France, relativement
inactive jusqu'à il y a peu, succombe de plus en plus à son génie créatif
même si le phénomène reste encore limité. Des associations destinées à
promouvoir son ouvre ont vu le jour comme La Compagnie de la Comté [10] et des ouvrages commencent à paraître en librairie
qui peuvent être d'auteurs français comme, nous l'avons déjà cité, celui
de V. Ferré ou encore des traductions d'auteurs anglo-saxons avec par
exemple L'Anneau de Tolkien de David Day[11].
Outre la voie éditoriale classique,
Internet est l'un des médias principaux de découverte, de commentaire
et d'échange sur l'ouvre de Tolkien. Des centaines de milliers de pages
mentionnent le nom de Tolkien, certains sites lui sont entièrement dédiés.
On y trouve une communauté amicale où les échanges sont nombreux.
Tout cela participe à combler le retard
que nous avons pris par rapport aux nombreuses études parues à ce jour, hors
de nos frontières.
XI. Le Seigneur des Anneaux
au cinéma
Vous n'êtes pas sans savoir que Le
Seigneur des Anneaux fait actuellement l'objet d'une seconde adaptation
cinématographique (après celle de Ralph Bakshi sortie en 1978) dirigée par Peter
Jackson et composée de trois volets avec un budget de deux milliards de francs.
Le premier épisode de cette trilogie sortira mondialement fin décembre 2001 :
les premières bandes-annonces éveillent bien sûr la curiosité comme certaines
réserves sur la fidélité de l'adaptation et, de plus en plus, les médias se
font l'écho de sa sortie prochaine. Dès à présent les observateurs prédisent
un succès record, la preuve en est l'engouement sans précédent qui se manifeste
sur Internet avec des millions de connexions sur le site officiel du Seigneur
des Anneaux lors la sortie de la première bande-annonce. Même si à l'heure
où nous écrivons nous pouvons craindre (à tort ou à raison) que la mise en image
du Seigneur des Anneaux s'avèrera une entreprise trop difficile et notamment
pêchera sur la fidélité à l'histoire originale, on peut espérer qu'une part
des spectateurs qui verront le film auront l'envie de découvrir qui en est à
l'origine. Beaucoup sont déjà acquis au film, un plus grand nombre reste encore
à convaincre mais nul doute que cette adaptation fera encore couler beaucoup
d'encre.
XII. Conclusion
Ces pages, vous l'aurez remarqué,
sont une invitation évidente à (re)découvrir Tolkien. Ici nulle critique
ni jugement défavorable. Assurément, d'autres auront des avis contraires
et écrirons de véritables pamphlets à son encontre[12]. Leurs arguments sont discutables mais nous
vous laissons le soin de les contredire...
Cédric Fockeu,
Novembre 2001.
Annexe - Bibliographie
Ci-après figure la liste des ouvrages
conseillés ou cités dans le présent article.
I. Ouvrages indispensables :
- Tolkien, J.R.R., Le Seigneur des anneaux,
Paris, Christian Bourgois éditeur, 1972, 1992, éd. complète en un vol.
avec Appendices et Index, traduit par F. Ledoux, illustré par A. Lee.
- Tolkien, J.R.R., Le Silmarillion, Paris, Christian Bourgois
éditeur, 1978, traduit par P. Alien.
- Tolkien, J.R.R., Bilbo le Hobbit, Paris, Christian Bourgois
éditeur, traduit par F. Ledoux.
- Tolkien, J.R.R., Contes et légendes inachevés, Paris, Christian
Bourgois éditeur, 1982, traduit par T. Jolas.
- Tolkien, J.R.R., Le Livre des contes perdus, Paris, Christian
Bourgois éditeur, traduit par Adam Tolkien, deux tomes (1995 & 1998).
- Tolkien, J.R.R., Roverandom, Paris, Christian Bourgois éditeur,
1999, traduit par J. Georgel.
- Tolkien, J.R.R., Faërie, Paris, Christian Bourgois éditeur,
1974, traduit par F. Ledoux.
- Tolkien, JR.R., Beowulf, The Monsters and the Critics, London,
HarperCollinsPublishers, 1997.
