« There are other stories almost equally full in treatment, and
equally independent and yet linked to the general history. There is
the Children of Húrin, the tragic tale of Túrin Turambar and his sister
Níniel – of which Túrin is the hero: a figure that might be said (by
people who like that sort of thing, though it is not very useful)
to be derived from elements in Sigurd the Volsung, Oedipus,
and the Finnish Kullervo. »

Humphrey Carpenter,
The letters of J.R.R. Tolkien
, p. 150.

« La logique de la pensée mythique nous a semblé aussi exigeante
que celle sur quoi repose la pensée positive, et dans le fond, peu
différente. Car la différence tient moins à la qualité des opérations
intellectuelles qu’à la nature des choses sur lesquelles portent ces opérations. »

Claude Lévi-Strauss,
Anthropologie structurale, pp. 254-255.

Notes

Pour plus de confort, vous pouvez également télécharger la version PDF de ce essai via le lien suivant ou sa version au format ePub via le lien suivant.

Avant-propos

Chaque lecteur, à un moment ou à un autre, entre en symbiose presque complète avec un auteur, avec une œuvre. Cette rencontre rachète à elle seule toutes les heures de mauvaise lecture qui l’ont précédée.
J’ai trouvé chez Tolkien, précisément ce que je recherchais émotionnellement : une satisfaction quasiment complète, c’est-à-dire un approfondissement inspiré de chaque aspect de la Littérature : action, description et dialogue, au service des grands thèmes éternels, tant au niveau de la forme que du fond. C’est cette richesse de traitement, liée à une grande cohérence et à un pouvoir évocateur remarquable, qui semble justifier globalement mon amour pour cet auteur.
Malheureusement depuis trois ans, avec la sortie des films de Peter Jackson (au demeurant exceptionnels), c’est tout un système de merchandising et de louanges soudaines et souvent irréfléchies qui s’est mis en place. On a pu voir nombre de nouveaux fans, particulièrement des jeunes, impressionnés avant tout par l’aspect visuellement subjuguant de certaines séquences cinématographiques, se mettre à lire le Seigneur des Anneaux, tournant souvent les pages quatre à quatre, tout en pensant que l’essence du livre se résume à cet aspect épique.
Or ces fans ont tendance à s’approprier l’œuvre et à la représenter aux yeux du reste de l’opinion publique, ce qui nuit fortement à l’œuvre elle-même. Je me sens d’autant plus concerné par le problème que j’ai eu moi-même tendance à me laisser emporter par ce flot médiatique, m’éloignant de ce que constitue réellement l’héritage de Tolkien. Car sa force réside dans tous les aspects du livre. N’en prendre en compte qu’un aspect, c’est rompre le génie multiple de l’œuvre.
En choisissant un récit nettement moins connu que le Seigneur des Anneaux, j’ai moi-même pris du recul face au phénomène médiatique en revenant, je crois, à ce qui fait l’essence de tout écrit : la confrontation vivante et fertile de l’imaginaire des deux acteurs du texte, l’auteur[1].

Le travail et sa problématique n’étant pas relié au quotidien, à l’actualité, je n’ai pu axer ma tâche sur une recherche de contacts extérieurs ; mon ouvrage s’est basé sur mes lectures, raison pour laquelle ma liste de personnes à remercier n’occupe pas trente pages. Néanmoins, je serais malhonnête, si je ne rendais pas aux personnes suivantes ce qui leur appartient …
Je remercie donc tout d’abord ma mère, de m’avoir engendré, et, plus récemment, de l’immense service dactylographique qu’elle m’a rendu.
Merci également à Jeremy Primatesta dit le Baron Noir, ainsi qu’aux doigts agiles de Sylvain Meyer, l’homme à la casaque soviétique.
Mais aussi à la bienveillance des bibliothécaires inconnues mais néanmoins indispensables de la BPU, de la Cité, sans oublier notre bon collège de Saussure.
Et pour finir, aux professeurs qui m’ont beaucoup aidé, souvent à leur insu. Citons tout de même Mme Althaus Humerose, pour ses idées et Pierre Nicolet, d’une façon générale (profitons-en, bientôt les exams !), pour son stoïcisme durant quatre longues et âpres années.  

Précision sur la nomenclature

Selon la tradition tolkienienne, La Geste (ou Lai) des Enfants de Húrin est une traduction du sindarin (une des deux langues elfiques principales créées par Tolkien). Le titre original donné dans le Silmarillon et les Contes et légendes inachevés, Narn i Hîn Húrin, est une mauvaise transcription : « L’écriture Narn i Hîn Húrin est une ‘simplification’ regrettable de Christopher Tolkien [c.-à-d. le fils de J.R.R Tolkien], qui a voulu éviter que le lecteur anglais ne prononce /tch/, alors qu’il s’agit d’une fricative en sindarin, à l’origine prononcée /x/ comme le ach-laut allemand (« bach »). Dans les textes originaux de J.R.R. Tolkien, il est bien écrit i·Chîn.»[2]

Introduction

Le phénomène médiatique, je l’ai dit, m’a poussé à me tourner vers un récit moins connu de Tolkien : bien m’en a pris ! S’inscrivant dans le complexe mythologique global du Silmarillon, l’exemple du Narn i Chîn Húrin est significatif de l’ensemble de la démarche de J.R.R. Tolkien. Une démarche où ne se comptent plus enlacements et imbrications. En effet, il existe au moins quatre versions de l’histoire de Túrin ; La première, ébauchée en 1919, est insérée dans une mythologie tout autre que celle du Silmarillon (qui ne sera créé que bien après), plus onirique mais en même tant clairement rattachée à notre monde[3]. La seconde version, inachevée (1925), est un poème en vers assonancés par allitération. La troisième version (1930), écourtée, se trouve dans le Silmarillon (pp. 260-301). La quatrième version qui elle-même en regroupe plusieurs, date de 1950. C’est celle dont nous nous occuperons principalement, le Narn i Chîn Húrin, donné partiellement dans les Contes et légendes inachevés (pp. 91-246).
Les problèmes de réécriture, de refonte des textes chez Tolkien, sont particulièrement complexes, et je ne m’y attacherai pas. Néanmoins, il faut mentionner un autre aspect d’importance lié à la conception des écrits de l’auteur.
Tolkien, dans sa démarche de création mythique est tout à fait conscient qu’une mythologie crédible est une mythologie qui, depuis ses plus lointaines origines, a subi de nombreux remaniements. Or, dès le départ, il s’affirme dans un travail de transcription, de transmission et non de création[4]. En effet, une notice introductive au Narn rapportée par Christopher Tolkien[5] nous apprend que son père considérait que le récit avait d’abord été confectionné d’après des faits historico-légendaires par un chroniqueur des hommes du nom de Dírhaval[6] :

« Ce lai, le plus long de tous les lais de Beleriand, constitue toute son œuvre, mais les Eldar [c.-à-d. une catégorie d’elfes] le goûtaient fort, car Dírhav[a] l’avait utilisé la langue des Elfes-Gris, qu’il maniait avec une noble aisance. ».

Le Narn, toujours selon cette notice, aurait été traduit en prose au IX-Xè siècle par Aelfwine, un Anglo-saxon. C’est à cet écrit que Tolkien aurait eu accès.
Cette position de chroniqueur, et non de créateur, Tolkien la revendique non seulement par humilité mais aussi et surtout par volonté de donner une cohérence à son œuvre (un de ses désirs les plus forts), en l’inscrivant dans une logique mythologique de fond et de forme. J’y reviendrai dans la conclusion.

Maintenant, adopter cette logique mythologique, c’est adopter les illustres exemples antérieurs du genre, écrits fondateurs de civilisations. Tolkien était un passionné de ces mythologies, il les connaissait, entretenant avec elles un lien tout particulier, celui de la langue (il en possédait effectivement un nombre impressionnant[7]. Et comme j’ai moi-même un intérêt conséquent pour les récits des origines et du passé, le choix de mon sujet s’explique aisément.
Quant à la sélection des mythologies analysées, elle s’avère un peu plus compliquée : elle s’appuie d’abord sur les dires de Tolkien lui-même, qui cite les trois grandes sources du Narn, dans un passage donné en exergue. Et cette sélection n’est nullement subjective.

La culture anglo-saxonne (et, par influence, la nôtre) est fondée sur le choc de trois civilisations : les Celtes, les Romains et les Saxons (peuple germanique), du fait des invasions successives que les îles britanniques ont eu à subir. La mythologie romaine provient directement et pour sa majeure partie des mythes grecs, et les légendes des Saxons, des Angles et des Jutes trouvent leurs origines dans la mythologie germanico-scandinave.
Or voilà le problème : j’ai décidé de ne pas traiter de la mythologie celte, et cela pour plusieurs raisons : tout d’abord, il n’existe plus vraiment de mythologie celte, les mythes irlandais comme les mythes gallois ayant été pour la plupart christianisés. Il n’existe pas réellement non plus de grandes sagas assimilables à celles de Sigurd, Œdipe et Kullervo (les cycles de l’Ulster et des Fenians n’ont quasiment aucune ressemblance avec le Narn). La dernière raison est plus pratique et subjective, puisque je n’avais tout simplement plus le temps de développer mon travail. Et c’est donc avec regret que j’ai dû m’écarter de la piste celte au profit de la piste finlandaise[8].
Autre décision à signaler : j’ai choisi de ne pas me référer au texte original anglais (exception faite de quelques citations tirées des Letters), mes connaissances en la matière restant encore très basiques. J’ai perdu en poésie ce que j’ai gagné en temps, tempus fugit, cruauté du système…
En outre, je n’ai pu consulter qu’indirectement et aléatoirement (par citations ou résumés), l’immense travail de recherche de Christopher Tolkien, The History of Middle-earth (étude de la genèse des textes de son père et corrections de certaines erreurs de publication), toujours pour des questions d’accès à la langue originale. De ce fait, mon travail peut s’en trouver moins précis.

La mise en parallèle du Narn et des mythologies concernées permettra donc de montrer clairement les similitudes et différences de forme et de fond. C’est dans l’intelligence du choix des aspects retenus ou écartés que se révèleront justement l’Art et le Génie de Tolkien que j’ai essayé de mettre en évidence au cours de ce travail. Mon impression est claire : chaque lecture, chaque comparaison m’a révélé son talent, tant dans ses connaissances que dans ses choix narratifs. C’est en substance le but auquel j’ai tendu, celui que j’espère avoir atteint.

Partie I – La source finlandaise – Le cycle de Kullervo

Présentation générale

J.R.R. Tolkien, c’est notoire, avait une affection toute particulière pour la mythologie finlandaise: « Ces récits mythologiques sont pleins de cette culture primitive et souterraine que l’ensemble de la littérature européenne n’a cessé de réduire et d’éliminer depuis des siècles, plus ou moins complètement suivant les peuples concernés » (Humphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien – une biographie-, traduction corrigée). Cette mythologie est en effet pour le moins spéciale. Il faut tout d’abord noter que de par le peuple qui l’a créée, elle n’est pas indo-européenne. Cette particularité est une des causes de cet onirisme abstrait, de cette magie chamanique qui émane du Kalevala.
Cet onirisme nous a été transmis au milieu du XIXe siècle par Elias Lönnrot, qui ne s’est pas contenté de répertorier, puisqu’il a lui-même mis en forme, versifié, nombre de légendes, collectées lors de ses fréquents voyages en Finlande et en Laponie. Le poème (puisque c’en est un) contient plus de vingt mille vers, et est inspiré de mythes populaires finlandais d’époques différentes. Le travail de Tolkien d’ailleurs, dans sa composition propre, ressemble à celui de Lönnrot : tous deux ont créé une mythologie globale à partir de sources diverses. Nous allons néanmoins mettre en lumière l’aspect novateur de l’œuvre de l’écrivain britannique, Lönnrot n’ayant fait qu’assembler, rendre une certaine organisation à des mythes oraux.

