… et le Silmaril poursuivit sa course pour venir à Eärendil. Et pourquoi, Monsieur, je n’avais jamais pensé à ça! Nous avons… vous avez une parcelle de sa lumière dans ce cristal d’étoile que la Dame vous a donné! Mais, quand on y pense, nous sommes toujours dans la même histoire! Elle se continue. Les grandes histoires ne se terminent-elles jamais ?

Les escaliers de Cirith Ungol, Les Deux Tours.

Le Pouvoir est souvent considéré comme le thème central du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien. Pourtant, cette idée a été maintes fois corrigée par l’auteur lui même dans sa correspondance1 . Une considération de sa mythologie dans son ensemble fait ressortir un sujet récurrent : la Mort, problème représenté par la mortalité des Hommes et l’« immortalité » des Elfes. Ce thème forme le fond de ce roman comme dans le reste du légendaire de Tolkien. Le point culminant de cette réflexion est peut-être atteint avec le texte Athrabeth Finrod Ah Andreth The History of Middle-Earth Vol 10 , p. 301) mais il existe néanmoins de nombreux éléments pour faire sentir le sens respectif du destin des Elfes et des Hommes dans l’histoire de la guerre de l’Anneau. Mis en perspective avec le reste de l’œuvre, ils deviennent limpides et Le Seigneur des Anneaux peut alors apparaître sous une autre lumière.

Ce texte n’a pas la prétention de proposer des idées nouvelles ni des interprétations originales, il n’est qu’une synthèse de quelques thèmes du Seigneur des Anneaux. Ceux-ci sont innombrables selon les points de vue de chaque lecteur mais nous nous intéressons ici à ceux que son auteur, après une auto critique, considérait comme centraux dans son œuvre. Ainsi, nous commencerons par les idées les plus évidentes avant de présenter celles qui sont sous jacentes mais primordiales. Cette synthèse s’appuie largement sur les explications qu’il avait données dans sa correspondance et sur les autres œuvres comme Le Silmarillion qu’on suppose connues des lecteurs. Il y a aussi d’incessantes références aux textes de The History of Middle Earth * car comme nous le constaterons, il serait absurde de dissocier ces œuvres qui sont, à mon humble avis, inséparables si on veut les apprécier à leur juste valeur. Cette synthèse est sûrement incomplète, il y a beaucoup de thèmes non abordés. Loin de vouloir restreindre toutes autres interprétations, j’espère seulement donner un petit aperçu de l’intérêt des nombreux textes non traduits en français qui dévoilent un peu plus la profondeur de la mythologie de J.R.R. Tolkien, qui dépasse de loin le simple schéma de « la lutte du bien contre le mal »  comme on l’entend, hélas, si souvent.

* : Plus particulièrement, au volume 10, Morgoth’s Ring, ce qui explique le titre de ce texte.

I. La Pitié contre un Pouvoir irrésistible


… la pitié de Bilbon peut déterminer le sort de beaucoup – à commencer par le vôtre.

L’OMBRE DU PASSÉ – La Communauté de l’Anneau

L’anneau Unique de Sauron était un instrument de domination qui lui permettait de gouverner les porteurs des anneaux qui lui étaient liés. Pour cela, Sauron avait dû mettre une partie de son propre pouvoir dans l’Unique. Par une longue histoire qui est contée dans Le Hobbit  et Le Seigneur des Anneaux, cet anneau arriva entre les mains de Frodon Sacquet, un hobbit qui devait le détruire pour mettre fin au pouvoir du Seigneur Ténébreux. Mission désespérée non seulement parce que l’Anneau ne pouvait être défait que dans le feu de la Montagne du Destin, en plein territoire ennemi, mais surtout parce que l’Anneau exerçait une pression surnaturelle et irrésistible afin que son porteur ne le détruise pas, ni ne l’abandonne. D’ailleurs, avant même que son voyage ait commencé, Frodon était déjà dans l’incapacité de le jeter dans le petit feu de sa cheminée, malgré la demande de Gandalf2 .
Ce geste, ou plutôt l’impossibilité de ce geste, est crucial pour comprendre d’une part la force surnaturelle et insurmontable de l’Anneau qui défiait toute logique. Frodon, à cet instant, était pleinement en possession de ses moyens mais même ainsi, il ne pouvait trouver la force de jeter l’Unique. Notons ses paroles à Sam dans le Sammath Naur (je cite la version originale, ce passage ayant été traduit différemment en français) :

‘I have come,’ he said. ‘But I do not choose now to do what I came to do. I will not do this deed. The Ring is mine!’

MOUNT DOOM – The Return of the King

Remarquons la tournure négative de la phrase « Mais je ne choisis pas à présent de faire ce que j’étais venu faire » Ne serait-il pas plus naturel de dire « Mais je choisis à présent de ne pas faire… » ? La forme négative ne marque-t-elle pas la contrainte, l’absence de choix de sa part, de garder l’anneau ?
D’autre part, on comprend que Frodon était condamné à échouer d’avance dans sa mission de jeter l’anneau. La seule chance de réussite consistait, à première vue, à ce que Frodon se jette lui même, avec l’Anneau, dans le feu de la Montagne du Destin. Effectivement, sa volonté céda dans le Sammath Naur. Cet échec, selon les mots de Tolkien, n’était pas un échec moral3 . Il aurait fallu une force surhumaine pour jeter l’Unique dans le feu dans les mêmes circonstances et dans le même état d’épuisement que Frodon. Son échec était inévitable mais l’Anneau fut finalement défait grâce à Gollum dont il avait eu pitié. La pitié, vertu qui avait finalement rattrapé, corrigé la faiblesse.
Tolkien voulait peut être insister sur ce point au moment, qu’il jugeait être le plus dramatique de l’histoire, où Sméagol était sur le point de se repentir grâce à la patience et à la bonté de Frodon4 . Mais celles-ci avaient été anéanties en fin de compte par Sam, qui avait été méfiant et méprisant envers Gollum5 .
Le comportement de Sam envers Sméagol, qui met en évidence les conséquences de l’absence de pitié, avait failli être fatal pour le sort de la Terre du Milieu.
On pourrait se demander ce qu’il serait arrivé si Sméagol s’était repenti. Revenons sur ses motivations : n’avait-il pas juré avant tout d’empêcher Sauron de récupérer l’Unique?

– Et que jureriez-vous? demanda Frodon.
– De me conduire très bien, dit Gollum. Puis, rampant jusqu’aux pieds de Frodon, il s’aplatit devant lui, murmurant d’une voix rauque : un frisson le parcourait, comme si les mots même secouaient ses os de peur. – Sméagol jurera de ne jamais, jamais Le laisser l’avoir. Jamais! Sméagol le sauvera. Mais il doit jurer sur le Trésor.

L’APPRIVOISEMENT DE SMEAGOL – Les Deux Tours

Sméagol aurait compris le but de Frodon de détruire l’Anneau une fois arrivé dans le Sammath Naur. Son attirance était trop forte, jamais il n’aurait pu s’empêcher de prendre l’Unique par la force. Mais une fois la possession satisfaite, qu’aurait pu faire Sméagol pour garder « son précieux » hors de portée de Sauron, qu’il détestait et craignait plus que tout ?

– Non, non, maître! gémit Gollum, le caressant et paraissant dans la plus grande désolation. C’est inutile de ce côté! -Inutile! Ne Lui apportez pas le Trésor! Il nous mangera tous s’Il l’a, Il mangera tout le monde. Gardez-le, gentil maître, et soyez bon pour Sméagol. Ne Le laissez pas l’avoir.

LA PORTE NOIRE EST FERMÉE – Les Deux Tours

Sméagol savait qu’il n’avait pas la force de résister contre Sauron, le seul maître de l’Anneau. Et comment aurait-il pu respecter son serment ? N’éprouvait-il pas un certain respect pour Frodon ?
La seule solution cohérente aurait été de se jeter dans le feu avec l’Anneau, seule façon de concilier son désir et tenir sa parole.
Dans les faits, Gollum sembla être tombé accidentellement mais en fin de compte, il avait tenu sa promesse de ne pas laisser Sauron récupérer l’Unique, et c’est ce dernier point est à souligner.
D’après Tolkien, il était probable que Sméagol se serait jeté de lui même si Sam, involontairement, ne l’avait pas fait basculer irrévocablement vers la traîtrise6 . Sam était hélas aveuglé par son amour et sa possessivité pour Frodon7 .
Il faut comprendre que le pressentiment de Gandalf sur le rôle que Gollum pourrait encore avoir à jouer n’est pas la raison pour laquelle il avait conseillé à Frodon de l’épargner. Sinon, ce serait un acte intéressé, calculé et par conséquent, ce ne serait plus de la pitié. Gandalf invitait les elfes à croire en la guérison de Sméagol.8
Notons que Gandalf avait pitié même des serviteurs de Sauron. La pitié semblait être la vertu première d’Olórin.9
Il espérait sincèrement que Sméagol pourrait guérir. Il l’avait fait garder par les elfes par mesure de prudence car il était conscient du danger que Gollum représentait. Finalement, Gollum avait pu s’échapper mais ce n’était sûrement ni voulu, ni prévu par Gandalf. Frodon disait que Bilbon aurait mieux fait de tuer Gollum mais Gandalf lui répliqua que c’était parce qu’il ne l’avait pas vu alors.

(Passage non traduit dans la VF)
Je suis désolé, dit Frodon. Mais j’ai peur et je ne ressens aucune pitié pour Gollum.
Vous ne l’avez pas vu, interrompit Gandalf.

L’OMBRE DU PASSÉ – La Communauté de l’Anneau

Effectivement, quand Frodon rencontra Gollum, lui aussi eut finalement pitié. Ainsi s’exprimait-il dans un monologue, en réponse à Gandalf

– Bon, répondit-il à haute voix, abaissant son épée. Mais, tout de même, j’ai peur. Et pourtant, vous le voyez, je ne toucherai pas à ce misérable. Car, maintenant que je le vois, j’ai en effet pitié.

L’APPRIVOISEMENT DE SMEAGOL – Les Deux Tours

Ce geste était le même que celui de Bilbon. Pour ma part, je pense qu’il n’avait aucun rapport avec le fait que Frodon était porteur de l’anneau et qu’il se projetterait éventuellement sur Gollum. Frodon aurait eut pitié de Sméagol même s’il ne portait pas l’Unique, de même que Bilbon l’avait épargné, gratuitement, par pure bonté. Cette nuance est importante car Tolkien différenciait plusieurs raisons à la pitié :

Dans le sens où la « pitié » en tant que vertu véritable doit avoir pour but le bien de son objet. Elle est dénuée de sens si elle est exercée uniquement pour se donner bonne conscience, libre de toute haine ou de toute responsabilité d’injustice, bien que ce soit aussi un bon motif.

Note de la lettre 246

Si la compassion de Frodon envers Sméagol était uniquement motivée par un espoir de se sauver lui même, ce ne serait plus de la pitié.
Frodon n’était pas trompé par Sméagol, il était conscient du danger que ce dernier représentait, il savait que Gollum avait sans doute l’intention de récupérer l’Anneau par la traîtrise mais le fait est qu’au moment où lui et Sam avaient capturé Sméagol, ce dernier n’était pas encore passé à l’acte.

– Ah, non! dit Sam, se frottant l’épaule. En tout cas, il en avait l’intention, et il l’a toujours, je gage. Nous étrangler pendant notre sommeil, voilà ce qu’il projette!.
– Peut-être bien, dit Frodon. Mais son intention est une autre affaire. Il se tut un moment, réfléchissant…

L’APPRIVOISEMENT DE SMÉAGOL – Les Deux Tours

Sam aussi avait finalement fait preuve de miséricorde envers Sméagol, après avoir été brièvement porteur de l’Anneau. Il avait épargné Gollum alors que ce dernier était à sa merci devant l’entrée du Sammath Naur.10
C’était contre toute logique commune (représentée par Sam, initialement), contre l’apparente évidence que Gollum allait les trahir, que Frodon l’avait épargné. Une pitié véritable et non un calcul dû au conseil de Gandalf. Pitié qui, en fin de compte, avait sauvé Frodon lui-même et mis fin au pouvoir de Sauron et à la guerre de l’Anneau.
La force physique ne pouvait vaincre le Mordor. C’était finalement grâce à l’union des ennemis de Sauron et surtout, grâce aux hobbits, petits êtres faibles d’apparence que Barad-dûr fût renversé. La force des humbles n’est pas dans les armes mais dans le courage, la pitié et le pardon. Gollum avait, certes, trahi Frodon, il lui avait coupé un doigt mais l’Unique aurait-il pu être détruit sans lui? En fin de compte, Frodon lui accorda son pardon.

– Oui, dit Frodon. Mais te rappelles-tu les mots de Gandalf : Même Gollum peut encore avoir quelque chose à faire ? Sans lui, Sam, je n’aurais pu détruire l’Anneau. La Quête aurait été vaine, même à la fin des Fins. Pardonnons-lui donc !

LA MONTAGNE DU DESTIN – Le Retour du Roi

Et malgré la tentative de Saruman de le poignarder, Frodon avait empêché les autres hobbits de le tuer. Il avait même proposé l’asile à Grima.

– Non, Sam ! dit Frodon. Ne le tue pas, même maintenant. Et de toute façon, je ne veux pas qu’il soit mis à mort dans ce mauvais état d’âme. Il fut grand, d’une noble espèce sur laquelle on ne devrait pas oser lever la main. Il est tombé, et sa guérison nous dépasse; mais je voudrais encore l’épargner dans l’espoir qu’il puisse la trouver.