- Carpenter, Humphrey, J.R.R. Tolkien - Une biographie, Paris,
Christian Bourgois éditeur, 1980, traduit par P. Alien.
- Tolkien, J.R.R., The Letters of J.R.R. Tolkien, London,
HarperCollinsPublishers, 1999, ed. by H. Carpenter with Ch. Tolkien.
- Vincent Ferré, Sur les Rivages de la Terre du Milieu, Paris,
Christian Bourgois éditeur, 2001.
- Day, David, L'Anneau de Tolkien, Paris, Christian Bourgois
éditeur, 1996, traduit par J. Georgel.
- Régis Boyer, L'Edda poétique, Paris, Fayard - L'Espace intérieur,
1992.
- Snorri Sturluson, sous la direction de François-Xavier Dillmann,
L'Edda, Paris, Gallimard - L'Aube des peuples, 1991.
- Elias Lönnrot, Gabriel Rebourcet, Le Kalevala, tome 1 et
2, Paris, Gallimard - L'Aube des peuples, 1991.
Parce qu'Internet est le moyen d'approfondir la connaissance de l'ouvre,
voici les sites que nous recommandons :
Sites dédiés à l'ouvre de Tolkien :
JRRVF (John Ronald Reuel Tolkien
en Version Française) : http://www.jrrvf.com
La Compagnie de la Comté : http://www.jrrvf.com/compagnie/compagnie.html
Hiswelókë : http://www.geocities.com/Area51/Cavern/9443/tolktop.html
TolkienVF : http://www.chez.com/tolkienvf
PourTolkien (site officiel de Vincent Ferré) : http://pourtolkien.free.fr
Sites dédiés au tournage du Seigneur
des Anneaux :
Númenor : http://www.numenoreen.com
Elostirion : http://membres.tripod.fr/elostirion
Elbakin : http://www.elakin.com
Le Site Officiel : http://www.leseigneurdesanneaux.com
Une multitude d'autres sites existent et méritent d'être
visités. Nous vous invitons à en retrouver les adresses sur les différentes
pages de liens des sites mentionnés ci-dessus.
[*]
Cet « Hommage à J.R.R. Tolkien » est la version longue
de l'article dont vous retrouverez des extraits dans le numéro
de décembre 2001 du magazine
Casus
Belli.
[1]
On ne dénombre pas moins de 20 000 pages manuscrites de Tolkien. Celles-ci
sont aujourd'hui conservées à la Bodleian Library d'Oxford et à l'université
Marquette de Milwaukee (Wisconsin, USA).
[2]
Carpenter, Humphrey,
J.R.R. Tolkien - Une biographie, Paris,
Christian Bourgeois éd., 1980, traduit par P. Alien.
[3] JRR Tolkien - Une
Biographie, p. 107.
[4]
Tolkien concevait son roman comme un tout unique et non comme une « trilogie »
mais pour des raisons économiques (le prix du papier est prohibitif
en cette période d'après-guerre) il fut découpé en trois tomes.
[5]
J.R.R. Tolkien - Une Biographie, p. 213.
[6]
Tolkien lui-même mentionne ce problème dans son avant-propos à la seconde
édition du
Seigneur des Anneaux parue en 1966.
[7]
C.S. Lewis, fondateur avec Tolkien du club « Les Inklings »
est l'auteur des
Chroniques de Narnia, Folio Junior éditeur,
2001, traduit par Cécile Dutheil de la Rochère, illustrations par Pauline
Baynes.
[8]
JRR Tolkien - Une Biographie, p.191.
[9]
Voir l'article de Michäel Devaux, « L'Ombre de la Mort » à
paraître fin 2001 dans
La Feuille de la Compagnie - Revue
d'Etudes Tolkieniennes - N°1 et
Sur les Rivages de la Terre du
Milieu dont une large part est justement consacrée à la Mort
dans
Le Seigneur des Anneaux.
[12]
On pensera notamment au célèbre article d'Edmund Wilson intitulé « Oo,
Those Awful Orcs ! » paru en avril 1956 dans le journal
The
Nation.