Le Kalevala concilie trois cycles extrêmement différents qui peuvent être reliés entre eux par leurs héros: celui de Väinämöinen, sorte de magicien, retrace la création du monde et la quête du héros qui, pour conquérir la vierge de Pohjola, doit forger le Sampo, objet magique, sorte de Corne d’Abondance.
Le deuxième cycle narre les amours de Lemmikainen, concurrent malchanceux de Väinämöinen et prétendant à la main de la jeune fille.
Le troisième cycle nous intéressera plus particulièrement ici, parce qu’il est très proche de l’histoire de Túrin. Il raconte les malheurs de Kullervo, personnage maudit qui s’unit à sa sœur sans le savoir, puis finit par se suicider.

Résumé du cycle de Kullervo.

Le cycle de Kullervo occupe les chants vingt-et-un à vingt-six du Kalevala. C’est avant tout une histoire de malédiction, ce qui le rapproche du Narn.
Trois enfants sont engendrés d’une mère cygne. L’un deux, le colérique Untamo, dieu du soleil se brouille avec son frère Kalervo et lui jette une malédiction, menaçant de le tuer lui et sa famille ainsi que de brûler leur maison. Il lève donc une armée et les tue tous, sauf une fille devenue esclave d’Untamo qui met au monde un fils, Kullervo.
Une fois devenu grand, celui-ci se révolte contre Untamo. Après lui avoir fait subir plusieurs tentatives de meurtre, Untamo décide finalement de le vendre à Ilmarinen, le dieu forgeron, maître du feu et du tonnerre. L’épouse d’Ilmarinen maltraite Kullervo qui se venge en ramenant un troupeau de bêtes sauvages dans leur maison. Elle se fait dévorer. Kullervo fuit et rencontre une vieille femme qui lui apprend que sa mère et son père vivent encore et sont en Laponie.
Là, il retrouve ses parents. Ils lui expliquent qu’il a une sœur mais qu’elle s’est perdue dans la forêt. Kullervo la rencontre en chemin, sans savoir que c’est elle, la séduit et lui fait l’amour. Puis, comme sa sœur le lui a demandé, il lui dit qui il est. L’ayant appris, elle se suicide en se jetant dans une rivière.
Après ces tristes événements, il annonce à ses parents qu’il part en guerre contre Untamo. Ses parents, sous le choc de deux nouvelles tragiques consécutives, ne peuvent s’en remettre et meurent de chagrin.
Kullervo réussit à tuer Untamo et sa maisonnée puis brûle sa demeure. En rentrant, il constate la mort de ses parents, retourne au lieu du viol de sa sœur et se tue.

Voici en substance le récit. Il est réellement différent du récit du Narn, pourtant de nombreux éléments fortement significatifs ont été repris par Tolkien, comme nous allons le voir.

Le rapport à la soeur

S’il est dans le Narn, un aspect fondamental, c’est celui des rapports difficiles qu’entretient Túrin avec sa famille, sa recherche perpétuelle, ses tentatives pour la joindre et plus particulièrement, son rapport à sa sœur. Elle n’est pas née lorsqu’il part pour la forêt de Doriath et quand il la voit pour la première fois, il ne peut par conséquent la reconnaître. Nienor, quant à elle, a perdu la mémoire et toute notion de réalité, hypnotisée par Glaurung.
La rencontre dans les bois entre frère et sœur qui s’ignorent est une première similitude avec le Kalevala. Il est dit dans les Contes et légendes inachevés, que lorsque Nienor rencontra Túrin « son visage s’éclaira et elle lui tendit la main, car elle avait tant cherché dans l’obscurité et elle se sentit apaisée » (p. 187). Ce sentiment d’apaisement, partagé par Túrin, toujours à la recherche d’une échappatoire à sa malédiction, est bien en son fondement réel un sentiment d’amour, mais d’un amour sœur-frère. Le drame est que devenue quasiment animal, Nienor pas plus que Túrin ne peut faire la différence entre l’amour fraternel et celui d’un couple. Remarquons ici que la malédiction opère en influant sur le psychisme de Nienor, par le biais de Glaurung l’hypnotiseur : elle fait surgir l’inconscient en lui donnant le pouvoir de surpasser le conscient. La malédiction utilise le sentiment naturel d’amour fraternel et le brouille par l’inconscience de Nienor et l’ignorance de Túrin.
Dans le Kalevala, les rapports sont beaucoup plus terre à terre : Kullervo, de son côté, tente la séduction de deux filles, avant sa sœur qui n’est donc qu’une “cible” de plus :
« Viens-t-en fillette dans ma luge / Viens-t-en dans ma fourrure » (Kalevala II, traduction de Gabriel Rebourcet, p.186).

Ces « propositions indécentes » révèlent bien les désirs de Kullervo, son besoin de satisfaction personnelle. La malédiction influe ici, en quelque sorte, sur les pulsions du personnage, non sur son psychisme conscient. Quant à la sœur, elle est séduite par l’aspect matériel : « L’argent grise la fiancée / Les pièces d’argent la fascinent / Le monceau de monnaie l’égare » (Ibid., p.188).
Les causes de l’union du frère à la sœur sont complètement différentes chez Tolkien. L’amour, le besoin de réconfort priment d’un côté, le désir érotique et matériel, de l’autre. Notons également que « l’acte » vient extrêmement vite dans le Kalevala, tandis que les sentiments se développent en « temps réel » chez Tolkien. Et le long réapprentissage de la civilisation qui s’opère chez Nienor (qui pour autant ne cesse d’être hypnotisée) se déroule en même temps que l’évolution de ces sentiments.

Les rapports amoureux sont donc extrêmement complexifiés et développés par Tolkien, d’autant plus avec l’introduction d’un troisième personnage, Brandir, amoureux de Nienor. Cet épisode fait d’ailleurs écho à celui qui met en scène Gwindor, Finduilas et Túrin, impliquant une influence de la malédiction sur l’ensemble du triangle amoureux. D’une manière générale, la malédiction influence les possibilités sentimentales de Túrin, les pervertissant en pénétrant son psychisme. Brandir, délaissé par Nienor maudite, essaie pourtant de la tempérer dans sa décision d’épouser Túrin, acte qui sera considéré par l’orgueil du frère, comme de la jalousie.
Et puisque ces rapports sont complexifiés, contrairement à l’histoire de Kullervo, et étirés sur un plus grand laps de temps, intervient évidemment leur conséquence à long terme : le mariage et la grossesse de Nienor, qui s’accompagne de sombres intuitions significatives (« et elle se fit pâle et hâve et tout son bonheur s’embruma. » (Contes et légendes inachevés, p.193). L’enfant qui naîtra d’une union maudite sera lui-même (doublement ?) maudit. (Rappelons que la malédiction touche « Húrin et Morwen, et toute leur descendance. » (Ibid., p.105). Le malaise provoqué par l’enfant est cohérent, puisqu’il fait partie du mode d’action psychique, propre à la malédiction. Conséquence logique, le constat de la faute est plus lent que dans l’histoire de Kullervo.
Le personnage de Nienor, bornée et courageuse, est très différent du personnage (peu développé, il est vrai) de la sœur de Kullervo. Nienor part à la recherche de son mari, lorsqu’il est en guerre, elle part au-devant de son Destin, au-devant du Dragon qui lui apprendra sa vraie identité et lui rendra la mémoire. Ce choc la rendra folle non plus en tant qu’inconsciente (type de sa folie première) mais parce qu’elle se révèle impuissante face à la conscience de la vérité.
La complexification du rôle de la sœur, dans son ensemble, est propre à la démarche de Tolkien qui vise à élargir (psychologiquement entre autres) l’univers narratif ; mais les différences qui ressortent des deux textes mettent en valeur la portée principalement symbolique des mythes poétiques finlandais.

L’épée-conscience

La comparaison la plus évidente entre le cycle de Kullervo et le Narn concerne la fin des deux récits et plus particulièrement le suicide des « héros ». Tous deux, en effet, se jettent sur leurs épées après leur avoir adressé la parole. Dans les deux cas on trouve ce fait aussi étrange qu’intéressant : l’épée leur répond. L’influence finlandaise est flagrante. La réponse de l’épée mêle à la fois son propre désir de sang et son désir de vengeance. « Pourquoi ne mangerais-je pas / Avec plaisir la chair coupable / Avec joie le sang criminel ? / Je mange la chair innocente / Je bois bien le sang non fautif. » (Kalevala, traduction de J.-L. Peret). « Oui je boirai ton sang afin d’oublier le sang de Beleg, mon maître, et le sang de Brandir, injustement massacré. Je te tuerai bien et dûment. » (Contes et légendes inachevés, p. 220). Les deux héros se tuent alors de la même façon, en fichant la garde en terre.
Une question vient tout de suite à l’esprit, pourquoi Tolkien dans son désir de cohérence, d’étude psychologique fait-il parler son épée ? La réponse s’impose d’elle-même : faire parler l’épée, c’est faire parler la conscience du héros. L’association est simple, l’épée, dans la conception du héros, étant la prolongation symbolique de celui qui la porte, un bras à la volonté. Pourtant ici, l’épée semble s’opposer au héros. Elle est indépendante, elle a une volonté propre, c’est d’ailleurs ce qui peut paraître réellement incongru.
Mais si l’on examine le problème, on se rend compte que Túrin ne demande pas conseil à l’épée, il lui demande la permission de se tuer avec son aide. Túrin est donc déjà décidé à mourir, tout comme Kullervo. L’épée, en ce sens, n’a plus de volonté propre puisqu’elle exprime l’avis de Túrin. En réalité elle ne s’oppose pas au héros : derrière ce semblant de volonté propre, elle est véritablement la conscience du héros, mais la conscience pervertie par la malédiction. De plus, Anglachel est intimement liée à Túrin (plus que ne l’est son épée à Kullervo). Ce que Túrin a vécu, l’épée l’a vécu. L’épée est réellement sa conscience, d’où la faute terrible de Túrin, qui, conscient donc de la manipulation psychologique de la malédiction, demande un juge impartial. En considérant l’épée comme impartiale, il commet une grave erreur, car l’épée en tant qu’extension de son psychisme est aussi atteinte par la malédiction générale.
Il en ressort clairement que le suicide ici n’est pas une solution (remarquons en passant que Tolkien était un fervent catholique converti). Túrin croit résoudre tous malheurs, mais sa mère découvrant la mort de ses deux enfants, sans personne par conséquent pour lui expliquer le drame, mourra de chagrin, tandis que son père, après sa libération, sera entre autres dans sa détresse, à l’origine de la chute de Gondolin (par sa signalisation involontaire) et de la guerre par le conflit du Nauglamir.
Si Kullervo et Túrin croient tous deux mettre un terme par leur mort à leur cycle et à la malédiction, le fait ne sera effectivement vrai que pour Kullervo. Selon Tolkien, le mal(heur) ne peut jamais être complètement éradiqué.
Ainsi, de la relation du héros à l’épée-conscience, Tolkien tire encore une fois matière à développer le principe d’influence psychique, mode d’action de la malédiction, contrairement au Kalevala où son rôle se résume à celui d’un juge. La perversité de l’épée est nettement plus développée dans le Narn qui s’écarte de la naïveté symbolique de la mythologie finlandaise pour analyser les sentiments concrets et réalistes des protagonistes.