LE NETTOYAGE DE LA COMTÉ – Le Retour du Roi

Frodon espérait la guérison de Saruman. Encore une fois, il avait fait preuve de pitié. Ce face à face avec lui montre à quel point il a grandi intérieurement alors que Saruman a chuté de très haut.
Sam, Merry et Pippin aussi ont évolué mais différemment : ils étaient devenus des héros alors que Frodon restait en retrait et tirait peu de gloire de ses actes, il avait payé de sa santé, de sa vie même, la destruction de l’Anneau.11
Il se culpabilisait d’avoir cédé face à l’Anneau au dernier moment. De plus, il était marqué par ses anciennes blessures et surtout par l’Unique qu’il regrettait encore. Bilbon non plus n’était pas complètement débarrassé du désir de l’Anneau.12
C’était dans l’Ouest qu’ils pouvaient être guéris et trouver la paix avant de mourir. Frodon ne pouvait trouver d’apaisement en Terre du Milieu qu’il avait pourtant sauvé de la domination de Sauron en se sacrifiant lui même.

– C’est ce que j’ai cru aussi, à une époque. Mais j’ai été trop grièvement blessé, Sam. J’ai tenté de sauver la Comté, et elle l’a été, mais pas pour moi. Il doit souvent en être ainsi, Sam, quand les choses sont en danger ; quelqu’un doit y renoncer, les perdre de façon que d’autres puissent les conserver. Mais tu es mon héritier : tout ce que j’avais et que j’aurais pu avoir, je te le laisse.

LES HAVRES GRIS – Le Retour du Roi

Autour de ces places centraux de la pitié, le pardon, le sacrifice et de « l’anoblissement des humbles » (pour reprendre les termes de Tolkien), il existe d’autres thèmes moins visibles mais qui ne sont pas moins primordiaux, selon une critique de Tolkien lui même sur son œuvre. Il s’était toujours défendu d’avoir voulu mettre, consciemment, un message quelconque dans Le Seigneur des Anneaux et encore moins de vouloir en faire une allégorie. Le sujet de cette histoire est l’histoire elle même, expliquait-il. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir des sens, de contenir des idées. C’est donc en relisant son roman que Tolkien, en tant qu’autocritique, avait trouvé que les thèmes centraux sont en fait la mortalité et l’immortalité13 . Ils forment le fond de l’histoire et sont d’ailleurs omniprésents dans toute sa mythologie. Ils peuvent peut être paraître anecdotiques dans Le Seigneur des Anneaux mais ils sont bien là, et donnent une plus grande profondeur à ce roman, pour peu qu’on le considère comme une continuité, dans la narration, du Silmarillion (ou plutôt, de ce qu’aurait dû être Le Silmarillion qui a été publié dans un état d’inachèvement).

II. La chute des Enfants d’Ilúvatar

Quoi qu’il en soit, tout cela est principalement lié à la Chute, la Mortalité et la Machine.

Extrait de la lettre 131

Non seulement l’Anneau Unique permettait à Sauron (ou à un autre porteur suffisamment puissant pour le lui contester) de connaître les pensées des porteurs des autres Anneaux et de les contrôler mais il possédait aussi le pouvoir d’allonger la vie de son porteur ainsi que celui de le rendre invisible. La longévité et l’invisibilité que donnait l’Unique n’étaient que des effets secondaires, ce n’était pas pour ces pouvoirs que Sauron l’avait forgé puisqu’il était déjà « immortel » par son statut de Maïa et cet anneau n’était pas destiné à être porté par un autre que lui même. Cette longévité était illusoire car l’Anneau ne donnait pas plus de vie14 .
Il existait des pouvoirs pour soigner, guérir des blessures, comme celui d’Elrond qui l’avait probablement hérité de son ancêtre Melian, une Maïa. Mais soustraire un être de son destin de mortel est au-delà même des capacités des Valar. Le pouvoir de Sauron (surnommé aussi « le nécromancien ») d’empêcher la Mort n’était pas bénéfique. Cette longévité artificielle était plutôt une malédiction, une torture permanente pour eux.

– Je suis vieux, Gandalf. Je ne le parais pas, mais je commence à le sentir au plus profond de mon être. Bien conservé ! grogna-t-il. Mais je me sens tout maigre, déliré en quelque sorte, si vous voyez ce que je veux dire: comme du beurre qu’on a gratté sur une trop grande tartine. Ça ne parait pas normal. J’ai besoin d’un changement, de quelque chose, quoi.

UNE RÉCEPTION DEPUIS LONGTEMPS ATTENDUE – La Communauté de l’Anneau

Pendant un instant fugitif, si l’un des dormeurs l’avait observé, il aurait cru voir un vieux Hobbit fatigué, tassé par les années qui l’avaient porté bien au-delà de son temps, au-delà de ses amis et de ceux de sa race, comme des champs et des ruisseaux de sa jeunesse, vieille chose pitoyable et affamée.

LES ESCALIERS DE CIRITH UNGOL – Les Deux Tours

On pourrait croire que ce pouvoir de l’Unique était néfaste parce qu’il venait de Sauron et qu’il pourrait en exister d’autres qui permettraient d’allonger la vie sans que cela fasse souffrir en même temps. Avant de répondre à cette question, il faut se demander d’abord ce qu’est vraiment « l’immortalité », ce qui nous amène à parler des Elfes.

 

… et bien des yeux étaient fixés sur Elrond avec crainte et étonnement quand il parla des Forgerons-Elfes d’Eregion, de leurs rapports amicaux avec la Moria et de leur soif de savoir, grâce à laquelle Sauron les enjôla.

LE CONSEIL D’ELROND – La Communauté de l’Anneau

La tentation des Elfes

L’étape de la Lothlórien dans La Communauté de l’Anneau nous dépeint un sanctuaire caractérisé par une force protectrice15 et surtout par son intemporalité apparente, résultant d’une volonté de l’immuniser contre les effets du temps. Cette aura protectrice venait de Nenya, l’anneau de Galadriel16 .
La Lothlórien semblait être une sorte de reproduction des terres bénies des Valar (de même que Gondolin s’inspirait de Tirion17 ) où rien ne fanait. Elle illustre la présence d’une forte nostalgie de Galadriel pour les terres de l’Ouest et surtout sa volonté de préserver le passé comme Frodon l’avait ressenti là-bas18 .

Dès qu’il avait posé le pied sur l’autre rive du Cours d’Argent, il avait éprouvé un sentiment étrange, qui s’approfondissait à mesure qu’il avançait dans le Naith: il lui semblait avoir passé par un pont de temps dans un coin des Jours Anciens et marcher à présent dans un monde qui n’était plus. A Fondcombe, il y avait le souvenir d’anciennes choses; dans la Lôrien les anciennes choses vivaient encore dans le monde en éveil.

Ils le suivirent, tandis qu’il allait d’un pas léger sur les pentes revêtues d’herbe. Bien qu’il marchât et respirât et qu’autour de lui les feuilles vives et les fleurs fussent agitées par le même air frais qui éventait le visage de Frodon, celui-ci sentait qu’il se trouvait dans un pays situe hors du temps, qui ne se défraîchissait pas, ne changeait pas, ne tombait pas dans l’oubli. Quand il serait parti et qu’il serait repassé dans le monde extérieur, Frodon, l’errant de la Comté, marcherait encore là, sur l’herbe parmi l’elanor et le niphredil dans la belle Lothlôrien.

LA LOTHLORIEN – La Communauté de l’Anneau

– Et peut-être en était-il ainsi, dit Frodon. Dans ce pays-là, il se peut que nous fussions en un temps qui ailleurs était depuis longtemps passé. C’est seulement quand le Cours d’Argent nous eut ramenés à l’Anduin, je crois, que nous sommes revenus au temps qui s’écoule par les terres de mortels vers la Grande Mer. Et je ne me rappelle aucune lune, nouvelle ou vieille, dans le Caras Galadhon : il n’y avait que des étoiles la nuit et le soleil le jour.

LE GRAND FLEUVE – La Communauté de l’Anneau

Il est un pouvoir comparable, mais bien moins marqué, à Rivendell, une place sous la protection d’Elrond qui détenait Vilya, un autre des trois Anneaux Elfiques. Rivendell semblait avoir un effet curatif, qui effaçait toute trace de fatigue et de chagrin.19
Rappelons que c’était Sauron, durant le Deuxième Âge, qui avait amené les elfes à vouloir recréer la beauté de Valinor en Terre du Milieu. Ainsi, sous le nom d’Annatar, il leur avait dit :

– Hélas, les Grands ont leurs faiblesses ! Car Gil-galad est un puissant roi, Maître Elrond est sage et très savant, pourtant ils ne veulent pas aider mes entreprises. Se peut-il qu’ils ne veuillent pas voir d’autres royaumes connaître le même bonheur qu’eux ? Pourquoi les Terres du Milieu resteraient-elles à jamais sombres et désertes si les Elfes peuvent les rendre aussi belles qu’Eressëa, non, que Valinor elle-même ? Et puisque vous n’êtes pas retournés là-bas, comme vous l’auriez pu, je sens que vous aimez cette terre-ci comme je l’aime. Notre devoir alors n’est-il pas de travailler à l’enrichir et d’amener toutes les races d’Elfes qui vivent dans l’ignorance au même niveau de connaissance et de puissance que ceux qui vivent au-delà de la Mer ?

LES ANNEAUX DU POUVOIR ET LE TROISIÈME ÂGE – Le Silmarillion

Après son passage dans la Lothlórien, Legolas avait évoqué le rapport des Elfes avec le temps qui est différent de celui des hommes.

– Non, le temps ne dure pas toujours, dit-il; mais le changement et la croissance ne sont pas semblables en toutes choses et en tous lieux. Pour les Elfes, le monde bouge, et il bouge en même temps très vite et très lentement. Vite, parce qu’eux-mêmes changent peu et tout passe rapidement; ce leur est un chagrin. Lentement, parce qu’ils ne comptent pas les années qui s’écoulent, en ce qui les concerne eux-mêmes.

LE GRAND FLEUVE – La Communauté de l’Anneau

Afin de comprendre la manière dont le temps est perçu par les Elfes, il faut commencer par saisir leur lien avec Arda (voir à ce sujet l’article : « Les Elfes : une expression du lien à Arda » sur https://www.jrrvf.com/essais/essais.html).
Les Elfes sont dits « immortels » mais ce terme est fallacieux. Cette ambiguïté illustre la mécompréhension des Hommes de la condition des Elfes et par là même, de la leur.
Il faut d’abord savoir que les enfants d’Eru (Elfes et Humains) sont composés de deux entités : fëa (pluriel : fëar) et hröa (pluriel : hröar) qu’on peut traduire approximativement par « esprit » et « corps ». Les fëar viennent d’Eru et sont indestructibles tandis que les hröar sont faites des substances d’Arda et peuvent être détruits. Les Elfes vieillissent (très lentement mais inéluctablement20 ), peuvent être tués (quand leurs corps subissent trop de blessures) ou mourir de chagrin. Mais parce que leur destin est lié à celui d’Arda, leurs fëar restent sur cette terre après leur « mort », dans les cavernes de Mandos et peuvent être réincarnés sous certaines conditions.
Tolkien avait émis deux possibilités de réincarnation pour un elfe : soit il renaît, soit il se réincarne dans un corps refait à l’identique. La première solution a été abandonnée car fëa et hröa sont intimement liés et un fëa par conséquent ne peut s’adapter à un hröa qui serait différent de celui auquel il était rattaché21 .

En d’autres termes, si on considère la Mort comme la séparation du fëa du hröa, les Elfes sont mortels comme les Hommes. Mais si on définit la Mort comme la séparation d’avec Arda, elle est impossible pour les Premiers-Nés qui ne peuvent la quitter tant qu’elle demeurera. Les Elfes ont donc, plus précisément, une vie (ou une succession de vies) qui durera tant qu’Arda existera, mais aussi longue qu’elle soit, elle a une limite, celle d’Arda. Par conséquent, ils ne sont pas « immortels », encore moins « éternels ». Ce qui leur adviendra après la fin d’Arda, on ne peut le savoir avec certitude. Sans Arda, il ne peut y avoir de hröa. Il se pourrait donc que les fëar restent sans corps ou que les fëar des Elfes disparaissent tout simplement avec elle22 .

Ces deux hypothèses sont difficiles à accepter pour les Elfes car elles signifient leur disparition, leur fin. De plus, comme l’avait prédit Mandos, les elfes exilés étaient condamnés à se lasser du monde23 . Enfin, au fil des Âges, les fëar des Elfes deviennent dominants et finissent par consumer littéralement et physiquement leurs corps qui ne resteront que dans la mémoire de leurs esprits. Tolkien avait précisé que ce phénomène de dissipation avait déjà commencé24 . Ainsi, les Elfes déclineront et deviendront des purs esprits, invisibles aux yeux des hommes.

En outre, leur corps et leur esprit ne sont pas séparés mais cohérents. Le poids des âges, avec tous leurs changements de désir et de pensée, s’accumule dans l’esprit des Eldar, et il en va de même pour les impulsions et leurs humeurs sur les changements de leur corps. C’est ce que désignent les Eldar quand ils parlent de leur esprit les consumant; et ils disent qu’à la fin d’Arda, tous les Eldalie sur terre seront devenus comme des esprits invisibles aux yeux des mortels, sauf s’ils veulent être vus par certains parmi les Hommes dans l’esprits desquelles ils peuvent entrer directement.

