Compte rendu de : Beare (Rhona), J.R.R. Tolkien’s The Silmarillion, New Lambton (Australie), Nimrod Publications, Babel Handbooks on Fantasy and SF Writers, First Serie, Number 10, 1999, 48 p.

Correspondante de Tolkien dans les années 1958-1963 (voir Letters, nos 211, 212, 230, 245 ou leur édition séparée en 1985), Rhona Beare, du Classics Department de l’Université de Newcastle en Australie, expose plusieurs approches du Silmarillion après en avoir résumé le contenu dans un premier chapitre (pp. 2-4). Trois approches sont en fait proposées : d’abord (pp. 4-8) celle qu’elle a suivie lors de la sortie du livre (le commençant par la fin, proche du Seigneur des Anneaux), puis (pp. 8-15) celle consécutive à la lecture de la série Home (notamment tomes I-II, V et IX). Le développement le plus intéressant est sans doute, parmi les remarques éparses de ce deuxième chapitre, celui qui concerne les nom et genre des Arbres (p. 9, puis p. 25). Enfin, dans le quatrième chapitre (pp. 43-45), le lecteur se voit proposer une dernière approche : relire le Silmarillion à partir de l’histoire du Seigneur des Anneaux. Six rapprochements font aller et venir du Seigneur au Silmarillion (pagination de l’éd. HarperCollins Publishers, 1977) : 1) le passage donnant lieu à l’hymne d’Elbereth avec les pp. 47-54, 2) le résumé par Aragorn de l’histoire de Beren et Lúthien avec le ch. 19, 3) le ch. 1 du livre II du Seigneur des Anneaux avec le Silmarillion, pp. 246-255, 4) le thème des Arbres, 5) à l’occasion de l’affrontement de Gandalf avec le Balrog de la Moria, les pp. 242-243 et enfin 6) concernant Shelob, ce qui concerne Ungoliant pp. 73-81.

La partie centrale de l’ouvrage se concentre sur le thème de la ” Mythologie pour l’Angleterre ” (chapitre III, pp. 15-43). Cette mythologie, pour être proprement anglaise, ne ressemble donc pas à la grecque ou chinoise. La source celtique est préférable selon l’A. Elle pense que l’on apprécie particulièrement bien la méthode d’acclimatation des mythes pour l’Angleterre chez Tolkien avec l’exemple de Númenor. On peut notamment y voir des emprunts à l’Atlantis grecque, à la légende du premier Empereur chinois et au mythe irlandais des merveilleuses îles occidentales. La chute de Númenor est rapprochée du déluge de Noé, et Elendil d’Énée. Mais, au-delà de ces rapprochements, la mythologie de Tolkien a un autre air que les mythes évoqués. L’A. poursuit donc avec l’évocation du climat du Beleriand. Et continuant sur Númenor, elle la rapproche encore, à partir de Beowulf, de la Scadinavia (sic). La section consacrée aux langues et à l’esprit nordiques fournit l’occasion de l’étude du cas de Túrin qui, au-delà du recours patent à Kullervo comme patron, est aussi proche d’Odipe (dragon/sphinx, inceste inintentionnel, désespoir face à la vérité, autopunition, chacun est maudit parce que son père a offensé un dieu : Apollo ou Morgoth, p. 27). La dernière et plus importante section (pp. 31-43) de ce chapitre s’attache à montrer la beauté celtique (distincte de la nordique) à l’ouvre chez Tolkien. Cette beauté celtique est celle à laquelle il prétendait dans sa lettre à M. Waldman de 1951 (?) : ” (.) un ensemble de légendes (.) que je pourrais dédier, simplement, ainsi : à l’Angleterre, à mon pays. Cela devrait posséder le ton et la qualité que je désirais, une sorte de fraîcheur et de clarté, ” fleurer ” bon le terroir (le climat et le sol du Nord Ouest, c’est-à-dire la Grande-Bretagne et les régions proches de l’Europe, non l’Italie, la Grèce, encore moins l’Orient), et, tout en possédant (si je pouvais y arriver) l’insaisissable et pure beauté que certains appellent celte (bien qu’on la trouve rarement dans les véritables choses celtes anciennes), cela devrait être quelque chose de ” noble “, épuré, et qui conviendrait à l’esprit adulte d’un pays depuis longtemps baigné de poésie ” (Letters, n°131, pp. 144-145). Ce passage est l’argument de tout ce petit livre. Il ne peut s’entendre de la poésie celtique ancienne (cf. Letters, n°19 ; les quelques exemples pris chez J. Keats (1795-1821) vont, finalement, en ce sens). Comme W. B. Yeats (1865-1939), Tolkien ôte, par exemple, la grossièreté des mythes irlandais. Faisant fonds sur les travaux du spécialiste en la matière M. Arnold, l’A. rapproche textuellement, de façon proban te, des mythes tels que Mabinogion ou la légende de la tribu de Dana de la geste de Beren et Lúthien, et montre ainsi, sur cet échantillon, en quoi Tolkien a réalisé son projet d’une beauté celtique c’est-à-dire en quoi la source celtique est importante pour comprendre les récits de la Terre du Milieu.

L’érudition de l’A., certaine, affleure sans jamais alourdir le propos de ce livret qui présente, en définitive, au moins un triple intérêt : proposer plusieurs lectures non-linéaires du Silmarillion, des variations intéressantes dans les analyses de ce qu’est Númenor, et des rapprochements textuels de Beren et Lúthien avec les mythes celtiques.

 

Michaël Devaux,
© La Compagnie de la Comté,
janvier 2001.