La Malédiction

Le thème de la malédiction est universel, on le retrouve dans toutes les mythologies du monde. Il n’est qu’une extension des rapports, de la confrontation de l’homme à l’absolu, du désir humain de défier les dieux et de ses conséquences. Dans le cadre étrange de la mythologie finlandaise, le cas est quelque peu différent, puisque le cycle de Kullervo met en scène les conflits de deux dieux anthropomorphiques et « anthropotropes » sur terre. En d’autres termes, rien ne distingue ces dieux d’hommes ordinaires, tant au niveau physique que comportemental.
La malédiction est le thème central du cycle, elle en est le point de départ et la mort du maudit conclut le mythe. « Lors Untamo jure et menace / D’occire Kalervo, son frère / De l’occire, lui et les siens / Petits et grands, tous en carnage / D’égorger toute la nichée / Et brûler la cabane en cendres » (Kalevala II, p.128). La malédiction envers Kalervo et Kullervo est bien différente de celle prononcée par Melkor envers Húrin : « Reste assis là, lui dit Morgoth, et regarde ces terres où malheur et désespoir vont s’abattre sur ceux que tu aimais. Tu as osé te moquer de moi, défier la puissance de Melkor, le Maître du destin d’Arda. Alors tu vas voir avec mes yeux et entendre avec mes oreilles, et tu ne bougeras pas de cet endroit que tout ne soit consommé jusqu’au fond de la douleur » (Silmarillon, p.260, notons que chez Tolkien la malédiction a deux étapes, ici la deuxième a été citée). Examinons d’abord les causes de cette malédiction.

Untamo est le frère de Kalervo. Or une stupide histoire de brebis trop gourmande amène leur querelle à son paroxysme. Untamo est décrit comme un « méchant feton » (Kalevala II, p.127), qui s’énerve facilement. Les causes premières de cette haine ne sont pas explicitées.

Le récit de Tolkien, lui, donne une explication claire : vanité blessée ; un misérable humain ose défier la puissance d’un dieu victorieux, persuadé d’accéder bientôt à la domination du monde. Le dieu ne peut bien sûr le supporter : le dieu ne supporte pas que l’homme le défie ; d’autant plus le « dieu négatif » qu’est Melkor. La malédiction est jetée sur la famille du maudit captif.
Les deux récits ont en commun de se concentrer sur un personnage, fils du maudit directement concerné. Les deux personnages, Túrin et Kullervo, ont des rapports amoureux avec leur sœur, bien que de façons différentes, on l’a vu, et contribuent aussi à développer et à faire évoluer eux-mêmes leurs propres malédictions (la malédiction ne les tue pas directement, mais les détruit moralement).
Ils sont plus au moins conscients de cette malédiction, mais la différence majeure vient des étapes de celle-ci, infiniment plus développées chez Tolkien, dans les relations du héros aux autres, qu’elles soient d’amitié, d’amour, de haine, ou qu’elles concernent les sentiments de supériorité et d’orgueil. Ce développement a le mérite d’approfondir, de crédibiliser, de rendre cohérentes les épreuves subies.
Manque chez Tolkien l’aspect léger et humoristique présent dans le Kalevala, tel Untamo qui n’arrive pas à supprimer Kullervo qui pare toutes ses attaques, ou d’autres scènes de ce genre. Néanmoins, les répercussions à long terme par exemple, sont plus nombreuses (chute de Gondolin, de Doriath…).
L’explication en est simple : le Kalevala, en tant que récit mythologique populaire et ancien est symbolique, il a pour rôle majeur d’évoquer certains défauts. Cette mythologie de prévention peut avoir un sens moralisant, ciblant certains comportements humains, comme la jalousie, l’orgueil, le désir érotique, l’avidité, le bellicisme, en montrant leurs répercussions sur le milieu familial au sens large. De plus, le Kalevala a d’abord été poésie orale, où la suggestion significative a plus d’importance que le réalisme ou la cohérence.
Le texte de Tolkien, tout en dénonçant également ces comportements, le fait de façon clairement plus réaliste, non dans son univers, mais dans son but d’éclairer l’évolution des sentiments qui font l’homme (dans ses rapports aux autres) face à la Fatalité, là où le Kalevala utilise la malédiction comme prétexte.
Deux modes d’écriture très différents (symbolisme et réalisme), pour deux œuvres très différentes, regroupées sous l’appellation complexe de mythologie.

Partie II – La source germano-scandinave – Le cycle de Sigurd

Présentation générale

Sous le terme de source germano-scandinave sont regroupées deux traditions d’origine commune qui se sont par la suite distinguées : la tradition germanique tardive et la tradition scandinave. En réalité, si l’on aborde le problème sous l’angle du peuplement primitif, la source scandinave dérive elle-même de la tradition germanique globale. C’est donc dans celle-ci qu’il faudra voir l’origine ou les origines du mythe de Sigurd(r) / Siegfried, que nous allons ici étudier.

Le mythe a été travaillé à des époques différentes et se retrouve quelque peu changé dans les deux traditions : en Scandinavie, on le retrouve dans les Eddas, recueil mythologique en quatre parties, du moins dans la version écrite vers 1230 par Snorri Sturluson, un érudit islandais. La première partie est un prologue où l’auteur nous donne évidemment une interprétation chrétienne rationnelle des textes en question (condition sine qua non de leur rédaction). La deuxième partie est nommée Gylfaginning et se compose d’une cosmogonie et d’une théogonie ancienne. Viennent ensuite les Skáldskaparmál, des fables antiques, et le Hattatal, traité de métrique norroise (vieille langue scandinave). La partie nous intéressant, le cycle de Sigurd, se trouve dans le sixième chapitre des Skáldskaparmál.
Il faut également savoir qu’aux alentours de 1260 a été écrite en Islande, par un inconnu, une sorte de glose explicative aux Eddas, la saga des Völsungar ou Völsunga Saga, regroupant deux cycles d’inspiration germanique, celui de Sigi dont Sigurd et son père Sigmund(r) sont les descendants, et celui des fils de Hreidmar. Ce sont ces deux sagas (que nous avons regroupées sous le nom de Cycle de Sigurd) que nous allons ici étudier.
Il a également été fait mention de la tradition germanique tardive. Celle-ci se concrétise par l’écriture en 1280 environ du Nibelungenlied, en Autriche, reprise chrétienne et courtoise des vieux mythes germaniques ayant transité par la Scandinavie. Nous n’allons donc pas nous attarder plus longtemps sur cette source en raison de ces ajouts courtois médiévaux.

Résumé de la Völsunga Saga

Le récit commence par le voyage de trois dieux, Odinn, Loki et Hoenir. A un certain moment, Loki repère sur la berge d’une rivière une loutre qu’il tue. Les dieux se remettent en route et arrivent chez un géant, Hreidmarr qui a trois fils, Otr, Reginn et Fafnir. Hreidmar se rend compte, terrifié, que la loutre tuée et proposée comme prix de l’hospitalité par Loki, était son fils Otr, qui était allé pêcher sous cette apparence. Hreidmar et ses deux fils prennent donc les dieux en otage et fixent le prix de leur rançon et du « rachat » de la vie d’Otr : remplir d’or la peau de la loutre. Sur ce, Loki pêche un brochet qui se révèle être Andvari, un Nain détenteur d’une grande fortune. Andvari, pour prix de sa vie, lui cède sa fortune mais garde un anneau dont se saisit Loki. Le Nain se réfugie dans une caverne en disant « que quiconque possède cet anneau, de même que tout cet or, ce serait sa mort. » (Saga de Sigurdr, p.220 ). Loki remet l’or ainsi que l’anneau à Hreidmar et la malédiction entre en jeu. Mais Fafnir par cupidité tue son père, se transforme en Dragon et se retire en veillant sur l’or.

Parallèlement se déroule le cycle de Sigi dont le descendant Sigmund devient le père de Sigurd, après bien des péripéties qui ne vont pas être détaillées ici. Ce dernier rencontre Reginn qui entre temps est devenu forgeron et lui demande de venger son père.
Sigurd accepte et Reginn, après plusieurs tentatives, reforge l’épée brisée de Sigmund, Gramr. Grace à cette épée et à sa ruse, Sigurd tue Fafnir. Mais Reginn le trompe en lui demandant de garder le cœur du Dragon afin de le manger lui-même. En le faisant, rôtir Sigurd se lèche les doigts et comprend soudain le langage des oiseaux qui lui apprennent que Reginn veut le tuer. Sigurd lui tranche la tête.
Par la suite et dans les grande lignes, il délivrera Brynhildr, bannie par Odinn, qui devient sa maîtresse. Après maintes aventures, elle se suicidera ayant fait tué Sigurd parce qu’il l’avait trompée avec Gudrun, laquelle finira par se jeter à la mer.

Voilà, fortement résumés, les cycles de Sigi et des fils de Hreidmar dont nous allons mettre en lumière les parallèles avec le Narn.

La symbolique de l’épée

Dans la Völsunga Saga, l’épée a une signification autrement plus importante que dans les mythes finlandais et ses relations directes avec le Narn sont plus nombreuses. En tant que fondatrice partielle de la tradition médiévale, la mythologie germanique accorde à l’épée une place fondamentale. Elle est ici aussi extension du héros, garant de son honneur. Logiquement donc, le cycle de Sigurd accorde une grande place à l’épée. Elle a une origine magique. Odinn l’a plantée dans un arbre et seul Sigmund l’en sortira. Par la suite, il brisera son épée contre le dieu lui-même au cours d’une bataille. A sa mort, il demandera à sa femme Hjördis d’en conserver les tronçons.

On peut remarquer quelques similitudes avec le texte de Tolkien, quant à l’épée et à sa fonction : Elle est d’origine divine dans les deux textes. L’épée, chez Tolkien, est dotée d’un « esprit mauvais », on pourrait l’affirmer d’après ce passage : « Il [c.-à-d. Eöl, l’Elfe Noir forgeron] avait donné Anglachel à Thingol à contrecœur en paiement du droit de vivre à Nan Elmoth (….). » (Silmarillon, p.266 ).

A remarquer premièrement l’aspect de « rançon », déjà rencontré avec l’or maudit dans la Völsunga saga. Il est intéressant de constater que dans les deux cas, la malédiction liée à un artefact (épée ou or) provient de la colère de son propriétaire légitime, obligé de s’en séparer. Il est dit plus tard : « Ce glaive porte en lui le mal. L’esprit sinistre du forgeron l’habite encore. Il n’aimera pas la main qu’il servira et ne te servira pas longtemps » (Ibid.). Dans la Völsunga Saga, l’épée est aussi dotée d’une sorte de malédiction due et liée à Odinn : ayant permis à Sigmund seul de la détenir, il suscite consciemment la jalousie du roi Siggeirr. Cette jalousie sera cause de la mort de Völsungr et de ses fils sauf bien évidemment Sigmund, qui s’en sortira provisoirement.

Ainsi, dans les deux cas, l’épée est liée, directement ou non à la gloire et à la perte du héros : Anglachel « pouvait fendre tous les aciers tirés de la terre », et dans la Saga de Sigurdr, p.193 « Cette arme parut à tout le monde si excellente que nul ne pensa en avoir jamais vu d’aussi bonne ». Aussi invincibles soient-elles, elles sont pourtant brisées par le seul moyen possible, l’intervention du divin. C’est Odinn qui la brise en mettant un terme provisoire à la malédiction qui y est liée : « …son épée arriva sur la lance et se brisa en deux morceaux.» (Idem, p.213), « et ils soulevèrent Túrin et s’aperçurent que son épée était rompue en deux. Ainsi devrait disparaître tout ce qu’il possédait » (Contes et légendes inachevés, p.221).

L’épée indestructible brisée met donc un terme aux deux cycles, à celui de Sigmund comme à celui de Túrin. Et si Gramr sera ensuite reforgée, et à nouveau cause de succès guerriers innombrables dont le meurtre de Fafnir, ce ne sera que pour achever le nouveau cycle après la mort de Sigurd, par le suicide de Brynhildr ravagée par les remords. Notons en effet qu’elle se sert d’une épée qui est, dans certaines traditions, celle de Sigurd même.

Ainsi le thème de l’épée à double tranchant (c’est le cas de le dire) est repris par Tolkien comme élément source de malédiction originale et indépendante de la malédiction principale. Il fait également se joindre ces deux malédictions dans leur but, le suicide de Túrin, utilisant sur lui l’influence du remords (partiellement erroné), nous l’avons vu. Néanmoins, dans le Narn, l’épée en tant qu’objet unique, s’exprime directement, par la parole, et de façon indirecte par ses liens psychiques étroits avec le héros, contrairement au cycle de Sigurd, ce qui suit la logique de récit développée auparavant.