DES LOIS ET COUTUMES DES ELDAR… – The History of Middle-Earth Vol 10

La mémoire des Elfes est beaucoup plus importante que celle des Mortels. Pour ces derniers, la mémoire n’est qu’une sorte d’image figée, issue du passé. Mais les Elfes sont capables de « vivre », d’une certaine manière, dans leur mémoire25 .

– Peut-être, dit Gimli, et je vous remercie de ces paroles. Des paroles vraies, sans doute; mais un tel réconfort est froid. Le souvenir n’est pas ce que le coeur désire. Ce n’est qu’un miroir, fût-il aussi clair que le Khelcd-zâram. Tout au moins est-ce ce que dit le coeur de Gimli le Nain. Les Elfes peuvent voir les choses autrement. En vérité, j’ai entendu dire que pour eux le souvenir ressemblait davantage au monde qui s’éveille qu’au rêve. Il n’en est pas de même pour les Nains.

ADIEU A LA LORIEN – La Communauté de l’Anneau

Au fil des âges, les Elfes deviennent affligés par leur mémoire. Pour des êtres qui vivent durant des millénaires, les changements et les évolutions du monde sont innombrables et deviennent difficiles à supporter.

Dans les premiers jours les enfants elfes s’épanouissaient encore dans le monde et le feu de leur esprit ne les consumaient pas, et le poids de la mémoire leur était encore léger.

DES LOIS ET COUTUMES DES ELDAR… – The History of Middle-Earth Vol 10

Lors des premières années de la vie d’un elfe, sa mémoire est légère mais il deviendra fardeau avec le temps. Ainsi le pressentait Finrod :

Au delà de la fin du Monde, nous ne devons pas changer; et la mémoire est notre grand talent, comme il apparaît plus clairement au fil des âges d’Arda : elle deviendra un lourd fardeau, je le crains.

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle-Earth Vol 10

C’est seulement sur les terres bénies de l’Ouest où les choses changent très lentement que les Elfes supportent mieux l’écoulement du temps. Mais même là bas, ils n’échappent pas complètement à la lassitude de la vie, comme l’illustre l’histoire de Míriel, la femme de Finwë, Seigneur des Noldor en Aman:
Après avoir donné naissance à Fëanor, leur premier enfant, elle se sentit extrêmement lasse. Manwë la confia alors aux soins d’Irmo en Lórien. Mais sa lassitude était trop grande et son fëa quitta son hröa pour aller chez Mandos : Míriel sentait qu’elle n’avait plus la force de vivre car, selon elle, toute sa vitalité serait passée dans Fëanor. Elle s’était donc laissé « mourir »  (suivant la façon des Elfes) et ne voulut plus revenir parmi les vivants d’une manière ou d’une autre.
Ce fut le premier décès dans les Terres bénies. Les Valar ne s’y attendaient pas car ils croyaient qu’Aman était préservé des méfaits de Melkor mais ce décès leur avait fait prendre conscience que rien sur Arda, ni même les enfants d’Ilúvatar dont les corps viennent de cette Terre, n’échapperont à l’influence de Melkor26 . Les Elfes peuvent mourir de lassitude, même en Aman. Comme ils n’étaient pas destinés au trépas, il leur était interdit de se remarier. La mort de Míriel et le désir de Finwë d’avoir une autre compagne nécessitèrent une modification des lois. Les Valar avaient donc statué sur leur cas. Ce débat fit l’objet d’un texte nommé The Statue of Finwë and Míriel que nous ne détaillerons pas ici (voir à ce sujet sur Hisweloke l’article Míriel, ou la confrontation de la lune et du soleil https://www.jrrvf.com/hisweloke/site/articles/mythes/miriel/index.html).

En fin de compte, il fut accordé aux elfes de se remarier s’il y avait décès d’un des deux parties auquel cas, le décédé ne pourrait plus revenir à la vie. Finwë pouvait donc avoir une autre femme puisque Míriel était certaine de ne plus vouloir revivre. Il épouse alors Indis et ils eurent plusieurs enfants. Certains pensèrent que si Míriel ne s’était pas éteinte ou que si Finwë ne s’était pas remarié, Fëanor ne serait pas devenu ce qu’il a été et beaucoup de méfaits auraient pu être évités. Mais n’oublions pas que les descendants de la lignée d’Indis étaient aussi les auteurs des plus grands exploits de toute l’Histoire d’Arda.

Les elfes exilés, comme Galadriel, étaient partagés, déchirés, entre leur amour pour la Terre du Milieu et leur désir que cette dernière n’évolue pas, reste inchangée. Ainsi l’illustre le texte sur l’Elessar :

Et Galadriel dit : « Où est la pierre d’Eärendil à présent ? Et Enerdhil n’est plus qui le fabriqua. » « Comment savoir ? » dit Olórin. « Ils s’en sont allé outre-mer assurément, dit Galadriel, comme presque toutes les œuvres de Beauté. Et la Terre du Milieu doit-elle donc se flétrir et périr à jamais ? » « Tel est son destin, dit Olórin. Et cependant, un temps encore, on pourrait y remédier, si l’Elessar nous était rendu. Quelque temps encore, jusqu’à ce que vienne le jour des Hommes. » « Si – mais comment cela se pourrait-il, dit Galadriel. Car les valar s’en sont allés ; et la Terre du Milieu est bien loin de leurs pensées, et l’Ombre offusque tous ceux qui y restent attachés. »

L’ELESSAR – Contes et Légendes Inachevés, Deuxième Âge

Il existe plusieurs versions différentes sur l’origine de cette pierre, mais Galadriel la désirait dans tous les cas pour la même raison : arrêter le déclin des choses en Terre du Milieu (ou du moins, ce qui apparaît pour elle comme tel alors que cela pourrait n’être que de l’évolution naturelle des choses.)
Même si le désir de préserver n’est pas un mal en soi, il avait mené les elfes d’Eregion à la tentation d’utiliser la « magie » pour arriver à leur fin et à entraver la marche de l’Histoire.27

Note sur la magie chez Tolkien

Tolkien distinguait deux types de « magie » (terme qui est en fait inapproprié) : la magia  et la goeteia  28 . Aucune n’est mauvaise intrinsèquement. La magia  est un moyen d’agir sur le monde physiquement. Par exemple, Gandalf y avait recours en allumant un feu sur les pentes du Caradhras. L’ennemi s’en servait pour raser les forêts. La goeteia  permet de créer des illusions. Alors que l’ennemi s’en servirait pour tromper et effrayer, les Elfes et Gandalf s’en serviraient pour créer des illusions dans un but artistique, telles des statues ou des tableaux et non dans le but de tromper les autres. La « magie », en général, est un moyen plus rapide, plus efficace, pour concrétiser les désirs et des idées. Ainsi, les machines et la technologie sont en tout points comparables à la « magie » en tant que moyen29 .
Pour les Elfes, elle est donc un art alors que pour Sauron (et ses alliés), elle est un moyen de domination et de Pouvoir.

– Et vous? demanda-t-elle, se tournant vers Sam. Car c’est là ce que vous autres appelleriez de la magie, je pense: encore que je ne comprenne pas très bien ce que vous entendez par là; et vous semblez aussi user du même mot pour les fourberies de l’Ennemi. Mais ceci, si vous le voulez bien, est la magie de Galadriel. N’avez-vous pas dit que vous aimeriez voir de la magie elfique ?

LE MIROIR DE GALADRIEL – La Communauté de l’Anneau

Le problème de la « magie » est qu’avec des moyens trop aisés pour combler ses désirs, on peut tomber dans l’excès et l’abus. Enfin, la « magie » est aussi un talent naturel, inhérent aux êtres capables de la pratiquer, elle ne s’apprend pas.

Lors du deuxième âge, Sauron avait réussi à convaincre les elfes de forger des anneaux de Pouvoir, ils étaient séduits par ses paroles qui avaient probablement abusé de leur faiblesse : l’envie de rester dans le passé.
Les anneaux détenus par Elrond et Galadriel leur permettaient de créer des terres immuables, les elfes qui s’y trouvaient devenaient insensibles à la lassitude et à l’écoulement des âges30 . Un pouvoir somme toute comparable à celui des anneaux des Nazgûls par certaines facettes, en tant que moyen de conservation. Même si Sauron n’avait jamais touché aux trois anneaux elfiques (et c’est sans doute cela qui avait évité aux Elfes de tomber sous sa domination), ceux-ci étaient liés irrémédiablement à l’Unique puisqu’ils avaient été forgés suivant les instructions de Sauron. La destruction de l’Unique impliquait la fin des pouvoirs des trois grands anneaux elfiques. Les Elfes, durant la guerre de l’anneau, étaient prêts à ce sacrifice, prêts à mettre fin à la sauvegarde, l’isolement de leurs foyers et à subir les effets du flot du temps qui emportera leurs Havres dans l’oubli, ce qui entraînera leur disparition en fin de compte la Terre du Milieu d’une manière ou d’une autre.

Ne voyez-vous pas à présent pourquoi votre venue est pour nous comme le premier pas de l’accomplissement du Destin? Car si vous échouez, nous sommes livrés sans défense à l’Ennemi. Mais si vous réussissez, notre pouvoir n’en sera pas moins diminué, la Lothlôrien s’affaiblira et les marées du Temps l’emporteront. Il nous faut partir vers l’ouest, ou être réduits à l’état de lourdauds habitant les combes et les cavernes et condamnés à oublier et être oubliés peu à peu.

LE MIROIR DE GALADRIEL – La Communauté de l’Anneau

L’histoire de la guerre de l’anneau montre l’erreur des Elfes de vouloir rester dans le passé. Elle n’était pas tant le fait qu’ils avaient écouté Sauron mais plutôt dans leur volonté d’empêcher la marche de l’Histoire d’Arda pour leur propre plaisir (Tolkien qualifiait les Elfes d’« embaumeurs »). Sauron n’avait fait que profiter de cette tentation des Elfes31 .

 

 

La longévité ou l’immortalité contrefaite (la vraie immortalité est au delà de l’Ëa) est le domaine de prédilection de Sauron. Elle transforme le faible en Gollum et le puissant en spectre de l’Anneau..

Extrait de la lettre 212

La chute des númenoréens

La mort était toujours présente, du fait que les Numénoriens, comme dans leur ancien royaume qu’ils avaient ainsi perdu, étaient toujours assoiffés d’une vie éternellement invariable. Les rois édifiaient des tombeaux plus splendides que les maisons des vivants, et ils attachaient plus de prix aux vieux noms de leur lignée qu’à ceux de leurs propres fils. Des seigneurs sans enfants se tenaient dans d’antiques châteaux, à ne penser qu’à l’héraldique; dans des cabinets secrets, des hommes desséchés composaient des élixirs puissants ou, dans de hautes et froides tours, ils interrogeaient les étoiles. Et le dernier roi de la lignée d’Anarion n’avait pas d’héritier.

LA FENETRE DE L’OUEST – Les Deux Tours

C’est ainsi que parla Faramir des Númenoréens à Frodon. De nombreux références à ce peuple et à Númenor se trouvent dans Le Seigneur des Anneaux . Qui étaient-ils ? En récompense aux hommes des Trois Maisons des Edains qui étaient alliés avec les Elfes contre Morgoth durant le Premier Âge, les Valar avaient élevé une terre entre la Terre du Milieu et Valinor (ains que Tol Eressëa) pour eux. Aux enfants d’Ëarendil, Elrond et Elros, il était accordé de pouvoir choisir leurs destins. Elrond avait choisi la destiné des Elfes et Elros, celle des mortels et devint le premier roi de Númenor.

La suite de l’histoire de Númenor nous est succinctement contée par Faramir qui critiquait leur refus de la mortalité. Il y a plus de détails dans les appendices du Seigneur des Anneaux et surtout, dans l’Akallabêth. Faramir soulignait que la recherche de l’immortalité des Númenoréens était une obsession qui n’avait conduit que vers un savoir pour la conservation des corps puis dérivée vers une culture mortuaire et, indirectement, contribuée à leur déclin.

Certains hommes de Númenor refusaient leur condition de mortel. Trompé par Sauron, le roi Númenoréen Ar-Pharazôn avait lancé une attaque contre Valinor, croyant qu’en Aman résidait le pouvoir de les rendre immortels.

Lorsqu’ils se firent puissants, ils contestèrent le choix de leurs ancêtres, désirant jouir de cette immortalité au sein du monde vivant, qui était le destin dévolu aux Eldar, et ils murmurèrent contre l’interdit. Ainsi prit feu la rébellion, qui, attisée par les enseignements maléfiques de Sauron, devait amener le submersion de Númenor et la ruine du monde ancien, comme il est relaté dans l’Akallabêth.

