Le Livre des Contes Perdus

 

Le début de l’année et l’inauguration des années 2000 est pourtant l’occasion de prendre de bonnes résolutions. Cette année, c’est décidé, je lis Tolkien sérieusement. Si vous êtes de ceux que ça motive, alors rejoignez-nous. L’idée de l’Effeuillé est double. D’abord, elle reprend celle de l’Effeuillé des postes distribué grâcieusement en ce début d’année (selon la tradition, le facteur – quand il n’était pas encore un vulgaire préposé des Postes et Télécommunications anonyme – le donne à ses bons clients). Nous consacrons donc ces années à venir à “feuilleter” chaque volume de la série The History of Middle-earth. Se choisir un programme a l’avantage de ne pas s’éparpiller ; l’Effeuillé, loin de se disperser à tout vent, suivra une ligne directrice. Ensuite, parler le vocabulaire de la Feuille ne devrait être étranger à aucun lecteur de Tolkien soucieux de travail précis…

Il semblait normal de commencer par les premiers écrits de Tolkien, c’est-à-dire par Le Livre des Contes Perdus. C’est pourquoi nous pensons engager cet Effeuillé sur les chantiers d’étude suivants :

 

1. Instruments de travail ou apparat critique

Comme le dit Christopher Tolkien lui-même, son édition des ouvres de son père n’est en rien critique. Mais elle peut sans doute le devenir en s’en donnant les moyens. Pour cela, il faut, au minimum établir :


a) Une Synopsis : il s’agit de faire le relevé des différents manuscrits et tapuscrits existant pour chaque conte, les numéroter, les dater, et donner la cote des bibliothèques d’Oxford (UK) et de Marquette (Milwaukee, USA) quand on peut la préciser. Les catalogues de ces bibliothèques permettent ce genre de travail jusqu’à un certain point. Engager ce travail pour les premiers volumes serait ainsi le galop d’essai d’un projet plus vaste de Synopsis de toute la série Home visant à pouvoir remonter la généalogie de chaque conte du Silmarillion. A cet effet, nous donnons d’ores et déjà une table de correspondance des chapitres entre les chapitres du Silmarillion et ceux du Livre des contes perdus.
A la critique externaliste (date et localisation des manuscrits de Tolkien) s’ajoutera dans la mesure du possible des éléments de critique interne (qui raconte quelle histoire ? à quel moment ? à quelle époque appartiennent les événements que tel conte décrit ?).

b) Une Chronologie des rédactions et documents contemporainsLes Contes perdus sont parfois chronologiquement emmêlés, il s’agit d’en démêler l’écheveau. Un tableau récapitulatif des différents états des textes (rendus possible par le Synopsis) est donc le second instrument de travail qui permettra de connaître le premier Tolkien. Nous disposons par ailleurs de documents contemporains des Contes perdus, il s’agirait d’en faire le recensement pour voir ce qui était à la disposition de Tolkien à tel ou tel moment.

Certains de ces documents sont évoqués et non encore publiés, là encore la liste serait à constituer pour nous permettre de faire le point et de voir ce qu’il faut encore aller voir dans les bibliothèques d’Oxford et de Marquette et, qui sait, un jour prochain, de les publier. Cette tâche nécessite de mobiliser toutes les lectures que chacun a pu effectuer. Il est clair que cela concerne tous les aspects de la vie et de l’ouvre de Tolkien. Il existe des papiers militaires publiés dans Life and Legend par exemple, d’autres dans Artist & Illustrator, des dessins, des travaux linguistiques elfiques, etc. : tous ne sont pas publiés. Mais puisqu’au détour d’une phrase, certains documents sont évoqués, dresser l’inventaire de ce qui manque pour la compréhension de cette phase nous sera précieux.


c) Corrigenda :

La traduction française n’est pas exempte d’erreurs (coquilles, absence de renvoi, index non traduit…). Dressons-en la liste pour que chacun bénéficie de l’acribie de tous. Christopher Tolkien lui-même a corrigé dans d’autres volumes certaines déclarations (voir par exemple dès la préface du t. II) ; reportons-les pour nous permettre d’approfondir notre lecture des textes.

 

2. Lectures ou Interprétation

Plusieurs étapes de développement des légendes qui mèneront au Silmarillion se doivent d’être différenciées. Je distinguerai volontiers l’original du fondamental et de l’originel. Je soumets ces catégories à l’épreuve de votre jugement.

a) L’original est ce qui est propre aux Contes perdus et que Tolkien abandonnera ensuite. Cela appartient à l’origine du Silmarillion et n’est propre qu’à cette phase de la mythologie. C’est ce qui en constitue l’originalité. Le chapitre I est une de ces originalités des Contes perdus, puisque rien n’y correspond dans les chapitres du Silmarillion.

b) Le fondamental désigne l’identité des légendes, ce qui est là depuis le commencement et ne connaîtra pas de variations (ou négligeables) par la suite. Certaines phrases de La Musique des Ainur se retrouvent ne varietur dans le Silmarillion de 1977 par exemple.

c) Par originel, nous entendons ce qui est là depuis le commencement mais qui connaîtra beaucoup de remaniements, déplacements et variations par la suite. Bref, c’est ce qui est en germe. Les commentaires de Christopher Tolkien indiquent certaines des innovations à venir.

Distinguer l’original, le fondamental et l’originel permettrait de mesurer les évolutions de J. R. R. Tolkien et les contradictions auxquelles Christopher Tolkien a dû faire face pour “composer” le Silmarillion puisqu’à terme nous serions en mesure de connaître toute l’évolution des légendes, c’est-à-dire lesquelles sont revues peu avant sa mort et celles qui ne l’ont pas été depuis longtemps.

 

3. Questions diverses

Il s’agira de construire, au-delà des rapprochements strictement textuels, les rapports qu’entretient un point particulier avec le reste de l’ouvre. Le Forum remplira son rôle habituel de constitution progressive de dossiers grâce à la mise en commun des connaissances de chacun.

 

Michaël Devaux,
© La Compagnie de la Comté, janvier 2000.