L’univers et ses représentants

L’œuvre entière de création mythologique tolkienienne est avant tout empreinte d’une ambiance particulière, mystérieuse : Le mythe du Narn, dans sa topographie (grandes et profondes forêts, montagnes sauvages, landes, prairies…) et dans ses représentations animées (humains, animaux, Nains, Elfes…) exprime cette dureté, cette hostilité de la nature propre, plus particulièrement, aux univers nordiques[9]. Sachant que le but de Tolkien a été, pendant un moment, de fonder une mythologie anglaise, il est tout à fait logique géographiquement et « biologiquement » parlant (la notion d’Elfe et de Nain provient du Nord), que celle-ci soit plus proche de légendes nordiques que méditerranéennes. Ainsi notre analyse sera, dans ce chapitre, plus générale et en rapport avec la mythologie gemano-scandinave dans son ensemble.

Topographie

La majeure partie du Narn se passe en forêt. Túrin naît en lisière de forêt et est éduqué dans le royaume de Doriath, forêt protégée magiquement des assauts ennemis extérieurs. Après sa fuite, il deviendra hors-la-loi dans la forêt de Brethil, qu’il quittera pour une montagne, puis pour des cavernes, mais à laquelle il finira par revenir, en tant que « forestier ».

Or la forêt est l’élément topographique fondamental en Scandinavie, il est donc légitime de la retrouver également omniprésente dans les mythes et sagas, à un point tel qu’il ne devient presque plus nécessaire de la mentionner, elle est là, tout autour et on le sait. De là, il est logique que la forêt exerce une influence sur le comportement ténébreux de celui qui l’habite. Les rapports de Túrin au monde sauvage pourraient faire l’objet, à eux seuls, d’un livre. Nous ne nous étendrons pas d’avantage sur ce point de comparaison général et passerons donc directement de l’univers à ses habitants.

Peuplement

Toute mythologie est fondée avant tout sur le divin et les expansions narratives qui en découlent. Les légendes, sagas ou épopées ont toutes une essence commune, le rapport des hommes au divin. En ce sens, chaque mythologie comporte des intermédiaires entre humains et divin. Ces intermédiaires, plus ou moins comparables biologiquement aux humains, sont représentés par des races ou espèces démarquées. Le mythe du Narn, très proche des mythes nordiques, partage nombre de ces espèces : Nains, Dragons, Elfes en sont les principales, celles dont nous nous occuperons ici (notons tout de même que les Elfes tolkieniens, très différents des créatures germaniques homonymes, sont une création originale).

Les Nains

« En bas sont les nains, habiles forgerons et artisans artistes. Ils vivent sous terre, loin du soleil. » (Edda poétique, p. 416).

« Les nains sont vieux pour la plupart, leur barbe est grise comme la glace, elle atteint leurs genoux, leur visage est ridé. » (Mythologie allemande, p. 107).
« Mais peu à peu leur taille avait diminué comme leur talent de forgerons, et ils s’étaient mis à vivre de rapines et à marcher le dos courbé et à pas furtifs (…). » (Silmarillon, p. 269)

Les nains chez Tolkien sont donc littéralement repris tel quels, avec leurs quatre grands qualificatifs :
Mîm a l’apparence d’un (très) petit vieillard barbu.
Il habite dans les cavernes de l’Amon Rudh, cavernes creusées jadis par son peuple.
Il a également été forgeron (le concept de nain forgeron sera développé dans la suite du Silmarillon avec l’histoire du Nauglamir).
– Mîm est, à l’instar de ses congénères, avide, particulièrement en ce qui concerne l’or. Ce qui apparaît clairement à la fin du texte lors de sa rencontre avec Húrin : « Depuis, il restait assis à manier l’or et les pierreries, les faisant sans cesse couler dans ses mains, et personne ne venait les lui disputer. » (Silmarillon, p.306).

Ces trois caractéristiques sont présentes dans la mythologie nordique : les nains, vieillards barbus, habitent dans les cavernes, sont d’habiles forgerons (Gungnir, la lance invisible et Mjöllnir, le marteau de Thor sont leurs deux plus célèbres ouvrages). Et Dans la Saga de Sigurdr, la malédiction est, rappelons-le, causée par un nain, Andvari, réduit à donner son or.
Mais la coïncidence la plus intéressante provient du nom même de Mîm : dans la Saga des Vilces, version allemande tardive de celle de Sigurd, Reginn porte le nom de Mime.
Or, tous deux veulent s’approprier un trésor gardé à un moment donné par un dragon, sont forgerons et entretiennent des rapports forts avec le héros. Ainsi le personnage de Reginn et le concept de nain semblent s’être associés chez Tolkien pour décrire ce peuple et son représentant dans le Narn.
Le Nain, suivant l’optique tolkénienne, est « humanisé » dans le Narn, avec la perte de son fils, associée à la déchéance de la race des petits-Nains opprimés par les Elfes. Ce qui amène une cause psychologique intense (tristesse et déchéance) au physique disgracieux et pathétique du personnage, et permet par conséquent de mieux le comprendre.

Le Dragon

Le Dragon, ou Serpent, est une figure mythologique universelle de la Mésopotamie en passant par la Chine et l’Amérique du Sud, liée surtout à la ruse et au pouvoir psychique. Le dragon Glaurung, de par son affrontement avec le héros, est très proche de Fafnir, dans ses points faibles physiques (partie ventrale), comme dans son aspect de terreur et dans ses rapports à l’or. Un artefact (objet précieux ou magique) lui est associé dans l’Edda : un casque aux « vertus » de terreur : « Fafnir avait alors coiffé le casque qui avait appartenu à Hreidmar et qui est appelé « heaume d’effroi », car à sa vue, tous les êtres vivants sont saisis de frayeur. » (Edda, p. 121). Ce heaume terrifiant se retrouve dans le Narn, mais porté par Turin. Et le « heaume du Dragon » ou « heaume d’Hador » a lui aussi le pouvoir de terrifier. On retrouve la trace de sa source probable dans son nom même : car ce heaume a une fonction d’exorcisation, car « sur son cimier se dessinait, haute figure de défi, la tête dorée de Glaurung le Dragon » (Contes et légendes inachevés, p. 117). Le détournement de la fonction et du possesseur procède aussi, logiquement, d’une volonté plus profonde de réalisme, le heaume étant porté par un humain, non plus par un Dragon, ce qui peut sembler pour le moins étrange.
Il faut pourtant noter une différence fondamentale entre Fafnir et Glaurung : Glaurung est un serviteur de l’Ennemi : son esprit est au service de Morgoth son maître, son pouvoir sur les esprits et la destruction qu’il sème sont ordonnés par celui-ci. Dans cette optique, chacune de ses actions aboutira forcement à un maléfice. Fafnir, lui, agit de son propre chef et ne cause donc pas nécessairement et exclusivement le mal. Lorsqu’il se sent blessé à mort, il se montre étonnamment bienveillant à l’égard de Sigurd, qu’il prévient en mentionnant la malédiction et en pressentant son dénouement. Le pouvoir de prescience, l’acuité psychologique sont d’autres traits communs aux deux dragons.
Fafnir est donc plus « humain » que Glaurung (par son origine et son comportement de métamorphosé) dont la perfidie semble parfois un peu trop manichéenne, justifiée peut-être, (nous ne nous étendrons pas là-dessus) par son rang d’esclave matérialisé du mal et de la malédiction qui pèse sur Túrin.

Les Elfes

Si les Elfes, par leurs noms, trouvent leurs origines dans le Nord, ceux de Tolkien sont une création originale reprise par la suite dans de nombreux récits d’Heroic-Fantasy (au point d’y devenir plus populaires que leurs modèles germaniques). Car l’Elfe Nordique est multiple, petit, rusé et plus ou moins doué pour les Arts. Il est un synonyme de Lutin, et même de Nain ou Gnome.
Dans leur multiplicité, on ne s’étonnera pas qu’ils puissent être bons ou mauvais. Ils n’ont en réalité pas de statut fixe. Ceux de Tolkien sont clairement des êtres de lumière, doués pour les Arts, supérieurs aux humains dans leur imaginaire et dans leur spiritualité. Leurs plus proches cousins sont en cela les esprits sylvestres anglo-saxon, « lumineux et beaux » (Mythologie allemande, p. 100). Pour plus de détails, nous nous reportons au travail de maturité d’un collègue qui traite entièrement de ce sujet (références dans la bibliographie).
L’on peut néanmoins ajouter que les Elfes sont chez Tolkien, en particulier dans ce récit, extrêmement proche au demeurant des humains. Cette proximité est magnifiquement développée dans la relation de Túrin à Beleg et à son peuple, tissée d’amitiés, de disputes, d’amour propre. Au final, la création de cette espèce est perçue comme un prétexte au développement sentimental des rapports humains. Et ce prétexte consistant à faire correspondre une race à un état d’esprit, à un caractère (Nain : tristesse, déchéance ; Dragon : terreur, perspicacité ; Elfe : spiritualité…), est omniprésent dans le Narn, même dans ses extrémités (Orcs, Easterlings : brutalité), où le système peut révéler ses limites[10].

L’épisode du Dragon

Certaines scènes sont d’une telle importance qu’une analyse détaillée de leurs composantes s’avère nécessaire. Le meurtre de Glaurung est justement une scène clé du Narn qui semble directement inspirée par le meurtre de Fafnir, scène également importante et devenue célèbre de l’histoire de Sigurd. Ce type de scène est fortement symbolique et représentative des deux mythes. Son analyse appuyée et comparative nous permettra de constater l’apport de cette source au texte de Tolkien. Nous baserons l’analyse ici sur les deux sources les plus détaillées : la Völsunga Saga et les Contes et Légendes inachevés.

Nous avons déjà pu nous apercevoir que les similitudes entre une scène mythologique et son influence dans le Narn sont souvent événementielles, proches, dans l’action résumée, d’une scène particulière (par exemple les suicides de Túrin et Kullervo). La scène du Dragon ne déroge pas à la règle. L’action de base peut être facilement résumée : dans le but de tuer un Dragon prétendument invincible, un homme se cache dans un fossé et lorsque passe l’animal, lui plante une épée dans l’abdomen.
L’astuce est assez originale, pour que l’influence tolkienienne soit claire. On est loin ici de l’héroïque confrontation Chevalier/Dragon, dont sont emplis les récits médiévaux postérieurs. C’est justement le côté archaïque, brut, sauvage qui est ici (et dans une partie conséquente de la mythologie de Tolkien) intéressant. L’archaïsme est en effet d’une remarquable puissance évocatrice.
Dans le chapitre précédent, nous avons pu observer les thèmes liés à l’image du Dragon dans la mythologie nordique, thèmes exprimés ici par son arrivée : « Quand le serpent rampa pour aller à l’eau, il y eut un grand tremblement de terre, tout le sol trembla dans le voisinage. Il soufflait du venin partout devant lui (…) » (Saga de Sigurdr, p.226) et dans le Narn, pp. 203-204 : « Soudain il se fit un grand bruit, et les parois du gouffre vibrèrent et résonnèrent (…). Et avec lui venait la terreur (…). Et il vomit un jet de flammes (…). »