LES ROIS NUMENOREENS, APPENDICE A – Le Retour du Roi

Cette recherche de l’immortalité était une folie. Peu avant la révolte des Númenoréens, un messager des Valar avait tenté de les raisonner:

Nous qui portons le fardeau sans cesse croissant des années, nous le comprenons mal, mais si cette peine est revenue vous troubler, comme vous le dites, alors nous craignons qu’une fois de plus l’Ombre se relève et grandisse dans vos cœurs. C’est pourquoi, bien que vous soyez les Dúnedain, les plus beaux des Humains, ceux qui ont fui l’Ombre de jadis et combattu vaillamment contre elle, nous vous disons : prenez garde ! Nul ne peut s’opposer à la volonté d’Eru, et les Valar vous demandent fermement de ne pas vous refuser à la charge qui vous est dévolue de peur qu’elle ne redevienne bientôt la chaîne qui vous liera. Ayez plutôt l’espoir que le terme assigné verra satisfaits les moindres de vos désirs. L’amour d’Arda fut semé en vos cœurs par Ilúvatar, et il ne plante pas sans but. Pourtant des siècles et des générations d’hommes passeront peut-être avant que ce but soit connu, et c’est à vous alors qu’il sera révélé, non aux Valar.

AKALLABÊTH – Le Silmarillion

Ainsi, ce messager, probablement elfique, ne comprenait pas que les hommes refusent leur condition car la « mort » est un moyen de quitter Arda et d’échapper au fardeau du temps et de la mémoire32 . La Mort est le don d’Ilúvatar aux Hommes, don que même les Valar devraient envier. Ainsi, on retrouve cette occurrence dans l’Ainulindalë33 :

Il va cependant de pair avec ce don de liberté que les enfants des Hommes ne demeurent en vie que peu de temps dans le monde, qu’ils ne soient pas non plus liés à lui et s’en aillent vers un lieu que nous ignorons. Tandis que les Eldar restent jusqu’à la fin des jours, et leur amour du monde est plus profond et par là même plus douloureux.

Mais les enfants des Hommes meurent vraiment et quittent le Monde, Ainsi sont-ils appelés les « invités » ou les « étrangers ». La mort est leur destin, le don qu’Illuvatar leur a fait, et qu’au fil du Temps même les Puissants leur envieront. Mais Melkor a jeté son Ombre dessus, et l’a confondu avec les ténèbres, et dès lors a perverti quelque chose de bon, et a changé l’espoir en peur.

AINULINDALË, VERSION C – The History of Middle-Earth Vol 10

Mais les Hommes l’avaient oublié. Le « don » était appelé par la suite « destin des Hommes » (« Doom of Men » dans la version originale). Ce changement d’appellation marque l’oubli des Hommes sur la nature bénéfique de la Mort.

Car bien que leur eût été allouée une durée de vie qui, au commencement, était trois fois plus longue que celle des Hommes moindres, il leur fallait demeurer de condition mortelle, les Valar n’étant point autorisés à leur retirer le don des Hommes (où ce que plus tard on devait nommer la Noire Fatalité des Hommes).

LES ROIS NUMENOREENS, APPENDICE A – Le Retour du Roi

Ce que les hommes appellent la « mort » est en réalité la Délivrance34 . Personne ne sait ce qu’Eru leur a réservé au delà. Le messager disait que la Mort était considérée comme un mal à cause de l’ombre de Morgoth.

et le destin des Humains, comme quoi ils doivent partir, fut au départ un don d’Ilúvatar. Ce n’est une peine pour eux que depuis qu’ils sont passés sous l’ombre de Morgoth. Ils se sont cru entourés de ténèbres dont ils ont eu peur, puis certains ont eu l’orgueil obstiné de ne pas céder jusqu’à ce que la vie leur fût arrachée.

AKALLABÊTH, LA CHUTE DE NÚMENOR – Le Silmarillion

L’erreur des númenoréens, qui avait conduit à la submersion de leur terre, n’était que la répétition de leur première chute, elle-même due à leur croyance erronée sur la mortalité depuis leur réveil (voir plus loin). De plus, l’interdiction aux hommes d’aller en Valinor était interprétée à tort comme une punition. Si ces terres étaient bénies par les Valar, ces derniers ne pouvaient retirer le don d’Eru (la mortalité) aux hommes et ces terres ne conféraient aucunement l’immortalité.

Que se passerait-il si les hommes habitaient en Aman ?
Là bas, chaque être et chaque chose qui poussent sont faits pour vivre au rythme d’Aman et vieillissent avec Arda. Du point de vue des Hommes, tout semble immuable et immortel. La durée de vie des hommes paraîtrait alors, comparativement, très éphémère. Et les hommes ressentiraient comme injuste leur condition de mortel, estimant qu’ils quitteraient Arda toujours trop tôt.
Tolkien avait émis l’hypothèse qu’Aman aurait le pouvoir de les empêcher de dépérir. Que se passerait-il alors ? Leur corps ne vieilliraient pas mais leurs fëar voudraient malgré tout partir au terme de leur temps. Les fëar voudraient alors quitter des corps en pleine forme mais ces derniers ne voudraient pas « mourir ». Soit le fëa ne serait pas assez fort pour quitter le hröa et il serait alors prisonnier du corps, tel un animal en cage qui voudrait constamment s’échapper. Soit le fëa serait assez fort pour quitter le hröa, laissant un corps vide, sans esprit mais vivant, ce qui serait une monstruosité35 .
Cette interdiction était donc faite dans l’intérêt des hommes. Elle est comparable à la raison pour laquelle les lembas étaient rarement donnés aux mortels : la consommation des lembas chasse la lassitude et un mortel qui en abuserait ne voudrait plus mourir36 .

Même sans connaître les Terres immortelles de l’Ouest, il peut être périlleux pour les mortels d’être proches des Premier-Nés comme le pensait Faramir. Son avis rappelle celui de Sador, l’ami de Túrin, qui disait qu’il aurait mieux valu que les Hommes n’aient jamais rencontré les Elfes car le destin des mortels n’en paraît que plus difficile à porter.

Il en est pourtant encore parmi nous qui entretiennent des rapports avec les Elfes quand ils le peuvent, et de temps à autres certains vont en secret en Lorien, d’où il est rare qu’ils reviennent. Pas moi. Car je considère qu’il est à présent dangereux pour un mortel de rechercher volontairement les Anciennes Gens.

LA FENETRE DE L’OUEST – Les Deux Tours

C’est un peuple de beauté et de grâce, et ils ont pouvoir sur le cœur des Hommes. Et cependant je me prends parfois à penser qu’il aurait peut-être mieux valu que nous ne les ayons jamais rencontré, et ayons persisté dans notre humble voie. Car ils détiennent un savoir déjà ancien ; et ils sont fiers et endurants. A leur lumière, nous paraissons ternes ou nous brûlons d’une flamme trop vive et qui trop rapidement se consume, et le poids de notre destinée pèse sur nous d’autant.

NARN I HÎN HÚRIN – Contes et Légendes Inachevés, Premier Age

Les Nazgûls étaient des hommes, qui avaient succombés aux pouvoirs des neufs anneaux. Ces hommes avaient obtenu puissance et gloire et surtout, l’immortalité. Connaissaient-ils pour autant le prix de cette dernière ou savaient-ils même que ces anneaux allaient allonger leur vie ?

Les Humains tombèrent plus aisément dans le piège. Ceux qui se servirent des Neuf anneaux devinrent les puissants de leur époque : rois, sorciers et guerriers d’antan, ils gagnèrent la gloire et la richesse, mais cela se retourna contre eux. Il semblait que leur vie n’avait pas de fin mais la vie leur semblait insupportable, ils pouvaient parcourir le monde invisible à tous, même sous le soleil et voir ce qui restait invisible aux mortels, mais ils ne voyaient trop souvent que les fantômes et les illusions de Sauron.

LES ANNEAUX DU POUVOIR ET LE TROISIÈME ÂGE – Le Silmarillion

Faramir avait raconté à Frodon que des seigneurs de Númenor avaient accepté ces anneaux de Pouvoir. S’ils connaissaient l’immortalité que conféraient ces Anneaux, nul doute que cela n’avait fait que les attirer plus encore, au vue de leur obsession de fuir la Mort.

On dit que leurs seigneurs étaient des hommes de Númenor, tombés dans une sombre méchanceté; l’Ennemi leur avait donné des anneaux de puissance, et il les avait dévorés : ils étaient devenus des spectres vivants, terribles et pernicieux.

LE LAC INTERDIT – Les Deux Tours

La Mort est une délivrance mais il ne faut pas se méprendre : si la mort naturelle, conséquence de la mortalité, est bien un don d’Eru (et, par conséquent, doit être acceptée), la vie sur Arda est aussi un don du Créateur qu’il ne faut pas rejeter par désespoir. Ainsi, le suicide de Denethor était une folie, un abandon et non un acte de foi :

– Vous le pouvez, dit Gandalf. Mais d’autres peuvent contester votre volonté, quand elle tourne à la démence et au mal. Où est votre fils, Faramir ?

– Il ne se réveillera plus, dit Denethor. La bataille est vaine. Pourquoi désirerions-nous vivre plus longtemps? Pourquoi n’irions-nous pas à la mort côte à côte ?
– Vous n’avez pas autorité, Intendant de Gondor, pour ordonner l’heure de votre mort, répliqua Gandalf. Et seuls les rois païens, sous la domination de la Puissance Ténébreuse, le firent, se tuant dans leur orgueil et leur désespoir, et assassinant leurs proches pour faciliter leur propre mort.

LE BUCHER DE DENETHOR – Le Retour du Roi

 

III. L’Ombre de Morgoth sur la Mort

Tous les Elfes « mourraient » donc à la Fin d’Arda. Ce que cela pouvait signifier, ils l’ignoraient. C’est pourquoi ils disaient que les Hommes avaient une ombre derrière eux, mais que les Elfes avaient une ombre devant eux.

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle Earth Vol 10

La considération de la Mort par les Hommes est traitée en détail dans Athrabeth Finrod Ah Andreth, un débat entre Finrod Felagund et Andreth, descendante de Bëor l’Ancien et parente de Beren Erchamion.
Durant cette discussion, Finrod apprit d’Andreth que les hommes croyaient être immortels à l’origine, tout comme les Elfes, et que ce serait Melkor qui les auraient maudits en les rendant mortels. Cela étonna Finrod car si la corruption des choses et des êtres était indéniable, Melkor ne pouvait avoir la capacité de changer l’œuvre d’Eru au point que ce changement soit héréditaire, comme le fait de rendre mortel tout un peuple qui ne l’était pas. De plus, la mortalité est ce qui différencie les Hommes des Elfes. Si les Hommes n’étaient pas mortels, cela voudrait dire qu’ils auraient été elfiques. Finrod pensait qu’Andreth (et les hommes en général) confondait la Mort avec son Ombre. Le premier est un don d’Eru aux Hommes et le deuxième, est une œuvre de Melkor, pour détourner les Hommes d’Ilúvatar.

– Mais qui vous avait fait ce mal ? Qui vous a imposé la Mort? Melkor, me répondras-tu sans doute ou n’importe quel nom que tu lui connais en secret. Tu parles de la Mort et de son Ombre comme si elles étaient une seule et même chose; et comme si échapper à l’Ombre signifiait aussi échapper à la Mort.
Mais ce sont deux choses distinctes, Andreth. C’est ce que je crois, sinon la Mort ne se retrouverait pas partout dans ce monde qui n’est pas de lui, mais d’un Autre. Non, la Mort n’est autre que le nom que nous donnons à quelque chose qu’il a souillé, ainsi résonne-il comme quelque chose de mauvais; mais non corrompu ce nom serait beau.

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle Earth Vol 10

Dans la lettre 131, Tolkien avait écrit que la première chute des Hommes n’apparaît pas dans son mythe

Donc, pour continuer, les elfes chutent, avant que leur « histoire » puisse entrer dans le récit. (La chute originelle de l’Homme, n’apparaît nulle part pour les raisons indiquées – les Hommes n’entrent en scène que lorsque tout ceci n’est plus qu’un lointain passé, et il y a seulement une rumeur selon laquelle, pendant un certain temps, ils ont été soumis à la domination de l’Ennemi, et que certains se sont repentis.)

La chute est en partie le résultat d’une faiblesse inhérente aux Hommes – consécutive, si vous voulez, à la première chute ( non rapportée dans ces légendes), objet repentir sans être définitivement guérie.

Pourtant, nous avons quelques indices dans le Quenta Silmarillion qui parlait d’une ombre derrière les Hommes et de Morgoth qui était prévenu de leur réveil :

Mais quand il posait des questions sur l’origine des Humains ou sur leurs voyages, Bëor ne disait presque rien et, de fait, il en savait peu car les anciens de son peuple n’avaient légué que peu de récits de leur passé et un silence était tombé sur leur mémoire.
– Derrière nous c’est la nuit, dit Bëor. Nous lui avons tourné le dos et nous ne voulons pas y retourner, même en pensée. Nous avons tourné nos cœurs vers l’ouest et nous croyons que nous y trouverons la Lumière.
Mais on dit plus tard, parmi les Eldar, que lorsque les Humains s’éveillèrent à Hildórien, au lever du Soleil, ils étaient guettés par les espions de Morgoth qui rapportèrent bien vite la nouvelle à leur maître à qui l’affaire parut d’une telle importance qu’il quitta lui-même Angband en grand secret, sous le couvert de l’ombre, et retourna sur les Terres du Milieu en laissant à Sauron la conduite de la Guerre. De ses rapports avec les Humains, les Eldar en vérité ne savaient rien à cette époque et n’en apprirent guère plus ensuite, sinon qu’une ombre pesait sur le cœur des Humains (comme celle du massacre et de la Malédiction de Mandos pesait sur les Noldor), ce qu’ils avaient clairement senti même chez les amis des Elfes qu’ils avaient connus en premier..

