Alexandre Sargos, Tolkien à 20 ans – Prélude au Seigneur des Anneaux, Editions Au Diable Vauvert, 2019, 168 p.

La publication d’un ouvrage biographique sur J.R.R. Tolkien est toujours un événement éditorial. Le fait que Tolkien à 20 ans ait été écrit par un auteur français, Alexandre Sargos, ajoute grandement à l’intérêt que l’on peut porter à cet ouvrage.

Sans doute n’est-il pas totalement honnête de la part de votre serviteur d’en faire une revue ici même, dans les pages de JRRVF, alors que des remerciements lui sont explicitement adressés à la fin de l’ouvrage. Tout ceci risque, sans doute, de ne pas être parfaitement impartial…

Mais ne boudons pas notre plaisir (le vôtre, comme le mien), car ce petit livre (à peine 160 pages) est aussi agréable à lire qu’il peut être instructif pour qui ne connaît pas la jeunesse de l’écrivain anglais. Pour ceux qui la connaissent déjà, eh bien, il reste le charme de lire un nouveau livre sur Tolkien, et si les surprises ne se retrouvent pas dans le fond, elles peuvent émerger de la forme.

 

Alexandre Sargos, journaliste indépendant et photographe de talent, n’est sans doute pas encore connu dans les vastes cercles des admirateurs francophones de Tolkien. Il est pourtant un authentique et enthousiaste lecteur de ses romans. S’il ne fréquente pas assidûment les sites spécialisés, les forums ou les réseaux sociaux, c’est sans doute tout simplement parce qu’il préfère les livres. Ca se ressent dans la fraîcheur de l’écriture, dans la précision apportée au contexte, dans la vie nouvelle donnée à des anecdotes archi-connues des spécialistes mais jamais réellement explorées, et enfin dans le choix assumé de s’éloigner de Ronald, pour mieux approcher et comprendre John.

 

Le livre se présente en huit étapes. A l’exception du premier chapitre qui installe un jeune homme déjà attachant dans un décor d’une grande puissance (les Alpes suisses), ces étapes se suivent dans un ordre chronologique, de l’année des 12 ans de John (1904, celle de la mort de sa mère), jusqu’à l’époque de l’écriture des premiers récits en prose du Livre des Contes perdus, en passant bien entendu par les passages marquants des ces années de jeunesse : Edith, le T.C.B.S et la guerre. L’éventail des grandes étapes de sa jeunesse est exploré avec une certaine habilité et l’intention d’une certaine connivence avec le jeune garçon permet une mise en relief, notamment, la grande détresse sociale qu’il a pu connaître du vivant de sa mère. Le sous titre du quatrième de couverture « Une jeunesse en Mordor », s’accorde de fait mieux à l’ambiance sombre dans laquelle peut se retrouver John à différents moments de la fin de l’enfance et de sa vie de jeune adulte, que le sous-titre « Prélude au Seigneur des Anneaux » qui n’est lié à l’objet véritable du livre que de façon relativement superficielle.

Cette approche choisie par Alexandre Sargos tranche avec l’écriture plus factuelle d’Humphrey Carpenter dans J.R.R. Tolkien, une biographie, qui pouvait laisser, ici et là et malgré les nombreuses anecdotes, une impression de distanciation et un possible manque d’empathie. Elle se rapproche plus des intentions de John Garth dans Tolkien et la Grande Guerre, ouvrage auquel Tolkien à 20 ans pourrait, par certains aspects, être comparé.

 

Mais qu’on ne se trompe pas, Tolkien à 20 ans ne vise pas le même public que John Garth, et l’intention d’Alexandre Sargos, avant tout admirateur plutôt que chercheur, n’est pas de devenir un nouveau Wayne G. Hammond ou le Tom Shippey du XXIème siècle. L’ambition et l’objet de la collection « à 20 ans » des éditions Au Diable Vauvert est de prendre « le parti d’une littérature d’aujourd’hui, vivante et nourrie de pop-cultures, réaliste et perméable au monde », et donc de s’adresser à un public neuf, qui ne connaît pas forcément chez Tolkien l’homme qui se cache derrière l’écrivain.

 

Au final, ce petit livre, qui complète la carte de visite d’Alexandre Sargos, déjà riche de deux passionnants ouvrages (qui démontrent, en plus de la photographie, la variété de ses centres d’intérêts) peut remplir un rôle tout à fait honorable dans la grande bibliothèque des ouvrages consacrés à Tolkien. Celui d’introduire très correctement le lecteur français néophyte à la jeunesse de l’écrivain et à comprendre les sources et les étapes de son œuvre naissante. Dans ma bibliothèque personnelle, je lui ai trouvé une place d’honneur, dans un parcours logique (destiné à mes enfants, qui s’intéressent – Ô joie – de plus en plus à Tolkien) passant par les intimidantes biographies de Garth et de Carpenter, et qui mène aux Lettres. Rien que ça.

 

Tolkien à 20 ans, arrive à point nommé pour mettre les pendules à la bonne heure, par anticipation, alors qu’un biopic – aux contours inévitablement déformés et romancés – viendra traiter du même sujet au printemps 2019.

 

Jean-Rodolphe Turlin,
2 février 2019