Dans les deux récits, l’accentuation de la nature bestiale du dragon, son image terrifiante marque une forte opposition avec le « héros » : les deux dragons sont malfaisants (du moins à un moment donné, dans le cas de Fafnir). L’un, Fafnir, a assassiné presque toute sa famille, l’autre, un serviteur du (représentant) du mal, a été cause de morts innombrables, notamment indirectement celle de Finduilas, aimée de Turin et, plus grave, de l’union entre le frère et sa sœur.
Mais une différence fondamentale se dessine, celle de la cause, de la motivation (différence récurrente entre le Narn et ses influences) : Sigurd semble avoir deux raisons au meurtre du Dragon. La première et probablement la plus importante est liée à son honneur, à son amour propre : il a promis à Reginn de l’aider à recouvrer ses biens, en remerciement de la reforge de l’épée. La deuxième vient plus tard ; Reginn en effet lui dit que le meurtre du dragon lui apportera « un grand renom ». C’est encore une question d’honneur personnel. Quant à la question de la clairvoyance (due au cœur du dragon) et surtout de la richesse, elles apparaissent après la mort de Fafnir et de Reginn.
Les motivations de Túrin sont à la fois plus personnelles (vengeance de la mort de Finduilas et besoin de contrer la malédiction) et altruistes (préserver le village et sa sœur/femme du Dragon). Même si l’honneur et, encore une fois au centre des motivations, la vengeance de Turin est, comme toute vengeance, profondément personnelle. C’est une « affaire privée », basée sur une psychologie personnelle, qui relie les deux adversaires, la préservation du village restant une raison secondaire.
Les détails qui divergent sont, ici aussi, nombreux : le ravin naturel est celui d’un torrent dans le Narn, il est creusé artificiellement dans la Völsunga Saga ; Túrin, dans son optique de protection du village est accompagné de trois personnes, puis de deux ; le sang du dragon a une fonction de sagesse (voire d’invincibilité, dans la littérature allemande), tandis que dans le Narn, il brûle et est qualifié de « venin ». A noter encore dans l’expédition de Túrin et de ses compagnons, une foule de détails pratiques (comment passer le temps, incommodités), qui développent le récit de façon réaliste. Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, dans la Völsunga Saga, Fafnir, blessé à mort, se montre bienveillant envers Sigurd, son meurtrier, lui révélant partiellement la malédiction due à l’or, la fourberie de son frère Reginn et lui prodiguant de judicieux conseils. Dans le Narn par contre, la perversité de Glaurung se déculpe dans son agonie, puisque, révélant son identité réelle à Nienor, il cause sa mort, puis celle de Túrin, par enchaînement.

En fait, on peut envisager ces différences en évoquant avant tout leurs fonctions variées : le meurtre de Fafnir est pour Sigurd une étape qui marque le commencement de sa « brillante carrière » en lui apportant gloire, richesse, et également, paradoxalement, la malédiction, éléments qui sont le fondement de son destin fulgurant, grandiose mais tragique. C’est une explication à l’absence de développement de détails à ce stade, ces détails seront justement amenés par cet événement dans la suite de la Saga.
Dans le Narn, le meurtre du dragon marque la fin et le bilan de la vie des héros. D’où l’abondance de détails de description physique et psychologique, indispensables à la conclusion d’une telle Saga. Marquant sa fin, l’événement déteint plus facilement sur la psychologie du héros qui prend conscience de la malédiction. Lorsque par exemple, Hunthor meurt, son rôle qui aurait pu sembler insignifiant s’éclaircit : c’est un rappel de la malédiction qui pèse, comme s’en rend compte Túrin : « Hélas ! Il est mauvais de marcher dans mon ombre » (Contes et légendes inachevés, p. 204). L’implication de la malédiction dans son étape ultime, sur le psychisme du personnage, est également clairement exprimée dans la fureur due à l’atteinte personnelle faite par le Dragon, et dans la léthargie inconsciente de Túrin précédant la révélation consciente. C’est donc la fonction qui différencie les événements dans les deux textes, et de cette fonction découlent les développements narratifs et psychologiques du Narn.

La malédiction

« Quels que soient les textes envisagés, antiques inscriptions runiques, récits d’historiens latins, fragments de poèmes immémoriaux, Eddas, sagas de tous genres – fussent-elles rédigées à l’ère chrétienne scandinave – formules juridiques, vestiges magiques, partout, toujours, s’impose l’originale figure du Destin. (…). Nulle part cette obsession n’éclate mieux que dans le complexe Edda héroïque- Völsunga Saga – Niebelungenlied : il ne s’y trouve pas un seul personnage important qui ne connaisse d’avance son lot, tout a été annoncé dans le détail, tout se réalisera dans le détail. » (Edda poétique, pp.13 et 16).

Ce passage fort significatif énonce la place primordiale que tient le Destin dans la mythologie, dans le sacré germanico-scandinave. Dans les deux sagas liées à Sigurd, celle de Sigi et celle des fils de Hreidmar, le Destin se matérialise sous la forme particulière de Malédiction, aspect négatif du Destin en général. Or, elle a une particularité supplémentaire : l’atavisme, ou la transmission par hérédité de la malédiction. A cela on peut également ajouter l’aspect de fréquentation ; la malédiction touchant également les êtres aimés (Brynhildr, Gudrun).
La malédiction, ou plutôt les malédictions, celle liée à l’épée et à Sigmund, et celle de l’or, liée à Sigurd ont, parce qu’elles sont prolongement du concept de Destin, une origine divine, directe, pour celle de l’épée, plus biaisée, en ce qui concerne celle de l’or (car la malédiction est prononcée par le nain Andvari, entité semi-divine, ne pouvant supporter d’être séparé de sa richesse). Et elle prend, lors du meurtre de Fafnir perpétré sur sa famille, une dimension supérieure et devient « une malédiction inexpiable encore, liée au meurtre de proches parents ; inexpiable en effet selon l’éthique de la mentalité germanique. » (Saga de Sigurdr, p. 23).

On reconnaît ici plusieurs paramètres présents au cœur du Narn : d’abord l’atavisme ; le récit de Tolkien, par son titre même, nous rappelle cet aspect : Narn i Chîn Húrin, la Geste des Enfants de Húrin, et de fait le récit est centré sur les enfants victimes de l’« erreur » qu’a commise leur père ; l’origine divine ensuite, puisqu’elle provient du dieu Melkor ; à cela on ne saurait oublier d’ajouter d’autres similitudes majeures.
Le thème de l’orgueil, qui tient dans la mythologie germanico-scandinave une place très importante. Lorsqu’un homme est blessé dans son honneur, lorsqu’il subit une honte, il doit se venger (souvent de manière sanglante) pour le recouvrer. On le constate, la Völsunga Saga est remplie de ces histoires de vengeances (celle de Signy, sœur de Sigurd, celle de Reginn sur son frère, celle de Brynhildr…) qui motivent quasiment chacun des actes principaux des protagonistes. De même l’histoire de Túrin, où Morgoth, dans l’accomplissement de sa malédiction, tire parti de nombreuses fois de l’orgueil de Túrin : le meurtre de Saeros est une vengeance, la destruction de Nargothrond est causée par cet orgueil de témérité et d’exacerbation, jusqu’aux désastres finaux, provenant des révélations du dragon qu’approche Túrin dans son assurance et son besoin de vengeance (bien qu’il y ait ici matière à discussion : le désastre aurait-il pu être réellement évité dans l’ignorance ?).
Bien des similitudes sont encore à noter : l’enfance dans l’absence du père et dans une contrée extérieure (chez les Danois pour Sigurd ; chez les Elfes pour Túrin) ; les difficultés amoureuses liées à la Malédiction (Finduilas puis Nienor ; Brynhildr et Gudrun) ; les nombreux morts ou suicides qui parsèment les deux récits. Sans oublier une foultitude de détails qu’ils soient artefacts (Heaume de terreur appartenant à Fafnir, et à l’effigie de Glaurung) ou événements (manière dont le dragon est tué…). Toutes ces ressemblances étoffent les récits et ont pour caractéristiques de provenir plus ou moins directement de la Malédiction ou d’y participer.

Néanmoins, toutes aussi nombreuses sont les divergences dont nous ne donnerons qu’un aperçu.
La cause même de la Malédiction et donc du récit tolkienien est l’orgueil bafoué de Melkor. Si le thème, bien qu’universel, est fort développé dans la mythologie nordique, les raisons de la malédiction de l’or sont avant tout matérielles (au même titre, celle du comportement de Kullervo envers sa sœur dans le Kalevala) et la prolongation de la malédiction vient de la transgression d’un dogme quant à la place familiale (meurtre de Hreidmarr).

La mythologie nordique entremêle volontiers les domaines du Spirituel et de l’Humain. Pour preuve, les interventions d’Odinn et des dieux tout au long de l’histoire, le pouvoir de malédiction donné au nain Andvari, créature qui n’est qu’à moitié divine, et les fréquentes métamorphoses qui en viennent à être considérées comme normales. Le texte de Tolkien, quant à lui, marque une frontière nette entre les deux domaines. Chez Tolkien, où le Spirituel est représenté par Melkor et ses influences psychiques et physiques, les possibilités elfiques sont certes plus développées que celles des humains, mais restent plausibles (plus grand développement de la résistance corporelle et des sens) : Le divin exerce son influence par des émissaires soit divins également, soit clairement reconnus. Citons l’exemple de Melian, la femme de Thingol qui est une Maia, « divinité » mineure (sorte d’ange) et celui de Glaurung émissaire de Melkor. Cette séparation nettement définie rend plus cohérente l’existence concrète du divin, domaine supérieur qui ne peut par conséquent être aléatoire ou désorganisé dans son attribution sur terre. Encore une fois, Tolkien s’éloigne de cet aspect aléatoire caractéristique de la mythologie ancienne.
En outre, nombreux sont les détails changeants, dont il est impossible de faire une liste exhaustive de par leur multitude. Notons quand même la solitude récurrente de Túrin, élément important et qui n’est pas développé dans la Völsunga Saga, son changement constant de statut (chevalier, hors-la-loi, courtisan, chef de tribu…), ses motivations, qui ne sont ni matérielles ni territoriales, comme certaines de celles de Sigurd. Le besoin de Túrin s’exprime par sa recherche d’une situation stable, un bonheur simple rendu impossible par la malédiction.

Au final, l’on peut déduire que le récit tolkienien a puisé pour une grande part dans le répertoire tragique germanico-scandinave, qui empreigne le Narn, tant en ce qui concerne proprement la malédiction que l’ambiance et l’environnement général. Pourtant, La geste des enfants de Húrin se démarque par son unité, par la recherche de Tolkien d’une plausibilité et d’une logique évidente. Il en ressort un récit dominé par la malédiction spirituelle et ses répercussions humaines, physiques et psychologiques. La mythologie germanique, bien que plus descriptive et cohérente que les mythes oraux finlandais[11], reste alors une mythologie ancienne par rapport à ce que l’on peut réellement appeler « mythologie moderne »[12], créée par Tolkien.

Partie III – La source grecque – La Tragédie

Présentation générale

La dernière source que nous aborderons est sans doute la plus complexe. La mythologie grecque a été, depuis ses développements premiers, la plus analysée, la plus commentée. Son influence gigantesque est à la mesure de la richesse de son contenu.
Les mythes grecs trouvent leur développement le plus intense et le plus poussé dans la tragédie, en laquelle s’expriment toujours des problématiques aiguës, politiques et sociales, psychologiques et passionnelles. C’est par sa cohérence, la profondeur de son analyse psychologique et le thème récurrent de la malédiction, que la tragédie grecque a influencé, dans son essence même, le travail de Tolkien. Cette proximité est liée aux schémas et thèmes tragiques (l’homme face à la malédiction, ses choix, ses réactions, ses erreurs et leurs répercussions[13], et se différencie donc des similitudes factuelles plus cernées et précises observées généralement dans les chapitres précédents.
Cette essence commune à la tragédie antique et à la mythologie tolkénienne, se développe principalement dans les deux cycles tragiques fondamentaux de la mythologie grecque : le cycle des Atrides et celui des des Labdacides (développés par Euripide, Eschyle et Sophocle au Vè siècle av. J.C) : deux dynasties marquées dans leur existence par le sceau de la malédiction, deux dynasties souillées par leurs erreurs envers les dieux et qui tout au long de leurs histoires, en subissent les conséquences horribles, infamantes et destructrices. Nous rappellerons ici les développements des deux cycles dans leurs grandes lignes.