LA VENUE DES HUMAINS DANS L’OUEST– Le Silmarillion

Dans le texte Narn I Hîn Húrin, Sador avait raconté une histoire similaire à Túrin, les hommes semblaient vouloir oublier leur passé, se rappelant uniquement de la « peur de l’Obscurité » à laquelle ils ne pouvaient échapper, même dans le Beleriand.

« Et cela a toujours été comme cela ? Ou souffrons-nous de la malédiction du mauvais Roi, peut-être, comme du souffle pernicieux »
« Je ne sais pas. Derrière nous s’étendent les ténèbres, et de ces ténèbres, peu de récits ont émergé. Les pères de nos pères ont pu avoir des choses à raconter, mais ils n’ont rien dit. Leur nom même est oublié. Les Montagnes se dressent entre nous et la vie dont ils sont issus, fuyant on ne sait quoi. »
« Est-ce qu’ils avaient peur ? » dit Tùrin.
« Peut-être, dit Sador, il peut se faire que nous ayons fui le peur de l’Obscur, seulement pour le retrouver ici bas devant nous, et nulle part où fuir ailleurs, sinon vers la Mer. » 

NARN I HÎN HÚRIN – Contes et Légendes Inachevés, Premier Âge

A ce stade, nous pouvons supposer que Morgoth était à l’origine de l’ombre qui poursuivait les Hommes et qui fut à l’origine de leur première chute qu’évoquait Tolkien. Andreth refusait d’en parler à Finrod durant leur discussion mais il existe pourtant un texte sur cette épisode : Le Conte d’Adanel, dans une version de l’Athrabeth où Andreth avait accepté de révéler le passé des Hommes à Finrod. On apprend qu’une voix guidait les Hommes dès leur réveil. Cette voix que les hommes entendaient en pensée était probablement celle d’Eru. Elle leur enseignait mais pas aussi vite qu’ils l’auraient voulu. Puis, Melkor leur était apparu en personne et s’était présenté comme le
« Donneur de Dons » : il offrait diverses choses qui amélioraient la vie des Hommes mais les rendaient désireux et dépendants aussi. Melkor commanda aux Hommes de ne plus écouter la voix et les obligea à le révérer en tant que Seigneur et à renier la voix qu’il associa aux ténèbres. Il les encourageait à devenir cruels et à s’entretuer.

– Puis nous avons parlé de la Voix. Mais son visage devint terrible; car il était en colère. « Fous! » dit il. « C’est la voix de l’Obscur (NdT: Dark) . Elle veut vous séparer de moi; car elle a faim de vous. »

Nous nous prosternâmes. « Il y en a parmi nous qui écoutent encore la Voix de l’Obscur» dit il, « et cela l’attire. Choisissez à présent! vous pouvez avoir l’Obscur pour Seigneur, ou vous pouvez m’avoir moi. Mais à moins que vous ne Me considériez comme votre Seigneur et juriez de Me servir, je partirai et je vous laisserai; car j’ai d’autres royaumes et lieux de résidence, et je n’ai besoin ni de la Terre, ni de vous. »

« Á présent, vous m’appartenez et devez accomplir ma volonté », dit il. « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que certains d’entre vous meurent et aillent apaiser la faim de l’Obscur; car sinon, vous serez bientôt trop nombreux, rampant comme des poux sur la Terre. Mais si vous ne respectez pas ma volonté, nous sentirez ma colère et vous mourrez plus tôt car je vous tuerai.»

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle-Earth Vol 10

Eru aurait raccourci la vie des Hommes car ils l’avaient renié. Ensuite, certains s’étaient rebellés contre Melkor et avaient fuis vers l’ouest et c’est ainsi que les Edain rencontrèrent les Elfes. Bien qu’intéressant, ce texte est sujet à caution car Tolkien ne voulait pas raconter de la première chute des Hommes.

La première Voix, nous ne l’entendîmes plus jamais hormis une fois. Dans le calme de la nuit, elle parla, en disant « Vous m’avez renié mais vous restez miens. Je vous ai donné la vie. A présent, elle sera raccourcie, et chacun de vous viendra à Moi sous peu, pour apprendre qui est votre Seigneur, celui que vous vénérez ou moi qui l’ai crée. »
Alors notre terreur de l’Ombre fut accrue; car nous croyions que la Voix était l’Obscur (NdT: Dark) derrière les étoiles. Et certains d’entre nous commencèrent à mourir dans l’horreur et l’angoisse, craignant de partir dans l’Obscur.

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle-Earth Vol 10

Cette « punition » d’Eru ressemble aux chutes des Hommes dans des mythes de certaines religions. C’était peut-être pour cela que Tolkien ne l’avait pas inclus dans ses légendes. Mais notons que la vie allongée des númenoréens apparaît sous une autre lumière : elle pourrait n’être que le redressement de cette chute. Mais les Hommes étaient bel et bien mortels dans leur nature même.

IV. L’Estel

Dans ce cas, je ne suis intéressé que par la Mort en tant que nature, physique et spirituelle, de l’Homme et par l’espoir sans garanties.

Lettre 181

Les Elfes ne savent pas ce qui les attend au delà de la fin d’Arda mais ils gardent l’Estel, qui veut dire « confiance » (sous entendu, envers en Eru), comme l’expliquait Finrod en ces termes dans l’Athrabeth :– … Estel nous l’appelons, qui est la « confiance ». Il n’est pas défait par les aléas du monde car il ne naît pas de l’expérience mais de notre nature et de notre conception première. Si nous sommes en effet les Eruhin, les Enfants de l’Unique, alors Il ne pourra tolérer d’être privé de ce qui vient de lui, par un quelconque ennemi, non plus que par nous-même. C’est le dernier fondement de l’ Estel , que nous gardons même quand nous sommes face à la Fin: De tous ses desseins, la conclusion sera nécessairement pour la joie de ses enfants.
ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle Earth Vol 10

Alors que le mot « Espoir » semble convenir pour traduire l’Amdir, car il est basé sur l’expérience, il faudrait plutôt parler d’ « Espérance » pour être plus proche de l’Estel.
Ni les Elfes, ni les Valar ne savent ce qui est destiné aux mortels au delà de la Mort. Leurs fëar restent un moment dans les cavernes de Mandos avant de quitter les cercles du Monde, seul Eru connaît leur destin. Mais les Hommes aussi devraient avoir l’Estel car ce que réserve Eru à ses enfants ne peut être mauvais même si cela est inconnu et que rien n’est garanti. Les Mortels doivent accepter leur condition, ainsi que l’illustre la mort d’Aragorn. Ce dernier, appelé aussi Estel par sa mère car elle avait le pressentiment qu’il devait apporter l’espoir aux hommes, avait pleinement accepté sa « mort » au terme de son temps. Il avait choisi de s’endormir, en paix. C’était ainsi que les rois Númenoréens, restés fidèles, mourraient, de plein gré.Et jusqu’au temps de Tar-Atanamir, se perpétua désormais la coutume qui voulait que le Roi cédât la sceptre à son successeur avant de mourir; et les Rois mourraient de leur plein gré et en pleine lucidité d’esprit.
LA LIGNÉE; D’ELROS : LES ROIS DE NÙMENOR – Contes et Légendes inachevés, Deuxième Âge

Et les derniers mots d’Aragorn à Arwen montrent qu’il avait gardé jusqu’à la fin confiance en Eru. Il avait l’espoir, aussi mince soit-il, dans la destruction de l’anneau, mais plus encore, il avait conservé l’Estel dans ce qu’Eru prédestine aux Hommes après leur existence sur Arda. Ne disait il pas qu’il y a plus que le souvenir, au delà des cercles du monde? En cela, Aragorn exemplifiait l’Estel ultime, il portait l’espérance.Nous devons partir dans la tristesse, mais non dans le désespoir. Voyez ! Nous ne sommes pas liés à jamais aux cercles de ce monde et, au delà, il y a plus que le souvenir. Adieu ! » 
FRAGMENT DE L’HISTOIRE D’ARAGORN ET D’ARWEN, APPENDICE A – Le Retour du Roi

Cette acceptation d’Aragorn ne doit pas être confondue avec la mort recherchée de Denethor, ni une résignation car cette dernière était née du désespoir total. Aragorn, au contraire, était parti dans l’espoir qu’il y a une existence au delà de l’, là où réside la vraie immortalité.
C’est à travers les mots de Finrod que nous comprenons pleinement le sens de l‘Estel. Aragorn l’illustrait parfaitement à travers sa mort. C’est encore Finrod qui prédisait que les unions entre les Elfes et les Hommes feraient sans doute partie d’un plan divin afin que les Elfes continuent d’exister à travers l’humanité. Et l’union d’Aragorn et Arwen était la concrétisation de cette prédiction. (Avec celle de Beren et Lúthien à laquelle Finrod lui même avait contribué en donnant sa vie).…Si un quelconque mariage pouvait avoir lieu entre les miens et les tiens, Ce serait pour quelque grand dessein du Destin. Bref il sera, et dur à la fin. Oui, le sort le moins cruel qui pourrait advenir serait que la mort y mette fin promptement.
ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle Earth Vol 10

Remarquons que par la terre offerte par Galadriel répandue par Sam, il restera toujours un peu de la Lothlórien dans la Comté, de même qu’il restera une parcelle de sang elfique chez les Hommes.Le problème de la mortalité des hommes rejoint ainsi le thème de l’espérance car pour accepter leur condition, les Hommes doivent faire confiance à Eru, garder l’espérance.
Cette dernière semble donc occuper une place centrale dans l’Histoire d’Arda. Ainsi, Manwë le plaçait comme la plus importante des vertus.Mais la Guérison doit toujours conserver l’idée de l’Arda Immarrie qui, même si elle ne peut être atteinte, doit perdurer dans la patience. C’est cela l’Espérance qui est, j’estime, de toutes les autres vertus, la plus belle des Enfants d’Eru (mais on ne peut lui ordonner de venir en cas de besoin : la patience doit souvent l’attendre longtemps)
SUR LA RUPTURE DU MARIAGE – The History of Middle Earth Vol 10

Par opposition, le désespoir et la peur sont les armes les plus redoutables de l’Ennemi, bien plus que sa puissance militaire. On peut remarquer que le pouvoir principal des Nazgûls est de provoquer ces sentiments.

Roi d’Angmar depuis longtemps, Sorcier, Esprit Servant de l’Anneau, Seigneur des Nazgûl, lance de terreur dans la main de Sauron, ombre de désespoir.
LE SIEGE DE GONDOR – Le Retour du Roi

Et de l’obscurité grandissante sortirent les Nazgûl, qui criaient de leur voix froide des paroles de mort; et alors, tout espoir s’éteignit.
LA PORTE NOIRE S’OUVRE – Le Retour du Roi

C’est pourquoi le devoir premier des Istari est d’encourager les Elfes et les Hommes de bonne volonté à résister contre Sauron, et non pas de les commander. Et c’est aussi pour cela que Círdan avait donné à Gandalf Narya, l’anneau de feu, qui avait le pouvoir de raviver l’espoir dans les coeurs. La guerre contre le Seigneur Ténébreux est avant tout un combat contre le désespoir.

V. L’Anneau de Morgoth

L’avoir trouvée tourne le mal en un grand bien.

VOYAGE A LA CROISEE DES CHEMINS – Les Deux Tours

Melkor, bien qu’étant le plus puissant de tous les Ainur, n’avait pas le pouvoir de créer, de donner vie. Il ne pouvait que corrompre comme expliquait Frodon à Sam :

– Non, ils mangent et ils boivent, Sam. L’Ombre qui les a produits peut seulement imiter, elle ne peut fabriquer : pas de choses vraiment nouvelles, qui lui soient propres. Je ne crois pas qu’elle ait donné naissance aux Orques; elle n’a fait que les abîmer et les dénaturer, et pour vivre, ils doivent faire comme toutes les autres créatures vivantes.

LA TOUR DE CIRITH UNGOL – Le Retour du Roi

Lors du jugement du cas de Míriel, certains Valar se demandaient si sa lassitude n’avait pas pour origine le marrissement d’Arda par Melkor (“marrissement” est la traduction de “marring”, voir à ce sujet sur Hisweloke l’article Le marrissement d’Arda https://www.jrrvf.com/hisweloke/site/articles/langues/traduction/marrissement.pdf). Il en est de même pour la cause de la dissipation progressive des corps des Elfes au fil des âges : certains elfes pensaient que Melkor était à l’origine de cette faillite de leurs enveloppes charnelles37 .

Morgoth avait dépensé son pouvoir dans la substance même d’Arda, altérant indirectement les hröar des Elfes et les Hommes. De plus, il avait jeté une ombre sur la Mort, inculqué le refus de la mortalité aux Hommes.
Sauron avait mis son pouvoir dans un anneau, trompé les Elfes et les Hommes en profitant de la lassitude des premiers et de la peur de la Mort des seconds. En fin de compte, il avait récolté les graines que Morgoth avait semées.
On notera ce parallèle entre Morgoth et Sauron : le premier distilla son pouvoir dans Arda pour la posséder et le second mit son pouvoir dans l’anneau pour dominer la Terre du Milieu. Arda est, d’une certaine manière, l’anneau de Morgoth comme Tolkien l’avait écrit :

Le pouvoir de Sauron, relativement moindre, était concentré. Les vastes pouvoirs de Morgoth étaient disséminés. La « Terre du Milieu » toute entière était l’anneau de Morgoth.

