
[5] [10] |
Once upon a day on the fields of May |
Il était un jour sur les champs et prés de Mai, |
Il était un jour sur les champs et prés de Mai, |
[15] [20] [25] |
Once upon a night in the cockshut light |
Il était une nuit, lueur de brune bise, |
Il était une nuit, lueur de brune bise, |
[30] [35] [40] |
Once upon a moon on the brink of June |
Il était une lune au tout début de Juin |
Il était un lune au commencement de Juin |
Enigmes et linets
Ce très beau poème est fort peu connu dans la tradition, mais il appartient visiblement à la même branche : le sujet traité est évidemment bombadilien, et la structure des vers est identique, ce qui nous mène à penser qu’ils sont bien liés. Peut-être est-ce encore une composition du Pays de Bouc, comme les deux précédentes.
Bien qu’il soit plus court, sa traduction ne fut pas plus évidente, l’auteur nous gratifiant même d’une énigme assez ardue : que sont les lintips ? De toute évidence, et du strict point de vue de la construction du nom, un composé de lin et tip ; si la deuxième partie ne pose pas de problème à traduire — extrémité, pointe, bout — la première est plus ardue. Elle n’a pas de sens en anglais moderne, et il faut remonter loin dans l’histoire de la langue pour trouver lin (aussi orthographié linn et lyn). Il viendrait de l’irlandais linn ou du gaélique linne, voisin du gallois llyn, “bassin, étang, lac”, et désignait un bassin — et plus précisément un bassin au dessus ou au dessous d’une chute d’eau[1]. Cette piste est confirmée par la ressemblance avec le lîn sindarin, qui signifie “étang”. Il fallait donc, pour franciser le terme, privilégier cette racine, même s’il semblait peu probable qu’elle fut utilisée dans notre langue… Et pourtant, si : l’actuel lenn breton, qui signifie “marais”, dérive d’un vieux breton lin. Une racine semblable pour un nom aquatique ne pouvait mieux tomber ! Mais il ne fallait pas pousser le vice jusqu’à traduire littéralement par linbout : la sonance n’était pas du tout la même, et il me paraissait tout aussi important de traduire le sens que le symbolisme sonore, cristallin et léger. Le diminutif –et était donc tout indiqué, et linet garde à la fois le double sens et l’évocation sonore. Il ne renseigne pourtant pas sur ce que sont les linets, et nous voilà, tout autant que Tom, réduits aux hypothèses ; car si lui, l’Ancien, l’ignore, lui qui sait tous les noms et tous les chants, lui qui est le Maître, comment pourrions-nous dès lors émettre un jugement péremptoire à leur sujet ? Appartenaient-ils encore au bestiaire des Hobbits au moment où le poème fut composé — sachant que ce moment peut-être très éloigné de celui où il fut retranscrit —, où étaient-ils déjà un simple nom étrange illustrant une légende ? Rien ne nous l’indique, et c’est cette énigme qui ajoute au charme du poème.
Une autre difficulté, à vrai dire, plus une question métaphysique, fut de choisir entre traduire le Soleil et la Lune, ou la Soleil et le Lune. Les genres sont inversés, par rapport au français, dans l’original (sauf au vers 29, ou « moon » perd sa majuscule, et me semble revenir au neutre). Fallait-il, au nom de la lisibilité externe, garder nos genres (Soleil masculin et Lune féminin), ou sacrifier à la tradition (et à la symbolique qu’elle sous-tend) présente dans le poème ? Je n’ai pas encore tranché, les deux aspects présentant autant d’arguments en leur faveur… Les genres du soleil et de la lune sont inscrits dans le nom même en français, par leur terminaison : -eil est masculin (le féminin étant –eille, comme dans corneille), -une féminin (masculin -un, comme dans tribun). De plus, leur genre est culturellement enraciné dans les esprits. D’autre part, la tradition elfique est claire en inversant les genres par rapport à nous, et de toute évidence, c’est cette tradition qui ressort dans l’original, et pas simplement le fait que les Hobbits masculinisent la lune et féminisent le soleil — tout comme les Saxons chez nous : voir l’allemand Der Mond (cf. l’anglais Monday), masculin, et Die Sonne, féminin. Ne pouvant trancher, j’ai laissé les deux versions : au lecteur de choisir celle qu’il préfère.
Quant à la structure même du poème, elle m’a aussi donné du fil à retordre. Chaque strophe commence et finit de la même manière : Once upon a day/night/moon, // Once upon a time. Il était alors obligatoire de conserver ce parallélisme dans la traduction, mais il m’a été impossible de conserver la rime interne des premiers vers de chaque strophe (day/May pour la première, night/light pour la seconde, et moon/June pour la dernière).
[1] Webster’s 1913 Dictionary :
1. \Lin\ (l[i^]n), v. i. [AS. linnan. See {Lithe}.] : To yield; to stop; to cease. [Obs. or Scot.] –Marston.
2. \Lin\, v. t.: To cease from. [Obs. or Scot.]
3. \Lin\, n. [Ir. linn, or Gael. linne; akin to W. llyn a pool, pond, lake, but in senses 2 and 3 prob. from AS. hlynn
torrent. Cf. {Dunlin}.]
1. A pool or collection of water, particularly one above or below a fall of water.
2. A waterfall, or cataract; as, a roaring lin.
3. A steep ravine.
Note: Written also linn and lyn.
(SOURCE : http://www.hyperdictionary.com)