Les Atrides

Tantale, l’ancêtre, trace déjà la ligne directrice qui conduira au malheur de sa descendance. Il s’installe, veut s’installer, en un lien de quasi égalité avec les dieux. Dans son orgueil et sa démesure, lui vient le désir de les tromper. Il leur sert son fils Pélops en ragoût, ce qui le mènera à un supplice éternel aux Enfers où ses besoins premiers ne seront jamais comblés.
Pélops, reconstitué et sous la protection des dieux, devient roi en Elide. Il a plusieurs enfants dont Atrée et Thyeste qui tuent leur demi-frère bâtard Chrysippe par jalousie, et sont maudits, par Pélops.
Le trône de Mycènes est vacant, d’Atrée et de Thyeste, qui l’occupera ? Le peuple choisit Thyeste mais Zeus impose Atrée qui devient roi, joignant les royaumes d’Argos et de Mycènes. Peu à peu réapparaît l’orgueil, la soif du pouvoir et la démesure (hybris). Découvrant une liaison entre Thyeste et sa femme, Atrée le fait revenir, feignant un partage de pouvoir, pour lui servir ses fils à table, au banquet de retrouvailles, à l’exemple de son grand-père. La malédiction est alors définitivement installée.
Thyeste, pour se venger, suit les conseils de l’oracle, et s’unit à sa propre fille Pélopia, qui lui donne un fils, Egisthe.
Pélopia épouse Atrée, qui devient le père adoptif d’Egisthe sans connaître son vrai père. Atrée se saisit de Thyeste par l’entremise de ses deux aînés, Agamemnon futur roi d’Argos et Ménélas, et envoie Egisthe le tuer. Mais Thyeste lui révèle qu’il est son père. Egisthe tue alors Atrée. Agamemnon réagit grâce au soutien du père de sa femme, et exile définitivement Thyeste.
A l’aube de la guerre de Troie, viennent de nouveau la démesure, l’orgueil, lorsque le roi d’Argos décide de sacrifier sa fille Iphigénie, pour obtenir des vents favorables. Sa femme se venge en s’unissant à Egisthe, qui tue le roi à son retour de Troie. Oreste, le fils d’Agamemnon, revient, une fois majeur, à Argos et tue Egisthe. La démesure intervient pour la dernière fois, lorsqu’il tue sa propre mère, complice du meurtre de son père. Le divin se manifeste finalement par les Erinyes, puissances de la vengeance divine, qui mettent fin au cycle : Oreste sera jugé et acquitté.

Les Labdacides

Bien que la malédiction ne soit établie qu’à partir de Laïos, commençons par le commencement : Cadmos, fondateur de Thèbes (après avoir vaincu un dragon, épisode que nous n’analyserons pas) a deux enfants Polydoros et Agavè. De ces deux enfants naîtront les deux principales branches thébéennes.
Labdacos (le boiteux), le fils de Polydoros, meurt vite, privé du pouvoir par sa mère. Il a pourtant un enfant, Laïos (le gauche), qui se lie de passion pour un jeune homme, Chrysippe (fils de Pélops), qu’il enlève. En ce sens, il devient « l’introducteur de l’amour homosexuel chez les humains, origine de la malédiction jetée sur lui-même et sa descendance » (Dictionnaire des mythologies – Labdacides).
La malédiction est installée par Pélops et par les dieux. Pour la conjurer ou l’éviter, Laïos ne doit pas avoir d’enfants, règle qu’il transgresse (par ivresse). Un fils naît, Œdipe. L’oracle annonce qu’il tuera son père et épousera sa mère. Œdipe, destiné à la mort, est sauvé et grandira loin de ses parents sans qu’il ne les connaisse et réciproquement. L’histoire est connue : devenu grand, il part, répond à l’Enigme de la Sphinge, tue son père, et par un certain malentendu, devient roi de Thèbes en s’unissant à sa propre mère Jocaste.
Lorsqu’il apprend tout, il se crève les yeux, tandis que Jocaste se pend. Ici les versions diffèrent : selon certains, il est exilé, selon d’autres, il est enfermé par ses fils, qu’il maudit, prolongeant ainsi la malédiction.
Ces derniers, Etéocle et Polynice, n’arrivent pas à se partager le pouvoir à Thèbes. Polynice trahit, s’allie à la ville d’Argos et attaque Thèbes. Les deux frères finissent par s’entretuer. Voulant offrir, malgré la loi, une tombe à son frère Polynice, Antigone se fait emmurer vivante et conclut le cycle.
Deux histoires tragiques, mais cohérentes, pour deux lignées. Deux malédictions semblables à celle de Túrin, dont nous allons extraire les points communs.

La symbolique des noms

De la lecture du Narn, ressort la volonté d’un homme d’échapper à son destin, à la malédiction qui pèse sur lui. Et de cette volonté découle cet aspect remarquable et particulier au récit de Tolkien : les changements de noms fréquents de Túrin. Il portera en effet au cours de sa brève existence pas moins de sept noms différents qu’il se donnera lui-même (à l’exception du premier). En voici la liste :

– Neithan, « celui à qui on a fait tort, le dépossédé » (Contes et légendes inachevés, p. 134).
– Gorthol, « le Heaume du Dragon, le Heaume de la peur » (Silmarillon, p.272).
– Agarwaen, fils d’Ulwarth « le sanglant fils du maudit » (Idem, p. 278).
– Mormegil, « la noire épée » (Ibidem, p. 278).
– L’homme sauvage des bois (Contes et légendes inachevés, p.189).
– Turambar, « Maître de son Destin » (Idem, p. 171).

Cette volonté de changement est facilement analysable : comme la malédiction est liée à son nom, à la lignée des enfants de Húrin, Túrin veut, ou du moins croit effectivement, y échapper en changeant ce qui fait d’un être un être : le Nom.
Cela est clairement révélé dans son ultime dénomination, Turambar, « Maître de son Destin ».
Mais les changements de nom chez Túrin peuvent procéder d’une volonté d’exorcisme, tels les exemples de Neithan, d’Agarwaen, où la conscience, la proclamation du problème permettrait de le résoudre.
Pourtant, ces changements entraînent un problème évident, celui de l’instabilité, de l’absence de place nette et définie, d’appartenance à un groupe, jusqu’à la perte de l’identité. Ce problème, nous allons le traiter plus longuement dans le chapitre de la malédiction. Néanmoins, un parallèle direct est à faire avec la lignée des Labdacides : Labdacos signifiant « le boiteux » ; Laïos, « le gauche » ; Œdipe, « pied enflé » ; Etéocle, « vraie gloire » et Polynice, « querelles nombreuses ».
La mythologie permet le jeu sur la signification des noms avant la naissance et la prédestination. Túrin signifie « maîtrise » (Silmarillon, Index, p. 479), le nom est à rapprocher de celui d’Etéocle, où l’optimisme des parents à la naissance, leur volonté inconsciente de conjurer le sort à venir, est rapidement déçu (laissons de côté l’ironie possible de l’auteur).
Dans les deux cas, la malédiction était alors méconnue. On peut parler de prédestination inversée, puisque c’est l’exact contraire qui se produit : Túrin, malgré ses tentatives, ne maîtrise ni son destin, ni son orgueil. Etéocle est, avec son frère à qui il n’a pas voulu céder temporairement le pouvoir, cause de la ruine de Thèbes, et laissera un souvenir plus que mitigé (en aucun cas une « vraie gloire »).

La prédestination par le nom est aussi visible dans Laïos, Labdacos, Œdipe et Polynice, directement cette fois, tout comme dans le nom de Nienor, « Deuil » (Contes et légendes inachevés, p.115), où une dimension supplémentaire et intéressante est introduite par Tolkien : Nienor étant à la base, le « Deuil » présumé de son père Húrin, se révélera être ensuite celui de sa raison, puis son propre « Deuil ». Et Morwen ne lui donne pas ce nom prédestiné par hasard, comme c’est le cas de Polynice, mais en toute bonne foi.

Mais revenons au problème de l’instabilité. Il est donc en relation avec le nom, dans le Narn, par ses changements perpétuels séparateurs ou exorciseurs, et dans la tragédie, par la signification de certains noms premiers et définitifs. C’est cette instabilité que va éprouver Labdacos, retiré du pouvoir, Laïos dans ses relations sexuelles, Œdipe dans le « chevauchement des générations » et Túrin dans la recherche de sa vraie place, qui est finalement le problème de chacun d’eux[14].

L’inspiration de Tolkien, en ce qui concerne les noms, n’est pas seulement puisée dans la mythologie grecque, mais aussi dans le système concret et réel de l’Antiquité hellène.
A Athènes par exemple, le nom est composé du prénom, du nom du père et du dème (quartier urbain ou canton rural), il peut être associé au genos (famille noble). « Toutefois, l’appartenance à un genos illustre resta dans l’Athènes de l’époque classique un titre de gloire et d’orgueil » (Civilisation grecque, p. 278). Citons par exemple Alcméonides, le genos de Périclès. Quant à Túrin, son genos est celui de la maison de Hador. De plus, l’appartenance de Túrin à la région de Dor-lômin, l’importance qu’il y attache est comparable au dème, tout comme la prépondérance du nom du père (si cher à Tolkien dans son œuvre) ressemble à celle qui faisait l’apposer jadis à son propre nom. Mentionnons d’ailleurs que la formule « fils de » n’est en aucun cas exclusivement grecque, puisqu’on la retrouve dans chaque civilisation patriarcale.
Plus intéressant, « Enfin on recevait parfois des titres honorifiques » (Dictionnaire de la Civilisation grecque, p. 175), après des actions de bravoure.
Tel celui de « Heaume de la peur » par exemple.
Mais les similitudes vont plus loin, puisque la grammaire et en particulier la conjugaison grecque est celle qui inspira le plus Tolkien pour les différentes langues elfes : le Sindarin, mais surtout le Quenya.

Ainsi, l’extrême importance du rôle du nom en Grèce antique se retrouve dans le Narn, où Tolkien la reprend pour une grande part, et sous ses divers aspects. Dans la volonté de l’écrivain d’étoffer son univers, la création de plusieurs langues, la symbolique du nom ainsi que le rapport de cette symbolique à Túrin, s’impose clairement comme une adaptation réussie du système de nomenclature grecque.

La Malédiction

Nous avons vu en introduction à ce chapitre que la similitude majeure qui relie le Narn et la tragédie grecque tient à la reprise du schéma narratif tragique : un personnage occupant une place importante dans la hiérarchie familiale, dynastique ou clanique, est frappé d’une malédiction divine à cause d’une erreur qu’il a commise, erreur ayant bien sur trait à la (aux) divinité(s) concernée(s).
Cette malédiction aura des conséquences désastreuses non seulement sur lui, mais également sur toute sa descendance, jusqu’à l’extinction de sa lignée ou jusqu’à une intervention divine décisive. Ce qui suppose évidemment meurtres et suicides innombrables qui parsèment la tragédie.
Voilà pour le schéma narratif général ; il est également applicable à l’histoire de Túrin.

Généalogie et causes de la Malédiction

On sait l’importance de la généalogie chez Tolkien, le Narn commençant même par l’évocation de la lignée dont seront issu Húrin, puis Túrin :
« Hador tête d’Or était un seigneur des Edains, et très aimé des Eldar. » (Contes et légendes inachevés, p. 91). L’idée de succession reste extrêmement importante, Húrin étant « l’héritier de Hador ».