NOTES SUR LES MOTIFS DU SILMARILLION – The History of Middle Earth Vol 10

Mais ici s’arrête l’analogie entre Morgoth et Sauron. Le premier était un néantiste, un « nihiliste » alors que le deuxième était un dominateur comme l’avait expliqué Tolkien38 .

Arda a été souillée par Melkor mais pouvait-il réellement aller à l’encontre de la volonté d’Eru? N’avait il pas prévenu Melkor avant même l’, que nul ne pouvait altérer la Grande Musique contre sa volonté ?

– Et toi, Melkor, tu verras qu’on ne peut jouer un thème qui ne prend pas sa source ultime en moi, et que nul ne peut changer la musique malgré moi. Celui qui le tente n’est que mon instrument, il crée des merveilles qu’il n’aurait pas imaginées lui-même!

AINULINDALË – Le Silmarillion

Melkor, comme tous les enfants d’Eru, était doté d’une volonté libre. Ses actes n’étaient ni commandés, ni voulus par Eru mais par une grâce de ce dernier, des méfaits de Melkor naîtront de belles choses en fin de compte.

Le mal absolu n’existe pas dans la mythologie de Tolkien car rien n’était mauvais au commencement, ni Saruman, ni Sauron, ni même Melkor.

Et c’est encore une raison pour la destruction de l’Anneau; tant qu’il sera en ce monde, il représentera un danger même pour les Sages. Car rien n’est mauvais au début. Même Sauron ne l’était pas.

LE CONSEIL D’ELROND – La Communauté de l’Anneau

Le « mal » réside dans le désir d’imposer sa volonté à autrui, même dans son intérêt (ou plutôt, pour ce qui semble l’être aux yeux des tyrans). Ainsi, au tout début Melkor pensait-il (ou feignait-il de le croire) œuvrer pour le bien des enfants d’Ilúvatar.

Il sembla, et lui-même commença par le croire, qu’il voulait se rendre en cette demeure et y ordonner toutes choses pour le bien des Enfants d’Ilúvatar, et contrôler les tourbillons de chaleur et de glace qui le traversaient, alors qu’il désirait plutôt soumettre à sa volonté les Elfes et les Humains: il enviait les dons qui leur avaient été promis par Ilúvatar, il voulait pour lui-même avoir des serviteurs et des sujets, s’entendre appeler Seigneur et se sentir le maître d’autres volontés.

AINULINDALË – Le Silmarillion

Saruman avait aussi failli pour cela. Les Istari devaient conseiller et encourager, jamais contraindre ou utiliser la force. Saruman avait pour but de vaincre Sauron mais cet objectif avait fini par l’aveugler, il devenait prêt à tout pour l’atteindre. Il était persuadé qu’avec son immense sagesse et ses connaissances étendues, il pouvait et devait ordonner la Terre du Milieu et régner sur les hommes pour leur « bien ».
Ainsi parlait-il à Gandalf:

«  … le monde des Hommes, que nous devons gouverner. Mais il nous faut le pouvoir, le pouvoir de tout ordonner comme nous l’entendons pour le bien que seuls les Sages peuvent voir.

Nous pouvons attendre notre heure, conserver nos pensées dans notre coeur, déplorant peut-être les maux infligés en passant, mais approuvant le but élevé et ultime: la Connaissance, la Domination, l’Ordre;

Il ne serait point besoin, il n’y aurait point de véritable modification de nos desseins, mais seulement des moyens. »

LE CONSEIL D’ELROND – La Communauté de l’Anneau

C’est ainsi que non seulement les choses peuvent être corrompues, mais le mal peut aussi naître de la volonté de faire le bien. C’est pour cette raison que Gandalf (tout comme Galadriel et Faramir) avait refusé d’utiliser l’Unique, bien qu’il eût sans doute la capacité de le maîtriser pour l’emporter contre Sauron. D’après Tolkien, Gandalf, en tant que Seigneur des Anneaux, aurait été pire que Sauron car il aurait conservé sa sagesse et imposé ce qui lui semblait être le bien le rendant ainsi détestable39 .

A l’opposé, un bien peut aussi venir d’un mal, en fin de compte. La traîtrise de Saruman avait contribué, malgré lui, à la défaite de Sauron. La Comté ravagée, finit par être plus belle et fertile qu’elle ne l’avait jamais été. Qu’en sera-t-il pour Arda Marrie ?

Après la guerre de l’Anneau, les Elfes avaient accepté de disparaître de la Terre du Milieu et de laisser place au Temps des Hommes. Ces derniers auront-ils un rôle à jouer pour délivrer Arda des maux de Melkor? Les Elfes ont foi qu’ Arda sera guérie de sa souillure et plus belle encore qu’Arda immarrie, celle qu’elle aurait dû être sans les méfaits de Melkor40 . Ainsi se réalisera Arda Envinyanta, Arda restaurée (Arda Healed en anglais). Telle est la volonté d’Ilúvatar et en fin de compte, un plus grand bien naîtra d’un mal.
Comme disait l’Ancien, le père de Sam :

– A quelque chose malheur est bon, comme je l’ai toujours dit. Et Tout est bien qui finit Mieux !

LES HAVRES GRIS – Le Retour du Roi

Stéphane Lay,
avril 2004.

Notes

1 Je ne pense même pas que le Pouvoir ou la Domination soit le centre véritable de mon histoire. Cela amène le thème d’une Guerre, c’est à dire quelque chose de suffisamment sombre et terrifiant pour sembler être à cette époque d’une importance capitale, mais il s’agit principalement d’un « contexte » pour mettre en valeur les personnages. Le thème principal, pour moi, aborde quelque chose de beaucoup plus intemporel et délicat : la mort et l’immortalité : le mystère de l’amour du monde dans les cœurs d’une race « condamnée » à le quitter et selon tout vraisemblance à le perdre; l’angoisse dans les cœurs d’une race condamnée à ne pas le quitter, tant que la totalité de son histoire du réveil du mal ne sera pas accomplie.

Extrait de la lettre 186

Mais je pourrais éventuellement dire que si ce conte est « à propos » de quelque chose (d’autre que lui-même), il ne s’agit pas, contrairement à ce que beaucoup de gens supposent, du « pouvoir ». La recherche du pouvoir est seulement le moteur qui permet aux événements de se produire, et n’a pas énormément d’importance, je crois. La considération principale concerne la mort et l’immortalité; et les « moyens » d’y échapper : longévités en série et accumulation de souvenirs.

Extrait de la lettre 211

Mais si on me le demandait, je pourrais dire que le sujet de ce conte n’est pas vraiment le Pouvoir et la Domination. Ils n’en sont que les rouages; le sujet est la Mort et le désir de non-mortalité. Ce qui revient à peu près à dire que c’est un conte écrit par un Homme !

Extrait de la lettre 203

2 – Essayez donc ! dit Gandalf. Essayez tout de suite.
Frodon tira de nouveau l’Anneau de sa poche et le regarda. Il paraissait à présent lisse et uni, sans aucune marque ou devise visible. L’or semblait très clair et très pur, et Frodon admira la richesse et la beauté de sa couleur, la perfection de sa rondeur. C’était un objet admirable et grandement précieux. En le sortant, Frodon se proposait de le jeter loin de lui dans la partie la plus chaude du feu. Mais il s’aperçut alors qu’il ne pouvait le faire sans grande lutte. Il soupesa l’Anneau dans sa main, hésitant et s’efforçant de penser à tout ce que lui avait dit Gandalf; et puis, par un effort de volonté, il fit un mouvement, comme pour le jeter, mais il s’aperçut qu’il l’avait remis dans sa poche.
Gandalf eut un ricanement sinistre: – Vous voyez ? Déjà vous aussi, Frodon, vous ne pouvez l’abandonner facilement, et vous n’avez pas la volonté nécessaire pour l’endommager. Et je ne pourrais pas vous le faire faire, sauf par la force, ce qui vous briserait l’esprit.

L’OMBRE DU PASSÉ- La Communauté de l’Anneau

3 Je ne pense pas que (la faiblesse) de Frodon soit un échec moral. Au dernier moment la pression exercée par l’anneau aura atteint son maximum – impossible, dirais-je, pour n’importe qui de résister, surtout après une longue possession, des mois de tourments croissants, et de surcroît sur quelqu’un d’affamé et d’épuisé. Frodon a fait ce qu’il a pu et s’est totalement dépensé (comme un instrument de la Providence) et a produit une situation dans laquelle le but de la quête pouvait être rempli. Son humilité (qu’il avait dès le début) et ses souffrances ont été justement récompensés par le plus grand des honneurs ; et la patience et la miséricorde exercées à l’égard de Gollum lui ont acquis le Salut (ndt :la Grâce?) : son échec a été réparée.
[…]
Frodon prit en charge cette quête par amour – pour sauver le monde qu’il connaissait du désastre à ses propres dépends, autant qu’il le pouvait; tout en reconnaissant avec une parfaite humilité qu’il était totalement inadéquate pour cette tache. Son devoir véritable était juste de faire ce qu’il pouvait, d’essayer de trouver un chemin, et d’aller aussi loin sur la route que le permettait sa force de corps et d’esprit. C’est ce qu’il fit. Pour ma part, je ne considère pas que la destruction de son esprit et de sa volonté sous une pression démoniaque après tourments soit davantage une faute morale que la destruction de son corps aurait pu l’être – disons étranglé par Gollum ou écrasé par la chute d’une pierre.

246 Extrait d’une lettre à Mme Eileen Elgar [brouillon] Septembre 1963

4 Gollum les regarda. Une expression bizarre parut sur sa face maigre et famélique. La lueur s’évanouit de ses yeux, qui devinrent ternes et gris, vieux et las. Un accès douloureux sembla le tordre, et il se détourna pour regarder en arrière vers le col, hochant la tête comme s’il était engagé dans quelque débat intérieur. Puis il revint et, tendant lentement une main tremblante, il toucha avec grande précaution le genou de Frodon – mais ce toucher était presque une caresse. Pendant un instant fugitif, si l’un des dormeurs l’avait observé, il aurait cru voir un vieux Hobbit fatigué, tassé par les années qui l’avaient porté bien au-delà de son temps, au-delà de ses amis et de ceux de sa race, comme des champs et des ruisseaux de sa jeunesse, vieille chose pitoyable et affamée.
Mais, au contact, Frodon remua et cria doucement dans son sommeil; et Sam fut aussitôt tout éveillé. La première chose qu’il vit fut Gollum – en train de « tripoter le maître », pensa-t-il
– Hé, vous là! dit-il rudement. Qu’est-ce que vous fabriquez?
– Rien, rien, répondit doucement Gollum. Gentil Maître!
– Sans doute, dit Sam. Mais où avez-vous été – vous éclipsant et revenant ainsi furtivement, vieux sournois?
Gollum recula, et une lueur verte, clignota sous ses lourdes paupières. Il avait presque l’air d’une araignée, à présent, ramassé en arrière sur ses jambes repliées, avec ses yeux proéminents. L’instant fugitif avait irrévocablement passé.

LES ESCALIERS DE CIRITH UNGOL – Les Deux Tours

5 Il (Sam) n’a pas pleinement saisit les motivations de Frodon ou sa détresse dans l’incident du Lac Interdit. S’il avait mieux comprit ce qui se passait entre Frodon et Gollum, les choses auraient éventuellement pu tourner autrement à la fin. Pour moi le moment le plus tragique dans le conte est peut-être celui qui se produit dans le tome II page 323 (ndt tome II page 435 en vf, ed. P.P.) quand Sam n’a pas pu observer le changement complet dans le ton et l’aspect de Gollum. « Rien, rien » dit Gollum doucement. « Gentil maître ! ». Sa repentance se brise et toute la pitié de Frodon est (dans un sens) vaine. L’antre d’Arachné devient alors inévitable.

246 Extrait d’une lettre à Mme Eileen Elgar [brouillon] Septembre 1963

6 L’intérêt se serait déplacé vers Gollum, je pense, et vers la bataille qui aurait eu lieu entre sa repentance et son nouvel amour d’un coté et l’anneau. Bien que l’amour aurait été renforcé quotidiennement, il n’aurait pu lutter contre la domination de l’anneau. Je pense que Gollum aurait tenté, d’une façon bizarre et tordue, (peut être pas avec un dessein conscient) de satisfaire les deux. A un moment proche de la fin, il aurait sûrement volé ou pris l’anneau par la violence (comme il le fait dans le conte définitif). Mais une fois la « possession » satisfaite, je pense qu’il se serait sacrifié pour le bien de Frodon et se serait jeté volontairement dans les abysses brûlants. Je pense qu’un effet de sa régénération partielle par l’amour aurait été d’avoir une vision plus claire lorsqu’il aurait revendiqué l’anneau. Il aurait perçu la malfaisance de Sauron, et réalisé soudainement qu’il ne pouvait pas utiliser l’anneau et qu’il n’avait ni la force ni la stature de le garder malgré Sauron : le seul moyen de le garder et de blesser Sauron était de se détruire lui-même avec l’anneau – et dans un flash il aurait peut-être vu que ce serait aussi le plus grand des services qu’il pouvait rendre à Frodon.

