“ On conclut alors que les mythes sont ainsi
entièrement expliqués, qu’ils sont des sortes de dunes littéraires,
des amoncellements pittoresques, capricieux, instables formés
d’une foule de motifs arrachés, par une érosion qu’on explique
de façons diverses, aux quelques quinze cents ou deux mille
contes parmi lesquels les vieilles personnes de notre Europe
se découpent des répertoires ”.
Georges Dumézil, Les abus de la “ science des contes ”
(in Réhabilitation de Snorri).
À ma famille pour son soutien moral,
À Emeric Moriau - Anar kaluva tielyanna, sermon!
À Jean-Philippe Qadri, pour son aide précieuse,
À Cédric Fockeu, Semprini, et les interventionnistes
du forum de JRRVF pour leurs suggestions,
À mes chats, Romulus et Vanille.
INTRODUCTION
A quoi bon faire un mémoire de plus sur l'un des
sujets les plus étudiés de la Terre du Milieu, en l'occurrence
ses sources, alors que son créateur lui-même considérait cela
comme une fausse piste? Il écrit dans une lettre de mai 1972 à
l'un de ses correspondants: “I fear you may be right that the
search for the sources of
The Lord of the Rings [1] is going to occupy academics
for a generation or two. I wish this need not be so. To
my mind it is the particular use in a particular situation of
any motive, whether invented, deliberately borrowed, or unconsciously
remembered that is the interesting thing to consider”.On peut
parfaitement comprendre l'angoisse que Tolkien ressentait de voir
l'étude de son œuvre uniquement ramenée à un recensement de sources,
médiévales et autres, sans noter ce qui fait sa particularité
dans la manière de les utiliser et de les altérer. En ce sens,
nous pouvons rejoindre l'avis d'Anne C. Petty qui met en garde
contre l’intérêt de cataloguer les sources comparativement à celui
d’une étude de la structure mythique.
[2] Le livre
Mythology of Middle-earth
[3]
de Ruth S. Noel, pour ne citer que lui, est l'exemple
type du catalogue de références étymologiques souvent dignes d'intérêt,
mais sans le moindre contexte et où le lecteur ne peut finalement
pas comprendre les raisons qui ont poussé Tolkien à s’inscrire
dans telle ou telle tradition. Et si notre propos est lui aussi
d'évoquer les sources de Tolkien, nous tenterons de montrer l'intérêt
d’un emprunt ou d’une déformation volontaire de la littérature
médiévale par l'auteur vis-à-vis de ses propres critères quant
à l'art d'écrire des “ fairy-stories ”.
Trop souvent, les études abordant l’œuvre de
Tolkien dans une optique inspirée de la mythologie comparée
n’ont guère de vue d'ensemble et notent des liens ou des allusions
sans en expliciter la relation générale. Les exceptions notables
sont évidemment les excellents ouvrages de Verlyn Flieger et
T.A.Shippey ainsi qu’en France les travaux de Frédérique Munier
[4] sur les éléments de tri-fonctionnalité
indo-européenne en Terre du Milieu. Malgré quelques points litigieux,
cette dernière entreprise est ambitieuse, tout à fait convaincante
et a quelques beaux jours devant elle en termes de tentatives
possibles. Mais d'un point de vue général, il nous semble que
d'autres liens “ idéologiques ” pouvaient être mis
en lumière, tout particulièrement en ce qui concerne le syncrétisme
mythique. Néanmoins, de nombreux travaux seront utilisés dans
le cadre de cette étude, parfois pour rendre compte de certaines
opinions que nous ne partageons pas forcément mais qui méritent
d'être citées, d'autres fois afin d'argumenter notre lecture
que l'on formulera après une précision nécessaire sur le vocabulaire.
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[1] Il existe d’innombrables
ditions du
Seigneur des Anneaux en anglais. Bien que
nous l’évoquerons sous son titre français, l’édition de référence
de cette étude est celle du centenaire de la naissance de l’auteur,
en un volume illustré par Alan Lee : J.R.R Tolkien,
The
Lord of The Rings, HarperCollins, Londres, 1992.
[2] Dans
One
ring to bind them all: Tolkien’s mythology, (Alabama Press,
1979) elle écrit : “a study of Tolkien must come to an undestanding
of the basic structure of mythological elements, rather than
a cataloging of his sources from mythic literature, which, although
its reveals the breadth of Professor Tolkien's learning, does
not adequately come to grip with the folkloristic structure
as it is generated by the mythic impulse.”
Si nous partageons globalement l’idée de Mrs Petty, son utilisation
de l’expression “ basic structure of mythological elements ”
au singulier nous paraît trop simplificatrice. Il va également
de soit que l’idée même de “ folkloristic structure ”,
est l’antithèse de l’entreprise de Tolkien, comme le souligne
son allégorie de la tour dans la conférence
Beowulf :‘The
Monsters and the Critics’ in
The Monsters and the critics
and other essays, HarperCollins, Londres, 1983,
[3] Ruth S.Noel,
The Mythology of Middle Earth, Thames and Hudson, Londres,
1977.
[4] Nous avons
seulement eu accès au chapitre publié de ce mémoire : “ Une
interprétation trifonctionnelle d’un poème de J.R.R Tolkien ”
(cf. recueil critique
Tolkien en France; sous la direction
d’Edouard J. Kloczko, Editions Arda, Argenteuil, 1998).