Or cette maison va être frappée de malédiction : « Morgoth alors le maudit, lui et Morwen et tous leurs descendants. » (Silmarillon, p. 260). La lignée est désormais maudite tout comme celle de Laïos et celle de Tantale.
L’orgueil qu’a eu Tantale en se voulant l’égal des dieux au point de tenter de les tromper (comme Prométhée), est comparable à celui qui habite Húrin lorsque, résistant à Morgoth, il « l’accabl[e] de moquerie », le traitant d’« esclave des Valar » (même si, en l’occurrence, cet orgueil semble mieux fondé). Notons que l’assassinat de Chrysippe par ses deux frères peut aussi être considéré comme une cause secondaire à cette malédiction, renvoyant à la jalousie, qui est aussi une blessure d’orgueil, thème récurrent.
La cause de la malédiction des Labdacides, la colère de Pélops envers Laïos qui a mené son fils à la honte, et celle des dieux qui ne tolèrent pas ses rapports homosexuels sadiques avec Chrysippe[15], semble moins directement liée à la cause du Narn.
Reste que les causes de la malédiction, chez Tolkien, appartiennent à un passé beaucoup plus récent, moins « mythique » et plus vraisemblable. Le fossé entre la situation du récit et l’origine des troubles qui le parcourent, est moins profond chronologiquement.
Nous allons voir que la malédiction utilise plusieurs modes de fonctionnement, tous aussi divers qu’efficaces.

La place

Du fait de sa date de rédaction, le texte de Tolkien semble avoir quelque peu perdu cette fonction mythologique explicative directe, indissociable de la mythologie réelle, créée justement dans ce but : le mythe tolkienien garde pourtant cette « vérité dénonciatrice des comportements humains ».
L’histoire des Labdacides et de leur plus célèbre représentant, Œdipe, comporte selon une des analyses les plus intéressantes et approfondies de ces comportements stigmatisés[16], un aspect qui peut être rapproché de l’histoire de Túrin : l’ambiguïté des rapports de la lignée au travers des générations.
Œdipe vit exilé, éloigné de sa famille, de son pays, tout comme Túrin. Ni l’un ni l’autre ne sont à leur place du début à la fin ; il n’est d’abord qu’adopté par Polybe et Mérope, comme l’est Túrin par Thingol et Melian. Par la suite, Œdipe épousera inconsciemment sa mère, empiétant sur, chamboulant le rôle des générations : « Il épouse celle qui l’a mis au monde, sans le savoir, le malheureux ! » (Phéniciennes, in Théâtre Complet III, p.224). Sans causer ce chaos, Túrin épousera sa sœur, inconsciemment aussi, sortant de sa place de frère, la confondant, confondant l’amour fraternel et l’amour du couple. Cet acte les poussera au suicide.
Túrin ne s’est jamais considéré non plus à sa place dans ses rapports avec les Elfes, préférant fréquenter des forestiers, et même des brigands : « Ils sont de ma race (…). » (Silmarillon, p.146). Et pourtant, ses rapports sont pervertis même avec ceux qu’il considère comme ses semblables (ses rapports avec Forweg et plus tard avec Brandir). Cette perversion des rapports le poussera à une fuite perpétuelle : aucun lieu ne pourra le retenir, lui offrir un vrai foyer, dans son instabilité. Encore une fois, tous ces maux, comme ceux d’Œdipe, viennent du fait qu’aucun d’eux n’est jamais réellement à sa place, même si la violation du code intergénérationnel n’est pas présente chez Túrin.

L’orgueil

Nous avons déjà vu l’importance que revêt l’orgueil dans la Geste des Enfants de Húrin, cause de la malédiction, il est aussi à l’origine de l’exil volontaire de Túrin du royaume de Doriath, de la chute de Nargothrond et (parce qu’il a voulu récupérer son épée) de sa léthargie finale, et donc de la rencontre de Nienor avec le Dragon (sans cette léthargie, la révélation aurait pu se faire de manière plus « douce », sans entraîner forcément la mort).
Cet orgueil s’exprime de manière particulièrement vive chez Túrin, lorsqu’il est lié à la guerre : quand abattre le pont s’avère nécessaire pour se défendre contre les invasions de Morgoth, il est dit que « Túrin ne voulut rien entendre de ces conseils et il ne voulait surtout pas qu’on détruisît le pont, car il était devenu dur et orgueilleux et voulait que toutes choses soient faites à son gré » (Silmarillon, p. 281). Le passage, où la malédiction a pour moyen d’action l’accentuation de l’orgueil naturel, ressemble à une scène d’Agamemnon de Sophocle, première des trois tragédies qui composent l’Orestie.
Agamemnon, en proie à une immense vanité guerrière décide avec ses capitaines de sacrifier sa fille, condition de l’Oracle à l’obtention de vents favorables : « En son âme le vent tourna, impie, / Impur, sacrilège / Résolu dès lors à toute audace. / Une misérable démence, source de peines, / Enhardit, de vils conseils, les vivants. / Il osa se faire / Immolateur de sa fille, / Pour cette guerre en rançon d’une femme, / Pour prémices au départ des nefs. / Qu’elle priât, qu’elle appelât son père / Ni son âge virginal, les chefs / épris de guerre n’en tinrent compte. » (Tragiques grecs, p. 271)
L’épisode est également à rapprocher des Phéniciennes, lorsqu’Etéocle et Polynice interrompent finalement toute possibilité de réconciliation malgré les imprécations de Jocaste, et mènent la ville à ruine : Polynice : « Je serai posté en face, pour te tuer. », Etéocle : « Le même désir me possède. » (Théâtre Complet, p. 24)
Toutes ces scènes mettent en scène la folie butée de l’orgueil humain qui mène au mal, non à la victoire, mais à la destruction : de Nargothrond, de Thèbes en proie aux Epigones, d’Agamemnon et de sa lignée (excepté Oreste).
Dans tous les cas, la malédiction met en évidence les défauts humains et mène à la destruction sociale. Le milieu social est néanmoins très différents dans le Narn, où il n’est pas associé à une ville comme Thèbes et Argos.

Le suicide

La mort et le suicide marquent la fin du cycle et de la malédiction. Ceux de Túrin et Nienor ressemblent étrangement à deux suicides célèbres de la littérature tragique de la Grèce antique : Celui de Jocaste et celui d’Ajax. Nous n’étudierons ces suicides que brièvement.

La fin de Jocaste est relatée par un domestique dans Œdipe Roi de Sophocle : « Dès le vestibule passé, prise de fureur, / Elle courait vers le lit nuptial, / Elle s’arrachait à deux mains les cheveux. (…) Nous y aperçûmes la femme pendue au lien / Qui l’étranglait. » (Tragiques grecs, p. 701), en comparaison avec la mort de Nienor : « Et l’esprit égaré par le désespoir et l’horreur qui l’avaient submergée, elle reprit sa course folle. (…) Et elle se précipita dans le gouffre. » (Contes et légendes inachevés, pp. 210-211).
Dans les deux cas, la « révélation » est suivie de près par la folie, sorte de crise de nerfs. Nienor fait de nouveau appel au sauvage qu’elle avait quitté. Cet aspect sauvage est aussi présent dans la folie de Jocaste qui «s’arrachait à deux mains les cheveux ». Et cette folie ne semble avoir qu’un objectif ; le suicide, moyen de purification finale, échappatoire ultime.
C’est la confusion du sentiment affectif (de mère et de sœur) et du sentiment amoureux que les deux femmes ne peuvent absolument supporter, d’autant plus que la « conséquence concrète » de cette confusion a grandi dans leurs ventres. Au moment de la révélation, apparaît le besoin indispensable de se sortir de cette situation, et ce besoin ne peut se concrétiser que par la mort décidée, rachat de la faute par l’autopunition.
Pourtant cette faute n’en est pas une : Jocaste est victime de l’inconscience de son mari, Labdacide, qui ivre, l’a mise enceinte. Nienor aussi est innocente. Les deux femmes subissent les répercussions de la faute commise jadis par leurs parents. Dans le cas de Nienor, ces répercussions sont même injustes, causées par un dieu orgueilleux et colérique.
Le thème du suicide, échappatoire à la fatalité n’est pas neuf, mais sa force d’évocation est toujours aussi grande.
La mort d’Ajax est, dans son exécution, semblable à celle de Kullervo, l’épée étant fichée en terre jusqu’à la garde. On peut lire dans Ajax, de Sophocle : « La lame sacrificielle est debout pour bien trancher. / (…) Je l’ai enfoncée, je l’ai bien enterrée, moi, / Pour qu’elle me soit propice et que je meure vite, / J’ai bien préparé tout. (…) En même temps / J’invoque Hermès, le guide souterrain pour qu’il m’endorme / Pour que sans douleur d’un bond rapide / Je me déchire le flanc à ce glaive. » (Tragiques grecs, p. 460).
Et dans le Narn : « – Me tueras-tu bien et dûment ? Alors Túrin ficha la garde en terre et se jeta sur la pointe de Gurthang, et la lame noire prit sa vie. » (Contes et légendes inachevés, p. 220)
La scène d’Ajax paraît au premier abord plus réaliste, l’épée n’étant pas douée de parole, mais nous avons vu la possibilité qu’offre le dialogue avec cette dernière, développant un monologue par la « réponse » de la conscience.
Il ressort des deux scènes la prétendue décision propre et non influencée des deux hommes à l’heure de leur mort, pensant enfin maîtriser leur destin[17]. Ce qui ne semble effectivement vrai que pour Ajax puisque la décision de Túrin est pervertie par la malédiction. Les deux héros ont péché par ignorance : Ajax en proie à une crise de folie, a massacré le bétail du camp, croyant s’en prendre par vengeance aux chefs grecs et Túrin s’est uni à sa sœur parce qu’il ne savait pas qui elle était. Dans le premier cas, l’inconscience est causée par Athéna, protectrice d’Ulysse, son concurrent chanceux à l’acquisition des armes d’Achille. C’est une sorte de punition préventive à la préméditation du crime. Et finalement, dans les deux cas, le suicide est le moyen d’éviter la honte ou l’infamie, dues aux conséquences de l’inconscience.

Unité de temps, de lieu et d’action

Nous avons vu que le schéma narratif, ainsi que certaines clés essentielles de la tragédie, ont été repris par Tolkien. Pourtant, la tragédie antique fait avant tout partie du genre théâtral, et sa détermination d’antique implique l’emploi de la règle d’or du théâtre classique ; unité de temps, de lieu et d’action.
Ces trois points ne sont pas respectés chez Tolkien, le Narn i Chîn Húrin restant avant tout un roman moderne, malgré son nom de geste (ou lai) et certains aspects volontairement archaïques.
Les événements du Narn commencent avec la naissance d’Húrin, dont la vie est brièvement contée jusqu’à ce que naisse Túrin, et s’achèvent peu après la mort de ce dernier, selon les Contes et légendes inachevés, couvrant approximativement une soixantaine d’années. Túrin est assurément le véritable « héros », contrairement à ce que laisserait penser le titre du récit, et si le Narn est l’histoire de toute sa vie, il ne peut y avoir réellement unité de temps, dans le sens où l’entend le théâtre classique. Quant aux déplacements de Túrin, ils sont parfois si compliqués qu’une carte en devient indispensable, ce que Tolkien a tout à fait compris. Enfin, l’unité d’action, en l’occurrence la malédiction et ses répercussions, est rompue en plusieurs points, lors des rapports de Túrin avec Mîm, donnés surtout en appendices aux Contes et légendes inachevés, et avec sa sœur. Ces modifications développent le récit en lui donnant une dynamique appréciable et permet de couvrir quasiment toute l’histoire des deux dernières générations d’une famille en l’espace d’un récit (contrairement aux tragédies qui n’en racontent qu’une étape).
Dans le cas précis du Narn, les digressions mythologiques héritées partiellement de la culture grecque se transforment en des allusions historiques qui permettent d’agréables divertissements à l’intrigue principale et sont la source de développements contribuant fortement à la cohérence de l’univers (causes des guerres, origines des royaumes). Et le fait que ces développements ne viennent que d’un auteur, contrairement à la mythologie grecque, permettent de préserver cette cohérence (nombreuses, en effet sont les variantes entre Euripide et Sophocle, dans le cycle thébain par exemple).

