Jacques Ellul, avec J.R.R. Tolkien : la puissance ou la liberté

Jacques Ellul, avec J.R.R. Tolkien : la puissance ou la liberté

(c) Pamela Chandler (1966)

Jacques Ellul,
avec J.R.R. Tolkien :
la puissance ou la liberté

École doctorale « Cultures et Sociétés »
Université Paris-Est Créteil

présentée et soutenue publiquement par
Jean-Philippe Qadri
le 29 novembre 2023

sous la direction de
Vincent Ferré

Ce mercredi 29 novembre 2023 s’est tenue à l’Université de Créteil la soutenance, par Jean-Philippe Qadri, de sa thèse de doctorat sur travaux en littérature comparée : Jacques Ellul, avec J.R.R. Tolkien : la puissance ou la liberté.

Cette thèse s’appuie notamment sur quatre essais publiés en 2016 dans Pour la gloire de ce monde. Recouvrements et consolations en Terre du Milieu, ainsi que sur une anthologie de textes de Jacques Ellul édités en 2019 et pour moitié inédits jusqu’alors, Vivre et penser la liberté. À partir de ces travaux, l’œuvre sociologique et théologique d’Ellul est revisitée « avec » celle, littéraire, de Tolkien sous l’angle particulier de la dialectique entre la puissance et la liberté.

Jean-Philippe Qadri montre comment, « chez les deux auteurs chrétiens, la parole, le mythe et la fonction symbolique du langage apparaissent comme constitutifs de l’homme et de la société », et constituent les lieux privilégiés à partir desquels penser notre monde actuel, en particulier la fatalité technicienne de notre époque : l’accumulation de puissance a pour corollaire l’aliénation de notre liberté. Par la même occasion, la comparaison entre les deux auteurs montre que l’œuvre du professeur d’Oxford, trop rapidement rangée dans la catégorie dite « littérature d’évasion », mérite d’être considérée dans sa composante éthique. Vice versa, ce travail comparatiste novateur montre la fécondité de la composante esthétique de l’œuvre du penseur bordelais, ne serait-ce que pour saisir l’articulation entre son versant théologique et son versant sociologique (*).

Les membres de JRRVF joignent leurs félicitations à celles du jury. Et rendent hommage aux trésors  de connaissances généreusement partagés avec eux par l’auteur de la thèse, dont le cheminement n’est pas sans rappeler une certaine Route :

La Route se poursuit sans fin
Qui a commencé à ma porte
Et depuis m’a conduit si loin.
Je la suis où qu’elle m’emporte
Avide comme au premier jour,
Jusqu’à la prochaine croisée
Où se rencontrent maints parcours.
Puis où encore ? Je ne sais.
(La Fraternité de l’Anneau, p. 57)

Si nous ne savons, pas plus que l’auteur, où elle l’emporte, les habitués de JRRVF (mentionné à plusieurs reprises lors de la soutenance) se souviendront où elle a commencé. Et ils lui sont reconnaissants d’avoir été invités à être de ses compagnons.

Ils joignent leurs louanges — a laita sé ! — à celles de Vincent Ferré qui, lors de cette soutenance, a tenu à saluer la générosité intellectuelle du doctorant. Et souligné avec émotion l’une des pointes de son travail — de son œuvre :

Alors qu’Éowyn lui défend de s’approcher du roi Théoden, son oncle mortellement blessé, le Roi-Sorcier réplique : « M’entraver, moi ? Pauvre fou. Aucun homme vivant ne le peut ! ». […] 

Mais alors, à quoi reconnaît-on un homme vivant ? La question est posée à l’occasion d’une scène de bataille sanglante, alors que le vieux roi Théoden est à l’agonie, gisant sous le cadavre de son cheval. Face au Roi-Sorcier se trouve donc représenté symboliquement l’ensemble des inadaptés au royaume à venir de Sauron : les vieillards, les femmes, les agonisants, les jeunes et mêmes les personnes invalides (handicapés physiquement, diminuées intellectuellement ou affaiblies psychologiquement) puisque les Hobbits sont aussi appelés Periain, c’est-à-dire Demi-Hommes. On reconnaît donc la communauté des personnes typiquement impuissantes ou estimées telles face à la puissance nue. Le Roi-Sorcier, lui, symbolise donc à la fois le désespoir face à une puissance en apparence inexorable et l’homme dépossédé de sa propre humanité par la puissance qu’il utilise – cette humanité faite de fragilité, de larmes et de compassion – et qui la redécouvre pour sa propre perte en ce qu’il méprise le plus souvent : une jeune Femme, un Enfant et un Vieillard.

La prophétie de Glorfindel posait une nouvelle énigme au lecteur : comment un homme peut-il surmonter le désespoir ? Sur les Champs du Pellenor, comme sous le toit de Bombadil, la réponse est identique : par l’amour d’un homme vivant pour son prochain, que ce soit dans la communion et la joie (Frodo, Baie d’Or et Tom Bombadil) ou dans la solidarité dans l’épreuve (Merry, Éowyn, Théoden).

(*) On (re)découvre ainsi non seulement Silences et Oratorio, deux recueils de poésies posthumes, mais également treize poèmes publiés en 1973, 1977 et 1988 sous le pseudonyme de Yann Veoulay dans les revues Foi & Vie et Prier.

à bientôt pour d’autres nouveautés et commentaires sur JRRVF,
Jérome Sainton.