Ce long poème héroïque de plus de trois mille vers repose sur une légende scandinave du haut Moyen Âge et représente l’un des sommets de la poésie vieil-anglaise. Cependant, la geste tragique de Beowulf est célébrée par un poète chrétien s’adressant à un auditoire cultivé et attentif aux leçons convergentes du christianisme et de la tradition germanique. Mythologie et folklore, recherche du merveilleux et de l’inouï, lais et discours, épisodes pathétiques ou euphoriques s’unissent ou se succèdent pour donner à ce poème élégiaque les dimensions d’une fresque où le héros allie la vertu de courage au goût passionné de l’aventure

 

Un héros germanique

Beowulf, jeune neveu de Hygelac, roi des Geats (tribu de la Suède méridionale), apprend qu’un monstre cannibale nommé Grendel terrorise chaque nuit les habitants du château de Heorot (demeure de Hrothgar, roi des Danois). Il se rend au Danemark, tue Grendel, puis, après une lutte sous-marine, la mère du monstre. La victoire de Beowulf, qu’on croyait mort, vaut au héros les éloges et les présents de ses amis. Beowulf s’en retourne chez les siens, et, à la suite de guerres meurtrières, accède à la couronne. Il connaît un règne illustre depuis cinquante années lorsqu’un dragon menace son peuple. Âgé, pressentant que le combat avec le monstre lui coûtera la vie, il n’hésite pas à affronter le reptile et le terrasse, grâce à l’aide de son ami Wiglaf. Blessé mortellement, il succombe après avoir pu contempler les richesses que gardait le dragon. Sa dépouille, consumée par les flammes d’un bûcher, repose sous un tertre au milieu de trésors qu’ont offerts les guerriers éplorés. L’élégie finale commande une rétrospective en deux phases (jeunesse intrépide et vieillesse héroïque de Beowulf) et assure l’unité d’une oeuvre qui célèbre l’ascension et la fin tragique d’un héros germanique.

 

Une tradition reprise par le Christianisme

Rien ne permet d’assurer que Beowulf appartient à l’histoire scandinave. On ignore tout, également, de l’existence historique des rois des Geats, à l’exception de Hygelac. Il semble plutôt que l’on ait affaire à une légende fondée, comme bien des légendes germaniques ou autres, sur des sources historiques aujourd’hui obscures et inconnues. La découverte du cénotaphe de Sutton Hoo a jeté une nouvelle lumière sur les rites funéraires des tribus germaniques installées dans l’East Anglie, et corrobore certaines descriptions contenues dans le poème. La légende héroïque (le forgeron-magicien Weland, le collier prodigieux des Brisings, la destruction d’un dragon gardien d’un trésor, etc.) et le folklore (monstres, dragons, mythes divers, péripéties) jouent un rôle non négligeable parmi les éléments de l’oeuvre. Par sa conception et son culte du héros, le poète rejoint la grande tradition germanique : un destin implacable impose au combattant de vivre et de mourir dans l’honneur ; la vengeance est un devoir sacré auquel il ne peut et ne doit se soustraire. Mais cette tradition se trouve fortement marquée et reprise en main par le christianisme : Dieu protège le champion du bon droit et, plus tard, Beowulf mourra en remerciant l’Éternel, son âme rejoignant la demeure des justes. On doit donc parler de la christianisation d’une thématique qui, à sa base, est germanique, ou d’une alliance de deux thématiques à des points centraux où convergent leurs lignes de force.

 

Classicisme et fantasie

Le vers de Beowulf est un vers allitérant, c’est-à-dire que l’allitération en constitue la clef de voûte et n’est pas seulement un ornement facultatif et complémentaire comme elle le deviendra plus tard dans la poésie anglaise. D’un point de vue stylistique, l’oeuvre est surtout remarquable par l’ampleur et la variété du ton poétique, la sûreté des descriptions, la maîtrise d’une langue riche en termes composés, la fantaisie et l’instantanéité évocatrice des images, les kennings.
La structure du poème ne préoccupe plus aujourd’hui les critiques : la plupart reconnaissent à l’oeuvre une unité dans le contraste équilibré et nécessaire du diptyque (jeunesse, vieillesse). Les données linguistiques, le fond culturel de l’oeuvre, et l’étude comparative des oeuvres médiévales anglaises permettent de supposer que le poème fut rédigé vers 730-750 ; peut-être vers 700, selon Dorothy Whitelock qui, par ailleurs, voit dans le Mercie le berceau du poème. L’oeuvre est d’origine anglienne, mais, à vrai dire, il est impossible actuellement d’affirmer qu’elle fut composée en Northumbrie ou en Mercie. On s’interroge encore sur la validité de certaines hypothèses selon lesquelles trois passages suspects seraient des interpolations tardives.

 

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