246 Extrait d’une lettre à Mme Eileen Elgar [brouillon] Septembre 1963

7 L’amour pour autrui est une vertu mais, malheureusement, elle peut parfois mener à la possessivité qui elle, peut avoir des conséquences catastrophiques. Dans un tout autre contexte, notons que c’était aussi la possessivité de Fëanor pour les Silmarils qui l’avait aveuglé et causé par la suite la chute des siens. (Ces situations sont bien sûr fort différentes et il n’est pas question de faire l’analogie entre l’amour pour une personne et l’amour pour un objet.)

8 Mais Gandalf nous avait invités à espérer encore sa guérison et nous n’avions pas le coeur de le maintenir toujours dans des cachots sous terre, où il retomberait dans ses anciennes pensées noires.

LE CONSEIL D’ELROND – La Communauté de l’Anneau

9 : – Comme à votre accoutumée, mon seigneur, vous ne pensez qu’au seul Gondor, dit Gandalf. Mais il est d’autres hommes et d’autres vies, et des temps encore à venir. Et, quant à moi, j’ai pitié même de ses esclaves.

LE SIEGE DE GONDOR – Le Retour du Roi

Le plus sage des Maiar fut Olórin. Lui aussi vivait à Lórien, mais il se rendit souvent dans les domaines de Nienna, de qui il apprit la patience et la compassion.

VALAQUENTA – Le Silmarillion

10 La main de Sam hésita. Il était enflammé de colère et du souvenir du mal. Ce ne serait que justice de tuer cette créature perfide et meurtrière, une justice maintes fois méritée; et cela semblait aussi la seule chose sûre à faire. Mais quelque chose le retenait au plus profond de son coeur : il ne pouvait frapper cet être couché dans la poussière, abandonné, délabré, totalement misérable. Lui-même, encore qu’un petit moment seulement, avait porté l’Anneau, et maintenant il devinait vaguement l’angoisse de l’esprit et du corps racornis de Gollum, asservis par cet Anneau, incapables de jamais retrouver la paix et le soulagement dans la vie Mais Sam n’avait pas de mots pour exprimer ce qu’il sentait.
– Oh, la peste t’emporte, espèce de puant ! dit-il. Va-t’en ! Ouste ! Je ne te fais aucune confiance, pas jusque-là où je pourrais t’envoyer d’un coup de pied; mais fiche le camp. Ou je te ferai vraiment du mal, oui, avec le sale acier cruel.

LA MONTAGNE DU DESTIN – Le Retour du Roi

11 Frodon se retira doucement de toutes les activités de la Comté, et Sam remarqua avec peine le peu d’honneur qui lui était rendu dans son propre pays. Rares étaient ceux qui connaissaient ou désiraient connaître ses exploits et ses aventures; leur admiration et leur respect allaient surtout à M. Meriadoc et à M. Peregrin, et (mais Sam n’en savait rien) à lui-méme.

LES HAVRES GRIS – Le Retour du Roi

12 – Il a disparu à jamais, disait-il, et maintenant tout est sombre et vide.

LES HAVRES GRIS – Le Retour du Roi

– Où en étions-nous? Oui, à donner des cadeaux, bien sûr. Et cela me rappelle : qu’est-il advenu de mon anneau, que tu avais emporté, Frodon ?

NOMBREUSES SÉPARATIONS – Le Retour du Roi

13 Quant au « message » : Je n’en ai pas vraiment, si par là on entend un but conscient en écrivant Le Seigneur des Anneaux, de prêcher, ou diffuser une vision de la vérité m’ayant été spécialement révélée ! A la base, J’écrivais une histoire passionnante dans une atmosphère et un contexte que je trouvais personnellement attractif. Mais en suivant une telle démarche nos propres goûts, idées et croyances ressortent inévitablement. Toutefois, c’est seulement en lisant moi même mon travail (avec des critiques en tête) que j’ai pris conscience de la prédominance du thème de la Mort. (Non qu’il y ait aucun « message » original : une grande part de l’art et de la pensée humaine s’en préoccupent pareillement). Mais la mort n’est certainement pas une ennemie ! J’ai dit ou essayé de dire, que le « message » était l’affreux péril à confondre la vraie « immortalité » avec des longévités illimitées en série. Être libéré du temps ou être prisonnier du temps. Cette confusion est l’œuvre de l’Ennemi, et l’une des principales causes du désastre pour les humains. Comparez la mort d’Aragorn avec un Esprit Servant de l’Anneau. Les Elfes appellent « mort » le don de Dieu (à l’homme). Leur tentation est différente : une mélancolie fainéante, chargée par la Mémoire, menant à une tentative d’arrêter le temps.

208 extrait d’une lettre à C. Ouboter, Voorhoeve en Dietrich, Rotterdam 10 Avril 1958

14 – Un mortel qui conserve un des Grands Anneaux Frodon, ne meurt point, mais il ne croît pas ni n’obtient un supplément de vie; il continue simplement jusqu’à ce qu’enfin chaque minute lui devienne lassitude. Et s’il se sert souvent de l’Anneau pour se rendre invisible, il s’évanouit: il finit par devenir invisible en permanence, et il se promène dans le crépuscule sous l’oeil du pouvoir ténébreux qui régit les Anneaux. Oui, tôt, ou tard – tard s’il est fort ou si ses intentions sont pures au début, mais jamais la force ou les bonnes intentions ne dureront – tôt ou tard, le pouvoir ténébreux le dévorera.

L’OMBRE DU PASSÉ – La Communauté de l’Anneau

15 Par trois fois, la Lórien avait résisté aux attaques de Dol Guldur, mais outre la vaillance de la gent Elfe qui peuplait ces terres, là résidait un pouvoir dont nul ne pouvait se rendre maître, à moins que Sauron en personne ne soit venu l’affronter.

APPENDICE B, ANNALES – Le Retour du Roi

16 – Mais le processus est lent dans la Lórien, dit Frodon. Le pouvoir de la Dame s’y fait sentir. Les heures sont riches, si brèves qu’elles semblent, en Caras Galadhon, où Galadriel détient l’Anneau elfique.

LE GRAND FLEUVE – La Communauté de l’Anneau

17 Les gens de Turgon se mirent à croître et à se multiplier derrière le cercle des montagnes et à mettre tous leurs talents dans un labeur incessant, tant et si bien que Gondolin sur Amon Gwareth devint une ville d’une beauté digne d’être comparée avec la cité des Elfes, Tirion d’au-delà des mers. Hautes et blanches étaient ses murailles et ses marches de marbre, haute et puissante était la Tour du Roi. Il y avait le jeu étincelant des fontaines et dans les palais de Turgon se dressaient des images des Arbres d’autrefois, taillées par le Roi lui-même avec le talent des Elfes. L’arbre qu’il sculpta dans l’or fut nommé Glingal, celui dont les fleurs étaient d’argent fut nommé Belthil.

LES NOLDOR À BELERIAND – Le Silmarillion

18 Legolas s’agita dans sa barque:
– Non, le temps ne dure pas toujours, dit-il; mais le changement et la croissance ne sont pas semblables en toutes choses et en tous lieux. Pour les Elfes, le monde bouge, et il bouge en même temps très vite et très lentement. Vite, parce qu’eux-mêmes changent peu et tout passe rapidement; ce leur est un chagrin. Lentement, parce qu’ils ne comptent pas les années qui s’écoulent, en ce qui les concerne eux-mêmes. Les saisons qui passent ne sont que des rides toujours répétées dans le long courant. Mais sous le soleil, toutes choses doivent finir un jour.

LE GRAND FLEUVE – La Communauté de l’Anneau

19 Frodon était à présent en sûreté dans la Dernière Maison Simple à l’Est de la Mer. C’était, comme Bilbon l’avait déclaré jadis, « une maison parfaite, que l’on aime manger, dormir, raconter des histoires ou chanter, ou que l’on préfère rester simplement à penser, ou encore un agréable mélange de tout cela ». Le seul fait de se trouver là était un remède à la fatigue, à la peur ou à la tristesse.

NOMBREUSES RENCONTRES – La Communauté de l’Anneau

Les Hobbits continuèrent un moment à penser et à parler du voyage passé et des périls qui les attendaient; mais telle était la vertu du pays de Fondcombe que bientôt toute crainte et toute inquiétude disparurent de leur esprit. L’avenir, bon ou mauvais, n’était pas oublié, mais cessait d’avoir aucun pouvoir sur le présent. La santé et l’espoir s’accrurent fortement en eux, et ils étaient contents de chaque bonne journée qui se présentait, prenant plaisir à chaque repas, à toutes paroles et à toutes chansons.
….
Le séjour à Fondcombe avait opéré en lui un étonnant changement il avait le poil luisant et il semblait avoir retrouvé toute la vigueur de la jeunesse.

L’ANNEAU PREND LE CHEMIN DU SUD – La Communauté de l’Anneau

20 Les Eldar vieillissent, même lentement : leur durée de vie est celle d’Arda, qui, bien qu’au delà des estimations des Hommes, n’est pas sans fin, tout comme les âges.

DES LOIS ET COUTUMES DES ELDAR… – The history of Middle-Earth Vol 10

21 Note de Christopher Tolkien :

Il abandonnait ici, pour de bon, le concept profondément enraciné (voir p. 265) de renaissance comme mode par lequel les Elfes pourraient retourner à la vie incarnée : En ayant examiné l’idée mythique, interrogeant sa validité dans les limites qu’il avait adoptées, cela finit par lui apparaître comme une sérieuse faille dans la métaphysique de l’existence des Elfes.
Mais il disait que c’était un « dilemme », car la réincarnation des Elfes « lui semblait être un élément essentiel dans les contes ».
« La seule solution, » décida-t-il dans cette discussion, était l’idée de refaire à l’identique le 
hröa du mort de la façon décidée par Eru dans « Le dialogue de Manwe et d’Eru » : le fëa retient un souvenir, une empreinte, de son hröa, son ancienne demeure, si puissante et précise que la reconstruction d’un corps identique peut en découler.

« LE DIALOGUE DE MANWE ET D’ERU » ET CONCEPTIONS TARDIVES SUR LA RÉINCARNATIONS DES ELFES – The History of Middle Earth Vol 10

22 Au delà de la « Fin d’Arda » les pensées des Elfes ne pouvaient pénétrer, et n’avaient été aucunement instruits à ce sujet. Il leur sembla clair que leurs hröar devaient alors se terminer, et toute forme de réincarnation serait ainsi impossible. Tous les Elfes « mourraient » donc à la Fin d’Arda. Ce que cela pouvait signifier, ils l’ignoraient. C’est pourquoi ils disaient que les Hommes avaient une ombre derrière eux, mais que les Elfes avaient une ombre devant eux. Leur dilemme était le suivant : l’idée de l’existence en tant que fëar seulement leur était révoltante, et ils trouvaient difficile à croire que c’était naturel ou prévu pour eux étant donné qu’ils étaient essentiellement les « résidents d’Arda », et par nature aimaient passionnément Arda. L’alternative: que leurs fëar cessassent aussi d’exister à « la Fin », semblait encore plus intolérable. Ces deux annihilations absolues et cessation d’identité consciente, étaient totalement répugnantes à la pensée et au désir. D’aucuns arguèrent que, quoiqu’étant intégrale et unique (tout comme Eru de qui elles provenaient directement), chaque fea , une fois crée, était finie et pourrait aussi alors avoir une durée de vie définie. Elle ne pouvait être détruite tant qu’elle n’avaient pas atteint la limite de la période qui lui avait été attribuée, mais lorsque ce moment arrivait, elle cessait d’être, ou cessait d’avoir des expériences, et « ne résidait plus que dans le Passé ».

Commentaire, ATHRABETH FINROD AH ANDRETH – The History of Middle Earth Vol 10

23 « Vous avez répandu injustement le sang de vos frères, vous avez souillé la terre d’Aman. Pour le sang vous verserez le sang et au-delà d’Aman vous marcherez sous l’ombre de la Mort. Car si Eru ne vous a pas destinés à mourir de maladie en ce monde, vous pouvez être tués et la mort s’abattra sur vous : par les armes, la souffrance et le malheur, et vos esprits errants devront alors se présenter devant Mandos. Et là vous attendrez longtemps, vous regretterez vos corps perdus en implorant miséricorde. Croyez-vous trouver de la pitié, croyez-vous que ceux que vous avez tués intercéderont pour vous ? Et pour ceux qui n’atteindront pas le trône de Mandos et resteront sur les Terres du Milieu, le monde deviendra un fardeau qui les affaiblira, ils ne seront plus que les ombres d’un regret quand viendra la race plus jeune. Ainsi les Valar ont parlé. »

LA FUITE DES NOLDOR – Le Silmarillion

24 Sur terre les Quendi ne souffrent d’aucune maladie, et la santé de leurs corps était supportée par la force d’un fëar fait pour durer. Mais leurs corps, étant de la matière d’Arda, n’étaient néanmoins pas aussi endurants que leurs esprits; car la longévité des Quendi venait à l’origine de leurs fëar, dont la nature ou le « destin » était de demeurer en Arda jusqu’à la fin. Ainsi, après que la vitalité du hröa fût dépensée en achevant sa complète maturité, il commençait à s’affaiblir ou à se lasser. Très lentement en fait, mais sensiblement pour tous les Quendi.
Pour un temps, il serait fortifié et maintenu par le fea l’habitant, puis sa vitalité commencerait à s’effriter, et son désir pour la vie physique et la joie qu’elle apporte le quittera d’autant plus vite. Alors un elfe commencerait (comme ils le disent maintenant, car ces choses n’apparaissaient pas complètement dans les jours anciens) à « disparaître » , jusqu’à ce que le 
fea ait consumé, pour ainsi dire, le hröa jusqu’à ce qu’il ne survive plus que dans l’amour et la mémoire de l’esprit qui l’avait habité.