Sous la notion de malédiction, fondatrice de la tragédie antique, Tolkien rend hommage aux maîtres du genre. En reprenant toute la richesse de leurs grands et puissants thèmes : orgueil, violation des codes intergénérationnels, suicide, il les développe en laissant de côté la référence peu vraisemblable de la malédiction à un passé par trop mythique. Parce qu’il admirait leur force d’évocation, il a retiré la fatalité tragique des sombres palais de marbre pour la transférer dans les forêts brumeuses du Nord. Il a rendu toute la puissance du Sauvage à un genre qui était devenu indissociable du concept de Cité. Et s’il perd une indéniable beauté stylistique, due aux merveilleuses possibilités de la langue originelle, il gagne une grande souplesse et une grande liberté narrative, le texte tragique classique pouvant sembler quelquefois lourd et enfermé dans ses contraintes littéraires.

Conclusion

 

« But an equally basic passion
of mine ab initio was for myth (not allegory!) and for fairy-story, and
above all for heroic legend on the brink of fairy-tale and history, of
which there is far too little in the world (accessible to me) for my appetite. »

Letters p. 144.

 

C’est un besoin particulier, un besoin que je crois comprendre, qui a poussé J.R.R. Tolkien vers le mode d’expression mythologique. Le Réel a ses limites si l’on désire rester vraisemblable et cohérent, aux yeux scrutateurs du public littéraire, mais aussi aux siens. Or vraisemblance et cohérence sont les maîtres mots de Tolkien et les deux clefs de voûte de son édifice mythologique.

Cette imagination incroyable, nourrie par des années et des années de lectures mythiques, nous fait assister à l’émergence passionnée d’une œuvre, devant laquelle s’impose, sinon une vraie reconnaissance, du moins un respect sincère. Tolkien s’est toujours présenté comme un chroniqueur, relatant les mythes entremêlés dans sa mémoire :

« …yet always I had the sense of recording what was already‘there’, somewhere : not of‘inventing’. » (Letters, p. 145).

Le chroniqueur relate d’anciens événements, réels ou mythiques. Les événements mythiques, il les traite de façon cohérente et, paradoxalement, réaliste.
Tolkien est chroniqueur parce qu’il restitue l’essence du mythe. Tolkien est inventeur parce qu’il le porte plus loin sur les chemins de l’imagination.

Toute mythologie ancienne est en premier lieu orale. La mise par écrit, quelle que soit son époque (n’oublions pas qu’elle est encore pratiquée chez des peuplades reculées par certains anthropologues), est une phase fondamentale obligatoire dans nos sociétés basées avant tout sur l’écrit. Elle tend à éliminer certaines répétitions rituelles, trop lourdes, certaines incohérences parmi les plus conséquentes (travail effectué par Lönnrot pour le Kalevala finlandais, et par Snorri Sturluson en 1223, pour les Eddas germanico-scandinaves). Ce premier travail de transcription est remarquable, mais toujours, volontairement ou non, empreint de cette oralité poétique.
C’est là que se révèle tout l’intérêt de la tâche de Tolkien, précurseur de la Fantasy moderne, qui tire sa matière des traditions orales européennes, pour créer une mythologie neuve, dans un style prosaïque, narratif et descriptif.
Ainsi l’on observe la transformation des caractères psalmodiés et répétitifs, en une langue qui, occasionnellement, en garde tout de même les relents, mais dans un style, cette fois, prosaïque. Et cette création concrétise les symboles et événements naïfs de ces poésies.

L’œuvre est moderne. Elle est originale, tout en s’inscrivant dans le processus immémorial d’aemulatio : avec déférence, elle s’éloigne du mythe populaire qui fait intervenir le divin en n’importe quelle occasion, et se sépare de la tragédie enchaînée dans ses carcans classiques, tout en reprenant le thème fondamental de la malédiction. Et l’univers nordique sauvage est enrichi de la dimension tragico-sociale grecque.
Tolkien crédibilise le rapport direct de l’humain au divin en le restreignant ; il ne cherche plus à prévenir, par une morale claire, mais se fait l’observateur des comportements et des sentiments des hommes qu’il met en scène face à l’extrême et à l’exacerbation de leurs malheurs.
Et il présente le déroulement psychique de la fuite et de la chute qui conduit à la mort, en enrichissant le mythe des formidables avancées modernes de la psychologie.
Même les faiblesses du Narn i Chîn Húrin sont comblées par le reste de son œuvre, puisqu’on retrouve un peu de la beauté de la langue tragique versifiée, restituée dans les poèmes du Seigneur des Anneaux, et l’humour du style finlandais dans le fermier Gilles de Ham[18].

Cette recherche aura confirmé une chose logique et essentielle: c’est de l’ouverture de l’horizon culturel que jaillit la création. Cette ouverture passe avant tout par la découverte du mythe, et grâce à elle, le mythe est sans cesse réinterprété, réinventé.

En me retournant sur le travail accompli, j’observe surtout des concepts théoriques.  Ces concepts me semblent relier la grande culture d’un homme à son talent, à ses choix et à sa création.

L’Art de Tolkien aura été son génie à rendre le meilleur de l’ancienne mythologie, d’y apporter toute l’avancée psychologique des romans du dix-neuvième et du vingtième siècle, et de tisser son œuvre avec toute la force d’une imagination cohérente.

 

Camille Cellérier.

Bibliographie et ouvrages de référence

 

  • TOLKIEN John Ronald Reuel,
    • Le Silmarillon, Paris : Pocket, 1978, 2001.
    • Contes et légendes inachevés, Paris : Pocket, 1982, 2001.
    • Le livre des contes perdus, tome II, Paris : Christian Bourgois éditeur, 1998.
    • The Letters of JRR Tolkien, éd de H Carpenter, Londres : Harpercollins, 1999.
    • Le Seigneur des Anneaux, Paris : Christian Bourgois éditeur, 1974, 1996.
    • Faërie, Paris : Christian Bourgois éditeur, 1966, 1992.
  • CARPENTER Humphrey, J.R.R. Tolkien, une biographie, Paris : Christian Bourgois éditeur, 1980.
  • DEVAUX Michel, éd., Tolkien, les racines du légendaire, Genève : Ad Solem, 2003.
  • FERRE Vincent, Tolkien sur les rivages de la Terre-du-Millieu, Paris : Christian Bourgois éditeur, 2001.
  • LEVI-STRAUSS Claude, Anthropologie structurale, Paris : Plon, 1958, 1974.
  • LOENNROT Elias, Le Kalevala, (2 vol.), traduction de Gabriel Rebourcet, Paris : NRF Gallimard, 1991. Autre traduction de J.-L. Peret, Evreux : édition Stock, 1978.
  • BOYER Régis,
    • L’Edda Poétique, présentations et traductions des textes, Paris : Fayard, 1992.
    • La Saga de Sigurd (Völsunga Saga), présentations et traductions des textes, Paris : Editions du Cerf, 1989.
  • HERMANN Paul, La Mythologie Allemande, Paris : Plon (Perrin), 2001.
  • GERBER Vincent, Comment ont évolué les Elfes (T.M. 169.5 GER), Collège de Saussure – Genève, 2002.
  • LECOUTEUX Claude, Petit dictionnaire de mythologie allemande, Paris : Editions Entente, 1991.
  • SURLUSON Snorri, L’Edda, Paris : NRF Gallimard, 1991.
  • COLLECTIF, Mythologie du monde, Paris : Gründ, 2001
  • DE ROMILLY Jacqueline, La tragédie grecque, Paris : Quadrige PUF, 1970, 1997
  • BONNEFOY Yves, éd., Dictionnaire des mythologies, Paris : Flammarion 1981.
  • CHAMOUX François, La civilisation grecque, Paris : Arthaud, 1968.
  • ESCHYLE, SOPHOCLE, Tragiques grecs, traductions par Jean Grosjean, Raphaël Dreyfus, Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1967.
  • EURIPIDE, Théâtre complet III, traduction, introduction et notes par H. Berguin et G. Duclos, Paris : Garnier Flammarion, 1966.
  • GRIMAL Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris : PUF, 1951, 1999.
  • HACQUARD Georges, Guide mythologique de la Grèce et de Rome, Paris : Faire le point Hachette, 1984.
  • RACHET Guy, Dictionnaire de la civilisation grecque, Paris : Larousse Référence, 1992.
  • THIERCY Pascal, Les tragédies grecques, Paris : Que sais-je PUF, 2001.
  • VERNANT Jean-Pierre, VIDAL-NAQUET Pierre,
    • Œdipe et ses mythes, Bruxelles : Editions Complexe, 1988, 2001.
    • Mythe et tragédie en Grèce ancienne (2 vol.), Paris : Edition la Découverte & Syros, 1986, 2001.

Notes

1. Par imaginaire de l’auteur, j’entends sa sensibilité et son assimilation du monde extérieur, troisième protagoniste de l’acte de lecture.
2. Voir la note 3 de l’article Des enclitiques en sindarin de Didier Willis, consultable sur JRRVF (https://www.jrrvf.com/hisweloke/site3/articles.php?lng=fr&pg=69). La correction est apportée par Christopher Tolkien en page 322 du tome V de The History of Middle-earthThe Lost Road and Other Writings, Londres : Harper Collins, 1987.
3. Le texte est présenté dans le Livre des Contes Perdus II.
4. « …I was not inventing but reporting (imperfectly) and had at times to wait till ‘what really happened’ came trough. » (Letters of J R R Tolkien, p. 212).
5. Donnée en pp. 312-313 de The History of Middle-earth XIThe War of the Jewels, Londres : Harper Collins, 1994.
6. Et non pas Dírhavel, qui est une erreur de transcription.
7. Pour plus d’informations, se reporter à la p. 101 de Sur les rivages de la Terre-du-Milieu.
8. Mon travail se divise donc en trois grands chapitres correspondant aux trois ensembles mythologiques retenus. Chaque chapitre contient une présentation générale et un résumé du passage mythologique en question.
9. Dans le Narn, c’est l’hostilité de la nature qui est particulièrement mise en avant. Mais chez Tolkien, la nature peut également être une force positive pour l’humain.
10. Voir à ce sujet : Sur les rivages de la Terre-du-Milieu, chapitre VII
11. Bien que la date de composition du Kalevala soit largement postérieure à celle des EddasVölsunga Saga, la démarche de Lönnrot visait à garder une authenticité primitive à la narration générale.
12. Le concept précis de « mythologie moderne » resterait à approfondir. Nous avons décidé dès le départ de l’appliquer au complexe tolkienien, comme terme entendu.
13. D’une façon plus générale, « [c.-à-d. la tragédie] prend pour objet l’homme vivant lui-même ce débat [c.-à-d. entre puissance divine et cohérence humaine], contraint de faire un choix décisif d’orienter son action dans un univers de valeurs ambiguës, où rien jamais n’est stable ni univoque. » (Mythe et tragédie en Grèce antique I, p. 16), ce débat est comparable à celui qui oppose Túrin dans sa lutte pour l’indépendance, à la fatalité, cause de son instabilité.
14. Voir les études de J. P. Vernant, en bibliographie.
15. En Grèce antique, il ne peut y avoir d’homosexualité seule, c’est-à-dire sans une hétérosexualité indispensable pour perpétuer la lignée. Encore un exemple de l’importance de la succession généalogique.
16. Le Tyran boiteux : d’Œdipe à Périandre, de Jean-Pierre Vernant, in Mythe et Tragédie II.
17. « Entre tous, un caractère commun qui peut selon les cas s’exercer dans le sens du bien ou dans celui du mal (parfois les deux à la fois ; c’est le cas pour Œdipe comme pour Ajax) : l’individualisme, la confiance en ses seuls forces, même (et en cela Ajax aussi ressemble à Œdipe) quand on sait que leur effort n’aboutira qu’à la ruine, avec le refus de laisser les autres, hommes ou dieux, disposer de soi-même. » (Tragiques grecs, pp. 420-421).
18. In Faërie, références en bibliographie.