AMAN – The History of Middle Earth Vol 10

Au fil des âges, la domination de leurs fëar augmentait, « consumant » leur corps (comme il a été noté). La fin de ce processus est leur « disparition » comme les Hommes l’on appelé; Car du corps ne restait plus à la fin qu’un simple souvenir, si je puis dire, gardé par le fea; et cette fin est déjà advenue dans plusieurs régions de la Terre du Milieu, ainsi les Elfes sont-ils de fait immortels et ne peuvent être détruits ou changés.

SUR LA MORT ET LA RUPTURE DU FEA ET DU HRONDO – The History of Middle Earth Vol 10

25 ”Andreth adaneth, la vie et l’amour des Eldar résident en grande partie dans la mémoire; et nous (si ce n’est vous) préférons conserver un souvenir beau mais inachevé plutôt qu’un se terminant dans la douleur. Maintenant, il se rappellera à jamais de toi dans le soleil du matin, et ce dernier soir où il vit ton visage reflété par l’eau de l’Aeluin avec une étoile prise dans tes cheveux – pour toujours, jusqu’à ce que le vent du Nord n’éteigne sa flamme dans la nuit. Oui, et même après cela, assis dans la Maison de Mandos, dans les Halls de l’Attente jusqu’à la fin d’Arda. »

ATHRABETH FINROD AH ANDRETH- The History of Middle Earth Vol 10

26 Et les Valar furent grandement affectés en constatant que tous leurs efforts pour préserver Valinor étaient inutiles, pour contenir au dehors le mal et l’ombre de Melkor, si une seule chose vivante ou non, était exposée en Terre du Milieu et laissée libre ou non gardée. Et ils perçurent enfin la puissance du pouvoir de Melkor en Arda, dont l’implication dans son façonnage fut tel, que toutes les choses, hormis seulement en Aman, avaient une inclinaison au mal et à la perversion de leur forme et évolution naturelle.
C’est pourquoi ceux dont l’existence avait commencé en Arda et qui, en outre étaient par nature l’union d’un esprit et d’un corps qui se nourrissait de la substance d’une Arda Marrie, devrait toujours, à divers degrés, être sujet à des maux et seraient susceptible de subir ou de commettre des choses non naturelles; et bien que résider en Aman pût éventuellement protéger contre ce mal, cela ne procurait pas une guérison totale, sauf après de longs âges.

UNE NOTE SUR CERTAINES CONCEPTIONS DANS L’HISTOIRE DE FINWE ET MIRIEL – The History of Middle Earth Vol 10

27 Dans le premier, nous voyons une sorte de seconde chute, ou, du moins une « erreur » des Elfes. Il n’y avait rien de foncièrement mauvais dans le fait de s’attarder, avec tristesse, contrairement aux recommandations, dans les Terres Mortelles, théâtre de leurs anciennes actions héroïques. Mais ils voulaient une chose et son contraire. Ils voulaient la paix, la béatitude et la mémoire parfaite de l’« Ouest », et pourtant ils souhaitaient rester sur la terre ordinaire où leur prestige comme les êtres les plus éminents, supérieurs aux elfes sauvages, aux nains, et aux Hommes, étaient plus grands qu’au plus bas de la hiérarchie de Valinor. De la sorte ils devinrent obsédés par leur « disparition », leur façon de percevoir le changement (la loi du monde sous le soleil). La tristesse s’empara d’eux, et leur art se fit (dirons nous) archaïsant, et toutes leurs entreprises devinrent véritablement une espèce d’embaumement – même s’ils conservaient aussi la motivation ancestrale de leur groupe, l’embellissement de la terre, et la guérison de ses blessures. Ils nous parvient des échos d’un royaume qui continue d’exister, dans l’Extrême Nord Ouest, plus ou moins dans ce qui subsistait des vielles terres du Silmarillion, sous Gil galad, et d’autres colonies telle que l’Imladris (Fondcombe) d’Elrond, et une très grande en Eregion aux pieds du versant occidental des Monts Brumeux, tout près des mines de la Moria, le royaume principal des nains durant le deuxième âge.

Extrait de la lettre 131

28 Voir lettre 155

29 Ce désir est à la fois allié à un amour passionné du monde réel et premier, et par conséquent rempli du sens de la mortalité, et pourtant insatisfait par celui-ci. Il a de multiples occasions de « chute » . Il peut devenir possessif, accroché aux choses qu’il a créées comme « siennes », le sub-créateur souhaite être le seigneur et Dieu de sa création personnelle. Il a tendance à se révolter contre les lois du Créateur – en particulier contre la condition mortelle. Tous deux (séparément ou conjointement) mènent au désir du pouvoir, pour rendre plus rapidement efficace la volonté – et ainsi à la machine (ou magie). En parlant de cette dernière, j’entend toute utilisation de plans ou mécanismes (appareils) extérieurs au lieu du développement des facultés et talents intérieurs en eux-mêmes – ou même l’usage de ces talents avec le mobile, corrompu, de la domination : renverser le monde réel ou contraindre d’autres volontés. La machine en est notre forme moderne la plus visible, bien qu’elle soit plus étroitement apparentée à la magie qu’on ne le reconnaît d’habitude.

Extrait de la lettre 131

30 C’étaient les Trois qui avaient été faits en dernier et qui avaient le plus grand pouvoir : Narya, Nenya et Vilya, les Anneaux du Feu, de l’Eau et de l’Air, sertis de rubis, de diamants et de saphirs. Sauron les désirait par-dessus tout, car ceux qui les portaient pouvaient échapper aux effets du temps et reculer la fatigue du monde.

LES ANNEAUX DU POUVOIR ET LE TROISIÈME AGE – Le Silmarillion

31 Mais les Elfes ne sont pas entièrement bons ou justes. Pas tant pour s’être compromis avec Sauron, que pour être, avec ou sans son assistance, des « embaumeurs ». Ils voulaient avoir le beurre et l’argent du beurre : vivre dans la Terre du Milieu historique et mortelle parce qu’ils en étaient venu à l’aimer vraiment (et peut être parce qu’ils y avaient les avantages d’une caste supérieure), et ainsi, ils ont essayé d’arrêter son changement et histoire, son évolution, le gardant comme un lieu de jouissance, voir même un désert, où ils pourraient être « artistes » – et ils étaient affligés par la tristesse et le regret nostalgique.

Extrait de la lettre 154

32 Et ils répondirent :
– Tu sais qu’il a un destin singulier et qu’il a été joint aux Premiers-Nés, qui ne meurent pas. Il lui est pourtant impossible de jamais revenir sur la terre des mortels. Alors que toi et les tiens n’êtes pas des Premiers-Nés, mais des hommes mortels créés par Ilúvatar. Il semble que vous vouliez maintenant les avantages des deux races : aller quand il vous plaît à Valinor et rentrer chez vous à votre gré. Cela ne peut pas être. Et les Valar ne peuvent pas reprendre les dons d’Ilúvatar. Les Eldar, dites-vous, n’ont pas ce châtiment, et même ceux qui se sont révoltés ne meurent pas. Pour eux ce n’est ni punition ni récompense, mais l’accomplissement de leur destin. Ils ne peuvent y échapper, ils sont attachés à ce monde et ne peuvent le quitter tant qu’il dure, car sa vie est la leur. Et vous seriez punis de la révolte des Humains, dites-vous, à quoi vous n’avez guère pris part, ce serait pour cela que vous mourez. Mais cela n’a pas été établi comme une punition. Vous vous échappez, vous quittez ce monde et n’y êtes pas liés par l’espoir ou la lassitude. Alors qui donc devrait envier l’autre ?

AKALLABETH, LA CHUTE DE NÚMENOR – Le Silmarillion

33 Après le départ des Valar, tout fut calme pendant un âge, et Ilúvatar s’assit seul et réfléchit. Puis il parla et dit : « Voici, j’aime le monde et c’est une maison pour les Elfes et les Hommes. Mais les Elfes seront les plus belles créatures terrestres, et ils auront et concevront plus de beauté que tous mes enfants et ils auront plus de joie dans le monde. Mais aux Hommes je donnerai un nouveau don. » Ainsi, il voulait que les cœurs des Hommes cherchassent au delà du monde et n’y trouvassent pas de repos; ils auraient la faculté de façonner leur vie, dans la limite des pouvoirs et des hasards du monde, au delà de la musique des Ainur, qui est telle la destinée pour toute autre chose.

AINULINDALË – VERSION C – The History of Middle Earth Vol 10

34 cf l’histoire de Beren et Luthien, appelée aussi Le Lai de Leithian  qui veut dire Le Lai de la Délivrance  .

35 Mais en Aman, une telle créature serait une chose fugace, la plus éphémère de toutes les bêtes. Car toute sa vie ne durerait qu’un peu plus de la moitié d’une année, et tandis que toutes les autres créatures vivantes lui paraîtraient à peine changer, mais au contraire rester tenaces à la vie et se réjouir avec l’espoir d’infinies années inaltérées, lui grandirait et passerait – alors même que sur la Terre l’herbe peut pousser au printemps et flétrir en hiver. Alors il serait envahi par l’envie, se considérant comme victime d’une injustice, privé de la grâce accordée à toutes autres choses. Il sous estimerait ce qu’il a, et se sentirait l’une des moindres et des plus méprisées de toutes les créatures, il grandirait bientôt en dénigrant son humanité, et détesterait ceux plus richement dotés. Il n’échapperait pas à la peur et à la tristesse de sa prompte mortalité qui est son lot sur la Terre, en Arda Corrompue, mais en serait affligé, de manière si insupportable qu’il en perdrait toute joie.
Soit son fea (âme) serait entièrement dominé par le hröa (corps), et il deviendrait tel une bête, mais tourmentée à l’intérieur. Ou bien, si son 
fea est fort, il quitterait le hröa. Alors une de ces deux choses arriverait : soit cela serait accompli uniquement dans la haine, par la violence, et le hröa, plein de vie, serait déchiré et mourrait dans une subite agonie; soit le fea avec répugnance et sans pitié déserterait le hröa et celui-ci continuerait à vivre, un corps sans âme, pas même une bête mais un monstre, une oeuvre typique de Melkor au beau milieu d’Aman, que les Valar eux même seraient obligés de détruire.

AMAN ET LES HOMMES MORTELS – The History of Middle Earth Vol 10

36 Ce n’était pas par avidité ou jalousie, bien qu’à aucun moment en Terre du Milieu il n’y eu de grandes réserves de cet aliment; Mais parce que tous les Eldar avaient reçu l’ordre de garder ce don en leur propre pouvoir, et de ne pas le rendre commun aux résidents des terres mortels. Car il est dit que si les mortels mangent trop souvent ce pain, ils deviennent las de leur mortalité, désirant demeurer parmi les Elfes, et se languissant des champs d’Aman, où ils ne peuvent aller.

DES LEMBAS – The History of Middle-Earth Vol 12

37 En effet, certains Eldar doutent qu’aucune grâce spéciale ou bénédiction, autre que la permission d’aller en Aman, ne leur fut accordée. Ainsi considèrent-ils que l’échec de leur hröa (corps) à perdurer sans lassitude aussi longtemps que leurs fëar (âme) – un processus qui n’a pas été observé avant les âges tardifs – est dû au marrissement d’Arda, et vient de l’Ombre, et de la souillure de Melkor qui touche toute la substance (ou hröa) d’Arda, si ce n’est effectivement tout l’Ëa.

AMAN ET LES HOMMES MORTELS – The History of Middle Earth Vol 10

38 Sauron n’avait jamais atteint ce degré de folie nihiliste. Il n’avait rien contre l’existence du monde tant qu’il pouvait faire ce qu’il voulait avec. Il conservait encore des vestiges de desseins positifs, qui provenaient de sa nature originelle qui était bonne. Sa vertu première (et aussi la cause de sa chute, et de sa rechute) avait été son amour de l’ordre et de la coordination, et sa répulsion pour la confusion et les vaines frictions.

NOTES SUR LES MOTIFS DU SILMARILLION – The History of Middle Earth Vol 10

39 Gandalf en tant que Seigneur des Anneaux aurait été bien pire que Sauron. Il serait resté juste, mais juste par rapport à lui même. Il aurait continué de régner et d’ordonner des choses pour le « bien », au bénéfice de ses sujets selon sa sagesse (qui était et serait restée grande).
(Le brouillon termine ici. Dans la marge Tolkien a écrit: Alors que Sauron multipliait (mot illisible) mal, il avait laissé le « bien » clairement différent du mal. Gandalf aurait rendu le bien détestable et ressemblant au mal).

Extrait de la lettre 246 From a letter to Mrs Eileen Elgar [brouillon] September 1963

40 Mais même les elfes ont l’idée que cela ne sera pas ainsi : que la fin des Hommes serait liée d’une certaines façon à la fin de l’Histoire, ou comme ils l’appellent « Arda Marrie » ( Arda Sahta ), et a l’accomplissement d’« Arda Restaurée » ( Arda Envinyanta ).

NOTES SUR LES MOTIFS DU SILMARILLION – The History of Middle Earth Vol 10